• Apprendre à conjuguer, de deux à onze ans (2)

    Apprendre à conjuguer, de deux à onze ans (2)

    II. À l'école maternelle : de la TPS à la GS.

    B. L'écoute active

    Si, à l'école maternelle, nos élèves apprennent avant tout à s'exprimer à l'oral, ils n'en sont pas moins déjà en train de se préparer à comprendre l'écrit pour pouvoir le lire et s'y exprimer à leur tour. Cet écrit qu'ils ne peuvent ni lire ni écrire les confrontera à des verbes et des temps que l'oral n'emploie pas au quotidien. Certaines formes se fixeront dans leurs mémoires, ils en déduiront quelques règles intuitives, sans doute encore peu performantes1 mais qui constitueront une base sur laquelle l'école élémentaire pourra s'appuyer lorsqu'elle les rendra explicites pour en garantir la maîtrise.

    Les enfants de l'école maternelle auront donc à avancer dans la maîtrise sensorielle de leur ouïe, de manière à devenir capables d'écouter attentivement les comptines, les chants, les poèmes, les récits et les contes que leur transmettront leurs enseignants, en essayant spontanément d'en comprendre le sens. Cette compréhension se manifestera par les questions qu'ils poseront, les réflexions qu'ils feront, les restitutions qu'ils en donneront.

    Le rôle de l'enseignant est simple :

    - apprendre progressivement aux élèves à écouter avec attention ces « paroles venues d'ailleurs »,

    - constituer un vaste répertoire de comptines, chants, poèmes, albums, contes et récits qui leur feront découvrir, comprendre, mémoriser et souvent même employer toutes sortes de verbes, modes et temps, au quotidien,

    - veiller à ce que ce répertoire emploie des formes verbales correctes, des pronoms personnels variés, des phrases bien tournées, un vocabulaire large et choisi.

    B. 1. En TPS et PS

    • Sachant que ses élèves ont encore peu d'attention auditive, il aura soin de s'appuyer sur un support visuel et kinesthésique : les comptines, chants, poèmes seront mimés, accompagnés de gestes ou de jeux de doigts2 ; les contes et les récits seront lus, images à l'appui ou joués par des marionnettes ou les enfants eux-mêmes. 
    • Il évitera toutes les pertes d'attention dues à des œuvres trop éloignées de leur compréhension3, trop longues, mal adaptées à leurs intérêts du moment ou provoquant l'ennui car surexploitées pendant plusieurs semaines.
    • Quotidiennement il usera et abusera des comptines toutes simples, des chants les plus courts du répertoire traditionnel, surtout avec les plus jeunes. L'aide incontestable que donne le rythme de ces œuvres musicales permettra aux élèves de répéter sans se tromper des formes verbales aux temps et modes variés4. Les gestes et jeux mimés qui accompagneront ces chants aideront les élèves à mémoriser le sens des verbes qu'ils apprennent : ils berceront, frapperont, glisseront, trotteront, galoperont, éviteront, craindront, picoreront, consoleront, tapoteront, …, et, tout en prononçant ces verbes, ils en intégreront le sens.
    • Avec les plus âgés, dès la fin de la PS, mais surtout en MS, l'enseignant ajoutera les premiers poèmes, toujours choisis pour leur facilité de compréhension, leur rythme régulier, l'intérêt du sujet qu'ils évoquent, la correction de leur langue5.
    • En commençant par les raconter, à bâtons rompus, aidé ou non par des illustrations, il aidera ses élèves à entrer dans une langue difficile, éloignée de celle qu'ils rencontrent tous les jours. Ce n'est que lorsque l'histoire qu'ils racontent sera comprise qu'il en dévoilera les vers, proposition par proposition, sans omettre une explication de vocabulaire ou de sens général. Une fois ce travail de compréhension fait, il pourra lire le poème entier avant de le faire répéter et apprendre aux enfants.
    • Cette façon de conter, aidé ou non par des illustrations, permettra au maître de faire entrer tous ses élèves dans le monde des contes, des histoires et des récits. Il pourra s'aider d'albums sans textes de très grand format, tels ceux des Oralbums, dont ses élèves observeront et commenteront les images à leur niveau.
    • Il pourra tout aussi se contenter d'images plus petites des albums pour enfants ou se servir de projections ou dessins personnels illustrant les scènes successives des histoires qu'il souhaite leur lire.
    • En revanche, quel que soit le média visuel utilisé, si, comme dans toutes les activités de langage, il laisse les élèves parler la langue qu'ils maîtrisent, il félicitera toute expression appropriée et ne manquera jamais de reformuler les tournures encore maladroites, les formes verbales erronées, les pronoms mal employés.
    • Après ce dialogue6 et ces reformulations, lorsque le sens général de l'image aura été compris de tous, succédera la lecture de l'extrait correspondant à l'image observée. Cette lecture sera fidèle au texte qui, nous le rappelons, aura été choisi avec soin pour la qualité de la langue employée.
    • En effet, si pendant la préparation à l'écoute active menée en amont (aide visuelle, observation des illustrations, dialogues et reformulations), l'enseignant devra tolérer une langue encore hésitante, il n'emploiera jamais lui-même ces approximations enfantines, ces tournures mal bâties, ces erreurs de construction du français7. S'il choisit encore souvent des contes traditionnels dans des versions adaptées à la petite enfance, il veille à ce que la langue que celles-ci emploient soit irréprochable.
    • Ainsi, dès la TPS et la PS, les enfants n'emmagasineront que des formes verbales exactes et découvriront les plus rares d'entre elles à leur rythme d'enfants.

    B. 2. En MS et en GS

    • Cette écoute active, après observation, commentaires, discussions sera bien entendu poursuivie en MS et GS.
    • Comme chez les plus jeunes, l'enseignant s'efforcera de susciter l'intérêt et de le maintenir en choisissant les œuvres en fonction de ses élèves, en les faisant découvrir de manière enlevée et plaisante, sans jamais les ennuyer par des périodes trop longues, des séances d'écoute interminables8, sans pause ni explication ni autres stimuli que la parole de l'enseignant, des textes sans intérêt ou mal préparés en amont9.
    • Les comptines et jeux de doigts seront de moins en moins employées pour l'acquisition de formes verbales, l'enseignant les remplacera par des chants à plusieurs couplets, des poèmes de toutes sortes10 afin de faire employer, aidé par la mélodie qui soutient la mémoire, de plus en plus de verbes, conjugués à tous temps et tous modes.
    • De même, bien préparés en amont, les contes et récits s'allongeront ; ils commenceront à être lus, pour certains, dans leur version intégrale, et il n'est aucun verbe, aucun temps ou mode qui se verra rejeté parce que « trop dur » pour un jeune enfant11.
    • Encouragés par ces lectures, ces chants, ces poèmes, les élèves s'essaieront sans doute à leur tour à employer le passé simple. Les verbes du 1er groupe étant beaucoup plus courants que ceux des deux autres, ce sont les terminaisons des premiers qu'ils appliqueront intuitivement à tous. Dans sa reformulation, le maître remplacera la forme erronée par celle qui convient.
    • Il pourra déjà commencer à expliquer, brièvement, qu'en passant par l'infinitif du verbe, que les élèves trouvent spontanément si on les y prépare, on peut savoir si cette terminaison en -as, -a ou -èrent convient au verbe qu'on souhaite employer.
    • Ce travail, pratiqué sans épée de Damoclès au-dessus de la tête, toujours informel, jamais évalué, passionnera certains élèves avides de règles générales, d'organisation, de structures solides sur lesquelles ils peuvent s'appuyer. Il complétera celui engagé, souvent par les mêmes élèves, lors des séances de langage quotidien. L'enseignant s'appliquera à détecter le moment où les enfants le réclament parce qu'ils en ont besoin très vite pour être plus performants dans leurs productions personnelles et s'emploiera à répondre à leurs demandes.
    • Car, comprenant que c'est ainsi qu'on écrit, les élèves chercheront à s'emparer de ce vocabulaire supplémentaire, cette richesse de la conjugaison qui, d'une simple terminaison, dit qui et quand12, et ils l'utiliseront à leur fin personnelle dans les mêmes conditions : l'écrit dicté ou composé lettre à lettre pour les plus âgés d'entre eux.

    Déjà publié :

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (1)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (3)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (4)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (5)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (6)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (7)

    Notes :

    1 Ils faisèrent, il disa, tu combattas le dragon, il faut que tu prendes, … autant de signes que nos tout-petits sont déjà en train d'apprendre à conjuguer au passé simple et au présent du subjonctif et que, si le travail est maintenu, ils en arriveront à la maîtrise orale et écrite avant d'entrer au collège.

    2 Certains collègues utilisent les gestes du Langage des Signes Français, ce qui doit être excellent pour la compréhension du sens des verbes nouveaux que les enfants découvrent ainsi que pour leur mémorisation.

    3 Chants, comptines et poèmes courts aux mélodies simples et rythmés ; textes décryptés en amont grâce à l'observation commentée des images (voir La parole au quotidien)

    4 Par exemple dans La Souris Verte, nous sommes confrontés à six verbes, trois temps de l'indicatif (imparfait, présent, futur) et un temps de l'impératif (présent), deux personnes du singulier, deux du pluriel, dont une dite « de politesse » ; dans Frère Jacques, nous utilisons la forme interrogative puis la forme impérative ; dans le premier couplet d'Au Clair de la Lune, nous retrouvons à nouveau l'impératif présent, le présent de l'indicatif dont un à la forme négative…

    5 Voir la très jolie scène de Ça commence aujourd'hui, de B. Tavernier, où Philippe Torreton, instituteur de maternelle dans une école maternelle de ZEP, apprend à ses tout jeunes élèves le poème Conversation, de J. Tardieu.

    6 Toujours inspiré dans sa forme des travaux de Pierre Péroz, cités plus haut : http://www.cndp.fr/crdp-reims/ressources/conferences/peroz/peroz.htm

    8 Trois à cinq minutes de lecture magistrale, en MS et même début de GS, c'est interminable. Il n'y a qu'en toute fin d'année scolaire que les élèves de cinq à six ans, déjà habitués à rester vigilants, actifs pendant une écoute immobile arrivent à soutenir leur attention aussi longtemps.

    9 Pour qu'un auditeur s'intéresse, il faudrait qu'il ait déjà en tête 80 % des informations qu'il écoute.

    10 Voir l'exploitation d'une fable de La Fontaine en Grande Section dans Une semaine en GS (5) et Une semaine en GS (6)

    11 Aidé par le sens général, l'enfant comprend parfaitement : « Cependant, il ne se découragea pas et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât à demeurer chez lui. »

    12 … et même où !


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