• Après l'écriture, les nombres !

    Suite à l'article de R. Brissiaud sur le Café Pédagogique1, un collègue a exhumé l’article de H. Canac dont notre créateur de Picbille et de Géom’ parle dans sa communication. Il s'agit de L'INITIATION AU CALCUL ENTRE 5 ET 7 ANS, Esquisse d'une méthode et d'une progression (1947).

    Cet article est d’une telle richesse et d’une telle limpidité que je ne vois pas quoi faire de mieux que de vous le communiquer par tranches…

    La première tranche parlera de la Méthode.

    On y apprendra que, sans doute pour ne défavoriser ni les enfants qui n’avaient pas fréquenté l’École Maternelle, ni ceux dont la fréquentation avait été irrégulière, ni ceux qui étaient plus lents à démarrer ni même ceux qui n’avaient pas eu encore l’envie de s’y mettre vraiment, on préférait faire comme si un enfant de 5 ans entrant en Grande Section ou Section Enfantine ne savait rien (plus tard, on apprendra qu’on considérait néanmoins que l’enfant avait au moins la notion de 1, 2, un peu et beaucoup). On était donc, comme Liliane Lurçat dans l’article sur l’écriture, très loin de l’idée d’évaluation des enfants de moins de 7 ans3.

    On y verra comment l’École Maternelle acceptait l’élève dans sa globalité et le faisait glisser doucement par le jeu, et toujours sans évaluation ciblée, d’une approche sensorielle et concrète des objets vers un concept plus abstrait comme le nombre. Comment, à travers l’objectif d’acquisition du Langage Oral, elle commençait à installer ces concepts, uniquement à l’oral, sans plan forcément préétabli, en « musardant », comme le dit l’auteur…

    Cette base pourrait être reprise actuellement, dès demain matin. Avec un taux de fréquentation des classes de Petite et Moyenne Sections avoisinant les 100 %, elle pourrait mener nos élèves vers une maîtrise bien plus assurée de ces bases langagières, concrètes et sensorimotrices. De ce fait, en Grande Section, nous n’aurions plus à tenir compte de ceux chez qui la pré-initiation … est ce qu'elle peut, au gré des conversations familiales et des expériences de hasard 5.

    Voici donc la première partie de cet article auquel Rémi Brissiaud fait partiellement référence (mais ça, on en reparlera…) :

    A. MÉTHODE.

    - Le chemin qu'un écolier doit parcourir, en calcul, entre 5 et 7 ans, se définit avec simplicité :

    - A 5 ans, l'enfant ne sait rien, a le droit de ne rien savoir ;

    - A 7 ans, il doit connaître les 100 premiers nombres et savoir opérer sur eux.

    A 5 ans, le petit rural est conduit pour la première fois à l'école de son village ; l'enfant des villes entre dans la section des Grands de l'École maternelle, où, pour la première fois, on lui propose des exercices d'initiation au calcul. Tout au plus, au cours de l'année précédente, a-t-on pu lui proposer des jeux « éducatifs » qui l’ont mis sur la voie de la perception du nombre. On a pu, par exemple, lui faire trier des cartons d'après le nombre d'objets qui y figurent. Imaginons 2 séries de cartons, les uns portant 2 lapins verts, les autres 3 poulettes rouges. L'enfant les sépare en prenant appui sur la couleur et sur la nature des animaux représentés. À un deuxième stade, l'exercice consistera à trier des cartons de 2 lapins verts et des cartons de 3 lapins verts, le point d’appui sensoriel disparaissant ; et à un troisième stade enfin, l'enfant, placé devant 4 sortes de cartons (2 lapins verts, 3 lapins verts, 2 poulettes rouges, 3 poulettes rouges) devra mettre à part, non point les poulettes ou les lapins, mais les groupes de 2 ou les groupes de 3 sans s'arrêter à la nature des objets représentés. Ainsi se trouve esquissée une suite d'exercices - que, dans la pratique, on pourra diversifier et graduer comme on voudra - selon laquelle l'enfant de 4 à 5 ans, prenant appui d'abord sur des données sensorielles et concrètes (forme, couleur, nature des objets), passe de là à la considération du nombre ou de la quantité des objets, abstraction faite de ces données ou même en les contrariant.

    On observera que ces exercices n'aboutissent pas nécessairement à la notion de tel ou tel nombre défini. On peut ne pas repasser le stade de la discrimination de quantités saisies globalement : l'absence (aucun, pas du tout), l'unité, une faible quantité (quelques-uns un peu) , une grande, ou plus grande quantité (beaucoup), sans dépasser cette « évaluation qualitative» que l'adulte exprime en général par des adjectifs ou pronoms indéfinis.

    Ainsi, dans certaines peuplades très primitives, le berger, incapable de dénombrer ses ouailles, sait tout de même évaluer globalement son troupeau, sent s'il est au complet ou non.

    On peut encore exercer l'enfant de quatre ans et demi sur une gravure présentant une route en Y à la bifurcation de laquelle des groupes de cyclistes, tantôt se joignent et tantôt se séparent ; et l'on peut faire parler l'enfant sur ces « opérations : le familiariser avec les notions qu'expriment des mots comme : se séparer, ensemble, à part, ajouter, enlever, partager, moitié ... exercices de langage qui préludent à l'acquisition des notions arithmologiques fondamentales et préparent de longue main aux opérations arithmétiques.

    Mais cette pré-initiation ne s'adresse qu'à une extrême minorité d'enfants - quelques élèves bien doués des bonnes classes maternelles ou enfantines - et, dans ce cas très favorable, demeure fragmentaire, toute concrète et sensorimotrice et de faible portée. La pré-initiation des autres enfants est ce qu'elle peut, au gré des conversations familiales et des expériences de hasard. En gros, il reste vrai qu'en calcul, tout est à faire après cinq ans, tout est à prendre à pied d'œuvre.

    Deux ans plus tard par contre, le jeune écolier qui va entrer au cours élémentaire doit tenir un bagage très explicitement défini par le programme officiel du cours préparatoire ; il doit savoir « compter jusqu’à 100 ».

    Le problème pédagogique qui nous occupe ici est donc de doter l’enfant de 7 ans de la connaissance assurée (automatique) de ce programme, par des procédés efficaces (économiques), éducatifs. et, si possible, plaisants, la route à parcourir se décomposant naturellement en deux étapes : une première année (5 à 6 ans) d'initiation libre, où l'on musarde un peu en chemin, où chaque enfant va aussi loin qu'il le peut, selon sa fréquentation, sa capacité ou même son bon vouloir, et une deuxième année (cours préparatoire) où faisant fonds sur une fréquentation régulière et une maturité intellectuelle beaucoup plus grande, il s'agit d'aller de l'avant et d'atteindre le but. Ainsi se trouve délimité, et « cadré » le sujet de cette étude. 

    Pour lire le reste de l'article :  

     2. Savoir compter jusqu'à 100

    3. Les cinq premiers nombres

    4. Les nombres de 6 à 10

    5. Le nombre 10, la dizaine

    6. De 11 à 19, les irrégularités de langage

    7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !"

    8. Où l'on voit bien que 30 > 24

    9. Évaluation des acquis

    Notes :

    [1]http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2013/05122013PisaRBrissiaud.aspx

    [3] Plus loin dans l’article, on verra comment ce rien est censé évoluer en deux années scolaires et quelle évaluation (très courte) propose l’auteur pour un élève à l’issue de son Cours Préparatoire… Il n’y a pas à dire, en trente heures de classe, on en faisait plus qu’en vingt-quatre !

    [4] Je me permets de vous rappeler que je considère que la TPS n’existe pas et que la Petite Section dure d’une à deux années scolaires selon que l’enfant est entré à l’école l’année de son deuxième anniversaire ou celle de son troisième. Dans une École Maternelle telle que je la décris et qui, je le maintiens, peut exister du jour au lendemain, partout où les collègues sont prêts à échanger leurs progressions toutes faites contre une observation approfondie du petit enfant en croissance et de ses besoins.

    [5] Voir article ci-dessous.


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  • Apprendre à écrire pour savoir lire

    Une interview de Liliane Lurçat sur l'apprentissage de l'écriture. Il ne faut peut-être pas prendre au pied de la lettre sa façon de mettre en avant les heures d'apprentissage de la calligraphie de l'école primaire des années antérieures à la réforme de 1972. Mais à part cela, il y a des passages très intéressants :

    - Les débuts du geste d'écriture, la maturation avant l'apprentissage de l'écriture proprement dit :

    Q : Donc à partir de trois ans, techniquement parlant, il y a la possibilité d’apprendre à écrire ?

    LL : Il y a la possibilité de reproduire des cycloïdes dans les deux sens. On n’est pas obligé d’apprendre à écrire à l’école maternelle mais il faut apprendre tout ce qui prépare à l’écriture : la tenue du crayon, des exercices graphiques permettant de dépasser, d’aller vers l’hybride et de dépasser l’alignement…

    - La nécessaire maturation avant de passer à l'apprentissage proprement dit :

    Q : Après trois ans, comment ça se passe ? Est-ce que tout se joue avant trois ans ou c’est après ?

    LL : Eh bien justement non, tout ne se joue pas avant trois ans parce que tout s’étale sur la durée. C’est un apprentissage long parce qu’il dépend à la fois de la maturation physique et de conditions pédagogiques.
    Donc contrairement à toute sorte d’acte, l’apprentissage du langage écrit est long mais quand on a bien écrit, on le garde pour la vie. Or ce qui s’est passé avec la séparation de la lecture et de l’écriture c’est qu’ils ont eu des gamins qui n’ont pas fixé…

    - L'apprentissage de l'écriture qui permet de débuter celui de la lecture en GS mais sans évaluer en respectant les différences de rythmes :

    LL : Et en grande section l’écriture. Et cela dépend de la qualité des maîtresses évidemment parce que si on leur fait dessiner des lettres en inventant des trajectoires, on fausse les trajectoires. A partir du moment où l’on dit que l’on apprend à écrire comme on dessine ce n’est pas vrai.

    Q : Pourquoi ?

    LL : Parce qu’il y a une trajectoire imposée dans les lettres et l’écriture alors qu’il y a plus de liberté dans le dessin. Ce qui s’est passé c’est qu’on n’a plus enseigné l’écriture calligraphiée au CP, CE. Autrefois on apprenait à calligraphier. On apprenait une grosse écriture ronde et on guidait la main de l’enfant. J’ai travaillé ce modèle, c’est le modèle kinesthésique, c’est-à-dire le modèle à main guidée, où l’on sent, on guide la main alors l’enfant sent les positions.

    Q : Oui et un point de repère qu’il enregistre…

    LL : Et qu’il automatise. Il faut lui donner des informations. L’information visuelle, le modèle au tableau, ne donne pas la même information que le modèle à main guidée. Or le modèle visuel est statique c’est-à-dire une chose déjà écrite.

    Ce modèle s’adresse à la sensibilité kinesthésique. Alors qu’au tableau on peut donner un autre modèle. Il y a aussi un modèle dynamique où l’on voit quand même qu’il y a une trajectoire. Mais préférablement, à main guidée, on donne le modèle kinesthésique.

    Q : Je reviens un peu en arrière… Après l’âge de trois ans, c’est la continuité dans la pratique de ce qui a été enseigné jusqu’à trois ans ?

    LL : Oui. Ce sont tous les exercices qui doivent continuer. A partir de trois ans puisqu’on a l’hybride, on peut faire des courbes différentes, dans les deux sens, on peut progressivement en Grande Section débuter l’écriture des lettres et s’il y a des différences de maturité pour l’écriture, ne pas insister. Ce n’est pas obligatoire à l’école maternelle. Et surtout ne pas évaluer les enfants sur ces apprentissages là parce qu’il y a des différences qui jouent réellement. Et à partir du Cours Préparatoire alors il faut que l’apprentissage soit systématique. Écriture et lecture.

    - Les dérives dues à l'apprentissage de la lecture rapide complètement séparé de l'apprentissage de l'écriture vue comme "autre chose" n'ayant rien à voir avec la lecture :

    Q : Excusez-moi, mais vous voulez dire qu’à un moment donné l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se faisaient ensemble ?

    LL : Mais bien sûr ! A l’école on faisait constamment des exercices graphiques et de la lecture. Il fallait toujours commencer par l’écriture, comme elle est plus lente, elle permet de découvrir la lecture. Alors que la lecture visuelle est trop rapide.

    Q : Et aujourd’hui c’est séparé, l’écriture et la lecture?
    LL : Ah… Aujourd’hui, c’est n’importe quoi… C’est pourquoi il y a tellement d’illettrés. Ce sont des illettrés scolaires, ce ne sont pas des arriérés mentaux, ce sont des enfants mal instruits et par des enseignants mal instruits aussi eux-mêmes.

    Q : Alors quelle est l’origine du mal ?

    LL : L’origine du mal, ça a été Fourcambert, qui a séparé la lecture et l’écriture, qui a dit qu’il fallait apprendre à lire en prenant du sens par les yeux, que l’écriture n’était pas liée à la lecture.

    Q : Est-ce que vous pouvez prendre un cas concret ?

    LL : Pour lui, lire c’est prendre du sens avec les yeux. Il faut enseigner la lecture rapide. Et lire, il ne faut pas lire de manière linéaire, il faut prendre un mot là, un mot là, un mot là, déduire le sens.

    Q : C’est étonnant, je lis actuellement des livres sur la lecture rapide. Il faut deux ou trois points de fixation appliqués par ligne…

    LL : Oui c’est ça, appliqué aux enfants, et ça c’est très dangereux. C’est ce que l’on a voulu apprendre aux enfants et on a cassé toute la mécanique.

    Q : Donc on apprenait aux enfants à ne pas lire chaque mot mais à faire deux trois points de fixation par ligne ?

    LL : C’est ça, en zigzag avec quelques points de fixation. Et c’était tellement imposé à l’époque !

    Q : Ça c’est pour la lecture. Et quelle influence sur l’écriture ?

    LL : On n’en parlait plus. C’était devenu l’écriture ça se dessine. Alors on a eu tous ces cas de dysgraphies, dysorthographies, dyslexies. Vous prenez n’importe quel type d’apprentissage et vous mettez « dys » devant et ça devient une pathologie de l’école.

    Q : Donc dans les années 80 le focus est porté sur la lecture rapide…

    LL : Sur la lecture séparée de l’écriture, elle était rapide, éparse, pas systématique, en zigzag.

    - La formation des maîtres et les "dérives" des programmes :

    Q : Si vous aviez une baguette magique, ou plutôt un stylo magique, que changeriez-vous aujourd’hui pour aider les enfants à apprendre à écrire ?

    LL : Former les instituteurs à des méthodes rigoureuses et réintroduire la rigueur pédagogique et le respect des enfants. C’est à dire ne pas utiliser le dessin pour comprendre les rapports qu’il y a dans la famille mais pour développer les habiletés des enfants. Que les apprentissages soient méthodiques, suivis, et qu’on ne juge pas les enfants sur leurs échecs…. parce qu’autrefois on jugeait les maitres sur l’échec des enfants. Quand il y avait des enfants qui ne savaient pas lire à la fin de la classe, c’est les maitres qui étaient punis.

    Q : Des méthodes plus rigoureuses, ça veut dire quoi, les méthodes plein délié qui existait avant ? Ou pas nécessairement ?

    LL : Non, c’est l’éducation. Et puisqu’on utilise des instruments d’aujourd’hui, si on utilise les crayons à bille, on apprend à écrire en respectant la trajectoire des lettres et des mots, on apprend la grammaire et on apprend l’orthographe.

    L'article entier : http://paperandco.com/blog/2010/10/ecritureapprentissage-par-liliane-lurcat/


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  • La production d'écrits en PS

    Illustration de Sophie Wiktor

    Selon la bonne vieille théorie selon laquelle ce qui est bon pour un adulte, pour un adolescent, pour un enfant d'élémentaire ou de GS est forcément bon pour un élève de PS, mes collègues s'évertuent parfois à faire entrer leurs tout petits élèves dans la production d'écrits.

    Afin de rendre cela vivant et convivial (si... si... ), ils raccrochent cela à une histoire qu'ils leur ont lue, à un événement concret et festif qui va se dérouler un jour, plus tard, dans le futur néantesque qui recouvre d'une brume épaisse tout ce qui aura lieu dans plus de cinq à dix minutes.

    Or, un jour, une maîtresse eut l'idée de lire Roule Galette à sa classe de Petits. Excellente idée s'il en est ! Histoire répétitive, très simple, au déroulement linéaire, tout ce qu'il faut ! Personnages sympathiques, illustrations faciles à décrypter, rapport avec une activité généralement appréciée des jeunes enfants, ça ne pouvait que plaire.

    Oui mais voilà... Il faut rendre cela productif, on est à l'école que diable ! Très bien. Les élèves vont patouiller dans la farine, manipuler cuillers, fouets et fourchettes, casser des œufs et étaler la pâte au rouleau ! Ils vont faire rouler anneaux, cerceaux et pneus sur des sentiers sinueux, se poursuivre en criant de joie et balayer le plancher pour récolter des grains de blé imaginaires... Ils vont colorier, peindre et recouvrir de morceaux de papier jaune des formes circulaires... Ils vont même peut-être pour les plus âgés d'entre eux, ceux qui ont déjà bientôt quatre ans, les jalonner de lignes parallèles représentant les traces de couteau dont la vieille a eu la précaution de décorer sa pâte avant de la dorer à l'œuf et de la mettre au four... Peut-être... c'est encore difficile et bien abstrait pour les plus jeunes, ceux qui pour le moment se servent encore des crayons comme d'objets magiques animés d'une volonté propre dont ils contemplent les tracés avec un étonnement sans cesse renouvelé.

    Mais que nenni, voyons ! A-t-on vu un adulte courir sur le sentier à la poursuite d'un cerceau qui s'échappe ? A-t-on vu un adolescent patouiller dans la farine pendant ses heures de cours ? A-t-on vu un enfant de CE2 avoir besoin de se concentrer pour balayer des grains de blé ? Vos activités sont bien jolies, m'âme Doublecasquette, mais vous avez oublié la plus fondamentale d'entre toutes ! Quelle médiatrice déplorable vous faites, enfin. Et l'entrée dans l'écrit, alors ? Où est l'entrée dans l'écrit ?

    Bah, je leur ai lu l'histoire, non ? Et je la leur relis... Pour faire plaisir à mon IEN et aux parents réunis, j'ai même photocopié la couverture et l'ATSEM l'a collée dans leurs cahiers de vie. Et puis, je leur ai appris la chanson de la galette et j'ai affiché la partition sur le tableau ; nous avons même collé des gommettes rondes et jaunes tout autour. J'en ai même qui font semblant de suivre du doigt les paroles quand ils chantent... C'est adorable !

    Pardon ? J'ai oublié quoi ? La pro-duc-tion d'é-crits ? Mais ils sont tout petits ! Ils ont le temps, non ? Pour quel avantage, à part celui de les tenir assis quelques longues minutes sur un truc auquel ils ne peuvent rien comprendre ?

    Alors après que cette "production" repose sur les mots VIEUX et VIEILLE qu'ils doivent recomposer et coller lettre à lettre, de gauche à droite, des petits carrés de papier portant chacun un caractère d'imprimerie ne me choque pas plus que si l'exercice portait sur les mots FARINE, BLÉ ou RENARD supposés plus "faciles" parce qu'immédiatement déchiffrables par un enfant de CP.

    Ce sont des enfants de trois ans ! La plupart d'entre eux n'ont encore même pas remarqué que c'était grâce aux petits caractères noirs présents sur la page que la maîtresse leur racontait Roule Galette. Il y en a même certains qui ne "lisent" pas encore les images et d'autres qui n'ont pas accédé au langage articulé. Aucun d'entre eux n'est capable de dessiner l'une des scènes du livret et rares sont ceux qui sont capables de raconter l'histoire dans l'ordre du début à la fin.

    Alors que les mots qu'on leur donne à recomposer soient indéchiffrables par un lecteur débutant, on s'en fiche complètement. Ils sont bien loin de l'analyse de l'écrit, de toute façon. On peut même leur donner à recomposer CHRYSANTHÈME et MONSIEUR si on veut. Ou même EICHHÖRNCHEN ou SCHMETTERLING pendant qu'on y est.

    Le scandale est ailleurs et mettre en avant cette petite hérésie supplémentaire cache la forêt des hérésies fondamentales qui régissent la vie scolaire des tout-petits qui vivent leur école maternelle à l'époque où y règnent des programmes scolaires qui nient l'existence de la Petite Enfance et qui font des apprentissages fondamentaux savants le fond du travail qu'on doit y mener.

    Grosse colère et grosse fatigue.


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  • Six ans pour apprendre à lire (suite)

    Illustration de Xavier Laroche

    Ici les ajouts que me suggèrent les cris d'orfraie effrayée que je lis çà et là de la part de personnes qui, parfois, n'ont même jamais eu de classe entre les pattes du 1er septembre au 30 juin.

    1) Le mois et demi de "globale" au début du CP, à l'époque, c'était du "global" à la sauce de la dame qui, dans l'enquête citée par S. Dehaene, a réussi à rendre Ribambelle efficace.

    C'est-à-dire un "global" où on essaie constamment que les enfants s'intéressent aux lettres, en mémorisent le son intuitivement et n'écrivent qu'en copiant ce qu'ils ne savent pas composer eux-mêmes.

    2) Généralement, les enfants de deux à six ou sept ans s'intéressent fort peu à la date, sauf occasionnellement, lorsqu'un jour futur précis (et proche) est lié pour eux avec un événement précis (et heureux). Même là, ils se débrouillent très bien sans nommer les jours, en comptant les "dodos" par exemple.

    C'est sans doute pour cela, plutôt que pour une question de sexe, qu'ils ont tant de mal à mémoriser à quoi correspondent ces suites de lettres qu'on leur impose de désigner chaque matin dans la nouvelle religion (avant, selon ma grand-mère qui est allée "à l'école des sœurs", c'étaient les prières en latin qu'on faisait réciter aux tout-petits avant que l'envie leur soit venue... ou pas... de croire en Dieu et d'éprouver le besoin de le louer dans une langue qu'ils ne parlaient pas eux-mêmes).

    Par ailleurs, je vous assure que si c'est bien fait, en GS, une immense majorité des élèves (mâles comme femelles) arrivent justement à retenir cette suite absconse dès lors qu'ils sont arrivés à y prendre des repères alphabétiques. Et certains y arrivent dès la MS. Mais là, cela leur cause souvent plus de déboires que de contentements car, selon le bon principe du "si c'est pas rouge, c'est bleu", ils ont tendance de ne se fixer qu'à un seul repère et d'en faire une règle générale.
    Ainsi, un mot commençant par L se lit LUNDI pour peu qu'il soit affiché près de l'endroit où on écrit la date dans la classe alors qu'en revanche, un mot qui commence par l ne peut être LUNDI puisque, dans leur esprit, celui-ci ne peut commencer que par L.

    Enfin, sauf cas très particulier d'un CP où on continue toute l'année à apprendre par cœur sans aucune mise en relation avec "le code grapho-phonétique", tout cela n'est pas grave

    C'est ennuyeux et inutile. C'est une perte de temps stupide et une promenade du Petit Poucet dans les tréfonds de la forêt sans petits cailloux blancs, mais ce n'est pas un drame irréversible. Je suis sûre que même les spécialistes des neuro-sciences en conviendraient eux aussi.


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  • Six ans pour apprendre à lire 

    Dessin de Xavier Laroche, illustrateur et berger en Drôme Provençale

    Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans (d’ancienneté) ne peuvent pas connaître.

    L’histoire se passe dans une école maternelle… ou dans deux… ou dans dix… ou dans mille. C’était à l’époque reculée où personne ne se prenait encore la tête avec l’apprentissage de la lecture et ses prémices.

    Nous étions à l’époque de Noël[1]. Les catalogues de jouets avaient envahi la classe et les enfants de deux à cinq ans et demi découpaillaient allègrement dedans, des petites étoiles plein les yeux. Ils collaient ensuite avec plus ou moins de soin sur des grandes feuilles de papier le résultat de leur moisson du jour.

    Or il advint qu’un matin, un petit Emmanuel et une petite Hélène, cousins germains, enfants de paysans tout ce qu’il y a de plus simples, ne découpèrent pas de jouets.

    Emmanuel, quatre ans, découpa résolument une série de quatre lettres majuscules au tracé arrondi en disant : « C’est ça que je veux que le Père Noël m’apporte ! »

    Hélène, cinq ans, ne voulut pas se laisser démonter par l’avancée technique que son cousin venait de découvrir, d’autant que celui-ci continuait avec une autre série de lettres, minuscules scriptes cette fois, au tracé tout rondouillard et sympathique. Elle se jeta sur un autre catalogue et se précipita sur ces belles lettres roses un peu renflées en criant : « Et moi, c'est ça que je veux ! »

    Les enfants continuèrent un moment à découper puis passèrent à autre chose.

    La maîtresse, qui venait d’entendre une conférence de l’amie des enfants, récupéra d’autres catalogues, alimentaires ceux-là, et y découpa quelques logos bien connus, allant de la pâte à tartiner chocolatée aux œufs surprises en passant par les pâtes oui mais des … et la célèbre boisson à bulles que les USA importèrent chez nous par les mains de leurs GI…

    Le lendemain, elle les déposa sur la table au milieu de ses élèves de quatre à six ans. Les plus jeunes jouaient tranquillement pendant ce temps et aucun ne vint pointer son nez dans ce qui ne s’appelait pas encore un atelier de découverte de l’écrit mais tout simplement une séance de langage oral. Tous les élèves participèrent avec beaucoup d’enthousiasme à l’expérience de toutes leurs capacités discriminatives d’analphabètes…

    - Ça, c’est les pâtes Oui ! Là, y’a écrit Oui-mais-des-Pan-za-ni.

    - Et là, c’est Coca Cola. Moi j’aime ça, j’en bois. Y'a écrit Co-ca-co-la !

    - Et ça, c’est du Mitella ! Et ça, Nuksônoisette. La maman de Nadège, elle en vend des Nuksônoisette. Ma mamie, elle m’en a acheté l’autre jour.

    - Chez Lucien, y’a du Mitella

    - On dit pas Mi-tella, on dit Nu-tella ! Hein maîtresse qu’on dit Nu-tella ? Pffff, y sait pas parler, lui.

    - Ah bon ? À la télé, y disent Mi-tella, pourtant…

    L’activité était finie, les élèves s’égaillèrent aux coins-jeux…

    Le lendemain, pour les plus grands, ceux de Grande Section, la maîtresse avait prévu une fiche polycopiée, avec la machine à alcool. Les logos des jouets y étaient reproduits à l’encre violette, décalqués par ses soins. Ils étaient accompagnés de quelques petits schémas représentant l’un une des célèbres briques danoises, l’autre, ce charmant petit personnage en tunique raide comme la justice à la coupe au bol si seyante, le troisième, cette délicieuse vamp évaporée aux formes avantageuses et le dernier ces barres de métal trouées avec leurs petits boulons microscopiques. Réussite totale des élèves.

    Le jour d’après, dernier essai. Cette fois, les mots LEGO, Barbie, playmobil, MECCANO étaient écrits à la main, dépouillés de leurs particularités. À nouveau, réussite totale.

    On laissa tomber le jeu et on passa à des choses plus importantes dans la vie d’un enfant de quatre à six ans… Et il y en a tellement ! Apprendre à tenir un crayon, à faire du vélo sans roulettes, à chanter Mon Beau Sapin en chœur avec les copains, à ne plus prononcer saussures, saussettes et socolat, à lancer une balle dans la boîte en carton placée au centre de la classe, à enrouler de la laine autour d’une couronne de carton pour faire un pompon, à se passionner pour les aventures de Boucle d’Or et des Trois Ours ou celle de Michka le Petit Ours, c’est quand même bien plus utile dans la vie qu’être capable d’associer une suite de signes cabalistiques qu’on a vue des centaines de fois avec un nom de marque qu’on nous a cornée aux oreilles à chaque fois qu’on voulait regarder les dessins animés à la télévision, non ?

    L’année d’après, une petite Camille, qui était la plus jeune de la bande des « quatre ans » de l’année d’avant observait avec attention le paquet de cigarettes de la maîtresse[2]… Du haut des presque cinq ans désormais, elle lança, suivant du doigt les lettres qu’elle « lisait » :

    - Ça, c’est un C (prononcer Keuh) comme dans CCCamille. Et là, il y a écrit « CCClopes » !

    On lui expliqua que oui, en effet, cette lettre se prononçait [k] comme dans Camille, mais que c’était Camel qu’il y avait écrit et non clopes… Et on passa à autre chose. Il y a tellement de choses plus importantes à cinq ans que d’apprendre à déchiffrer lettre après lettre Camel ou Marlboro sur des paquets de cigarettes.

    Camille continua à apprendre à écrire en écriture cursive avec tous ses petits copains de GS et à lire les mots qu’elle écrivait grâce à ces lettres. De temps en temps, à l’école ou à la maison, elle s’entraînait à déchiffrer quelques lettres ou quelques mots. Comme elle aimait beaucoup les C, résultat découlant de sa première recherche fructueuse d’analyse de l’écrit, elle nous fit rire un temps avec cette phrase qu’elle redéchiffrait à chaque page de son petit livre[3] : « Ccccruchon, ccccruchette, qu'y a-t-il dans la cccccruche ? »

    Après trois mois de CP, dont un et demi de « globale », c’était la règle à l’époque, elle et son petit copain Maxime lisaient couramment et passaient au Château de Pompon. Un mois plus tard, c’était Olivier, Leïla, David et Sigurd qui les rejoignaient et savaient eux aussi « tout lire, hein, maîtresse ? ». Enfin, encore deux mois après, c’était Julien qui les rattrapait, un peu moins rapide, avec un peu plus de soutien que les autres…

    Quelques années plus tard[4], cette même maîtresse, qui jusqu’alors avait toujours donné des symboles tout simples à ses petits élèves (un soleil, une cerise, deux séries de vagues l’une au-dessus de l’autre, trois bâtons droits barrés par un bâton couché, …) pour qu’ils reconnaissent leur porte-manteau, leur casier et marquent eux-mêmes leur travail, remplaça ces symboles par leurs prénoms écrits comme dans les livres (Florian, Victor, Amandine, Julie, ...).

    Chaque matin, en arrivant, le « facteur » distribuait les prénoms à leurs propriétaires qui venaient les afficher sur le tableau des présents. L’exercice ne durait jamais plus de cinq minutes, malgré l’effectif chargé (27 puis 31 élèves en maternelle-CP). Au fur et à mesure de l’année les règles se complexifiaient et les "facteurs" changeaient. À partir de novembre, les CP n’assistaient plus au jeu et à partir de février, c’étaient les GS qui nous abandonnèrent. Ce furent donc les élèves de MS, de PS et de TPS qui jouèrent chacun leur tour leur rôle de "facteurs".

    En fin d’année, même le petit Victor, qui était arrivé à l’école le 10 novembre, jour de ses deux ans, reconnaissait tous les prénoms des élèves de maternelle. Il avait un peu plus de peine avec ceux des enfants de CP qui, bien que scolarisés dans la même classe que lui, avaient un statut un peu à part et ne jouaient pas souvent avec eux.

    Trois et quatre ans plus tard, lorsque la maîtresse retrouva ses petits élèves qu’elle avait perdus l’année d’après, grâce à l’ouverture d’une classe (31 élèves en maternelle-GS, même avec une ATSEM dévouée et efficace et des méthodes surtout pas prise-de-tête, c’est sportif), aucun ne savait plus reconnaître ces prénoms en minuscules scriptes. Ils réapprirent très vite puis apprirent à les lire vraiment et c’est là l’essentiel.

    Alors je ne suis surtout pas médecin, spécialiste des neuro-sciences et de l’imagerie par résonance magnétique. Je ne comprends pas grand-chose à tout ce que certains de mes collègues croient dur comme fer, sans barguigner ni mettre le pied dans l’écuelle.

    Mais ce que je sais, à mon tout petit niveau, avec mes trente-huit années d’exercice très souvent dans ces années charnières où tout à coup l’image de ce qu’on ne sait pas lire parce qu’on est encore analphabète strict[5], puis vraiment illettré, perd son caractère magique et devient un code de moins en moins secret, c’est que les petits enfants de quatre ans et parfois même moins, comme ils reconnaissent le visage de leurs proches au milieu de dizaines de visages inconnus, reconnaissent aussi des suites de caractères connus et peuvent les associer sans se tromper à des mots dont ils ont plus ou moins bien mémorisé la prononciation.

    Ce que je sais aussi, c’est que ce n’est pas de la lecture et que sans l’aide de l’adulte qui débroussaille le terrain, encourage à décrypter les codes, montre comment faire et entraîne par des exercices progressifs laissant une part de plus en plus importante au déchiffrage, l’enfant peut rester très longtemps dépendant du Mitella et du Nuksonoisette

    Récemment, un professeur de lettres classiques m’a raconté que certains de ses élèves de Troisième, pas forcément faibles, restent parfois bêtes devant un mot inconnu, même pas très compliqué à déchiffrer, et lui expliquent que « ce mot-là, ils ne savent pas le lire ». Je lui ai exposé mes hypothèses sans lui raconter l’histoire du Mitella. La prochaine fois que je la rencontrerai, il faudra que j’y pense, tiens !

     

    [1] 1985, je pense…

    [2] Quand je vous dis que c’est un temps que les moins de vingt ans d’ancienneté ne peuvent pas connaître. Ouf, comme ça, je vais dédouaner tous les antiglobalistes primaires dont je hérisse le poil depuis le début de mon histoire ! « Et en plus, elle fumait devant les enfants ! Pfoui ! »

    [3] Une drôle de maison, collection Fontanille, Gautier-Languereau.

    [4] 1997/1998

    [5] Même si Papa, Maman et maintenant le maître ou la maîtresse vous ont offert ou fait fabriquer un bel abécédaire dont vous vous servez avec autant d’à-propos qu’une poule se servirait d’un couteau….


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