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CP : Rituel d'imprégnation graphémique (3)
Merci à Crapaud-Chameau pour cette illustration.Troisième période, janvier/février :
Désormais, normalement, si le rituel a bien été suivi jour après jour, l'immense majorité des élèves cherche à déchiffrer, avec plus ou moins de bonheur, tout ce qui passe sous leurs yeux.
Les plus perspicaces d'entre eux en ont déduit la plupart des combinaisons graphémiques composées de deux lettres (ou, an, en, on, oi, in). Ce sont les fameux élèves dont parlent les familles avec des sanglots d'espoir dans la voix : ceux qui, au bon vieux temps, savaient lire à Noël...
Rassurez-les, ces élèves existent toujours et ils seront d'autant plus nombreux qu'on ne fera pas de l'école un lieu « pour faire plaisir aux adultes[1] » et des séances d'imprégnation graphémique un pensum dépourvu de sens[2] pendant lequel on psalmodie, sous la surveillance zélée d'un chronomètre, des pages de lettres, de syllabes, de logatomes ou de mots « résistants »...
Pour aider les autres à parvenir au même point, mais aussi pour aider les premiers à renforcer leurs compétences sans s'ennuyer, voici la troisième partie de notre Rituel d'imprégnation graphémique. Elle sera renforcée bientôt par une partie « Écriture graphémique » pour ceux qui souhaitent faire de leur classe « un lieu pour faire plaisir aux enfants » et ont plus ou moins abandonné ces manuels d'acculturation littéraire à la mode des grands.
Les compétences ayant évolué, il est normal que la forme en ait elle aussi évolué... à petits pas.
Toujours deux jours par graphème :
Pour que les élèves plus lents aient le temps de se focaliser sur une relation graphème/phonème et une seule. Sans pièges. Sans exceptions. Le CP est l'âge des certitudes.
Pendant ces deux jours, cette relation sera « à très haute dose » et très clairement signalée.
Un repérage accentué des graphèmes complexes :
Souvent, les élèves habitués à décoder les lettres deux par deux, consonne en premier, voyelle en second, (les fameuses syllabes, fausse-piste bien connue dans laquelle s'enferrent les enfants les plus fragiles et pourtant hélas privilégiée actuellement) se retrouvent déroutés quand apparaissent les premiers graphèmes composés de deux lettres (ou plus, mais là n'est pas encore la question).
Pour leur simplifier la vie et pour habituer leur œil à « regarder plus loin », dans cette série de 6 semaines de Rituel d'imprégnation graphémique, nous avons clairement balisé le repérage grâce à deux ou trois procédés successifs :
- marquage en rouge du graphème en cours d'apprentissage
- soulignement en rouge du graphème en cours d'apprentissage
- soulignement en noir du graphème appris récemment
À vous de voir si vous reproduirez ce marquage au tableau lorsque vous recopierez les rituels. Tout dépend du niveau de votre classe. Sachez que, encore mieux que l'affichage qui oblige à tourner la tête pour retrouver ce qu'on a un peu oublié, ce marquage en couleur aide l'élève à se focaliser sur la difficulté et donc à consolider son apprentissage.
En revanche, je ne conseille pas, sauf cas très particulier, de multiplier les couleurs comme le font certaines méthodes. Pour 98 % des élèves, c'est choisir un marteau pilon pour enfoncer une aiguille dans du beurre.Quelques aides supplémentaires :
Pour aider à la mémorisation, je ne saurais trop vous conseiller d'appuyer fortement l'aide visuelle fournie par la couleur par l'aide auditive et gestuelle qu'apportent les formules rituelles suivantes (à adapter selon le graphème étudié) :
- « Les lettres o et u sont mariées. Quand o et u sont mariées, elles font le son [u]. »
- « Regarde plus loin. Qu'y a-t-il après le o ? Ah, c'est un u. Tu te souviens ? [retour à la formulette ci-dessus] »
- « Regarde ma main. Je fais O avec mon pouce et mon annulaire, et U avec mon index et mon majeur. Que vois-tu ?... C'est le loup qui dit [u] ! [retour à la formulette ci-dessus] »
- « Attention, regarde plus loin et rappelle-toi : le n préfère se marier avec la voyelle qui est après lui. C'est une ba...na...ne et non une ban... an... e. »
Au risque de me répéter, nous ne sommes pas dans l'évaluation sommative mais dans l'apprentissage.
Notre aide est toujours la bienvenue et la répétition qui consiste à remobiliser l'une des trois voies d'entrée (vue - ouïe - geste) sert la consolidation et l'automatisation. Nous devons en user et en abuser tout au long des 5 à 10 minutes bi-quotidiennes que dure le Rituel d'imprégnation graphémique.
Deux autres voies de consolidation, puis d'automatisation :
Vous verrez que, semaine après semaine, nous nous appesantissons toujours aussi peu sur ces syllabes qu'il faudrait paraît-il, selon la doxa actuelle, automatiser antérieurement à la lecture signifiante pour accéder à la lecture fluide.
En effet, le Rituel d'imprégnation graphémique cherche à ne pas laisser s'enliser les élèves fragiles dans ce décodage laborieux d'éléments non-signifiants, tout comme il cherche à ne pas ennuyer plus que de raison ceux qui ont déjà « craqué le code », comme on dit dans les romans d'espionnage. Nous privilégions donc une autre voie.
Histoire de varier un peu, il y en a même deux (trois si vous suivez aussi Écriture graphémique) :
a) Le décodage (et l'encodage) de mots connus :
C'est à partir de mots directement signifiants pour la plupart des enfants que nous assoirons leur automatisation des graphèmes.
Ces mots pourront être projetés à partir du pdf proposé ou écrits, avec les couleurs indiquées, sous les yeux des enfants (ce qui leur permet de commencer à décoder pendant l'écriture du mot).
Chacun de ces mots sera décodé une fois, puis expliqué, par un enfant différent à chaque mot. Lorsque toute la liste aura été lue, s'il reste du temps, on la fera relire par une autre succession d'enfants, sans réexplication, sauf si un mot rare avait posé problème en première lecture.
Les enfants revoient ainsi chaque jour (ou presque, car il n'y a parfois pas de listes de mots) non seulement la graphie du jour mais aussi toutes celles qu'ils ont vues récemment.
Ils ancrent cette automatisation du décodage grâce au sens qu'ils mettent dans l'acte de lire. Ils automatisent ainsi non seulement la capacité à ânonner de syllabes qu'ils reconnaissent au premier coup d'œil mais aussi la capacité à s'appuyer sur la logique, le raisonnement, la compréhension.
Ils prennent aussi l'habitude d'avoir un retour d'information immédiat (ce que je crois avoir lu existe-t-il ? Si oui, je ne me suis pas trompé, si non, c'est que j'ai dû faire une erreur), rendant ainsi l'erreur positive et source d'apprentissage.
Les élèves qui ont droit au rituel d'Écriture graphémique auront aussi de nombreuses occasions d'encoder ces mots, par épellation phonétique et non par apprentissage par cœur de mots pris comme des images.
b) Le décodage de phrases formant un tout :
Très souvent, ces mots sont insérés dans des phrases formant un texte. Là, nous sommes en plein cœur de l'apprentissage de la lecture car tout y est :
- l'automatisation du décodage
- l'engagement actif grâce à une activité plaisante
- le retour d'information immédiat car toute erreur nuit au sens général
- l'appel à la logique, au raisonnement, à la créativité
Les textes proposés pourront comme les mots être projetés à partir du pdf proposé ou écrits, phrase après phrase, avec les couleurs suggérées.
1. On pourra, dans un premier temps faire lire à voix haute à chaque enfant à la suite un mot de la première phrase puis la faire relire intégralement par l'enfant suivant. Mais, dès que les capacités de décodage et d'attention s'accentueront, il vaudra mieux que chaque élève lise une phrase entière, à voix haute.
2. Dès que la première phrase sera lue, elle sera immédiatement reformulée, par un autre enfant.
3. On fera alors lire première et deuxième phrase à un troisième enfant et la deuxième phrase sera reformulée par un quatrième.
4. Le cinquième enfant relira la deuxième phrase et décodera la troisième et ainsi de suite.
5. Quand le texte aura été lu et compris phrase à phrase, on pourra s'il reste du temps (rappelez-vous, c'est 10 minutes, pas plus !) le faire relire intégralement sans le couper d'explications par autant d'élèves que ce qu'il contient de phrases.
Ainsi, pour un texte de 13 phrases, comme le premier de la Période 3 - Semaine 3, on aura pu faire décoder en première lecture 13 enfants et en seconde puis troisième lecture 26 enfants. Le tout en 10 minutes...
Fichiers de la Période 3 (Janvier - Février) :
A) Période 3 - Semaine 1 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 1.pdf »
B) Période 3 - Semaine 2 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 2.pdf »
C) Période 3 - Semaine 3 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 3.pdf »
D) Période 3 - Semaine 4 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 4.pdf »
E) Période 3 - Semaine 5 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 5.pdf »
F) Période 3 - Semaine 6 :
Télécharger « Période 3 - Semaine 6.pdf »
Dans la même série :
A) Lecture :
CP : Rituel d'imprégnation graphémique (1) ; CP : Rituel d'imprégnation graphémique (2) ; ... ; CP : Rituel d'imprégnation graphémique (4) ; CP : Rituel d'imprégnation graphémique (5)
B) Écriture :
CP : Écriture graphémique (1) ; CP : Écriture graphémique (2) ; CP : Écriture graphémique (3) ; CP : Écriture graphémique (4) ; CP : Écriture graphémique (5)
C) L'ensemble du travail, compilé en méthode de lecture :
CP : Méthode de lecture "Nino et Ana" ; CP : Méthode Nino et Ana : cahier 2 ; CP : Méthode Nino et Ana : cahier 3 ; CP : "Nino et Ana", production d'écrits ;
Notes :
[1] Vous savez, ces classes où l’adulte lit, pendant 6 à 7 semaines, à une classe vite découragée, une histoire qui lui plaît parce qu’elle délivre un message qu’il trouve amusant, édifiant, interpellant ou je ne sais quoi...
[2] Voir cet exemple parmi d’autres : OURA-LEC/CP Enseignants
Tags : CP, lecture, methode, graphemique
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Commentaires
2jeanneaddedLundi 13 Juillet 2020 à 01:28Bonjour,
Je viens de passer au moins 3h sur votre site, une page en appelant une autre, un trait d'humour rencontrant une phrase ironique et caustique sur les "cognito neuro chercheurs es pédagogies"...
Merci beaucoup pour ces positions tranchées qui changent des traditionnelles louanges aux méthodes modernes enseignées dans les IUFM des années 2000.
Je serais tentée de tester votre méthode Nino et Ana avec mon futur groupe de 5 CP. L'efficacité qui semble s'en dégager me séduit.
Et pour dire vrai, je n'en peux plus du célèbre dragon Taoki. Et des phases interminables de description de l'image, de jeux de phono, et surtout des phrases et textes compliqués à déchiffrer chaque année (mots outils trop nombreux peut être).
Auriez vous des idées d'adaptation de la méthode Taoki pour qu'elle puisse davantage ressembler à la vôtre ?
Merci beaucoup.
Bonjour Jeanne,
Tout d'abord merci pour vos compliments. Ils me vont droit au cœur.
Pour Taoki, déjà, vous avez vous-même pointé ce qu'il faut supprimer : les recherches de sons et les exercices de phonologie audio-oraux.
Après, par quoi les remplacer ? C'est très simple : de la lecture et de l'écriture.
Le premier jour de classe, on travaille sur les deux premières pages de Taoki (pages 8 et 9) : les élèves apprennent à reconnaître, dans les 4 écritures, et tracer les lettres, en cursive, les lettres a, i (et éventuellement y, mais ce n'est pas urgent) .
L'image à observer devient une image d'expression orale, qui permet de se familiariser avec les personnages (apprendre à distinguer visuellement les mots Lili, Hugo et Taoki, sera plus utile que chercher si on entend [a] ou [i] dans bibliothèque, livre, cartable ou plante en pot, juste reconnaître... pas lire).
Les deux jours suivants, on ajoute les pages 10 et 11, sur le même principe. Lire et écrire r, ra, ri et ar, ir. On laisse tomber l'image et la recherche de sons.
Quant aux deux mots globaux : il et un, c'est la maîtresse qui les donne, chaque fois qu'on les rencontre. Si des enfants les mémorisent, tant mieux, si d'autres les oublient, pas grave.
On peut organiser deux petits jeux avec des images et en profiter pour commencer l'étude de la langue :Jour 1 : « Je vais vous montrer des images de personnes, d'animaux et de choses. Vous me direz leur nom et nous verrons ensemble si nous pouvons les mettre avec l'article un ou pas. »
À chaque image montrée, répéter : « Quel est le nom de cette personne/cet animal/cette chose ? Pouvons-nous dire un ... ? » et, quand c'est le cas, faire « lire » par un élève : un ...Jour 2 (Même chose avec le pronom il en soulignant le fait que dans il, on voit la lettre i qu'on sait réellement lire) : « Je vais vous montrer des images de personnes, d'animaux et de choses. Vous me direz leur nom et nous verrons ensemble si nous pouvons les remplacer par le pronom il ou pas. »
À chaque image montrée, répéter : « Quel est le nom de cette personne/cet animal/cette chose ? Pouvons-nous "le ..., il" ? » et, quand c'est le cas, faire « lire » par un élève : le ..., ilQuant au il y a, composé de trois mots devenus connus, c'est du décodage, plus de l'apprentissage par cœur.
Même chose les jours suivants, en insistant sur la compréhension, plutôt que sur la capacité sensorielle à entendre les sons et la capacité visuelle à enregistrer des "images de mots".
Voilà. A affiner bien sûr... Bonnes vacances !
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Bonjour,
J'ai découvert votre blog en juillet. Je trouve vos articles toujours intéressants car ils offrent une vision des apprentissages vraiment différente de ce qu'on voit sur tant d'autres blogs. Et pour toutes les précisions, tous les conseils pratiques, toutes les photos qui me sont d'une grande utilité, toutes les explications que vous partagez, je voulais vous remercier. C'est vraiment passionnant (et épuisant !)
Toutefois je voulais aujourd'hui partager également mon sentiment à le lecture de ces articles. Je me sens vraiment déconcertée par tout ça. A chaque fois que je lis un nouvel article, je me prends une claque.
J'ai l'impression que tout ce que je fais en classe, tout ce qu'on m'a appris, ce qu'on nous apprend encore en formation et également tout ce que j'ai pu voir chez des collègues, est sans cesse critiqué. Je n'ai que quelques années d'expérience, j'ai encore beaucoup de choses à apprendre.
Mais ici, en vous lisant, j'ai l'impression d'être nulle.
Que toute ma formation de prof des écoles est à refaire.
A certaines heures où je manque de confiance, je dois avouer que je ne sais plus quoi faire, pour que ce soit "bien". Je n'arrive plus à voir les "bonnes pratiques" pour que mes élèves progressent.
Et les "horribles choses" à ne surtout pas faire, pour ne pas dégoûter les petits.
Bien sûr ça me permet de me remettre en question. J'essaie de bien faire, et même quand j'essaie de suivre vos conseils et faire "comme vous dites", j'ai l'impression d'être une de ces mauvaises maîtresses que vous décrivez, de ne rien savoir et n'avoir rien appris.
Je tenais à vous faire part de mon découragement certains jours de lassitude.
J'ai l'impression que la plus grande tâche est, non pas de faire face aux difficultés de mes élèves et de trouver des pratiques efficaces, mais de refaire ma formation de maîtresse. Et remodeler mon esprit et ma manière de penser l'apprentissage de la lecture / écriture, qu'on m'a très peu appris.
Je continuerai bien sûr à suivre vos articles et à mettre en place ce qui me parait possible avec les élèves que j'ai cette année.
Cordialement,
Pauline
Bonjour Pauline,
Tout d'abord, merci pour ce long message auquel je vais tenter de répondre point par point. Je suis très sensible au fait que vous ne rejetez pas en bloc ce que je fais au prétexte que je suis trop caustique envers les pratiques scolaires courantes.
Je tiens à vous assurer que l'animosité dont je fais parfois montre n'est jamais, mais alors jamais dirigée vers mes collègues qui n'ont pour seul « tort » d'avoir écouté le seul son de cloche qui leur était donné.
Pour expliquer ce ton caustique, il faut revenir un peu en arrière. Un peu beaucoup, vu mon ancienneté.
J'ai commencé à m'intéresser à l'éducation et à l'enseignement lorsque j'avais 15 ou 16 ans. J'avais la chance d'habiter dans une ville qui possédait une énorme bibliothèque municipale, avec un rayon «Éducation» très développé. J'y ai tout dévoré : tous les modernes de l'Éducation Nouvelle : Decroly, Claparède, Piaget, Montessori, Freinet, A.S. Neill pour ne citer que ceux-là.
À 18 ans, mon bac en poche, j'ai tenté le concours de l'École Normale... et je l'ai raté. Deux mois après la rentrée des classes, j'ai reçu un courrier me proposant de rentrer par la petite porte dans l'enseignement primaire. J'étais Liste Complémentaire.
Sans aucune idée des programmes, des règlements, des lois. Juste les souvenirs de mon école primaire à moi et de mes lectures. J'ai donc foncé tête baissée, avec mon Freinet dans la poche ! Et les exigences de contenus de mes instits des années 1960. L'histoire-géo-sciences en moins parce que j'avais lu dans Freinet que ça ennuyait les élèves et qu'il fallait procéder par thèmes.
Et puis j'ai eu une formation pédagogique, avec des « vieux » IEN, des « vieux » conseillers pédagogiques et des « vieux » maîtres formateurs, tous à fond pour Freinet, Decroly, Langevin, Wallon et Piaget. Et tous ayant gardé les exigences de contenus des années 1960... sauf en histoire-géo-sciences-éducation civique parce qu'il était désormais admis que c'était au collège de faire le travail sur les contenus pendant que l'école primaire ne ferait qu'ouvrir l'appétit des enfants pour ces matières.
Et puis ça a continué, cahin caha. Les méthodes se dégageaient de plus en plus des contenus qui se réduisaient comme peau de chagrin. J'ai commencé à voir arriver des élèves de CE1, parfois même CE2 qui ne savaient pas lire, qui faisaient 30 fautes en 20 mots, qui comptaient encore sur leurs doigts pour calculer 8 + 4... et j'en passe.
Et ma hiérarchie donnait raison aux collègues qui les avaient eus car ils avaient su privilégier la méthode aux contenus. La grammaire était inutile, les opérations posées aussi, l'orthographe devait céder le pas sur l'expression, il y avait d'excellents élèves de CM2 non-lecteurs (si, si, je l'ai entendu de mes propres oreilles), etc.
C'est là que j'ai commencé à devenir critique, trop critique. J'ai arrêté de suivre les Instructions Officielles et continué à enseigner les contenus que je considérais comme indispensables. Mes élèves continuaient à sortir lecteurs du CP, tous (à une exception près) et à arriver en 6e capables d'écrire peu ou prou sans fautes et de résoudre des problèmes relevant des quatre opérations.
Pendant ce temps-là, les programmes, les uns après les autres, réduisaient les exigences. Et les « chercheurs en sciences de l'éducation » ayant pignon sur rue en rajoutaient dans l'immense complexité de la tâche de l'enseignement primaire, là où je ne voyais que bon sens et enchaînement logique, à petits pas, comme j'ai l'habitude de dire.
Du coup, je me suis tournée vers ceux que je n'avais jamais lu : Kergomard, Buisson,, etc. Et j'y ai retrouvé :
a) la modernité des méthodes basées sur l'activité et la compréhension de l'enfant mais aussi
b) l'exigence des contenus, la foi en la capacité de l'enfant de comprendre beaucoup de choses à condition qu'on les lui ait présentées et expliquées tranquillement, posément, année après année et qu'on l'ait encouragé à s'entraîner
Et j'ai compris ce qui s'était passé pendant les années de mes débuts, comment le doigt avait pris le pas sur la lune et comment nous en étions arrivés à cette école qui privilégie les méthodes à utiliser aux contenus à transmettre.
Comme c'étaient les débuts des réseaux internet (forum d'enseignants, blogs de collègues), j'ai commencé à intervenir. Je me suis retrouvée entraînée dans des groupes que j'ai depuis quittés en raison de leur raideur et de leur rejet de tout ce qui est postérieur à 1960.
Ces groupes ayant été entendus, nous avons eu les programmes de 2008, rejetés par une profession qui n'avait jamais entendu parler de ça et qui associait ces contenus plus étoffés à des méthodes de perroquets à qui on apprend à réciter sans comprendre.
Et puis, le vent ayant quand même un peu tourné, les mêmes chercheurs en sciences de l'éducation ont mis de l'eau dans leur vin eux aussi. Et ils ont cherché à s'adapter, tout en gardant cette visée issue du constructivisme qui fait qu'en classe, on propose une séquence consacrée à un contenu global (la phrase, par exemple), on aligne les activités ouvertes (les collectes, par exemple), on en sort une théorie (la leçon à copier) et on évalue, tout d'un coup, pour voir ce que les élèves ont construit.
C'est là que j'ai quitté mon groupe qui les rejetait en bloc, quoi qu'ils fassent. Et que j'ai tenté, sur ce blog, de proposer du matériel différent, et les techniques d'utilisation de ce matériel.
Seulement, voilà, il me reste un peu beaucoup de cette rancœur, quand je vois ce qui se passe et comment on remplace une idole placée sur un piédestal (le socio-constructivisme, les méthodes de lecture issues de l'étude de la littérature) par une autre idole placée sur un autre piédestal (les activités extrêmement codifiées de Montessori, le retour à la méthode réellement syllabique, celle qui n'admet pas d'autre lecture que celle des tableaux de syllabes tant que cette dernière n'est pas totalement automatisé) !
Et cela me rend hargneuse là où, au contraire, je voudrais ouvrir d'autres voies sans juger les anciennes, celles qu'on vous a présentées comme les seules et uniques et mon petit côté caustique me perd en vous touchant au plus profond de votre sensibilité d'enseignants dévoués, cherchant à bien faire.
Non, ce que vous faites n'est pas complètement nul, non, je ne détiens pas la science infuse, non, vous ne devez pas culpabiliser. Et oui, j'exagère souvent le trait, oui, je vais souvent trop loin pour la joie d'un bon mot, d'une petite pique envoyée à MM. et Mmes les chercheurs en vogue, qu'ils soient issus des sciences de l'éducation ou, plus récemment, des cogni-sciences...
J'essaie de répondre à vos questions dans un (ou plusieurs) autres messages. Merci de m'avoir lue.
Ce deuxième message sera plus bref. Il se limitera à quelques proverbes et conseils :
1) Le mieux est l'ennemi du bien. Vouloir trop bien faire mène souvent à l'échec.
2) Ne jamais lâcher la proie pour l'ombre. Il faut changer ce qu'on se sent capable de changer et peser le positif et le négatif de la proie comme de l'ombre avant de tout jeter par-dessus bord.
3) Rome ne s'est pas faite en un jour. La méthode des petits pas est valable pour les élèves comme pour leurs enseignants.
Et enfin, et c'est le plus important, ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu'on nous raconte, même si l'attrait de la nouveauté et le bagout du « vendeur » rend le produit attrayant. Se faire confiance, tenter de comprendre et d'analyser les erreurs et les failles de ce qu'on nous propose comme celles de ce que nous pratiquons et faire un savant mélange des deux, en toute confiance mais aussi en toute humilité, en se rappelant que tout le monde est faillible, et surtout les conseilleurs !
Toutes mes excuses d'avoir pu vous blesser au lieu de vous donner envie d'agir. Je vais faire mon possible pour être moins caustique dorénavant.