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    Quand on veut tuer son chien…

     

    Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Classique. Net, propre, sans bavure. Et logique. Pas très courageux, mais logique.

    En revanche, ce qui l’est moins, c’est de s’inoculer soi-même la rage pour obtenir qu’on vous tue. Là, j’avoue que je m’interroge…

    Cette semaine, à deux occasions, j’ai constaté avec angoisse que certains de mes collègues étaient atteints par cette grave maladie ! Et qu’ils s’acharnaient, autant que faire se peut, à scier la branche sur laquelle ils sont pourtant en équilibre précaire pour accélérer leur chute.

    La première anecdote, c’est celle de la collègue de maternelle anxieuse qui demande à ses copines combien elles font durer cette fameuse cérémonie de l’accueil parce que, dans leur école, ils ne s’y retrouvent plus. Ni dans ce défilé de parents qui entrent dans les classes, squattent les couloirs et font parfois entrer les querelles de la cité jusqu’au sein de ce « paradis de l’enfance » que devrait être l’école maternelle. Ni dans cette hérésie qui consiste à ouvrir sa classe pour que les enfants y jouent librement pendant vingt à trente minutes avant de passer à l’exercice de leur métier, c’est-à-dire la conduite d’une classe d’enfants de deux à six ans.

     Certaines, plus téméraires que d’autres, lui répondent qu’elles ont sauté le pas et qu’elles « n’accueillent plus » les parents (et accessoirement leurs enfants) dans leurs classe. Trop difficile de les faire partir ensuite, trop d’agitation autour des petits qui, finalement, n’existent plus.

    D’autres expliquent qu’elles ont réduit cette période d’accueil à son minimum et qu’elles ferment les portes de leurs classes à 9 h (ou 8 h 30, selon les habitudes locales).

    Les premières ne leur rétorquent même pas qu’elles sont bien bêtes de donner ainsi dix minutes tous les matins à « la princesse » puisque cet accueil préscolaire n’apparaît nulle part dans leur compte d’heures… 

    Car c’est déjà un premier argument. Lorsque l’accueil des enfants, dix minutes avant le début des classes, avait lieu dans la cour, même si la notion de responsabilité existait en dehors des heures de travail légal, elle était au moins légalement répartie entre tous les collègues présents ou renvoyée vers le directeur et les « maîtres de service ».

    Mais voici les troisièmes ! Les Messieurs-dames Plus-Plus-Plus de la pédagogie ! Ceux qui s’assoient sur leurs statuts et les luttes de leurs pères et mères et sont prêts à se sacrifier (on verra comment) pour satisfaire aux exigences lubies de leur hiérarchie !

    Eux, ils sont là dix minutes avant, et même plus !

    Eux, ils accueillent les petits et préparent leur accueil sur de grandes feuilles pleines de colonnes et de cases !

    Eux, ils combinent un sas de décompression entre la maison et l’école ! - Quelle décompression ? C’est le matin et ils viennent de se lever, ces petits bouts ? -

    Eux, ils profitent de ce temps d’accueil (parfois plus de trente minutes) pour laisser jouer les uns pendant qu’ils évaluent les autres  ou leur font rattraper leur absence ! - Et la décompression, elle est où, là ? -

    Eux ils en profitent pour instaurer un dialogue avec les familles et il y a même un coin dans l’école où celles-ci peuvent se réunir et où on leur sert le café !

    Eux, ils se font bouffer par les deux bouts, oui !

    Les familles d’un côté, qui peuvent ne plus respecter les horaires de l’école et y circulent comme dans un moulin. Leur hiérarchie d’un autre qui s’arrange pour primariser l’école maternelle, en y instaurant des évaluations et des exercices à rattraper, et pour la garderiser en même temps : on arrive quand on veut, on repart de même, on vient pour jouer, papa ou maman restent avec nous le temps qu’ils veulent.

    La deuxième anecdote, elle est encore beaucoup plus triste. Cette fois, la rage, on ne se l’inocule même pas avec une seringue bien propre, après avoir désinfecté la peau. On cherche un chien, bien galeux, avec les crocs dégoûtants. On s’assure qu’il est réellement enragé. Et s’il a autre chose en plus, c’est encore mieux. La maladie de Carré, tiens. Il paraît que c’est très douloureux. Et on lui tend son mollet… Aussi facile que ça.

    Quand il s’agit d’une école maternelle à tuer, on ne prend pas un vrai chien bien sûr. Et les maladies à transmettre ni sont ni la rage, ni la maladie de Carré… C’est moins compliqué mais tout aussi fatal que ça.

    Il suffit de demander aux petits bouts qu’on a dans sa classe, quel que soit leur âge, plus de rigueur, de concentration et de maturité physique et morale qu’on est censé en demander à un élève de CE1 en RAR…

    En effet, si ce dernier n’a pas à étudier en classe les points du programme de 2008 (caca beurk ! programmes de 2008 ? caca beurk !), l’enfant de maternelle, surtout s’il est très jeune (2 ou 3 ans) doit absolument avoir acquis tout ce qui est dans les petites cases « À la fin de l’école maternelle, l’enfant est capable de : … » et ce, à la maison, avant l’évaluation conduite pas son professeur !

    C’est ainsi qu’une de mes collègues préférées a reçu hier chez elle ou presque une mère éplorée regrettant amèrement d’avoir inscrit dès ses deux ans sa fillette à l’école !

    Voici ses mots :

    La maîtresse lui demande de faire des ronds à l'école, puisqu'il faut faire le "cahier du bonhomme". Or, figurez-vous que Petite Sœur n'arrive pas à faire des ronds ! C'est même, dit la maîtresse, la moins avancée de toute sa classe en matière de ronds ! Vous comprenez bien qu'il est urgent de mettre en place une remédiation.  

    C'est pourquoi la maîtresse... demande à la maman de faire faire des ronds à sa fille le week-end ! 

     Quand on veut tuer son chien…

     La pauvre maman me dit que la gosse prend le crayon par le bout et le laisse pendre et n'arrive pas à faire des ronds. Du coup, elle lui fait faire des ronds tous les jours, la maîtresse s'énerve parce que les ronds ne progressent pas, la maman s'inquiète parce qu'elle se dit que faire autant de ronds avec un crayon mal tenu, ça ne doit pas être très bon, tout ça, et... J'ai juste envie de

     Quand on veut tuer son chien…

     

    (Signé : Ma copine qu’elle est instit mais qu’elle n’a plus qu’une envie : quitter le navire avant qu’il finisse de sombrer)…

    Le virus de la programmation et celui de l’évaluation sont des virus bien plus dangereux que ceux de la rage ou de la maladie de Carré. Si nous n’y prenons garde et qu’on continue à se laisser contaminer par ces deux très graves maladies, nous allons tuer notre école maternelle. Là aussi, le danger arrivera des deux côtés.

    Les parents se rebifferont et ne voudront plus inscrire leurs enfants dans cette institution qui fait perdre toute estime d’eux-mêmes à leurs petits bouts.

    Notre hiérarchie expliquera, doctement, elle explique toujours doctement et trouve toujours les « experts » pour corroborer ses dires, que les enfants sont soumis à une pression trop forte du fait du trop de savoirs de leurs maîtres. Que par ailleurs, il n’est nul besoin d’être formé à Bac+5 pour surveiller des siestes et changer des couches. Que les Professeurs Des Écoles (avec des Majuscules partout, partout, partout) ont une haute qualification qui ne saurait se satisfaire d’une professionnalisation au rabais, sans recherche-action, programmation-scientifique, évaluation-sommative, et personnalisation des parcours. Et qu’en conséquence, il vaut mieux ne commencer l’école qu’à cinq ans quand les enfants sont enfin prêts à subir profiter de leur immense professionnalisme !

    Et hop ! Quand ça fait plaisir et puis que ça débarrasse, n’est-ce pas ?

    Alors, s’il vous plaît, ne laissez pas mourir l’école maternelle ! Ne vous laissez pas aller à accompagner et même accélérer sa perte !

    Résistez aux sirènes de la communauté éducative et de la coéducation, elles mènent droit aux PEdT, aux Classes-Passerelles, premiers jalons de la suppression de l’École Maternelle, partie de l’École Primaire Publique, présente et égale sur tout le Territoire.

    Résistez aussi aux programmations de cycles et évaluations normatives. Elles mènent droit à l’exclusion des petites classes où « les élèves ne font rien puisqu’on ne peut pas les évaluer sur les fondamentaux » !

    L’école maternelle, la vraie, c’est autre chose et ça peut éclore un peu partout dès demain, si nous le décidons…


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  • Les compétences. Activité de soutien pour mon petit copain Monsieur Plus qui ne doit pourtant pas être un grand copain de l'OCDE, du FMI ou de la Banque Mondiale :

     

    Et une autre que je n'arrive pas à mettre "en vrai" ici :

    http://www.aufeminin.com/video-maman-bebe/crise-ecole-implosion-ecole-n59543.html


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  • Un article très intéressant de ma copine Rikki :

    http://ecritureparis.webnode.fr/news/lecriture-manuscrite-est-elle-en-voie-de-disparition-/


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  • Le jeudi 14 novembre, je serai en grève ! 

    Des journées trop longues

    L’an dernier, quand on a commencé à nous expliquer que les élèves français avaient des journées trop longues et qu’il convenait d’étaler sur quatre journées et demie les heures de classe pour les faire finir plus tôt, nous, les instits, nous avons tiré une première fois la sonnette d’alarme.  

    Pour nous, il était évident que, même si on ne nous faisait plus faire que 2 h 22 min de classe par jour, réparties sur les 365 jours de l’année  - j’ai compté, ça colle - nos élèves continueraient pour certains d’entre eux à vivre de 7 heures 30 le matin à 19 heures le soir en collectivité, dans les locaux scolaires ou ceux d’un centre de loisirs, tout simplement parce que leurs familles n’étaient pas disponibles pour les déposer plus tard et les récupérer plus tôt. 

    De mauvais pressentiments

    Quand on nous a ajouté que ce n’était pas grave car les communes allaient organiser des ateliers ludico-artistico-sportifs qui délasseraient nos petits élèves du dur labeur intellectuel auquel nous les soumettions, nous avons encore été nombreux à protester.

    Nous pressentions que nombreuses seraient les communes qui ne pourraient organiser ces ateliers, pour des raisons financières, organisationnelles ou tout simplement par impossibilité à recruter de la main-d’œuvre qualifiée dans un secteur proche de l’école pour des durées aussi limitées. Même si nous ressentions parfois dans nos écoles la fatigue de nos élèves en fin d’après-midi, nous ne voyions pas comment cet éparpillement des enfants dans des « clubs » ayant lieu dans leurs classes mêmes, mais avec un autre personnel, allait les détendre mieux et plus que les activités ludico-artistico-sportives que nous organisions nous-mêmes, avec nos propres élèves, dans nos propres classes, afin de satisfaire aux exigences des programmes scolaires.

    Nous pressentions aussi que nos maires n’étaient pas tous des spécialistes de l’enfance et qu’ils auraient sans doute beaucoup de mal à sélectionner de vraies activités enrichissantes, prévues sur un rythme compatible avec les rythmes enfantins, avec du personnel formé à programmer sur le long terme un véritable projet pédagogique : 36 semaines de macramé, c’est très long… et je ne parle pas des 36 semaines de bénévolat auxquelles se sont inscrites des mamies amatrices de maquillage festif ! Sans compter les activités de repli à prévoir s’il pleut, s’il neige, s’il gèle à pierre fendre ou tout simplement si ce coquin de soleil éteint ses derniers feux vers 17 h, comme il a l’habitude de le faire tous les ans depuis ma naissance dans ma région entre le 1er décembre et le 31 janvier…

    Nous pressentions aussi que, même si nos élèves sont pour la plupart très gentils et très bien élevés, leur faire une petite place dans nos classes en notre absence, sous la houlette d’un animateur qui ne les connaît pas, risquait parfois de poser quelques petits problèmes de cohabitation. Un cahier qui tombe d’un bureau, une peinture qui n’a pas fini de sécher à 15 h 15, un texte commencé au tableau à finir le lendemain, un affichage qui se décolle un peu, c’est tentant pour un groupe d’enfants, même très bien élevés et très bien encadrés… Sans compter que cela complique le travail du pauvre animateur qui lui aussi a besoin d’un espace consacré à son propre travail.

    Nous pressentions, et ça, cela pourrait bien tourner à l’avantage de l’École et de sa véritable Refondation, que les parents ne seraient pas dupes bien longtemps. Même si certains, l’an dernier, s’étaient laissé charmer par les annonces mirobolantes où les cours de guitare à cheval sur un poney concurrençaient les sorties en Optimist dans le Vieux Port ou bien l’apprentissage accéléré du mandarin en six semaines chrono ! Ils se rendraient bien vite compte que non, finalement, la qualité n’était pas au rendez-vous. Ils en viendraient même à regretter les Professeurs des Écoles  qui, même s’ils avaient leurs défauts, avaient aussi le mérite de remplir un cahier d’appel, de compter leurs ouailles avant de les faire monter dans le car et de prévoir qu’un jour de pluie, il ne convient pas de prolonger au-delà d’une certaine limite une récréation dans un préau bruyant au sol rendu glissant par 300 paires de pieds d’enfants surexcités !

    Nous avons même été quelques-uns, et je faisais partie de ceux-là[1], à récriminer contre le « recentrage sur les fondamentaux » que préconisait notre Ministre. Nous étions maîtres et maîtresses d’école et nous tenions à garder toutes les matières inscrites aux programmes de l’Éducation Nationale ! Pas question de nous transformer en répétiteurs de français et de mathématiques cinq matinées par semaine et de n’avoir plus pour tout le reste que neuf heures réparties en quatre courts après-midis ! Nous voulions que nos leçons d’histoire, de géographie et de sciences mais aussi nos séances d’éducation physique et sportive, de musique et d’arts visuels restent au service les unes des autres et puissent aussi souvent que possible servir de liant pour faire prendre la mayonnaise des progrès de nos élèves en français et en mathématiques…

    Et je crois même que nous avions supputé que pour nos tout-petits de maternelle, ceux qui passent encore une partie de l’après-midi à dormir, ceux qui ont besoin d’un référent unique qui les fasse passer à leur rythme de la « douce chaleur de la famille » au monde moins feutré de l’école, ce serait très difficile et sans doute très déstabilisant… Et encore une fois bingo !

    État des lieux très mitigé après sept semaines d’expérimentation

    Cette prémonition-là, je me serais bien passée de la voir se réaliser ! Je suis encore et toujours maîtresse d’école et même si le monde moins feutré que j’organise est aussi moins doux et moins chaud qu’une famille, il n’empêche que j’étais émue aux larmes quand j’ai vu ce reportage où un ASEM parisienne retirait les petites couvertures des lits d’enfants endormis pour que la sensation de fraîcheur les réveille ! Et je me suis encore émue lorsque ces petits bouts pleuraient, ne comprenant pas pourquoi « Maîtresse » les avait fait lever puisqu’ensuite elle les poussait hors du nid à la suite d’animatrices sans doute dévouées et chaleureuses, mais qui n’étaient pas « Maîtresse » !

    Quant aux élèves de Grande Section qu’on voyait ensuite pratiquer le chant grâce à une animatrice et à son piano électronique, cela ne m’a en aucun cas bluffée comme le présentateur du JT ! J’ai bénéficié du même service, toutes les fins d’après-midis, en l’an de grâce 1962, lorsque j’étais enfant à l’école maternelle du Centre, à Saint Cloud (Seine et Oise) ! Le piano était juste remplacé par un guide-chant et l’animatrice par une institutrice titulaire formée à l’École Normale d’Institutrices de …  Alors franchement, ne me faites pas rire ! Vos activités de fin de soirée, on sait bien qu’elles n’ont de ludico-artistico-sportifs que le chiffre que l’on inscrit à la fin du mois sur le bulletin de paie de leurs animateurs et le titre du bailleur de fonds qui les rémunère…

    Un peu partout, des voix s’élèvent. Ce sont les voix des expérimentateurs eux-mêmes, des parents, des enfants, des animateurs, des maires, des directeurs d’école, des syndicats d’enseignants. La mise en place est difficile, les enfants n’y trouvent pas leur compte, les familles non plus. Les animateurs se désespèrent, ils reconnaissent leurs limites et demandent à ce qu’on les aide. Des maires reculent, d’autres demandent un nouveau report, d’autres enfin cherchent à savoir comment ils pourraient carrément se dispenser d’appliquer une réforme qui leur paraît mauvaise. Des directeurs d’école, embarqués dans le bateau plus ou moins de force, écrivent à leurs supérieurs pour leur faire un bilan sans appel de ce qui se passe chez eux, dans leurs écoles. Enfin, la plupart des syndicats appellent à remettre la copie sur la table et à tout suspendre.  

    RE - fonder l’école vraiment

    Si nos élèves ont besoin de quelque chose, c’est de temps construit, sous la houlette d’un référent qui les connaît, de temps riche et varié qui mettra les disciplines scolaires au service les unes des autres.

    Et si cette réforme est mauvaise, c’est qu’elle n’a pas su rendre aux élèves le temps qui leur avait été volé cinq ans plus tôt.  Jusque là, ils avaient 26 heures de classe par semaine. Ce temps était déjà un peu court et déjà désorganisé et « flottant » depuis qu’on leur avait volé une heure du samedi pour la donner à des instituteurs qui souvent ne la réclamaient pas. Cela les avait privés d’un samedi sur trois et avait rendu ces journées-là équivoques : temps scolaire ou temps de loisirs ?

    Le ver était ainsi entré dans le fruit et avait conforté les familles dans l’idée que l’école était une garderie qu’il importait de conserver lorsqu’on en avait besoin mais qu’on pouvait oublier quand on avait mieux à faire.

    Il aurait fallu RE - fonder l’École et on l’a DÉ - foncée un peu plus !

    Il aurait fallu prendre à bras le corps le problème de ces enfants levés tôt et couchés tard, on a caché la poussière sous le tapis en les inscrivant au maquillage festif et au macramé !

    Il aurait fallu prendre le temps de chercher pourquoi nos élèves étaient épuisés, pourquoi nos petits bouts de maternelle n’arrivaient pas, en trois à quatre années de classe, à parler, écouter, sentir, observer, manipuler objets et instruments scripteurs suffisamment bien pour entrer au CP confiants, pourquoi les méthodes qu’on nous propose obstinément depuis plus de trente ans n’avaient pas tenu les promesses que nous avaient faites leurs concepteurs, pourquoi ce temps enlevé avait précipité les plus fragiles d’entre eux dans un échec scolaire encore plus profond, malgré le cautère sur une jambe de bois que constituait l’Aide Personnalisée.

    Il aurait fallu avoir le courage de ramer à contre-courant et d’avouer que cette réforme n’était en aucun cas guidée par un quelconque « intérêt de l’enfant » et que la preuve en était que, dès le début, on avait demandé aux spécialistes de l’enfance en collectivité, les professeurs des écoles, de se taire et de laisser parler ceux qui n’avaient jamais vécu ne serait-ce qu’une année scolaire dans une école. Les « spécialistes », c’étaient ceux qui n’avaient jamais été responsables d’une classe de vingt à trente enfants auxquels ils auraient dû fournir une éducation complète.  Les « spécialistes » n’avaient jamais lu les programmes et faisaient semblant d’ignorer que la lecture y côtoyait l’écoute musicale, que le chant y voisinait avec les mathématiques, que les mathématiques y amenaient à la lecture de cartes, la lecture de cartes au dessin, le dessin à l’écriture et l’écriture à la lecture en passant par l’apprentissage de la vie en société et tout ce qui l’accompagne.

    À défaut d’empêcher qu’on réveille des petits enfants de trois ans pour les envoyer jouer aux légos de force, cela aurait au moins eu le mérite d’être honnête !

    Abrogation !

    Quant à ce décret en lui-même dont la souplesse devait tout permettre, pour les petits de maternelle, pour leurs grands frères et grandes sœurs d’élémentaire, actuellement comme l’an dernier, le vrai courage serait de l’abroger.

    Le deuxième courage serait d’arrêter d’annualiser une partie du temps des Professeurs des Écoles et de rendre les 108 heures volées aux élèves et à leur enseignement afin qu’ils bénéficient à nouveau de 27 heures de classe par semaine.

    Et le troisième courage serait de revaloriser cette profession à la hauteur des services qu’elle rend au pays tout entier, tant en lui donnant des salaires décents (voir la place de la France dans l’échelle des rémunérations des enseignants du Primaire dans les pays développés) qu’en lui fournissant une formation professionnelle complète et dénuée de parti-pris.

    Un quatrième tout petit courage serait d’ouvrir plus grand la porte des expérimentations, même mal perçues par les concepteurs des trente à quarante dernières années, de les aider à proposer des formations, de publier leurs résultats et d’oser prendre les décisions qui s’imposeraient d’elles-mêmes…


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  •  Qui a eu cette idée folle, un jour, d’évaluer des Petitous ?

    Il fut un temps où l’on n’évaluait pas en Maternelle. On n’évaluait même pas au CP, c’est vous dire !  Enfin, on n’évaluait pas, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. On faisait de l’évaluation douce, si vous préférez.

    C’est-à-dire que tous les jours, lorsque nos Petitous jouaient, agissaient et dialoguaient en classe, en salle de motricité, au vestiaire ou aux toilettes même parfois, nous étions présents, l’oreille et l’œil aux aguets, sans plus d’anxiété que cela.

    Nos oreilles captaient un « Donne-moi le lego rouge, là, derrière ! » et nous jetions un petit coup d’œil pour voir si c’était bien un lego rouge situé derrière quelque chose que Nathalie réclamait à Michaël[1] et ce même lego rouge que Michaël faisait passer à Nathalie. Si toutefois, d’une part ou de l’autre, nous remarquions qu’il y avait encore quelques petits ratés dans la désignation des couleurs ou dans le repérage dans l’espace, nous le notions, mentalement,… ou pas. Nous savions bien qu’en trois années de Petite[2] et Moyenne Section, ils auraient encore des centaines d’occasions de s’exercer à faire correspondre de façon plus rigoureuse les mots et les concepts.

    Nos yeux voyaient la petite Dounia qui s’engageait à pas lents sur la poutre, bras écartés. « Tiens, ça y est ! Dounia se réveille ! C’est encore un peu hésitant mais pour elle qui passait ses récréations assise à côté de nous, il y a encore un mois, c’est déjà un bel exploit ! Bravo Dounia ! »

    Il ne nous serait en aucun cas venu à l’idée d’aller consigner dans un cahier, ou même une tablette numérique, prévus à cet effet que Dounia  adaptait ses déplacements à des environnements ou contraintes variés… Heureusement, parce que ç’aurait été un gros mensonge !

    En effet, deux semaines plus tard, nous emmenions Dounia faire du ski alpin au stade des neiges qui ne nous était pas encore interdit faute de moniteurs agréés. Et là,  elle n’arriverait finalement jamais à coordonner les actions de ses deux jambes et nous montrerait seulement des capacités à faire le grand écart dignes d’une danseuse étoile !

    Et pour le ski, c’était comme pour les couleurs, ou pour les positions relatives des objets les uns par rapport aux autres : pas d’angoisse, ni d’affolement. Le soir, nous racontions à la maman de Dounia combien sa fille s’était amusée sur sa luge, quel beau bonhomme de neige elle avait réalisé avec tous ses petits copains plus à l’aise dans leurs deux bottes de neige que sur deux planches trop longues et trop glissantes !

    Tout le monde était content et c’était très bien comme ça.

    Et comme on n’évaluait pas nos petits comme on évaluerait des grands, personne ne mettait en place de progressions, de programmations, de séquences ni de séances.

    Nos progressions étaient pluriannuelles. Nous savions que, pour suivre au Cours Préparatoire, nos élèves auraient besoin d’une maîtrise corporelle assurée, d’une bonne agilité manuelle, d’une compréhension fine du langage oral, d’un vocabulaire étendu, d’une bonne orientation dans l’espace et d’une logique déjà bien développée. Il suffisait d’avancer dans tous ces domaines, tous les jours, en saisissant toutes les occasions pour que, bon an mal an, tout le monde progresse et arrive au but à atteindre avant le mois de juin fatidique !

    Nos programmations suivaient l’ordre que nous dictaient nos élèves. C’était toujours à peu près pareil car il est rare que l’enfant s’intéresse au dodécagone avant d’avoir découvert le cercle et le carré, qu’il découvre le parme et le zinzolin avant de percevoir le bleu et le jaune et qu’il se préoccupe de la communication différée par le biais d’échanges de documents numériques avant d’avoir envie de raconter sa vie en direct à son instit !

    Quant aux séquences et aux séances, elles n’avaient pas été inventées ! Un élève arrivait un matin et nous parlait de la voiture neuve de sa mamie et tout le monde se passionnait pour les voitures neuves, les garages, les mécaniciens, les pompes à essence et les stations services. Une heure plus tard, en EPS, le parcours prévu devenait un circuit automobile et nos petits élèves se transformaient en pilotes de course ! Et sur le dessin libre du jour, les voitures voisinaient les camions qui roulaient vite et doublaient les motos des gendarmes…

    Encore un peu plus tard, à la récréation, Stéphanie et Mounir trouvaient un caillou brillant… Plus personne ne s’intéressait à la voiture de la mamie de Sandrine et tout le monde voulait grossir le trésor de la classe.

    Après la récréation, pendant le temps de musique, nous en profitions pour jouer à Greli grelot combien j’ai d’sous dans mon sabot avec les jolis cailloux ramassés dans la cour et l’après-midi, pourquoi pas, nous confectionnions un grand coffre de pirates pour ranger notre début de trésor. Cela nous permettait, à nous les instits, de sortir le livre sur les pirates et de parler d’autrefois, il y a très longtemps, à l’époque des rois et des reines.

    L’histoire du soir, elle, restait l’histoire du soir. C’était le livre qu’avait apporté Guillaume, celui que la maîtresse avait emprunté au bibliobus, la revue à laquelle la classe était abonnée ou ce gros livre de contes qui nous servait de fil rouge quand nous n’avions rien d’autre à lire.

    Tout cet appareillage dans lequel on a coincé l’École Maternelle me fait penser à ces appareils orthopédiques du début du siècle dernier qui ont été abandonnés faute d’avoir démontré leur utilité. Il a contraint les enseignants à abandonner toute la créativité foisonnante dont est capable un petit enfant pour le faire rentrer dans une norme précise, beaucoup moins drôle et légère, mais é-va-lu-a-ble scientifiquement…

    Finis les jolis cailloux ramassés et la voiture de la mamie de Sandrine ! Finis les livres lus parce que c’étaient ceux de Guillaume ou de Kader ! Finis les beaux dessins ! Finis les butinages tous azimuts où chacun cueillait au passage ce qui lui manquait à ce moment-là et offrait aux autres ce qu’il maîtrisait déjà. Ils ont été remisés loin, loin, dans les souvenirs des vieilles instits… Remisés et remplacés.

    Remplacés par du sérieux, du construit, du chemin à sens unique. On ne veut plus voir qu’une tête, bien pleine de préférence et pleine de la même chose exactement que celle du petit voisin.  

    En première période, les Petits feront des empreintes. Et en deuxième des traits, verticaux et horizontaux, en troisième, des points et des ronds, en quatrième… Je m’arrête parce que je pleure, ou presque.  

    Et puis, toujours en première période, ils apprendront à reconnaître le bleu et le rouge, et puis les carrés et les ronds, et puis l’initiale de leur prénom, et puis les jours de la semaine, et puis… la table de sept, pendant qu’on y est, non ?

    Tant pis pour ceux qui savent déjà, pour ceux qui sont loin d’en être déjà capables, pour ceux qui savaient d’autres choses et qui vont les oublier faute de pouvoir les pratiquer. Tant pis pour tous sauf la perle rare, celle qui était justement prête à faire tout cela, juste cela et rien que cela…  Quelle tristesse !

    Quelle tristesse aussi que plus personne ne soit capable de voir l’inanité d’un tel programme appliqué à des enfants aussi jeunes.

    C’est valable pour les savoirs fondamentaux savants, l’écriture, la lecture, le comptage, le calcul, d’obéir à une progression linéaire, pas pour des apprentissages vitaux qui progressent en se tissant les uns aux autres jusqu’à constituer une toile à la trame de plus en plus serrée.

    Qu’à cela ne tienne, c’est hors de l’école que les enfants feront ces apprentissages vitaux et les maîtresses s’inquiéteront de ceux dont le milieu ne joue pas bien ce rôle.

    Pour l’école, on se réserve ce qui est évaluable après la séquence, et les séances, conformément à la progression et aux programmations. Ça fabrique de l’échec programmé mais tant pis. C’est comme ça que l’on doit faire et c’est ce que conseillent les formateurs.

     C’est ainsi que le petit Brandon, trois ans, formé puis évalué pendant la même période sur sa reconnaissance des trois couleurs primaires et des trois figures simples, rond, carré, triangle, s’était emmêlé les pinceaux de manière durable. Tant et si bien que la maîtresse catastrophée avait mis en place une remédiation, exécutée par l’ATSEM, pendant le temps d’accueil alors que ses petits camarades jouaient aux petites autos sur le tapis des voitures !

    Et comme, malgré la remédiation, Brandon n’arrivait toujours pas à fixer les mots rouge, bleu et jaune et à les attribuer aux bons objets, la maîtresse, et l’ATSEM, ont averti la maman. Celle-ci a commencé par nier : à la maison, Brandon reconnaissait ses couleurs ! Ensuite, acculée, elle a reconnu qu’elle ne lui avait pas fait beaucoup travailler ce concept mais que l’anniversaire de Brandon allait permettre de remédier à ce grave retard scolaire !

    Comme hélas, malgré le jeu éducatif, Brandon continuait à jouer au daltonien de service, on a averti la maîtresse de Section de Moyens afin qu’elle prenne en compte cet échec programmé.

    À la rentrée, la maîtresse a enfin trouvé l’origine de la panne de circuit imprimé affectant le cerveau de l’enfant ÇANIMPRIMEPA Brandon ! Pour lui, n’étaient rouges que les carrés rouges, bleus, uniquement les triangles bleus et jaunes, seulement les ronds jaunes ! Ouf, échec scolaire évité, élève Brandon remis dans le circuit !

    Jusqu’au jour où… nouveau bug : Brandon ne mémorise pas l’ordre des jours de la semaine ! Il a quatre ans, environ huit ans avant d’avoir à gérer un emploi du temps de collégien et une bonne quinzaine d’années avant d’avoir à se rendre à son entretien d’embauche le mardredi et non le vencredi, mais c’est impératif, il DOIT absolument se passionner pour la date, réciter dans l’ordre SA liste de jours et les reconnaître sur les étiquettes du petit train de la semaine !

    Et c’est là qu’une collègue pleine d’humour (en fait, même pas) suggère, sans rire, de colorier chaque wagon d’une couleur afin de rendre la mémorisation et donc la réussite à l’évaluation plus aisée !

    Brandon, répète après moi : « Le lundi, c’est rond et rouge ; le mardi, c’est carré et bleu ; le jeudi, c’est jaune et triangulaire ! »

    Et le vendredi ? Le vendredi, c’est le jour du poisson clown, Brandon… Parce que le poisson clown, lui, il a compris qu’il valait mieux en rire qu’en pleurer.

     PS : Je viens de commander 10 exemplaires de Pour une Maternelle du XXIe Siècle, ouvrage dans lequel je développe en long en large et en travers comment on peut enseigner en maternelle, sans contraintes ni évaluations.
    J'exempte des frais de port tous ceux qui s'adresseront directement à moi pour en commander un.


    [1] Eh oui, même les prénoms ont changé !

    [2] À l’époque, la Petite Section durait deux ans, presque partout, pour tous les enfants dont les parents en avaient fait la demande

     


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