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    Petite question indiscrète... Si vous finissiez de lire un livre sur l'École Maternelle du XXIe siècle et que le dernier chapitre donne à peu près ce que vous allez lire ci-dessous, seriez-vous :

    A) satisfaits ?

    B) indifférents ?

    C) déçus ?

    D) très en colère ?

    XVII - Conclusion

    L’École Maternelle est un lieu d’accueil et de formation du jeune enfant. L’accueil doit devenir possible partout, du moment où la famille en fait la demande, pour tout enfant ayant deux ans révolus et ayant acquis la propreté diurne [1]. La formation doit nécessairement être globale et toucher l’ensemble de son développement. Le jeune enfant doit y apprendre tant à se mouvoir qu’à s’exprimer. La richesse des expériences que lui propose son professeur des écoles l’aide à développer ses sens, son langage, sa capacité à abstraire et conceptualiser. C’est par petites touches insensibles, sans jamais le confronter à l’effort inconsidéré, à la difficulté insurmontable, à l’exercice déconnecté du réel, que le passage de la toute petite enfance à l’enfance doit se faire.

    Comme c’est un lieu accueillant de très jeunes enfants, il ne saurait être question de comptabiliser leurs réussites comme leurs échecs. Leur développement se fait en étoile ou à la manière de ces boules de neige qui à chaque tour agglomèrent de nouveaux paquets de matériau frais qui se mêle à l’agrégat de départ. Nous n’évaluerons les enfants que lorsqu’ils en seront arrivés à l’apprentissage de notions dont le développement se fait de manière linéaire et nécessite l’acquisition formelle de données successives pour pouvoir continuer à avancer. Cela ne concerne donc pas l’École Maternelle, même prolongée jusqu’à sept ans.

    C’est un lieu d’enfance. On ne doit pas y enseigner de sous-savoirs pseudo-savants. Le travail qui se prépare à bas bruit est bien trop important pour qu’on y substitue l’entraînement qu’on imposerait à un perroquet savant ou à un chien de cirque.

    Peu importe que les élèves sachent réciter par cœur la comptine des nombres jusqu’à 30. S’ils ne savent pas que 5 se situe après 4 parce que, comme lui, il est composé de deux groupes de 2 unités mais qu’il a une unité de plus, ils n’ont rien appris !

    Leur savoir est un savoir mort sans intérêt s’ils ne savent que réciter l’alphabet et reconnaître leurs prénoms. Il leur manque l’essentiel : savoir que ce sont les sons que produisent les lettres de cet alphabet qui donnent cette forme et pas une autre à leurs prénoms.

    Enfin si, après huit semaines d’ateliers sur leur dentition [2], ils ne sont capables, comme à la première séance, que de dire que leurs dents sont précieuses et qu’il faut penser à les brosser, nous affirmons qu’ils ont perdu ces huit semaines. Celles-ci auraient bien mieux employées si on les avait encouragés à dessiner, peindre, jouer et mastiquer des pommes !

    Cela ne fait aucun doute, une réforme s’impose ! Lorsqu’à l’entrée au CP, un tiers des élèves et parfois plus est déjà déclaré en échec et qu’on somme la première année d’école élémentaire de différencier toujours plus, c’est qu’il y a problème. Cela signifie sans aucun doute que les missions, mais aussi les programmes, les méthodes et la formation des personnels sont à revoir de fond en comble.

    La réforme que nous proposons ne nécessite pas de grand bouleversement ni de coûts exorbitants. Loin de nous l’idée de réclamer des personnels surnuméraires, des Tables rondes, des commissions d’experts, des Livres blancs. Nous ne souhaitons pas plus de passerelles avec la crèche, d’horaires modulables, d’aménagements du temps de l’enfant compliqués ou d’éclatement du groupe-classe, où l’on balade les élèves d’ateliers de soutien en groupes de remédiation.

    Le premier travail consiste à recentrer les missions de l’École. Celle-ci n’est là ni pour éduquer les familles, ni pour jouer le rôle de tampon entre deux périodes d’activités périscolaires animées par la collectivité territoriale. Il ne nous semble pas que son existence a été prévue pour assurer le lien entre les services sociaux, les caisses d’allocations familiales, les MDPH, les crèches, les assistantes maternelles agréées, les haltes-garderies, les ratons-laveurs peut-être, dans le cadre d’une coéducation de façade où elle se retrouve à la fois en première ligne et dernière roue du carrosse.

    Ses missions sont celles de toujours : accueillir dans de bonnes conditions le petit enfant [3], l’entraîner sur les chemins de la découverte pour l’amener jusqu’au stade où il pourra sans effort devenir un jeune élève d’élémentaire. Cela passe par l’acquisition de contenus, tant langagiers que moteurs, sensoriels et sociaux. Ces contenus sont conçus pour son développement personnel, indépendamment de ce que font les autres modes de garde.

    Ces contenus à redéfinir amènent à la rédaction de nouveaux programmes prenant en compte la spécificité de l’enfant de moins de sept ans [4]. Ces derniers doivent s’appuyer sur son goût pour le jeu et le mouvement, son besoin de découverte sensorielle, son développement tous azimuts sans progression fixe et linéaire.

    Ces programmes indiqueront clairement que les apprentissages pseudo-savants [5] sont bannis. Ils préciseront que l’apprentissage de l’écrit est réservé aux enfants ayant atteint l’âge de cinq ans. On s’inspirera avec bonheur des grands créateurs de l’École Maternelle Active [6]. On privilégiera les apprentissages qu’ils conseillaient pour les enfants les plus jeunes. On copiera sans vergogne leur grand respect de l’Enfance qui mêlait confiance et protection.

    Il suffira ensuite de laisser les équipes mettre en place à leur rythme cette réforme en encourageant la mise en place de classes multi-âges [7].

    On pourra peut-être ne commencer que par les plus jeunes en demandant à quelques volontaires d’inventer et de faire vivre quelques Petites Classes garanties indemnes de sous-savoirs pseudo-savants. Ce seront des classes où les élèves apprendront à leur rythme, dans un encadrement conçu autour d’eux et non autour de rituels de toute sorte et de leur évaluation.

    En commençant de la même manière à petite échelle sur quelques classes de Grande Section ou Grande Section-et-Cours-Préparatoire [8], les professeurs des écoles de ces classes-là et leurs successeurs pourraient sans doute tirer les conclusions de cette innovation. Cela leur permettrait de faire profiter de leur expérience ceux de leurs collègues qui auraient à leur tour envie de tenter l'aventure.

    Le plus délicat sera sans doute de convaincre l’appareil de formation des maîtres de revenir sur ce qu’il a conçu comme une avancée incontestable.

    Il en est sans doute de même pour les organismes de formation des ATSEM. On a fait miroiter à ces personnels une professionnalisation accrue, en leur donnant de nouvelles responsabilités [9] sans qu’ils aient pour cela bénéficié d’avantages salariaux. Une réorientation de la formation et des missions de ces personnels territoriaux pourra être envisagé dans un deuxième temps.

    Depuis quelques années, nous avons senti passer plusieurs fois le vent des boulets et notre École Maternelle était à chaque fois en première ligne. Un jour il s’agissait de la remplacer par des Jardins d’Éveil dans lesquels les ATSEM, toujours payés au même tarif et par les mêmes collectivités territoriales, auraient joué le rôle d’éducateurs de jeunes enfants. Le lendemain, on proposait d’offrir une formation spécifique aux étudiants professeurs des écoles se destinant à ce niveau spécifique de l’Enseignement Primaire…  

    C’est en louvoyant entre ces écueils-là qu’il convient de revoir la formation des Professeurs des Écoles afin d’éviter de déchirer la coque fragilisée de notre navire.

    Déjà, en 1886, Pauline Kergomard, fondatrice de l’École Maternelle française, pointait tour à tour du doigt[10] ces rochers affleurant qui, à l’époque, s’éloignaient d'elle et qui maintenant se rapprochent de nous.

    Ses paroles sont d’une telle modernité et correspondent tellement bien à la situation qui menace l’Institution qu’elle a fondée que le plus simple est de lui donner la parole.

    Son premier souci, c’était de sortir des principes de la salle d’asile, autrement dit garderie, que nous nommerions aujourd’hui Jardin d’Éveil. Comme sa lointaine ancêtre, ce dernier est organisé par une collectivité territoriale ou une association caritative. Comme elle, il est dirigé de fait par un personnel sans garantie d’instruction sous la houlette lointaine d’un conseil d’administration auquel une puéricultrice, entre autres missions, sert de caution morale.

    «Les salles d’asile, garderies plutôt, étaient dirigées par des femmes de dévouement auxquelles on ne demandait à peu près aucune garantie intellectuelle ; un grand nombre étaient intelligentes, quelques-unes étaient instruites, mais c’était un luxe dont on ne leur tenait, pour ainsi dire, pas compte. […]

    Avoir près de soi un enfant et lui donner des soins matériels implique fatalement (dans le vrai sens du mot) que l’on cultivera aussi et en même temps son intelligence et son cœur ; or la tâche est difficile, délicate, elle réclame du dévouement, certes, mais du dévouement mis au service d’une bonne éducation première, d’une instruction sinon très étendue, du moins très précise et très variée, du don de la transmettre aux enfants, enfin de la connaissance approfondie du petit être que l’on se charge d’élever. »

    Pas plus qu’il y a plus d’un siècle, rien ne nous garantit que l’enfant reçoive dans ces Jardins d’Éveil l’éducation globale que l’École Maternelle Nouvelle peut quant à elle lui apporter. Rien ne nous assure non plus que cette éducation soit réellement instructive et puisse l’aider à gommer les différences dues à son milieu d’origine.

    Le deuxième combat de la fondatrice fut que les personnels enseignants [11] reçoivent la même formation et puissent prétendre au même salaire que leurs collègues de ce que nous nommons de nos jours l’École Élémentaire [12]. À cette revendication s’ajoutait celle que certains contestent actuellement, l’importance de l’unification absolue de l’enseignement primaire primordiale pour l’enfant et son développement, et donc la nécessité de doter tous les niveaux de l'École Primaire de personnels ayant reçu la même formation :

    « La directrice [13], initiée seulement à la pédagogie et à la psychologie de l’enfant de deux à sept ans, n’étant pas mise en contact à l’école annexe avec les enfants de l’école primaire, manquait de vue d’ensemble ; il lui était impossible de découvrir des procédés rationnels pour préparer des évolutions ultérieures ; elle marchait en somme, comme un voyageur qui connaîtrait le point d’où il est parti, la portion du chemin dans laquelle il est engagé, mais qui ignore où ce chemin aboutit.

    D’autre part, les institutrices, qui ne s’occupaient de l’enfant qu’à partir de six ou sept ans, n’avaient pas étudié sur le vif les évolutions qu’il avait faites, elles ignoraient le chemin qu’il avait parcouru avant d’arriver à l’école primaire ; elles manquaient de données pour établir leur diagnostic intellectuel et moral. » [14]

    L’École Maternelle doit rester un des maillons de l’École Primaire et ses professeurs des écoles doivent, sous peine de disparaître, rester des professeurs des écoles, recrutés de la même manière et recevant la même formation. Celle-ci doit bien entendu être remaniée de manière à tenir compte des besoins réels de ses étudiants et des nouvelles missions assignées à l’École.

    Lorsque nous rencontrons de jeunes collègues, ce qui leur manque, ce sont les contenus. Ils ont besoin de savoir comment on fait classe et ce qu’on y enseigne au jour le jour. Cela va de ce qu’est capable de comprendre un petit enfant de deux ans à comment on conçoit un emploi du temps. Ils nous demandent aussi bien comment gérer le quotidien d’un moment de lecture oralisée que la façon de poser une division dont le diviseur est supérieur à 10. Généralement, ils ne connaissent que très peu, et mal, les noms et les œuvres des grands pédagogues du passé. Ils ont très peur de se laisser guider par les objectifs de leurs élèves et préparent tout, même des progressions de pâte à modeler, de dessin ou de constructions en Kapla. A contrario, on ne leur a jamais appris qu’ils pouvaient être exigeants avec leurs élèves et leur demander de petits efforts quotidiens plutôt que d’attendre que se produisent les célèbres déclics censés éclore seuls, par génération spontanée.

    Les nouvelles Écoles Normales du Professorat des Écoles se doivent d’innover. Après cette période de pédagogie unique, très peu descriptive et insécurisante, il convient d’être résolument ouvert à la pluralité des approches.

    Notre métier s’apparente plus à de l’artisanat d’art qu’à de la production standardisée. C’est donc en observant l’Enfance à l’école maternelle [15], en classe comme dans la cour, que l’élève-professeur découvre la spécificité des moins de sept ans. Et c’est en participant aux relations qui se nouent entre petits et grands qu’il découvre comment il peut les aider à s'épanouir et progresser. Au cours de ces stages en observation, ses formateurs se doivent de lui faire découvrir des modèles différents, des pédagogies variées, des méthodes multiples afin qu’il puisse juger par lui-même, en toute objectivité, de leur impact sur les enfants qui en bénéficient.

    En confrontant ensuite en cours cette observation directe avec les écrits de tous ceux qui ont fait l’éducation enfantine depuis ses débuts, l’étudiant-professeur enrichit sa connaissance sensible du tout-petit et des pratiques d’enseignement. Il compare les divers systèmes, fait ses choix, les confronte à la réalité, les teste lors de stages de pratique accompagnée. Sa liberté pédagogique reste entière puisque la Pédagogie Unique n’a plus cours. C’est avec le soutien de ses formateurs, interdits pour le moment d’évaluation normative, qu’il fait ses premières armes.

    De retour à l’École Normale, il compare son expérience à celle de ses camarades de promotion, s’interroge sur les tenants et les aboutissants de ces pédagogies différentes. Ensemble, ils analysent le modèle qu’elles proposent et tirent, chacun, en toute liberté, leurs conclusions personnelles.

    Notre méthode est très exigeante en termes de contenus, pour les enfants eux-mêmes mais aussi pour leurs professeurs. Ces Écoles Normales nouvelles ne négligent donc pas ce volet de la formation.

    L’enfant a tout à apprendre, il est donc essentiel que son modèle, le professeur des écoles, en sache le plus possible.

    Que de connaissances nécessaires pour être capable d’ouvrir l’enfant à la découverte sensorielle du monde qui l’entoure ! Que de savoirs à emmagasiner pour lui permettre de développer sa motricité de manière harmonieuse et complète ! Quel bagage culturel étoffé pour lui faire découvrir et apprécier le chant, la poésie, les contes, les légendes, les mondes passés, la musique et les arts visuels ! Que de notions précises et de réflexion pour pouvoir répondre à ses questions sur les objets, les plantes, les animaux, les lieux, les reliefs, les climats !

    Enfin, à nouveau que de recherches et d’apprentissages pour que l’élève-professeur se fonde lui-même son opinion. Quelle responsabilité que de choisir les méthodes qui semblent garantir que tous ses futurs élèves de Grande Classe la quitteront en maîtrisant l’écriture, la lecture et le calcul.

    Pour réussir cet exploit et apprendre ce métier difficile, c’est d’aide et de soutien dont ont besoin nos jeunes postulants.

    C’est par l’exemple de classes qui vivent et fonctionnent, dans lesquelles les tout-petits se sentent en confiance, qu’ils découvriront eux-mêmes comment ils créeront une ambiance chaleureuse qui fera vivre leurs propres classes. C’est ainsi qu’ils auront à cœur que leurs élèves apprennent tant à vivre ensemble qu’à s’épanouir et à partir à la découverte du monde.

    C’est par la confiance que leur accorderont leurs formateurs, qu’ils feront à leur tour confiance aux enfants dont ils auront la charge.

    C’est par l’esprit d’ouverture et la liberté de choix qu’on leur aura inculqués au cours de leurs études qu’à leur tour, ils pourront encourager leurs élèves à s’ouvrir à de nouvelles expériences, de nouvelles découvertes, de nouveaux savoirs.

    C’est grâce à l’acquisition de connaissances solides et variées qu’ils pourront à leur tour transmettre à leurs élèves, en s’adaptant à leur niveau développement, le meilleur de ce qu’ils savent, patiemment et méthodiquement.

    Et c’est parce qu’eux-mêmes ne subiront pas, pendant leurs années de formation, cette évaluation castratrice venue d’en-haut qu’ils auront à cœur de ne pas interrompre à tout bout de champ la croissance physique, cognitive, morale et culturelle de leurs élèves par des évaluations venues d’ailleurs aux intitulés aussi pompeux que stériles.

    Alors vivra de nouveau l’École Maternelle, la grande belle, pleine de jolies peintures, de fleurs et de gentilles bêtes sur les murs [16].

     

    [1] Sauf cas médical avéré, lorsque l’enfant a trois ans révolus, s’il peut être accompagné d’une AVS.

    [2] À grands coups de représentations mentales initiales sur leur nombre de dents et les soins à leur donner, d’empreintes faites dans la pâte à modeler, de recherches collectives pour déterminer si les empreintes sont facilement interprétables, d’observations mutuelles qui tournent en fous-rires, sans que jamais rien ne soit apporté par l’adulte…

    [3] Cela passe par des effectifs inférieurs à 25 élèves par classe, partout, l’aide matérielle d’un ATSEM à temps complet, au moins pour les Petites Classes (au moins à mi-temps pour les Grandes Classes), des locaux conformes aux préconisations faites au chapitre II.

    [4] Le cours préparatoire, rattaché à l’école maternelle, pourra ensuite être placé tout aussi bien dans ses locaux que rester dans les locaux de l’école élémentaire la plus proche mais il est pensé, avec la Grande Section, comme une classe charnière où l’on garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille tout en initiant l’enfant au « travail » et à la régularité de l’école.

    [5] Alphabet, chiffres, date, concepts scientifiques ramenés à leur plus bas niveau, copie d’œuvres d’art ou production à la chaîne d’objets décoratifs, ateliers de métacognition, de philosophie, projets de lutte contre ceci ou cela…

    [6] Pape-Carpantier, Kergomard, Pestalozzi, Frœbel, Montessori, Freinet, Steiner…

    [7] Petite Classe, remplaçant les actuelles sections de Tout-Petits, Petits et Moyens et Grande Classe, remplaçant les actuelles classes de Grande Section et de Cours Préparatoire.

    [8] Ces classes-là (Grandes Classes complètes ou ne comprenant qu’une des deux années du cycle) existent déjà. Elles bénéficient d’une autorisation d’expérimentation accordée par la DGESCO. Les résultats de ces classes aux Évaluations Nationales CE1 dépassent très largement le niveau moyen de leur département.

    [9] Tenue d’ateliers cognitifs, gestion d’activités d’apprentissage, évaluation… Et cela n’est pas fini puisque, dans le cadre des PEdT (Projets Éducatifs Territoriaux), les ATSEM se voient carrément confier l’encadrement et la gestion d’un groupe d’enfants sans bénéficier de la tutelle d’un professeur des écoles.

    [10] L’éducation maternelle dans l’école, chapitre XVIII, P. Kergomard.

    [11] Des femmes uniquement à cette époque reculée.

    [12] Et qui s’appelait à l’époque l’École Primaire.

    [13] Comprendre enseignante en charge d’une école maternelle, formée dans un Cours Normal. Cette formation était différente de celle reçue par les institutrices exerçant en école élémentaire, formées quant à elles à l’École Normale.

    [14] Il y a bien un troisième danger contre lequel P. Kergomard mettait en garde les institutrices des débuts de l’École Publique. Contrairement aux deux autres, il n’est pour le moment pas encore redevenu d’actualité. Espérons que cela restera le cas et que nos collègues n’auront pas, dans un avenir proche, à défendre leur école contre les menées de maires trop autoritaires, croyant disposer de pouvoirs leur permettant d’intervenir dans l’organisation et la gestion des classes et de leur personnel.

    [15] Ainsi qu’à l’école élémentaire, mais ce n’est pas le sujet de cet ouvrage…

    [16] Les Ritals, François Cavanna, Belfond, 1978.

     


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  • Demandez l'programme ! Demandez les méthodes ! 

    Illustrations de Sophie Borgnet

    Mathématiques

    En novembre 1975, titulaire d'un bac D et ayant échoué de peu à l'oral du concours d'entrée à l'École Normale de Valence, dans la Drôme, j'ai été recrutée sur la liste complémentaire et envoyée dans des classes, après deux semaines de stage, pour y effectuer des remplacements.

    Parallèlement à cette fonction de remplaçante, j'ai étudié pendant deux années, au rythme d'un mercredi de formation par mois, sous la houlette d'un IDEN [1]  (ou une IDEM [2]) et de son Conseiller Pédagogique. Ces journées commençaient souvent par une leçon-modèle assurée par un IMF [3], dans sa propre classe, avec ses propres élèves.

    À l’issue de ces deux années, j’ai passé d’abord l’épreuve écrite du Certificat d’Aptitudes Pédagogiques, puis l’épreuve pratique, dans la classe de CM2 du directeur dans laquelle j’enseignais, à mi-temps, depuis la rentrée. Pendant l’autre mi-temps, j’avais les Petite Section de la directrice. Le directeur s'étant gardé l'enseignement des mathématiques, je ne peux pas vous dire ce que j'aurais reçu comme conseils de mon Conseiller Pédagogique qui est venu à de très nombreuses reprises pour m'épauler et me faire rentrer dans le cadre, cette année-là.

    J’ai donc débuté à l’époque héroïque des mathématiques modernes. Je dois vous avouer qu’à part pendant la leçon-modèle d’un mercredi matin, dans la classe de Monsieur M., où nous avons vu des élèves de CM2 jongler avec les Mathcubes, je n’ai guère vu de classes qui appliquaient au pied de la lettre cette réforme.

    En maternelle, c’était l’époque du no-number. Les élèves triaient, classaient, se repéraient dans un espace qu’ils organisaient de plus en plus précisément… Ils apprenaient à symboliser, à désigner, à se déplacer dans un labyrinthe, à coder un parcours, à continuer un algorithme répétitif et même récursif, en cours de GS, etc. Les blocs logiques de l’OCDL régnaient en maîtres et les enfants jouaient à les ranger par formes, couleurs, tailles et épaisseurs arrivant, en fin de GS, à combiner les quatre propriétés au cours d’un même jeu.

    Au CP, nous avions le Touyarot. Je dois encore en avoir un qui traîne quelque part. Quelques petites fiches sur les ensembles en début d’année, le temps de vérifier que nos élèves avaient compris l’utilité de la création d’une symbolique commune et qu’ils savaient déterminer puis respecter des critères de tri. Encore quelques-unes sur les différentes bases avant d’aborder la dizaine et l’alibi maths modernes était évacué. Les enfants continuaient par ailleurs à découvrir les nombres un à un, puis dizaine après dizaine lorsque nous avions dépassé 19, et à en faire le tour, comme dans l'article de Canac que j'ai redécouvert grâce à R. Brissiaud. Mais ils exploraient seulement le domaine additif, puisque la soustraction, la multiplication et la division avaient été évacuées du programme au cours des années précédentes.

    Ce qui était le plus amusant, a posteriori, tant en maternelle qu’au CP, c’était le no-number obligatoire et les contorsions auxquelles cela nous contraignait. Nous ne devions arriver au nombre qu’après une longue période d’exercices de tris et de classement. Lorsque le critère de tri était la quantité, c’était après avoir procédé à une correspondance terme à terme par fléchage (bijection, c’est ça ?) que les enfants devaient déterminer quelles étaient les collections égales ou organiser la relation d’ordre. Comme le Touyarot utilisait de toutes petites collections, les enfants disaient : « C’est elle ! Il y en a cinq dans cet ensemble et trois dans celui-là ! C’est « la cinq » qui gagne ! » et nous devions leur répondre que nous allions vérifier et qu’ils devaient tracer les petites flèches avant de placer leur symbole > ou <…

    Dans les classes supérieures, c’était un peu la même chose, sauf dans les classes des Maîtres d’Application. Après un petit mois sacrifié aux ensembles et aux bases, les élèves reprenaient le chemin des trois opérations jusqu’en fin de CE2, puis des quatre à partir du CM1. Et lorsque nous arrivions pour un remplacement dans une classe de CM2, le programme suivi par l’instituteur ou l’institutrice ressemblait étonnamment à celui que nous avions suivi nous-mêmes huit à neuf ans plus tôt.

    Nous les jeunes, nous déplorions bien fort cet état de fait et, si nous le pouvions, poussés par nos Conseillers Pédagogiques, nous sortions vite, vite nos blocs logiques et nos mathcubes pour que, au moins pendant la durée de notre remplacement, les élèves aient droit à un bon enseignement des mathématiques !

    Dès que j’ai eu une classe à moi, j’ai appliqué strictement LE programme et LA méthode, au moins pour les plus jeunes, ceux du CP. C’était une classe unique de village de 22 élèves. Je n’arrive pas à me rappeler ce que j’avais fait pour les plus grands. Il me semble qu’il y avait dans la classe des livres de mathématiques et que, n’ayant pas de machine à alcool, j’avais dû les garder et faire avancer les élèves page après page dans ces manuels qui devaient cependant obéir aux programmes de 1972, puisque ceux de français, dont je me souviens, y étaient conformes…

    Deux ans plus tard, encore en classe unique, mais avec 5 élèves cette fois, je n’étais pas peu fière de pouvoir suivre enfin Ermel, le premier du nom ! Ma jeune élève de CE1 comptait les additions, soustractions et multiplications à retenues en bases quatre et cinq aussi bien qu’en base dix ! Qu’elle n’ait fait ni problèmes, ni géométrie de toute l’année n’effleurait pas la jeune femme de 21 ans que j’étais alors. Je suivais LA méthode et LE programme. Mes camarades de promotion et moi-même étions des pionniers et nous allions créer des mathématiciens là où nous, nous avions été déformés par un contexte trop balisé et une étude trop concrète de l’arithmétique. Mon sentiment d’imposture, encore lui, venait de mon hésitation à sauter le pas avec le grand, au CM1, en grande difficulté. Il avait commencé avec les vieilles méthodes et j’ai continué à lui baliser le terrain et à lui rendre concrets les exercices de calcul qu’il devait comprendre pour pouvoir envisager de suivre en 6ème dans un avenir assez proche.

    Ce n’est qu’en 1987, dans une autre classe unique, que j’ai pu utiliser Ermel avec tous mes élèves, y compris avec mes quatre élèves de CM, dont mon fils. Ils en ont bouffé des arbres de tri, qui auraient dû les amener aux calculs de puissances, des segments partagés puis repartagés, en dix puis encore en dix puis encore en dix, qui auraient dû les conduire aux nombres décimaux… Et puis l’année avançait, et puis je lisais le programme (de 1986) et je voyais tout ce qui restait à faire et qu’ils n’avaient pas fait. Mais aussi, je l’entendais bien dire que ce Chevènement en demandait trop et que les élèves ne pouvaient pas ingurgiter tout cela ! Alors… J’étais toujours dans le camp du bien, du côté des I(D)EN puisque j’utilisais Ermel.

    Cependant, l'année suivante, le remords me prit. Comme je savais au fond de moi que je n’étais qu’un vil imposteur, je décidai de prendre un manuel de mathématiques pour les élèves de CE et de CM. Entre temps, les bases avaient disparu et c’étaient les numérations égyptienne et maya qui les avaient remplacées. J’avais déjà Maths et Calcul (Eiller) au CE, je continuerais la collection jusqu’au CM2, ne gardant Ermel que pour les CP. Quand j’avais des maternelles, je ressortais les blocs logiques, les Mathœufs et les exercices de spatialisation, de topologie et d'organisation du temps.

    En fin de CM2, nos élèves entraient en 6ème en sachant compter les quatre opérations dans l’ensemble des nombres décimaux, réduire des fractions au même dénominateur pour les ajouter et les soustraire, résoudre des problèmes à plusieurs étapes, portant sur la proportionnalité, les pourcentages, les moyennes, les aires, les volumes…

    Cela nous mène en 1995, il me semble… Deuxième Ermel. Ah, les nombres reviennent en maternelle et au premier trimestre du CP ! La file numérique investit les tableaux. Je suis LE nouveau programme et LA nouvelle méthode… Nos petits ont droit au meilleur ! Les CP restent à l’addition. Les CE1 ne font plus que simplement découvrir les techniques opératoires de la soustraction et de la multiplication. La résolution de problèmes est à nouveau clairement indiquée dans le programme, mais la procédure doit être impérativement libérée des représentations traditionnelles.

    Parallèlement à cela, les programmes de Cycle 3 dégraissent méchamment. La division par un décimal et les calculs sur les volumes et les durées disparaissent, la proportionnalité se réduit à des cas simples.

    J’adopte un temps Objectif Calcul pour revenir rapidement à Ermel,  très apprécié dans notre Académie. Ma collègue de Cycle 3 utilise Diagonale. Lorsqu’elle s’en va et est remplacée par de jeunes PE, tout juste sorties de l’IUFM, les élèves découvrent les joies d’Ermel, jusqu’au CM2. Ils comptent les trombones, découpent des bouts de rectangles pour trouver, en huit séances, quels sont les meilleurs outils pour tracer un angle droit, que sais-je encore… Ma jeune collègue me trouve ringarde parce que, en 2000, après un échec cuisant avec deux fillettes de CP qui, pendant toute l'année, n'ont pas réussi à entrer dans les mathématiques, je décide d’adopter le Brissiaud qui me semble plus carré, plus progressif, plus construit qu’Ermel. Je lis attentivement la préface, achète le livre du maître et suit LE programme et LA méthode avec application.

    Ma jeune collègue s’en va. Une autre arrive. Elle adopte elle aussi J’apprends les maths. D’abord au CE2, puis jusqu’au CM2. Nous en sommes contentes. À part un élève de temps en temps, tout le monde avance, vite et bien.

    Au CP et au CE1, la collection change après 2002. Zut ! Il manque des notions ! Déjà que je finissais le fichier de CP début mai et celui de CE1 début juin, qu’est-ce que ça va donner ? Les techniques opératoires sont toutes retardées… Mais pourquoi ? Les élèves y arrivaient bien, pourtant. Aaaaah ! En CE2, ils ont aussi supprimé beaucoup de choses : plus d’ateliers de résolution de problèmes abordant intuitivement les décimaux (euros et centimes, mètres et centimètres) et les fractions (pizzas à partager) dont mes élèves se régalaient… La technique de la soustraction a presque disparu du fichier CE1 remplacée par ces files de boîte où Lola, mon élève lourdement dyslexique, se perd. Au CE2, la technique par cassage a remplacé celle par ajout d’une dizaine aux deux termes. Avec ma collègue, nous décidons de photocopier les pages de l’ancien fichier et de garder la technique traditionnelle. Je dispense Lola des files de boîtes, qui la perdent au lieu de l'aider, et remplace les pages de calcul réfléchi sur les valises, les boîtes et les billes par des pages de calcul réfléchi sur les nombres écrits en chiffres.

    En 2005, après avoir lu sur internet les textes de Michel Delord et Rudolf Bkouche, je me dis qu’après tout, plutôt que de passer le troisième trimestre de CE1 à faire des révisions et à renforcer les compétences de mes élèves en techniques opératoires et en résolution de problèmes, j’aurais tout aussi vite fait d’adapter un de ces anciens manuels d’arithmétique et de voir ce que ça donne au bout d’une année de classe. Après tout, mon père et moi, les réputés non-matheux de la famille, avons survécu à ce régime et, si nous ne sommes ni l’un ni l’autre des mathématiciens hors-pairs, nous nous débrouillons finalement pas si mal et nous avons réussi dans notre vie à dominer et utiliser les nombres largement aussi bien (et même plutôt mieux, peut-être) que mes enfants nés en 1978 et 1981 !

    Je gardais pour le moment mon Brissiaud au CP parce que là, je ne voyais vraiment pas comment faire autrement que ce qui était dit dans la préface de mon fichier ou dans le livre du maître, dont je ne me servais pas mais dont j’avais lu attentivement les pages d’argumentation. J’étais d’accord avec la méthode de M. Brissiaud, je ne vois pas pourquoi je l'aurais changée, même si je trouvais que mes élèves auraient pu aller bien plus loin dans la conceptualisation…

    Je m’y mets donc et, en 2007, mes élèves nés en 2000 utilisent dans ma classe, la première version de ce qui va devenir deux ans plus tard le Compter Calculer au CE1. Et, contrairement à ce qu’on m’avait raconté depuis trente et une années de classe,… ça fonctionne ! Même avec les élèves en difficulté. Ce sont finalement les meilleurs qui souffrent un peu au début, coincés qu’ils sont par ce qu’ils ont appris en maternelle et dont ils n’arrivent pas à se dégager : le numérotage et sa copine la file numérique. Mais c’est surtout au CP que ce phénomène se produit et que je dois combattre durement contre les élèves qui confondent 13, 23 et 31. Le matériel de Picbille m'y aide bien, le boulier de Gladys aussi. Au CE1, il ne reste souvent que quelques séquelles en numération [4], vite réglées par les exercices du Compter Calculer portant sur la monnaie et le système métrique.

    Je présente donc mon travail à Michel Delord et aux autres membres du GRIP, dont Jean-Pierre Demailly, professeur de mathématiques à l'institut Fourier (Grenoble-I), membre de l'Académie des sciences. Ils sont enthousiastes. Mes collègues professeurs des écoles tempèrent un peu leurs ardeurs. Le manuel est trop fourni, il va trop loin (nombres jusqu’aux centaines de mille, multiplications à deux chiffres au multiplicateur, bénéfices, pertes, salaires...). Nos élèves n’ont plus que 24 heures de classe par semaine, ils ne peuvent fournir le travail que fournissaient des élèves ayant eu 30 heures de classe depuis la maternelle ! Et puis, il faut penser à ceux qui n’ont pas fait grand-chose d’autre que de la lecture de nombres et des additions au CP… Pour ceux-là, même si le manuel reprend tout presque à zéro (les nombres de 1 à 9) et installe pas à pas les notions, cela risque fort d’être trop ardu.

    À nous tous, nous élaguons, nous réorganisons, nous remanions. Certains d’entre eux commencent à utiliser la version de travail dans leurs classes… Cela fonctionne aussi chez eux. Alors, plus d’hésitation, nous éditons !

    En même temps, avec un peu d’angoisse, mais parce que, décidément, choisir entre faire cinq à quinze minutes de mathématiques à l’écrit par jour au CP ou finir le fichier entre la mi-mars et la mi-avril, ça n’est pas satisfaisant, j’abandonne le Brissiaud. Je garde cependant la résolution d’y revenir si Compter Calculer au CP ne me donne pas satisfaction. J’ai même dans l’idée un moment d’écrire au père du célèbre Picbille pour lui demander pourquoi il a réduit ainsi ses ambitions jusqu’à repousser l’étude de la technique opératoire de l’addition à l’avant-avant-dernière leçon de son fichier de CP. Et puis je n’ose pas parce que c’est un grand monsieur qui fait des colloques et moi, une PE de base qui fait les choses comme elle les sent, à l’intuitif, et selon ce qu’elle voit, au jour le jour, année après année, dans sa classe du fin fond de la campagne.

    Finalement, le Compter Calculer au CP a si bien convenu à mes élèves que j’ai décidé de formaliser le matériel que j’utilisais en GS depuis des années en lui donnant un petit frère que mon amie Sophie Wiktor a illustré avec talent. J'ai introduit les nombres et le calcul, façon H. Canac, au programme que faisaient mes petits élèves des années 80 (repérage dans l'espace, repérage dans le temps, tris et comparaisons de formes et de grandeurs, symbolisation). Mes GS s’en régalent depuis trois ans maintenant après s’être régalés, un peu moins, avec mes horribles gribouillages des années précédentes.

    Alors oui, sans doute que je commets énormément d’erreurs. Mais pas plus que je n’en ai commis lorsque je suivais au pied de la lettre ce qu’on me disait de faire pour le bien de mes élèves. Sans doute aussi que mon microclimat ne résiste pas aux enfants qui, à quatre ans, ne parlaient pas encore et ont cumulé au-dessus de leurs berceaux toutes les difficultés, mais il n’y réussissait pas non plus lorsque j’utilisais la méthode et le programme conseillés par la mode du moment. Ma seule consolation, c'est de me rendre compte que ce n'est "pas pire", loin s'en faut, et que, lorsque ces élèves arrivent au collège, ils s'en sortent finalement plus honorablement que d'autres élèves, issus d'autres écoles et ayant bénéficié d'autres méthodes.

    Cependant, je n’ai toujours pas 100 % de réussites, cela est vrai. Et, comme avec les autres méthodes, y compris l’ami Picbille, dans ma classe, certains enfants prennent la solution du raccourci le moins pénible en branchant ce que j’ai appelé le pilote automatique. Ce qui me console, c'est que les autres me donnent réellement l’impression d’avoir la ferme intention d’apprendre à piloter eux-mêmes leur apprentissage des mathématiques et d’y réussir [5].

    D’ailleurs, ma collègue a été peu à peu obligée d’abandonner elle aussi les Brissiaud parce que ses élèves les avalaient trop vite. L’an dernier, sa fournée de CM (8 CM2 et 10 CM1) ont utilisé pour la première fois le manuel Compter Calculer au CM1, les plus âgés après un an de À portée de maths CM1, les plus jeunes après un an de Compter Calculer au CE2. Je suis au regret d’être obligée d’à nouveau montrer ma satisfaction, mais nous avons constaté que c’étaient les plus jeunes qui réussissaient le mieux les problèmes mélangés d’addition, de soustraction, de multiplication, de division, à plusieurs étapes. Et pourtant, les grands étaient d’un bon niveau puisqu’aux évaluations nationales réputées très difficiles, ils ont tous dépassé les 66 % de réussite en mathématiques et que cette année, en 6ème, ils ont eu au premier trimestre des moyennes de maths s’étalant entre 13/20 pour la plus faible et plus de 18/20 pour les cinq meilleurs.

    Enfin je viens d’apprendre tout récemment, par un bruit de couloir, le reproche que notre population de parents d’élèves nous fait… Figurez-vous que nous emmenons nos élèves trop loin et que, par notre faute, ils n’apprennent pas au collège la valeur de l’effort puisque, pendant leur année de 6ème, ils peuvent briller sans rien apprendre !

     

     

     

    [1] Inspecteur Départemental de l’Éducation Nationale

    [2] Inspectrice Départementale des Écoles Maternelles

    [3] Instituteur Maître Formateur (à l’époque, cela devait s’appeler Maître d’Application)

    [4] Treize, est-ce une dizaine et trois unités ou trois dizaines et une unité ? A moins que ce soit une unité et trois unités ou encore une dizaine et trois dizaines ?... À pleurer !

    [5] Hier, ceux-là (CE1) ont tous résolu le problème « Combien de billets de 100 € pour payer 4 800 € ? ». Les uns (1/3 environ) par le calcul en ligne « 4 800 : 100 = 48 », les autres par additions réitérées après avoir précisé que 1000 €, c’étaient 10 billets de 100 €. Et lors du contrôle de fin de période, ils ont bien entendu réussi les problèmes mélangés de soustraction, de multiplication et de division qu’ils devaient y résoudre. Mon petit pilote automatique n'a quant à lui réussi que le problème soustractif et le problème multiplicatif. S'il a trouvé la bonne procédure au problème de division-partage, il n'a pas réussi son calcul même avec l'aide du boulier.


    13 commentaires
  • Je regroupe ici quelques avis de collègues :

    Chez abcdefgh

    PédagoJ

    Chez Pepourlavie


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  • Mal parler pour bien comprendre ?

    Je remercie ma copine, Sophie Borgnet, pour son joli dessin qui illustre si bien mon propos.

    Depuis quelques années, j'entends parler d'un matériel, en usage dans les écoles maternelles...

    Ce sont des albums illustrés de grand format, excellente idée au demeurant.

    La plupart d'entre eux sont issus de la littérature enfantine traditionnelle, Le Petit Chaperon Rouge, Boucle d'Or, les Trois Petits Cochons, Cendrillon... Mais il y a aussi des "contes modernes", comme La Moufle, Un Dimanche au Zoo, ... Et enfin, et c'est vraiment une idée formidable, des contes issus d'autres cultures (Epaminondas, Urashima, ...) et quelques classiques de la littérature et de la musique (Le Corbeau et le Renard, Pierre et le Loup, ...).

    C'est extraordinaire ! Voilà un matériel dont toutes les écoles devraient se doter sans retard ! [Ce qui m'étonne un peu, c'est que toutes ces œuvres existent déjà, dans de nombreuses collections, de nombreux formats, illustrées de mille manières. Cette "nouvelle" collection doit forcément apporter un plus... Oui, mais lequel, ah, ah, ah ?]

    Hélas, comme dans le conte des Fées, il y a un mais... Sans doute les auteurs de ces petites merveilles n'ont-ils pas été assez polis avec la vieille femme qui leur réclamait de l'eau lorsqu'ils sont allés remplir leur cruche à la fontaine. Voilà pourquoi ils ont été victimes de la malédiction.

    Car figurez-vous qu'au lieu de la "petite fille de village, la plus jolie qu'on eût su voir", si l'on a trois ans on entend : "Cette petite fille, elle s'appelle le Petit Chaperon Rouge parce qu'elle s'habille toujours en rouge."

    Si on a quatre ans, ce sera : "Cette petite fille, c'est le Petit Chaperon Rouge. On l'appelle comme ça parce qu'elle s'habille toujours en rouge."

    Et à cinq ans, comme on est grand, on a droit au chef-d'œuvre suivant : "C'est l'histoire d'une petite fille. Elle habite près de la forêt avec sa maman. Elle a un joli habit rouge. C'est sa grand-mère qui l'a tricoté. Elle le met tout le temps. C'est pour ça qu'on l'appelle le Petit Chaperon Rouge. Elle met aussi un tablier pour (ne) pas salir son beau costume."
    Il est sûr qu'avec cela, les héritiers de Charles Perrault, s'ils en avaient encore la possibilité, ne pourraient pas réclamer de droits d'auteurs ! 

    Le massacre est présent dans tous les albums de la collection... Négations enlevées [mises entre parenthèses pour être exact. Sans doute est-ce laissé à l'appréciation du conteur...], phrases mal construites, vocabulaire indigent se bousculent de pages en pages ! 

     Il paraît que je n'ai rien compris... Ces albums ne servent pas à faire entrer les enfants dans le monde magique de la littérature. Ils ne servent pas à les imprégner de beau langage et de phrases bien construites. Ils n'ont pas l'ambition d'offrir le meilleur de nos grands écrivains aux tout-petits qui bientôt seront grands.
     Ils sont redoutablement bien faits, me dit-on, pour "travailler" les objectifs pour lesquels ils ont été prévus et que je n'arrive pas à saisir réellement...

    Les Oralbums sont des supports innovants pour aider l'enfant, dès 3 ans, à développer et à construire son langage oral.
    Voilà ce qu'on lit sur le site de leur éditeur (Retz).

    Ah ? Vraiment ? Apprendre à un enfant à dire "Le chêne, il était pas loin d'un étang où le corbeau, il pouvait aller boire quand il avait soif", cela peut être considéré comme développer et construire le langage oral d'un enfant de Grande Section ?  Chacun ses ambitions, alors. Je préfère "Un agneau se désaltérait dans le courant d'une onde pure"...
     Mais passons... Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi choisir le moyen du livre si c'est pour travailler l'oral.

    Il est évident que des livres aussi mal écrits ne peuvent que faire bondir d'horreur toute personne ayant elle-même bénéficié d'une toute autre imprégnation pendant ses années d'école maternelle. Et tout parent qui, à la maison, choisit avec soin les albums qu'il lira à sa progéniture.

    Passons aussi sur le fait que ces contes ont été abîmés et adaptés d'une bien drôle de manière aux stéréotypes qui sont censés régner chez nos moins de sept ans.
     Ainsi, Pierre, celui de Prokofiev, ne vit pas seul avec son grand-père, il ne faut pas exagérer. On lui a donc adjoint une grand-mère, pour rétablir la parité sans doute... Et, ce n'est pas "dans les grands prés verts" qu'il part gambader au son de cette musique sautillante qui le caractérise mais dans la neige, allez savoir pourquoi ? Ce qui fait que la musique sautillante, hein... Avec les moonboots ou les raquettes aux pieds, il fallait oser !

    Revenons donc au véhicule choisi pour transmettre l'oral... Pourquoi le livre ? Pour avoir du "clé en main", me répond-on. L'intérêt est que pour des enseignants non spécialistes du langage, de ses étapes d'acquisition, le support est prêt, les étapes tant lexicales que syntaxiques sont proposées.

    Objection rejetée. Les étapes d'acquisition sont présupposées, calquées sur le langage apparemment standard d'un enfant standard construit de toutes pièces, au mépris des particularismes régionaux, par exemple. Les étapes lexicales et syntaxiques, nous ne pouvons réellement les découvrir qu'en direct, dans le quotidien de notre classe.

    Nous découvrirons bien mieux l'étape où s'est arrêté chacun de nos jeunes élèves en les écoutant parler, "en direct", le matin au "Quoi de neuf ?" qu'en leur demandant de commenter une image.

    Nous serons bien plus à même de leur apporter le lexique qui leur manque en leur donnant à découvrir un objet, une corbeille de fruits, un animal qui se promène dans sa cage ou remplit l'écran de sa présence, un artisan qui travaille près de l'école, une plante qui pousse et change chaque jour.

    Nous serons bien plus efficaces pour faire évoluer leur syntaxe en reprenant patiemment leurs tournures maladroites, leurs reprises pronominales (ma maman, il a dit qu'il viendrait me chercher), leurs pataquès de tout-petits qu'en leur en imposant d'autres qui leur étaient étrangers. C'est en nous exprimant en bon français devant eux, toute la journée, que nous corrigerons et enrichirons peu à peu ce langage relâché qu'ils entendent employer autour d'eux.

    Le lexique, c'est à longueur de journée, en les faisant peindre, dessiner, jouer, courir, observer, danser, chanter, réciter que nous le développons. Cette syntaxe correcte, enrichie chaque jour par de nouveaux apports grammaticaux, nous nous devons de la leur offrir chaque jour, à travers nos échanges avec eux, les textes que nous leur faisons élaborer lorsqu'ils nous dictent ce que nous devons écrire près de leurs dessins, les albums dont nous leur lisons les textes et que nous avons choisis avec soin et rigueur, les chants, les comptines et les poèmes que nous leur faisons apprendre par cœur.

    C'est en apprenant à réciter Le Corbeau et le Renard, comme ça, par imprégnation, que ma Yasameen et ma Kass'Andrah égalisent leurs chances avec celles de mon Jules-le-Grand.  Et si je souris, une larmichette d'émotion à l'œil, lorsque tous trois truquent un peu et, du haut de leurs cinq ans et demi, disent "Vous êtes le phénix des autres de ce bois" ou "Jura mais un peu tard qu'on ne lui prendrait plus", je les reprends tout de même et rétablis les paroles de l'auteur. Je vous assure qu'on peut le faire très gentiment en rassurant l'enfant sur la normalité de son erreur.

    J'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à voir ce que cela apportera à nos élèves les plus démunis de laisser les parents de ceux de leurs camarades bien-chanceux continuer à diffuser le beau langage pendant que l'école accumulera au-dessus de leurs têtes les difficultés en diffusant pour eux en mauvais français des œuvres amoindries et sorties de l'originalité qui ont fait leur succès.

    J'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à voir pourquoi un album mal écrit aiderait nos collègues "non-spécialistes" du langage à apprendre à parler à leurs élèves. Je leur conseillerais plus volontiers d'enrichir eux-mêmes leur vocabulaire et leur syntaxe en lisant, en allant écouter des conteurs, en fréquentant les théâtres et les salles de spectacle pour y entendre du beau langage.  Quant à leurs élèves, qu'ils instaurent un climat de dialogue dans leur classe, qu'ils les rassemblent souvent, plusieurs fois par jour, tous ensemble, pour parler tout en agissant. Qu'ils leur fassent pratiquer l'observation sensorielle d'objets, de plantes, de documents, le dessin d'observation et d'imagination, la "patouille", les jeux sportifs. Qu'ils programment chaque jour musique et poésie, ainsi qu'un moment de conte où ils expliquent le vocabulaire et les actions des héros avec leurs mots. Ils verront alors qu'ils n'ont pas besoin d'un support tout prêt dont les étapes lexicales et syntaxiques sont imposées, et de quelle manière !

    Pour finir, ce superbe poème de Nazim Ikmet qui, pour moi, illustre ce que devrait être l'ambition de l'école maternelle :

    Le globe

    Offrons le globe aux enfants
    Au moins pour une journée
    Donnons-leur afin qu’ils en jouent
    Comme d’un ballon multicolore,
    Pour qu’ils jouent en chantant
    Parmi les étoiles.
    Offrons le globe aux enfants,
    Donnons-leur comme une pomme énorme,
    Comme une boule de pain toute chaude
    Qu’une journée au moins,
    Ils puissent manger à leur faim.
    Offrons le globe aux enfants,
    Qu’une journée au moins le monde apprenne la camaraderie.
    Les enfants prendront de nos mains le globe
    Ils y planteront des arbres immortels.

    Nazım Hikmet Ran (traduit par Charles Dobzynski)

    Ça a une autre gueule que "Aujourd'hui la chèvre, elle va aller au marché pour acheter des légumes. Ses petits, ils restent à la maison tout seuls. Ils (ne) doivent pas ouvrir la porte au loup." , non ?


    31 commentaires
  • De 11 à 19 : les irrégularités de langage

    Pour m'occuper 34 minutes, en attendant de partir animer l'après-midi Loto de l'École, traditionnel dans les petits villages provençaux.

    Le système "programmes de 1945" proposait d'étudier ces nombres aux noms bizarres un à un, comme on l'avait fait pour les nombres de la première dizaine. Comme les élèves étaient déjà entraînés, on continuait à remarquer les particularités, les doubles, les carrés, auxquels on ajoutait bien sûr la décomposition en dizaine et unités.

    Cette décomposition permettait d'introduire une difficulté nouvelle, bien préparée par le travail fait en amont sur les dix premiers nombres : le passage de la dizaine. Du travail avec matériel (et là, le boulier a tout son intérêt) au travail "de tête" puis à l'automatisation, l'élève apprenait à se servir de ce qu'il savait déjà pour décomposer 7 + 6, d'abord en 7 + (3 + 3), puis en (7 + 3) + 3 pour n'avoir pas besoin, comme on le leur apprend parfois maintenant, de surcompter sur une file numérique ou sur leurs doigts pour obtenir un résultat sûr.
    De même, on n'évoque pas l'apprentissage mécanique de tables d'addition devenues inutiles du fait de la connaissance intime des décompositions de chacun des dix premiers nombres sur laquelle se construira la connaissance intime des décompositions "intéressantes" des dix suivants (celles où l'on doit "passer la dizaine").

    L'initiation au calcul entre 5 et 7 ans (H. Canac, 1947)

    Progression : Les nombres de 11 à 19.

    Ces irrégularités sont surtout redoutables entre 11 et 19, et c'est l'une des raisons pour lesquelles les nombres de la deuxième dizaine doivent être étudiés avec beaucoup de soin. Le programme officiel (1945) prescrit l'étude concrète de ces nombres comme il l’a fait pour les nombres de la première dizaine. Il n'est pas sans intérêt, en effet, d'attirer l'attention des enfants sur les décompositions les plus intéressantes de certains de ces nombres : 12, la douzaine, le double de 6 ; 16, carré de 4 ; 15, triple de 5. Mais il serait bien encombrant de pousser très loin la décomposition de nombres beaucoup moins maniables que les 10 premiers et de s'attarder , par exemple, aux décompositions assez banales de nombres comme 11, 13, 17 ou 19.

    Certaines de ces décompositions offrent toutefois un intérêt pratique assez considérable ; ce sont celles qui apparaîtront ensuite dans les tables d'addition. Les additions correspondantes (au nombre de 20 exactement) doivent être réalisées d'abord avec les bûchettes (8 + 7 : je   prends 2 bûchettes dans le tas de 7 ; je les ajoute au tas de 8 pour faire un  paquet de 10 ; j'obtiens une dizaine et 5 unités, que j'écris : 15), puis ces mêmes opérations concrètes sont effectuées « de tête   » (de mémoire) ; et, enfin, on passe dès qu'on le peut au calcul abstrait . On mène de pair les soustractions correspondantes. Ainsi se trouve dépassé un cap assez difficile : le « franchissement de la dizaine ».

    Par contre, les opérations du type : 11 + 4 ou 11 = 15 -... ou 4 = 15 -..., ne présentent aucune difficulté si l'on opère d'abord sur les unités puis sur les dizaines. Il n'y a donc pas lieu de faire un sort spécial aux décompositions correspondantes : pour un nombre de 2 chiffres, la décomposition essentielle est la décomposition en dizaines et unités.

    Pour lire le reste de l'article :

    1. Après l'écriture, les nombres !

     2. Savoir compter jusqu'à 100
     

     3. Les cinq premiers nombres
     

    4. Les nombres de 6 à 10

    5. Le nombre 10, la dizaine

    ...
     

    7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !"

    8. Où l'on voit bien que 30 > 24

    9. Évaluation des acquis


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