• Vacances studieuses, vacances heureuses ?
    Merci à Jack Koch pour son illustration.

    Pendant des années, je n'ai absolument rien préparé pendant les vacances scolaires.

    À mes débuts, dans les années 1975 à 1995 :

    Les premières années, comme je ne connaissais mon poste que la veille de la rentrée, je me rendais dans l'école où j'avais été nommée, prenais contact avec l'équipe (café, biscuits, j'ai fait la Bretagne cet été et toi ?) et avec ma salle de classe, quand j'en avais une !
    Si j'étais remplaçante, je me retrouvais dans le cagibi des BOEN à les classer par années et par mois pendant que mes collègues préparaient leur matériel pour le lendemain.
    Sinon, je faisais comme les collègues : je recopiais ma liste d'élèves sur le cahier d'appel et, si j'étais en CE ou CM, je disposais sur chaque bureau un livre de chaque série (lecture, français, maths et parfois histoire, géographie et sciences), je préparais la page de garde des cahiers du jour et du cahier de poésies puis je leur mettais un protège-cahier ; pour les CP, ça allait encore plus vite, le fichier de mathématiques, le cahier du jour, page de garde, date du jour de la rentrée et ligne de i en cursive avant de préparer sur une fiche bristol un emploi du temps qui ressemblait toujours à ça : 

    du CP au CM 

    Lundi Mardi Jeudi Vendredi Samedi

    Français

    Travail manuel
    Récréation
    Mathématiques Conseil de Coopérative
                              Interclasse                          





     

    Activités d'éveil

    Récréation

    EPS

    Musique / Heure du Conte

    Pour des maternelles, je faisais un inventaire rapide des jeux et jouets, installais les coins-jeux (dînette, chambre des peluches et poupées, garage, ferme, construction, ... ), préparais des feuilles et des gobelets de peinture sur le chevalet, de la pâte à modeler, du papier à découper, de la colle, des pots de crayons feutres et je choisissais un livre à lire en fin de journée avant de me mettre à mon emploi du temps sur fiche bristol A4 :

    TPS/PS :

    Lundi Mardi Jeudi Vendredi Samedi
    Langage
    Passage aux toilettes
    Dessin libre commenté

    Ateliers : coins-jeux, travail manuel, petit matériel (puzzles, lotos, dominos, perles, ...)

    Passage aux toilettes
    Récréation
    Éducation Motrice
    Musique, comptines, jeux de doigts
    Interclasse  
    Passage aux toilettes

    Sieste

    Récréation
    Éducation Motrice
    Heure du conte

    MS :

    Lundi Mardi Jeudi Vendredi Samedi
    Langage
    Passage aux toilettes
    Dessin libre commenté

    Ateliers : coins-jeux, travail manuel, petit matériel (puzzles, lotos, dominos, perles, ...)

    Passage aux toilettes
    Récréation
    Éducation Motrice
    Musique, comptines, jeux de doigts
    Interclasse  

     

    Langage

    Activités d'éveil

    Récréation
    Éducation Motrice
    Heure du conte

    GS :

    Lundi Mardi Jeudi Vendredi Samedi
    Langage
    Pré-lecture
    Dessin libre commenté

    Ateliers : travail manuel, jeux mathématiques (puzzles, lotos, dominos, perles, fiches)

    Passage aux toilettes
    Récréation
    Éducation Motrice
    Musique, chant
    Interclasse  

     

    Langage
    Pré-écriture

    Activités d'éveil / Pré-mathématiques

    Récréation
    Éducation Motrice
    Heure du conte

    Ensuite, quel que soit le niveau, de la TPS au CM2, s'il me restait un moment, je rangeais mon bureau bien joli, bien beau, je faisais une belle page de garde à mon cahier-journal, j'en remplissais rapidement le premier jour et je choisissais un livre dans la bibliothèque pour la traditionnelle « Heure du Conte » qui clôturerait la journée du lendemain.

    Le lendemain matin, j'arrivais environ un quart d'heure avant le début des classes et cela tenait lieu de préparation de rentrée. Les parents amenaient leurs enfants, le directeur ou la directrice étaient le plus souvent dérangés plusieurs fois pour des inscriptions de dernière minute.
    En maternelle, ça pleurait pas mal chez les TPS et PS qui n'avaient pas fait de TPS. Nous conseillions aux parents de disparaître très vite du champ de vision de leur enfant et l'affaire était classée, parfois avec trois ou quatre pleureurs dans nos bras et ceux des « dames de service ».
    En élémentaire, c'était encore plus succinct, à part quelques CP, les élèves arrivaient seuls ou n'étaient accompagnés que jusqu'au portail et l'année scolaire commençait, tout de suite, sans plus de chichis. Les cartables étaient neufs, les crayons pas rongés et les équerres avaient leurs trois pointes intactes mais nous savions bien que cela n'allait pas durer longtemps...

    Quand j'ai connu mon poste, ça n'a pas changé grand-chose. Tout au plus pouvais-je gagner encore plus de temps puisque j'avais choisi le matériel en fonction de mes pratiques1 . J'avais fait les commandes dans les derniers jours de juin, chez un libraire de la région. La veille de la rentrée, il faisait le tour des écoles et nous livrait le matériel, sans doute bien moins pléthorique qu'aujourd'hui, et il fallait ranger tout cela dans les placards.

    Et puis sont arrivées les Instructions Officielles de 1989 à 1991. Je crois que c'est là que tout a basculé.

    Les cycles, le projet d'école :

    Nos supérieurs hiérarchiques nous ont expliqué que les livres de classe n'étaient pas adaptés à nos élèves, que, du CE1 au CM2, les manuels de le cture2  ne les préparaient pas à la lecture experte, que chaque élève progressait à son rythme et que redoublement comme saut de classe étaient les ennemis à abattre.
    Ils nous ont donc contraints à rédiger un Projet d'École, à base de tableaux interminables à remplir, hors-temps de classe, pour expliquer comment, pendant trois ans, nous allions nous débrouiller pour intéresser nos élèves et les faire mieux progresser que naguère.
    Ils nous ont sucré un samedi de classe sur trois et nous ont piqué quelques mercredis à la place pour nous prêcher la bonne parole.
    Nous avons eu la joie de découvrir des « grands noms des sciences de l'éducation » qui nous ont bien expliqué qu'ils allaient nous professionnaliser et nous empêcher de ronronner en tournant les pages des manuels scolaires du début à la fin de l'année scolaire. Que la partie la plus importante de notre métier se déroulait en amont, en aval et sur les bas-côtés de la classe et qu'il convenait qu'on nous dégage du temps pour cela.
    On nous a refilé des ordinateurs et on nous a appris à faire promener une tortue virtuelle sur l'écran d'un téléviseur. Ça allait révolutionner l'enseignement.
    On nous a chanté la vertu des notices de montage, des annuaires du téléphone, des recettes de cuisine, des dépliants publicitaires et on nous a dit que la littérature, c'était inutile autrement qu'en fin d'après-midi pour clôturer la journée.
    Tout ça était très, très beau alors j'ai plongé dedans la tête la première ! 

    Et il a fallu que je commence à préparer des trucs et des machins pendant l'été. D'abord, des livrets d'évaluation parce que le bête cahier de contrôle donné à chaque période de vacances scolaires dans lequel les parents pouvaient voir si leurs enfants « suivaient bien », ça ne suffisait pas, vous comprenez.
    Et puis des projets grandioses dont on ne savait pas bien à quoi ils devaient correspondre... Les nôtres ont dû plaire, on ne nous les a pas fait refaire 36 fois. Il faut dire que nous ne demandions plus de financement après avoir bossé comme des malades sur le premier et s'être vus retoqués parce que nous aurions voulu un photocopieur...
    Et puis des évaluations de ces projets... Ce qui nous a franchement beaucoup étonnés : nous étions juges et partie, après tout.

    C'est ainsi que, peu à peu, je me suis mise à bosser pendant les vacances pour fabriquer des fichiers de travail autonome, du matériel pour le nouvel Ermel et même des progressions par période, moi qui n'avais jamais fait ça.

    Comme je n'avais rien compris à la différence entre les objectifs, les connaissances et les compétences, je crois que j'ai toujours fait ça très, très, très mal.
    Je prenais le livre de
    maths3  et je regardais le nombre de pages ; je divisais celui-ci en 6. Je recopiais alors les titres des leçons de la première tranche sur un tableau à double entrée dans la case « Mathématiques / Septembre-Octobre ». Je faisais la même chose en Grammaire/Conjugaison, en Orthographe et Vocabulaire. Je recommençais à chaque période de vacances scolaires en reprenant mes calculs au besoin si nous étions allés plus loin que prévu.
    Ceci dit, cela fonctionnait tout aussi bien que mon ancienne méthode qui consistait à me dire chaque soir : « Qu'avons-nous fait aujourd'hui ? Où nous sommes-nous arrêtés dans le livre ou le fichier ? Que puis-je attendre d'eux demain ? » et à avancer ainsi, en collant au plus près de leurs facilités...

    En maternelle, je recopiais le BO, pour l'année scolaire et, pendant les vacances de Toussaint, je cochais ce que j'avais fait en classe. Ensuite j'arrêtais parce que, franchement, j'avais mieux à faire, et que l'IEN, quand il passait, ne se préoccupait pas vraiment de ce que j'avais pu écrire !
    Pas plus qu'en élémentaire d'ailleurs. La plupart jetait un coup d'œil rapide à ces « affichages obligatoires » mais se préoccupait très peu de les lire. Leurs dadas, ou celui de leur ministre, les importaient plus.
    Au fil des ans, ça a été la tortue Logo, l'initiation aux langues étrangères, la méthode Foucambert/Charmeux au CP, les écrits sociaux, la littérature de jeunesse... et j'en oublie certainement. Heureusement, un IEN, ça passe au mieux une demi-journée tous les trois ans et dans l'intervalle, on pouvait continuer à travailler comme on voulait, mettant en place ce qui nous paraissait sensé, tentant plus ou moins le reste, selon le degré d'intérêt que nous voyions au projet.
    Je ne vous cache pas qu'au fur et à mesure des années, devant l'appauvrissement des contenus exigibles, je me suis de plus en plus écartée de tout ce qui me paraissait intéressant uniquement pour le PE qui, dans la classe, était le seul à « se renouveler » devant des élèves qui arrivaient tout frais, tout neufs et n'avaient pas demandé à jouer les cobayes et les faire-valoir pour des adultes en mal de reconnaissance sociale de la part de leur hiérarchie.

    Et puis sont venus les ordinateurs, les logiciels performants et faciles d'emploi... et internet ! 

    Et là, ça a été la folie ! De plus en plus d'injonctions hiérarchiques à mettre en pratique et dont il fallait rendre compte via le logiciel Machin-Truc-Chose. Nous étions sommés de trouver des  indicateurs4 partout et pour tout, mettre en place des remédiations avant même d'avoir constaté les problèmes, prévoir des Projets d'Action Individualisés à chaque soupçon de possibilité d'éventualité de risque social de handicap ! Le truc imparable pour ne plus chercher à emmener tous ses élèves du point A au point B en dix mois, comme nos prédécesseurs et nous-mêmes l'avions toujours fait pour souvent bien plus de 95 % de nos élèves...    

    Nos  formateurs5 ont commencé à nous parler de « programmation des apprentissages ». Mes jeunes collègues arrivaient à la rentrée avec de magnifiques tableaux qu'ils affichaient dans leurs classe où tout ce qu'elles feraient, même l'adoption du poisson rouge en avril et la sortie du mois de juin, était déjà inscrit... Un truc qui leur aurait valu une verte semonce des IEN des années précédentes, que ce soient les traditionnels des années 1881 à 1975 ou les tenants des méthodes naturelles qui leur avaient succédé devenait le must de l'innovation pédagogique, surtout si on pouvait arriver à y introduire un PC ou une tablette numérique !
    Sur les sites d'instits, c'est depuis une dizaine d'années la surenchère de projets qui auraient dû rester ponctuels et qui deviennent la base de l'enseignement de toute une année scolaire ! Quand les élèves arriveront à l'école pour leur année de CP, de PS ou de CM2, ils embarqueront pour un parcours déjà entièrement balisé, prêt dans ses moindres détails, évaluations comprises. Pas de remords pour l'échec éventuel de certains, l'arsenal de médicalisation de l'échec scolaire est compris dans l'emballage, on nous l'a dit en animation pédagogique : les garçons, surtout issus de la diversité, ont du mal à supporter l'école et les apprentissages ; il y a de plus en plus d'enfants porteurs de handicaps visuels, auditifs, praxiques, attentionnels, etc., il faut personnaliser les parcours et ne pas exiger la réussite ; quoi d'autre encore ?... Je ne sais plus.
    En tout cas, cela nécessite que les enseignants passent leurs vacances scolaires entières à préparer tout cela dans les moindres détails puis qu'ils adaptent leurs élèves au moule qu'ils ont prévu, parfois avant même de les avoir croisés dans un couloir, un réfectoire ou une cour de récréation. 
     

    Alors, vacances studieuses = vacances heureuses et année scolaire de rêve pour tous ?

    Non. J'en suis persuadée.

    D'abord parce que ces « grands projets », très ciblés le plus souvent, obligent forcément à des impasses énormes qui coupent les élèves de la richesse d'une année de classe variée, conçue jour après jour au gré des intérêts de chacun.
    Lire toute l'année des récits de voyage, passer son année scolaire à parler du recyclage des déchets, suivre la course autour du monde à la voile, ou tout autre projet de ce type prive les élèves de tant de découvertes insolites, de petits plaisirs impromptus quand ce n'est pas carrément de savoirs indispensables qui auraient été faciles à amener si nous-mêmes ne nous étions pas bloqué la porte de leur accès en ciblant de manière trop restrictive le champ de leurs investigations.
    Il arrive aussi hélas que certains de ces projets soient si peu exigeants qu'ils maintiennent les élèves bien en-deçà de leurs capacités réelles. Nos élèves ne liront que de courts albums illustrés, écriront sous la dictée pour apprendre à orthographier mais ils ne dépasseront jamais les 140 signes, espaces comprises, ils auront un « cahier du chercheur », un autre « d'expériences », feront des « joggings d'écriture » dans un « cahier de l'écrivain » et, au lieu de les emmener le plus loin possible, cela leur bloquera l'accès à des savoirs organisés en mathématiques, en sciences ou en écriture.

    Ensuite parce que, même si nous restons dans le même niveau, nous avons quitté en juin des élèves âgés de 10 mois de plus que ceux que nous allons recevoir début septembre ; de plus, ces élèves nous connaissaient et s'étaient habitués petit à petit à nos manies, nos tics de langage, notre façon d'amener les sujets alors que les nouveaux nous ont tout au plus rencontrés de temps en temps au détour d'un décloisonnement ; enfin, parce que ces élèves sont actuellement en vacances et que certains d'entre eux sont en train d'oublier tranquillement tout ce qui a été fait au cours du troisième trimestre de l'année scolaire qui vient de finir.
    Ces élèves ont droit à un sas de découverte, qu'ils aient 3, 4, 5 ou même 8, 9 ou 10 ans ! Ils ont droit d'arriver un peu perdus, ne sachant plus trop faire ceci ou cela. Ils ont droit de découvrir leurs camarades de classe, leur enseignant, leur nouvel univers sans avoir à grimper dans un train déjà en marche, dont toutes les étapes ont déjà été programmées.

    Et, le plus important sans doute, c'est qu'ils ont droit à ce que l'enseignant s'adapte à eux et aux savoirs qu'ils doivent acquérir plutôt que d'être obligés de s'adapter à un habillage prévu « hors-sol » sans tenir compte de la personnalité, des capacités et des connaissances du groupe d'enfants auquel ils appartiennent.

    Tout cela est bien dommage surtout qu'il est possible de mettre à profit ces vacances d'été pour réellement se préparer et s'améliorer.
    Pourquoi ne pas en profiter pour enrichir sa culture générale ?
    Nous pouvons lire, écouter et regarder des émissions littéraires, historiques, géographiques, scientifiques que nous n'avons pas eu le temps de voir pendant l'année.
    Nous pouvons visiter des musées, des monuments, des lieux, participer à des stages de découverte de la flore, de la faune, des techniques, aller au concert, au spectacle.
    Nous pouvons nous reposer et profiter de ce temps long pour cultiver notre forme physique.
    Tout cela nous sera utile au quotidien dans nos classes et nous permettra de pouvoir réagir très vite lorsque, de fil en aiguille, lors d'une discussion, un élève nous posera la question qui tue, celle à laquelle, l'an dernier à la même date, nous n'avions pas la réponse.

    Nous pouvons aussi, si nous sommes passionnés de pédagogie, lire et relire les grands anciens, ceux qu'on ne nous a jamais fait lire dans le texte à l'IUFM, à l'ESPÉ ou en animation pédagogique : Ferdinand Buisson et son Dictionnaire de la Pédagogie, Marie Pape-Carpantier, Pauline Kergomard, Célestin et Élise Freinet, Maria Montessori, Fernand Oury... Ceux qui ne sont poussiéreux qu'aux yeux de ceux qui ne les ont jamais lus ou mal, avec des lunettes déformantes, pour leur faire dire le contraire de ce qu'ils disaient.
    Nous serons étonnés par la clarté de leurs discours, le bon sens dont ils font preuve, la facilité de mise en œuvre de ce qu'ils proposent ainsi que la connaissance profonde qu'ils ont des enfants, dans leur grande diversité, connaissance toujours pleine d'espérance dans les possibles plutôt que dépréciative et limitative.
    Cela nous changera de la prose indigeste de certains modernes et fera très certainement de nous les innovants d'après-demain, lorsque la science aura mis réussi à mettre en équation le fait que l'être humain n'a rien d'un logiciel à programmer et que c'est la connaissance sensible des choses et des êtres, l'imagination créatrice et les échanges au quotidien qui lui offrent le plus de chances de découvrir, chercher à comprendre, apprendre et retenir.

    Bonnes vraies vacances à tous !

    Notes :

    1 Techniques Freinet légèrement abâtardies en mathématiques parce que j'avais peur de me lancer sans filet et que Ermel était un précurseur de ce qui allait se passer ensuite (voir Les Cycles, le Projet d'École). 

    2 Je suis beaucoup trop jeune pour avoir connu l'époque des manuels de lecture au CP. En 1975, quand j'ai débuté, un jeune instituteur se devait d'apprendre à lire à ses élèves en utilisant la Méthode Naturelle de C. Freinet. 

    3 J'ai très vite abandonné Ermel, surtout en CE et CM, parce qu'ils n'ont jamais sorti de fichier et qu'en rural, avec 5 niveaux, c'était bien joli mais un tantinet chronophage, leur truc !

    4 Avec un collègue, nous les avions surnommés les « nains dictateurs » tellement nous avions été choqués qu'on puisse considérer que l'origine sociale d'un enfant le rendait forcément susceptible d'échouer à l'école !

    5 Puisque désormais, même avec 20 ans d'ancienneté , nous étions considérés comme d'éternels mineurs de la pédagogie incapables de décider nous-mêmes de ce qui fonctionnait dans nos classes.

     


    12 commentaires
  • Freinet, canal historique.

    Suite à l'article précédent, sur le blog de Maîtresse Patate, de très nombreux collègues sont venus défendre leur vision actuelle des méthodes actives du début du siècle dernier ; celle élaborée par Célestin Freinet et ses camarades de l'Imprimerie à l’École, renommée plus tard Coopérative de l'Enseignement Laïc n'a pas échappé à la moulinette new age.
    Et le moins qu'on puisse dire, c'est que cette réactualisation décomplexée décoiffe votre servante, lectrice assidue de Célestin et Élise (bien sûr qu'elle a existé...) depuis ses 17 ans.

    J'y ai ainsi appris que Freinet, Montessori, c'est kif-kif...

    Si, si... Il y en deux qui ont dû faire des sauts de carpe dans leurs tombes... Juste une petite citation, extraite de la 5e réédition de L'École Moderne Française, GUIDE PRATIQUE pour l'organisation matérielle, technique et pédagogique de l'ÉCOLE POPULAIRE1 paru en 1957, aux Éditions Montmorillon, pour remettre les pendules à l'heure. Parlant des Réserves et Jardins d'enfants, qui lui semblaient la solution pour les petits de deux à quatre ans, il disait (p. 24) :

    C'est en somme une conception nouvelle, plus rationnelle, des Jardins d'enfants dont Mme Montessori avait lancé l'idée, mais qui, selon nous, étaient d'une conception trop faussement scientifique, trop formelle, qui ne répondait qu'à quelques-uns seulement des besoins fonctionnels des enfants auxquels ils étaient destinés.

    Un peu plus loin, à la page suivante, l'attaque est plus frontale :

    Là où le milieu ne permet pas les expériences tâtonnées que nécessite l'adaptation de l'enfance aux situations nouvelles, l'éducateur doit se livrer à une gymnastique pédagogique spéciale avec leçons, mimique, tous de passe-passe. Comme le charlatan qui ne veut certes pas laisser faire l'expérience du produit qu'il offre, et qui parle pour escamoter cette expérience2.

    Enfin, en conclusion de ce chapitre consacré aux plus jeunes, on lit :

    Ce que nous reprochons à ces jardins d'enfants c'est d'être des jardins d'acclimatation plus ou moins opulents qui ne manquent peut-être d'aucun des perfectionnements modernes, mais qui n'en sont pas moins des jardins d'acclimatation.
    De plus ces institutions font une part trop exclusive au jeu et négligent l'expérience tâtonnée qui est la première étape du travail. Elles sous-estiment aussi l'importance du milieu naturel si profondément aidant, avec ses animaux, ses plantes, ses travaux.

    Et, lorsqu'il évoque les années suivantes, ce qui se rapprocherait de nos classes de MS, GS et CP, après avoir reconnu que le pédagogue qu'il est doit beaucoup aux Montessori et Decroly mais aussi aux maîtresses dévouées qui ont fait leur renom aux écoles maternelles françaises3, Freinet explique, dès la première partie de son exposé (p 28) :

    Les méthodes les plus perfectionnées – celle de Mme Montessori par exemple – n'ont pas envisagé la vie de l'enfant dans sa complexité diverse, mais une éducation systématique qui limite le tâtonnement à un certain nombre d'activité bien définies, préparées et prévues à l'avance par l'éducateur. De ce fait l'École maternelle, même chez Mme Montessori, reste un coin de jardin d'acclimatation – un coin moderne, il est vrai –  où on a groupé sur l'espace réduit dont on disposait les objets indispensables à un minimum d'activité de l'enfant. L'adulte élimine d'autorité les possibilités de toutes les expériences préliminaires ; il supprime un certain nombre de marches ; il va à ce qu'il suppose être l'essentiel : boutonner et lacer pour savoir mieux s'habiller ; ajuster et comparer formes et couleurs pour aiguiser le sens de la vue et du toucher ; suivre des doigts des rainure rugueuses pour s'initier aux gestes primordiaux de l'écriture.
    Mais la réalité de la vie déborde à tout instant ce cadre formel toujours étriqué, comme pour nous rappeler qu'il est vain de vouloir l'asservir à nos méthodes, mais que ce sont celles-ci qui doivent s'enrichir et s'assouplir pour servir et épanouir la vie.
    On peut dire que Mme Montessori et les éducatrices françaises ont porté presque à sa perfection l'École maternelle section de jardin d'acclimatation. Nous devons faire un effort encore par-delà cette réalisation pour parvenir jusqu'à la conception d'une école maternelle de vie complexe et de travail.

    Alors oui, si la bienveillance est commune,  comme elle l'est dans toutes les pédagogies, il me semble,  si la mise en activité pratique, sensorielle, montre des similitudes, si le respect de l'enfant, de ses intérêts et de ses capacités est partagé par les deux grands pédagogues, comme par tous les autres pédagogues connus et reconnus, l'esprit en est profondément différent.

    D'un côté, nous avons une pédagogie qui se veut scientifique, basée sur l'observation et l'établissement de lois vitales et fondamentales qui gouvernent le développement psychique et intellectuel de l'enfant normal, visant à mettre en place une méthode et un matériel propres à stimuler ce développement, de l'autre un but clairement annoncé : le développement au maximum autonome de la personnalité de l'enfant au sein d'une communauté rationnelle qu'il sert et qui le sert, par le biais du tâtonnement expérimental.

    On est à mon avis chez Freinet beaucoup plus proche de Steiner que de Montessori. On est même plus proche de Kergomard qui n'imposait rien avant cinq ans et voulait que l'enfant bénéficie d'un milieu riche et aidant dans lequel il puiserait librement sans jamais prendre de leçons...

    Les défis, c'est « style Freinet », paraît-il.

    Là, je suis bien embêtée parce que la personne qui est venue affirmer cela n'est pas revenue pour expliquer ce qu'elle entendait par là... J'ai juste sa phrase, extraite de son message, toujours chez Maîtresse Patate :

    « Donc il faut toujours se questionner, lire et se documenter pour se perfectionner. Bref je suis très contente de ce que permet Montessori et je ne reviendrai pas à la méthode traditionnelle, mais je panache avec des défis style Freinet, et bientôt une classe connectée. »

    Je ne peux donc que relire et résumer Freinet à la recherche de ces fameux défis, lancés sans doute par les élèves eux-mêmes, afin de respecter la source du travail enfantin : le tâtonnement expérimental et la recherche autonome de réponses à des questions et intérêts personnels. Nous verrons donc ensemble où et quand apparaissent ces fameux défis dont j'avoue que je ne comprends pas à quoi ils correspondent exactement... Je vous promets que je vais essayer de faire au plus bref !

    RÉSERVES ET JARDINS D'ENFANTS : de deux à quatre ans.

    • l'éducation véritable se poursuit selon un principe général d'expérience tâtonnée qui prime sur toutes autres méthodes plus ou moins scientifiques.
    • les jeunes enfants ont donc besoin d'être dans un milieu riche et « aidant » qu'ils vont prospecter méthodiquement avant de tirer les premières conclusions de leurs expériences, se livrant ainsi à un premier aménagement de leur personnalité.

    → Réserves d'enfants aménagées dans un parc, un jardin public, un espace libre, le plus près possible des centres urbains intéressés. 

    Oui, oui, on sent l'homme de la campagne, pas très au fait de la réalité urbaine, j'en conviens... 

    → L'enfant, pas plus que l'animal sauvage, n'est fait pour vivre enfermé. Le milieu qui lui convient le mieux, c'est la nature :

    • Milieu naturel : bois est arbustes, rochers et grottes, petit lac avec plage de sable.
    • Milieu naturel cultivé : prés, céréales, arbres fruitiers, légumes, fleurs cultivés sous les yeux des enfants.
    • Animaux sauvages vivant en liberté (oiseaux, lapins, lièvres, poissons, ...)
    • Animaux d'élevages (vache, chèvre, âne, poules, pigeons, tourterelles)
    • Jardin des enfants avec outils appropriés pour remuer librement la terre.

    → Les locaux conçus dans le but de permettre l'expérience tâtonnée.

    • Logement des animaux domestiques.
    • Salle vivante avec plantes d'appartements, semis en pots, tourterelles, exposition de produits selon la saison
    • Salle d'expérience tâtonnée : caisse à sable, petit jeu d'eau et bassin, matériel d'éducation, cubes, disques, jouets, voiture, poupées, ménages4, etc.  
    • Salle de repos : tapis, sièges, table, organisation pour goûter chaud, lits.

    → Réserve prévue pour une cinquantaine d'enfants, sous la responsabilité d'un couple de travailleurs choisis pour leurs qualités pédagogiques et leurs capacités agricoles, aidés de jardinières d'enfants et d'infirmières.

    Freinet, homme de la campagne, avec les familles élargies d'alors, ne voit pas la nécessité d'une scolarisation des moins de quatre ans. Pas de « défis » lancés à ces tout-petits, sauf ceux qu'ils se lancent à eux-mêmes : caresser les lapins, monter une tour de cubes, participer à la fabrication du goûter chaud, suivre le couple d'agriculteurs dans le jardin et ramasser quelques radis, barboter dans le lac aux beaux jours, se reposer quand on est fatigué, faire la dînette aux poupées, se cacher derrière un rocher, ... Du Steiner, quoi, en gros, l'idéologie anthroposophe en moins...

    L'ÉCOLE MATERNELLE : de quatre à sept ans.

    • Vers quatre ans, l'enfant s'essaie à dominer le milieu. C'est la période de travail qui commence sous deux formes parallèles et complémentaires : le jeu-travail, substitut symbolique du travail-jeu, activité par laquelle l'individu satisfait ses grands besoins physiologiques et psychiques afin d'acquérir la puissance qui lui est indispensable pour accomplir sa destinée.
    • Pas plus qu'au stade précédent, nous ne faisons aucune place aux leçons sous quelque forme qu'elles se présentent, même attrayantes. Les locaux, le milieu, les matériaux, le matériel, les techniques et l'organisation générale de l'activité sont pensés en fonction de cette éducation du travail.

    → Locaux et dépendances :

    • Milieu « aidant » d'expériences tâtonnées d'une variété et d'une richesse à la mesure de la vie.
    • Local spacieux
    • Complété d'un milieu naturel avec jardins, eau, plantes et animaux

    → Matériel et technique à l'École Maternelle :

    • Milieu naturel : Cultures, élevages, constructions de murs, de barrières, de cabanes et de maisons, de canaux, de moulins à l'extérieur ; sable, graines, plantes et fleurs en pots, petits élevages à l'intérieur.
    • Activités mécaniques : outils (marteau, scie, chignole, ..., chariot, trottinette, bicyclette) dont l'enfant se sert en vue d'un but qu'il recherche. L'enfant, sorti de l'époque de l'usage pour l'usage, cherche à réaliser par le travail objets, instruments, jouets utiles à la communauté.

    → Activités intellectuelles : L'enfant entre en contact avec ses semblables, extériorise et formule ses besoins, développe et approfondit la conscience qu'il a des relations entre les éléments et leurs manifestations, domine progressivement la nature par :

    • le langage vivant en cours d'activité (soins aux animaux, jardinage, constructions, etc.) : langage spontané et sensible
    • le langage élaboré à l'aide de l'éducateur qui, avec la collaboration orale des élèves, concevra et écrira un texte au tableau, le reproduira sur le cahier de vie de la classe, exposé en classe au milieu des réussites matérielles des élèves
    • le dessin, création manuelle d'abord, expression ensuite ; lorsqu'il paraît le plus expressif à l'éducateur, il est mis à l'honneur de la reproduction

    Eh oui, bienveillant mais... pragmatique. Si l'on veut que l'enfant se dépasse et passe de la période d'aménagement à la période de travail, il faut qu'il connaisse les enjeux et que l'éducateur ne le leurre pas. Un dessin expressif – « et ce n'est pas toujours le plus parfait », souligne Freinet – est privilégié par l'adulte qui, tout en préservant la susceptibilité de chacun par un choix chaque jour différent, juge de la qualité du dessin des enfants. 

    • l'écriture : l'enfant qui grandit s'intéresse de plus en plus aux pattes de mouches produites par l'adulte. Il les reproduit sur ses dessins, découvre les mots, les lettres. L'intuition lui vient du procédé lui-même de l'expression écrite qui est basée sur la valeur phonétique des signes. Et, en partant de cette valeur des signes, il va enfin écrire à son tour, exprimer sa propre pensée.

    Tiens, je croyais que « faire du Freinet », c'était ne surtout pas s'intéresser à la valeur phonétique des signes ? L'écriture alphabétique, extrêmement compliquée, ne pourrait venir qu'après tout un long processus d'acculturation vers l'écrit, basée sur les supports, les inférences, la compréhension des marques grammaticales, et puis aussi la réduction de l'écart entre le langage parlé relâché et le langage écrit figé, les petites particularités orthographiques insurmontables, les poules du couvent couvent, tout ça, tout ça, tout ça...
    Notre Célestin qui ne croyait pas aux gourous était moins compliqué que ça, lui : le maître écrit tous les jours devant les minots de 4 à 5 ans, et un jour, entre 5 et 6 ans, les minots prennent possession de cette culture de l'écrit et s'emparent, à leur mesure, du « procédé d'expression écrite qui est basée sur la valeur phonétique des signes ». 
    Tout le reste n'est que littérature et viendra peu à peu, en son temps, jusqu'au passé simple à la première personne du pluriel et plus, si affinités !

    • Polycopie et imprimerie : pour communiquer sa pensée hors de l'atteinte de notre voix, par-delà les barrières de notre école. Amis de l'école, classes correspondantes.
    • Lecture : pour relire les écrits de la classe, pour comparer en permanence les mots écrits aux mots parlés, pour comprendre les mots dans les journaux reçus des correspondants, ceux découverts dans les livres et les journaux.

    → Activités artistiques : Les techniques artistiques, pour rester exclusivement instinctives et synthétiques, n'ont pas moins une éminente valeur formative ; elles sont des outils précieux pour la conquête de la puissance par la création et le travail.

    « Exclusivement instinctives et synthétiques »... Là, il faudrait convoquer Élise. La pauvre, elle aurait du boulot pour rappeler à tous et apprendre aux plus jeunes ce qu'elle entendait par Art Enfantin... Il n'y a pas que les défis pour défigurer des techniques qui se voulaient empreintes de liberté, de créativité et de confiance. Mais j'ai dit que je faisais au plus court ! Une autre fois, peut-être ?

    → On leur réservera une place importante

    • dessin
    • illustration de textes
    • peinture
    • gravure par découpage de carton ou de linoléum
    • modelage
    • chant
    • rythmique
    • théâtre
    • marionnettes

    → Fichier documentaire : chasse aux images, collées sur des fiches carton, classées par thèmes dans des classeurs dans lesquels on puis ensuite selon les nécessités du travail scolaire.

    → Plans de travail : Quand il y a une grande variété de tâches à accomplir, il est nécessaire de répartir ces tâches. L'éducateur Freinet ne se contentera plus de tout ordonner, heure après heure, de sa propre autorité. C'est en collaboration avec les enfants qu'il établira les plans de travail :

    • Plan de travail général pour la semaine : travaux obligatoires à heures fixes, sorties au jardin en fonction du temps, de la saison, de l'horaire général, préparation du texte journalier, tirage des imprimés, ...
    • Plans de travail individuels pour une semaine : l'enfant y inscrit les tâches qu'il veut et doit accomplir et dont il surveille lui-même l'exécution

    → Place des leçons : À l'École Maternelle, nous réduirions volontiers à néant tout enseignement plus ou moins didactique. La richesse et la portée éducative du matériel et des techniques que nous préconisons sont les plus sûrs garants des progrès.
    À sept ans, l'enfant saura normalement parler et s'exprimer, écrire et lire avec une richesse de vocabulaire plus intuitive peut-être que formelle, mais qui ne sera jamais au-dessous de la moyenne admise dans les écoles. Il alliera sûreté des gestes à la sûreté des jugements et des réactions ; il aura une idée fonctionnelle de ses obligations individuelles et de son rôle social ; il saura se plier à une discipline tout en conservant son allant et son originalité et son pouvoir d'opposition instinctive aux tendances qui lui paraissent nuisibles à cette harmonie.
    Cependant, on peut sans trop de dommages greffer certaines disciplines exigées par les programmes scolaires.

    • fichiers autocorrectifs d'écriture, de lecture ou de calcul

    Et voilà. C'est tout. Il me semblait bien que dans Freinet, canal historique, on ne parlait pas plus de « défis » lancés à je ne sais qui par je ne sais qui au sujet de je ne sais quoi... Pas plus qu'on n'y parle de brevets pour des pitchounets qui n'ont pas encore une seule dent définitive ! D'ailleurs, je ne sais pas si vous avez noté, mais il n'est pas question une seule fois d'évaluer ces petits bouts d'hommes et de femmes...

    Remarquez, si on relit Montessori, on ne retrouve pas non plus l'obligation d'avoir un service en porcelaine de Sèvres dans sa classe de TPS/PS/MS/GS ! Elle parle juste d'enfants qui se servent eux-mêmes à boire et apprennent à servir leurs petits camarades...

    Moralité :

    Si vous voulez vous lancer dans les pédagogies du début du XXe siècle, permettez-moi un bon conseil : allez plutôt vous servir à la source.
    Cela vous coûtera beaucoup moins cher que ce qu'on essaie de vous vendre, cela vous simplifiera grandement l'existence et vous redonnera confiance en vos capacités de pédagogues.
    Enfin, si j'ose me le permettre, pour une pédagogie du XXIe siècle, dépoussiérée de ses lavettes pour nettoyer le sol mais aussi de ses ânes et de ses champs de céréales, nichées au cœur des agglomérations urbaines que nous connaissons, je vous conseille Pour une maternelle du XXIe siècle, que j'ai écrit en m'inspirant des grands pédagogues du XXe et que Sophie Borgnet a illustré d'enfants de maintenant, dans des écoles d'aujourd'hui. 
    Vous pouvez vous le procurer auprès de son éditeur ou par mon intermédiaire, au prix public, sans les frais de port que je me fais un plaisir de vous offrir. Il suffit de me le demander en cliquant sur : Contact.

    Notes : 

    1 Eh oui, il était communiste, le monsieur ; un vieux truc d'autrefois, lutte des classes, dictature du prolétariat, « la religion, c'est l'opium du peuple », tout ça… Rien que ça, pour Maria Montessori, ça devait faire beaucoup ! 

    2 Souligné par moi.

    .3 Reconnaissant ainsi la grande valeur du travail de Pauline Kergomard, fondatrice de l'école maternelle en France.

    4 Dînettes, dans le patois de l'époque.

     


    15 commentaires
  • Fichez-moi la paix avec Montessori !
    Merci à Maîtresse Patate et à ses petits élèves pour cette image d'enfants libres d'agir.

    Un article décapant de la Maîtresse Patate qui est venue, a vu et fut vaincue mais par convaincue...
    Je ne peux que la suivre moi qui ai lu et relu La maison des enfants, ai cherché à m'en inspirer, ai passé des heures (et des paires de ciseaux) à découper des lettres rugueuses, à peindre des tasseaux de bois qui restaient dans les placards parce que mes élèves de 2 à 7 ans préféraient dessiner, peindre, jouer aux petites voitures, aux poupées, à la dînette, construire des trucs et des machins avec des choses et des bidules, modeler, chanter des chansons, regarder des livres, enfiler des perles, danser, escalader, courir, lancer des trucs qui roulent ou pas, se balancer, inventer des histoires et des jeux avec les copains et les copines et apprendre à écrire, à lire et à compter tous ensemble avec la maîtresse, pour l'immense majorité entre 5 et 7 ans, comme tout le monde...

    La folie Montessori, c'est excellent, je l'affirme sans réserves quoi qu'en pensent ceux qui raisonnent en noir et blanc, parce que cela remet au goût du jour et au cœur des apprentissages l'éducation sensorielle (ou « sensible », comme disait Pauline Kergomard), grande oubliée de ces vingt à trente dernières années. Or, c'est par celle-ci que l'enfant entre dans les apprentissages sociaux et dans les connaissances conceptuelles.
    La folie Montessori, c'est bien et je la défends parce que cela réintroduit la notion de jeu et de liberté de choix à l'école maternelle.Après des années d'évaluations trimestrielles, pires qu'au collège, il était temps de prendre en compte l'enfant dans la globalité de son développement.
    C'est moins bien et je suis d'accord avec Maîtresse Patate parce que cette liberté est très contrôlée et vraiment trop éloignée de la créativité.
    Et c'est vraiment moins bien quand le jeu ne sert qu'à apprendre à des enfants de 2 à 5 ans à situer des pays sur un globe, réciter des noms d'animaux, remplir et vider 10 fois un pot à eau dans un gobelet, sans jamais servir à boire à personne, ou qu'à évaluer « scientifiquement » le niveau de compétences d'Arthur, Bilal, Carmen, Donatienne, Élyas, Fatou, Gaétanne, Hicham, Isaïe, Judicaëlle, Karl, Léa, Meriem, Naël, Olympe, Pablo, Quentin, Rayan, Samuel, Tiago, Ussain, Valérian, Willy, Xénophon, Yseult et Zacharie.

    Je laisse la parole à Maîtresse Patate qui a déjà tout dit et n'a pas besoin de ma prose en complément.

    Fichez-moi la paix avec Montessori !

    Nota bene : Suite à des commentaires très désobligeants, Maîtresse Patate, qui n'exprimait que son sentiment, a préféré fermer temporairement l'accès à son blog. Je laisse pour le moment mon propre article accessible, en espérant que la raison revienne et que les personnes satisfaites du « Montessori d'aujourd'hui » laissent à nouveau s'exprimer leurs contradicteurs.


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  • Ils n'entendent pas les sons ! Merci à Boutdegomme pour son exemple de jeu de phonologie à usage des CP qui n'entendent pas les sons.

    Remarque récurrente de collègues qui se demandent s'ils peuvent, dès les premiers jours de classe, présenter des lettres à leurs élèves. S'ils ne les entendent pas, comment vont-ils pouvoir les retenir et les lire, se demandent-ils ? Et lorsque, contre toute attente, ils se rendent compte que, bon an mal an, certains de ces élèves apparemment totalement insensibles aux sonorités de la langue apprennent à lire, ils sont perplexes : comment peut-on lire ce qu'on n'entend pas ?
    Si vous le voulez bien, nous allons commencer par :

    un peu d'histoire.

    Autrefois, entre 1880 et 1950 dirons-nous, à part de très rares exceptions, les maîtres et maîtresses de CP employaient des méthodes de lecture synthétiques : ils présentaient à leur élèves des lettres, le plus souvent accompagnées de petites illustrations visant à donner à leurs élèves des « repères phonétiques ».
    La leçon de lecture commençait par l'observation de l'illustration dont le maître extrayait un élément.

    Dans ce livre1, par exemple, pour la première leçon, la lettre i est associée au dessin d'une bougie dont la forme est évocatrice de celle de la lettre. Nous avons pour ainsi dire l'ancêtre de la méthode des Alphas.

    Ils n'entendent pas les sons !

    Le livre du maître est inclus dans le manuel sous la forme de cinq courtes consignes : il propose de commencer par une séance de langage oral :

    - description de l'image par les élèves
    - recherche des inférences, toujours par les élèves : si la mère allume la bougie, c'est très certainement parce qu'il y a eu une coupure d'électricité
    - écoute active : la bougie... i... avec participation des élèves qui doivent répéter et prendre conscience de ce son [i] à la fin du mot bougie
    - chasse aux sons et enrichissement du lexique, toujours à l'oral : chercher et définir des mots contenant le son [i].

    Il continue par un moment interdisciplinaire où lecture, écriture et dessin se mêlent dans une frise alternant la lettre i en minuscule scripte avec des bougies. Puis on propose l'écriture, en cursive, de cette lettre i. Et, enfin, en arts visuels, la confection d'une bougie en pâte à modeler.
    Un programme « léger » et attrayant pour une première journée de cours préparatoire après deux mois et demi de vacances d'été ! Une transition toute en douceur avec l'école maternelle ou la classe enfantine, pour ceux qui y étaient allés précédemment.
    Ce programme s'étoffait peu à peu de lecture de syllabes et surtout de mots, dès que l'apprentissage d'une consonne permettait d'opérer des fusions phonémiques.
    Les enfants lisaient et écrivaient ces mots, très vite sous la dictée, sans apprentissage par cœur préalable, par synthèse des éléments connus. Dès que cela était possible, toujours par synthèse des éléments connus, on lisait et écrivait des phrases, sans doute pas souvent impérissables mais en tout cas signifiantes afin que les élèves comprennent, si toutefois ils ne l'avaient pas fait avant, « à quoi cela sert de lire ».

    Cependant, depuis les années 1920 à 1930 environ, sous l'impulsion d'Ovide Decroly ou de Célestin Freinet, un autre courant était né qui se développa surtout à partir des années 1950. C'est ce qu'on a appelé la méthode globale pour Decroly ou la méthode naturelle pour Freinet.
    En France, c'est surtout cette dernière qui a été employée, avec succès, dans les années 1960 à 1990. La méthode globale stricte, celle où l'on n'en vient jamais ou presque à l'utilisation des lettres et de la combinatoire, a été fort peu employée et n'a pas laissé de très bons souvenirs aux personnes qui y ont été soumises étant enfants. Les échecs étaient assez nombreux, surtout sur des enfants jeunes, et laissaient un fort sentiment d'insécurité qui persistait même après ce qu'on n'appelait pas encore « remédiation ».

    La méthode naturelle de Célestin Freinet partait quant à elle de courtes phrases que maître et élèves écrivaient ensemble quotidiennement en s'écoutant (c.à. d. en faisant de la phono) et en transcrivant toujours ensemble et au tableau, son à son et mot à mot, le compte-rendu d'une activité vécue en classe ou racontée par l'un des leurs. C'est ce qu'on peut appeler une méthode analytique puisqu'elle part d'un énoncé global qu'on analyse successivement en mots puis en sons et en lettres, passant de l'oral à l'écrit, pour revenir à l'oral à plusieurs reprises pendant la rédaction.
    Cette phrase était ensuite copiée sur un cahier et illustrée par une partie de la classe pendant que d'autres élèves la composaient, à nouveau lettre à lettre et son à son, au moyen de caractères d'imprimerie afin de la reproduire pour leurs cahiers de vie, ceux de leurs correspondants et, très souvent, pour le journal de la classe.
    Dès que les élèves commençaient à se repérer dans les sons qui composaient les mots, le maître leur proposait d'écrire eux-mêmes leurs propres textes, en  analysant oralement leur discours puis en synthétisant leurs acquis d'écriture-lecture. Les auteurs de textes les proposaient ensuite à leurs camarades pour le texte du jour et qui, après correction et remise en forme collective au tableau (à nouveau analyse et synthèse) ou individuelle avec l'aide du maître, étaient copiés et illustrés dans un cahier réservé à cet effet. Ils apprenaient donc à lire autant grâce à l'analyse du langage oral et écrit qu'ils pratiquaient quotidiennement que grâce à la synthèse des sons et des lettres à laquelle ils avaient recours lors de leurs rédactions collectives ou en autonomie.

    Ils n'entendent pas les sons !
    Merci à Coop'Icem pour ce témoignage

    Cette méthode qui permettait de raconter quelque chose dès le premier jour de classe a été copiée par les auteurs et éditeurs scolaires qui ont inventé des enfants fictifs, leur ont fait vivre des aventures d'enfants de six  ans2 et, pour rassurer les maîtres habitués aux méthodes synthétiques de naguère, continuaient à présenter une lettre par leçon dès la rentrée (ou presque, pour certaines à départ plus global) : les méthodes analytico-synthétiques étaient nées. Elles furent plus connues à leur époque sous le nom de méthodes mixtes mais ce terme ayant été totalement dévoyé ces toutes dernières années, je préfère ne pas l'employer.
    Peu à peu, les élèves apprenaient à repérer les sons à l'oreille pour les transcrire sous la dictée après avoir appris à les lire et les écrire sous forme de lettres isolées et cachés dans des mots.

    Ils n'entendent pas les sons !
    Daniel et Valérie, Houblain et Vincent, F. Nathan, 1964 - Leçon 2.

    Si l'on considère ces trois méthodes, on voit qu'à aucun moment, l'école n'attend que les élèves entendent tous les sons avant de les mettre à l'ouvrage.
    Que l'on fasse comme Freinet, qui écrit avec ses élèves en entraînant leur oreille à l'analyse du langage oral puis engage le travail de synthèse en présentant les 26 lettres de l'alphabet dans une casse d'imprimerie, ou comme les éditeurs de manuels qu'ils soient synthétiques ou analytico-synthétiques, jamais on n'attend que l'enfant ait de lui-même pris conscience que lorsqu'il dit qu'il s'appelle Paul-Alexandre, il prononce successivement [p], [ɔ], [l], [a], [l], [ɛ], [k], [s], [ã], [d], [r]...

    de l'API à la posture du lecteur expert

    C'est au tournant des années 1980 que sont apparus dans les classes de nouvelles méthodes analytico-synthétiques. Elles commençaient par une phase globale beaucoup plus longue, de six semaines environ, pendant laquelle les enfants ne procédaient qu'à la première analyse, celle de la phrase en mots.
    Ces mots, plus difficiles à écrire que les simples lettres des anciennes méthodes, même celles qui présentaient des mots dès le début, étaient souvent fournis sur des étiquettes que les élèves manipulaient pour les dictées d'un nouveau genre visant à les faire mémoriser, tous, plus ou moins comme des images3.

    Ils n'entendent pas les sons !
    Lecture en Fête, Méthode de lecture, 1983 - Première leçon

    Les premières semaines de classe étaient donc réservées à l'apprentissage de ce « corpus » de mots, en stimulation visuelle et auditive seulement, grâce à la lecture oralisée ; l'entrée sensorielle par le geste d'écriture était mise de côté et ne participait plus à cette imprégnation.
    Parallèlement à ces exercices de va-et-vient entre vue et parole, on conseillait des exercices uniquement oraux dans un premier temps de discrimination de phonèmes voisins grâce à « véritables exercices de phonologie », de situation d'un phonème dans des mots, d'épellation phonétique de mots courts, puis longs, ainsi que d'initiation à la syllabe orale au prétexte que ces tâches « sont suffisamment importantes et nouvelles pour qu'on en écarte, dans un premier temps, les transcriptions  graphiques[4] ».
    Au bout de quelques semaines (traditionnellement après les vacances de Toussaint, situées à l'époque après 6 semaines de classe), commençait l'étude des graphies grâce à des tableaux de sons présentant à l'analyse tous les mots du corpus actuel et toutes les graphies d'un même son, selon leur position dans le mot.

    Ils n'entendent pas les sons !
    Lecture en fête - 1ers tableaux de correspondance entre phonies et graphies 

    Ces tableaux étaient suivis d'une phase de synthèse permettant la lecture de mots nouveaux, combinaisons de graphèmes à partir de mots connus.
    Nous étions bien encore dans des méthodes analytico-synthétiques même si, déjà, pointait l'idée qu'on visait plus une discrimination visuelle globale et une familiarisation avec les structures de la langue qu'un entraînement à la synthèse.
    Enfin, lorsque, avec le recul, on lit la fin de la conclusion de la présentation de la méthode, on sent poindre la théorie de la posture de lecteur expert, seule propre à lecturiser les élèves, là où les méthodes anciennes se contentaient de les alphabétiser.

    Mais on ne peut pas perdre de vue que l'essentiel, en lecture, est bien de développer chez les enfants l'envie de lire des écrits porteurs de sens, l'envie de les comprendre et de les utiliser à des fins personnelles.
    LES AUTEURS. 

    Il ne restait plus qu'à passer à la dernière phase : celle où seule était avancée cette posture de lecteur. C'est la période du bain d'écrit. Les élèves utilisent l'écrit comme des grands, depuis les premières journées de CP. On les place devant des écrits de tous types (albums, notices, recettes, prospectus publicitaires, partitions, annuaires, ...) et ils font des hypothèses qu'ils confrontent à celles de leurs camarades. De ce conflit sociocognitif  jaillira le déclic qui donnera à chacun le statut de lecteur expert.
    La lettre étant considérée selon les promoteurs de cette méthode comme un danger propre à écarter durablement l'élève de la lecture, forcément silencieuse, nous n'irons pas plus loin dans les explications.
    En effet peu chalait aux instituteurs soudain bombardés professeurs des écoles que leurs élèves entendent les sons puisque la lecture oralisée était le diable et qu'il convenait de l'éviter à tout prix.

    retour des sons et des lettres

    Petit à petit, cependant, de 1995 à 2007, on changeait. Peut-être certains élèves avaient besoin d'un soutien oral ? Peut-être était-ce en raison de ce manque de repères phoniques que certains échouaient ? Peut-être convenait-il de former les élèves et de développer chez eux les compétences du lecteur expert avant de les précipiter dans le grand bain sans bouée ni brassards ni tuba ?

    Et comme on était en plein développement du concept de compétence, on a listé toutes celles qui faisaient qu'un individu était lecteur expert :

    - il aimait lire
    - il lisait vite, semblant reconnaître les mots instantanément, par voie directe
    - il comprenait ce qu'il lisait
    - il s'informait avec plaisir sur les nouveautés éditoriales, les auteurs vedettes et leurs productions
    - ses saccades oculaires étaient régulières et bien orientées
    - il discriminait facilement les sons proches
    - il discriminait facilement les graphies proches

    J'en oublie certainement mais, puisque j'ai cité la phono, tout va bien... Je sens que le lecteur se décourage devant mon nouveau pavé !

    Il convenait donc de traiter, dès le plus jeune âge, toutes ces compétences indépendamment de façon à pouvoir les évaluer sans risque d'influences trompeuses ! Ces évaluations répétées permettraient de mettre en place des remédiations, ce qui immanquablement résoudrait le problème récurrent de l'échec scolaire. La méthode intégrative était née (rebaptisée depuis peu méthode mixte, mais comme cela entretient la confusion avec les méthodes analytico-synthétiques présentées plus haut, je garde celui d'intégrative).
    Les élèves lisent dès le début des écrits vrais, comme dans la méthode par hypothèses, en tirant du sens de tout ce qui entoure le texte et, lors d'activités décloisonnées, ils intègrent des compétences. Quand ils les auront toutes intégrées, ils liront couramment, de manière fluide, en comprenant ce qu'ils lisent et sans jamais s'emmêler les pinceaux dans la jungle des graphies proches et des sons voisins.

    Parallèlement à cette voie officielle, un courant prônait le retour à la source des sources : la méthode synthétique. Elle n'est défendue par aucun IEN et aucune ESPE à ma connaissance. Nous n'en parlerons pas, d'autant que nous en avons longuement parlé plus haut.
    Un courant est en train de poindre, avec quelque succès, c'est celle d'un retour à la méthode analytico-synthétique. Il est représenté par des manuels tels Taoki, Bulle ou Écrire et Lire au CP. Nous en avons déjà parlé plus haut.
    Ces méthodes-là présentant conjointement lettres et sons qui sont le cœur de leur projet, les faisant étudier, écrire, lire, combiner, entendre, réutiliser jour après jour font en sorte que, rapidement, les élèves comprennent comment on traduit un son par une (ou plusieurs) lettre(s) et comment on produit du son en écrivant des lettres. Elles ne sont donc que très peu victimes de la pathologie qui nous préoccupe.

    des enfants qui n'entendent pas les sons ?

    Ceux-ci, en revanche, sont très souvent décrits par tous les utilisateurs de méthodes intégratives : ils  reconnaissent les mots, et les lettres si on leur en présente, ont compris le principe des hypothèses, écrivent les lettres et les syllabes qu'on leur dicte mais, devant un exercice de phonologie, ils restent secs, perdus !
    Ce qui est très ennuyeux parce qu'ils ne valident pas les compétences relatives à la discrimination auditive. Du coup, ils ne sont pas considérés comme des lecteurs experts.

    En début d'année, ils sont parfois si nombreux dans une même classe que leurs enseignants hésitent à leur proposer autre chose que des jeux de phonologie orale et qu'ils reculent le moment où ils introduiront les lettres, ce qui les oblige à ne travailler que le plaisir de lire, la fréquentation d'écrits sur lesquels on les entraîne à formuler des hypothèses, qui tournent vite en rond faute de matière...
    Tout le monde se décourage ; on va de remédiation en remédiation, de soutien en soutien, d'aide personnalisée en aide personnalisée. On médicalise un peu, beaucoup, passionnément. On sollicite un poste de maître surnuméraire. On cherche à rendre plaisant ce qui se transforme en corvée.

    et pourtant, ils entendent, ces enfants-là...

    Dites-leur pipi au lieu de papa, caca au lieu de kaki ou, si vous ne voulez pas être vulgaires, appelez Chloé, Cléo ou prononcez-le [ ʃ l o e ] et vous verrez s'ils n'entendent pas les sons ! Employez « pain » au lieu de « bain », « gomme » au lieu de « comme », et vous remarquerez qu'ils distinguent même très bien les sons proches. Jouez à individualiser vous-mêmes les sons en écrivant au tableau : « t...u  a(s)... v...u  l...e  ch..a(t) » ou «M...a...r...i(e)  c...r...i(e)  : M...i...mi ! M...i...m...i » et vous constaterez bientôt qu'ils arrivent tout aussi bien que vous à individualiser les sons du moment où ils comprennent à quoi vous voulez en venir.

    Ils ne sont donc pas sourds, ils sont justes complètement perplexes devant une activité vide de sens qui ne leur apporte plus rien depuis longtemps.
    Une petite anecdote, datant de ma tendre enfance :
    L'un de mes grands-pères avait pour langue maternelle l'allemand. Il avait donc une façon assez indistincte de prononcer les [k] et les [g], les [t] et les [d]. Son grand jeu, à chacun de nos anniversaires, était de nous demander : « Qu'est-ce que tu préfères : un bon [kato] ou un beau [kato] ? »
    Lorsque nous étions tout petits, à deux et trois ans, cela nous énervait, pépé disait n'importe quoi et on ne comprenait rien. Plus tard, à quatre et cinq ans, cela nous faisait hurler de rire et nous lui faisions répéter plusieurs fois "gâteau", "cadeau", essayant de l'aider à se corriger de ce handicap tellement drôle !

    Et puis, après, vers cinq ans et demi ou six ans, cette plaisanterie ne nous faisait plus rire. Elle nous ennuyait plutôt, comme celle des fraises et des c'rises ou celle des camarades et des caramels, qu'il affectionnait aussi tout particulièrement.

    L'âge où l'on est "toute ouïe" pour apprendre à parler et prononcer, c'est celui de la maternelle. Celui des comptines, des bouts rimés, des virelangues et autres ritournelles...Celui où on joue, à l'oral, avec les sonorités de la langue.

    Au CP, et même en GS, on attend plus et mieux, maintenant que le langage oral est à peu près maîtrisé. On veut de la correspondance phonie/graphie qui fait avancer. On veut des lettres qui se combinent entre elles pour créer des mots qui font sens !
    Le meilleur moyen de faire entendre les sons à un enfant, c'est de les lui faire lire et écrire, le plus vite possible de manière signifiante, c'est-à-dire au cœur d'un mot.
    Ils ne sont plus à l'âge des compétences isolées mais à celui où on prend le problème à bras le corps, dans toute sa complexité, parce qu'apprendre à lire et à écrire, ça ne se fait pas à l'aide de briques posées les unes auprès des autres, ça se construit avec du ciment qui relie les éléments et les soude entre eux de manière indissociable.

    osez innover et vous verrez !

    En GS, je vous conseille l'excellent De l'écoute des sons à la lecture qui emmène justement les enfants de cinq ans de leur envie d'écoute et de discrimination des sons, grâce à des instruments de musique et des comptines, à la connaissance conjointe des lettres, de leur graphie et de leur son pour déboucher en fin d'année sur la lecture intelligente de petits textes entièrement décodables.
    Il se complète agréablement par les petits personnages de la Planète des Alphas qui apporte un côté affectif aux lettres, propre à attirer tous les élèves même les moins scolaires.

    Au CP, si certains de vos élèves n'arrivent pas à décoller malgré vos bonnes résolutions, n'hésitez pas à commander ou vous faire offrir cet ouvrage et profitez des séances de musique pour apprendre petit à petit à vos élèves à être toute ouïe. Apprenez vous-mêmes les gestes Borel-Maisonny et utilisez-les systématiquement lorsque vous faites déchiffrer des syllabes et des mots aux enfants ou que vous leur en dictez.
    Choisissez une méthode de lecture analytico-synthétique de préférence (Bulle, Écrire et Lire au CP, Taoki) car elle associe déchiffrage et compréhension dès le premier jour de classe, ou à la rigueur synthétique[5], sachant que vous devrez alors faire très attention à ce que vos élèves comprennent bien que le but est de comprendre ce qu'on lit et ce qu'on écrit et non pas seulement de faire du bruit avec sa bouche.

    Dans ces cas-là, il se pourra que vos élèves, les premiers jours, n'entendent pas encore très bien les sons et qu'ils aient du mal à les individualiser mais, grâce à un entraînement conjoint de leurs sens (vue, ouïe, toucher), vous verrez que ce trouble étonnant disparaîtra comme s'il n'avait jamais été constaté[6].

    Sur l'apprentissage conjoint de l'écoute, de l'écriture et de la lecture de 5 à 7 ans, consulter aussi :

     Apprendre à lire, c'est vraiment simple (2) 

     Apprendre à lire, c'est vraiment simple (3) !

     Apprendre à lire, c'est vraiment simple (4) !

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (5) !

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (6)

    Notes :

    1 En regardant les images, Aumont, Lehéricy, Aumont, Magnard, 1949.

    2 Nous citerons les plus connues : Rémi et Colette (Magnard), Daniel et Valérie (Nathan), Poucet et son ami l'écureuil (Rossignol) mais il y en a bien d'autres.

    3 Mais pas vraiment. C'est assez difficile à expliquer et tout le monde s'y perd à le tenter. Les enfants ont par exemple, un stock de 8 étiquettes portant chacune un mot différent qu'ils connaissent (voir exemple) : C'est – Pierre – Magali – Olivier – l'école – A – j'ai – joué – avec. Ils ne savent pas les déchiffrer mais savent qu'il n'y a que ceux-là. Ils vont donc prendre des repères du type : « C'est », c'est celui qui commence par une grande corne et n'est pas très long, « Magali », c'est celui qui a une montagne au début et un point à la fin, etc.

    [4]  Lecture en fête, Bonnevie, De Coster, Luini, Vian, Hachette, 1983, Présentation de la méthode.

    [5]  La meilleure est sans contestation possible Bien Lire et Aimer Lire, de C. Silvestre de Sacy, chez ESF. Elle est un peu chère mais vraiment parfaite. Prendre les tomes 1 et 3, de manière à avoir des exercices écrits où la phonologie débouche sur de l’écriture et de la lecture.

    [6]  En 40 années de CP, je n’ai jamais vu ce trouble perdurer au-delà des deux à trois premières semaines de classe. Pour des élèves vraiment réfractaires, pensez à utiliser les Alphas. Un pense-bête associant chaque personnage à l’écriture cursive a miraculeusement aidé un élève très intelligent mais complètement réfractaire à cette histoire de sons qu’on entendrait là où lui n’entendait que du sens et n’arrivait pas à s’en extraire.

     


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  • Enseigner les stratégies pour...

    Allez, à votre avis, pour quoi ?... Sachant qu'il ne s'agit pas de l'ESPE, ni de l'École Militaire, ni de Sciences Po, mais bien de l'école primaire, parfois même dans sa catégorie « moins de six ans ».

    Alors, hein, quelles stratégies pour quelles compétences ?
    - Pour mémoriser facilement et intelligemment la table de 7 ?... Nan, perdu !
    - Pour tracer de jolies boucles juste en remuant souplement trois doigts, le crayon délicatement posé dans « le hamac » constitué par la peau qui relie la base du pouce à la base de l'index et le poignet glissant légèrement sur la feuille de papier posée parallèlement à l'axe du bras ?... Nan, trop fass ! Trivial, ce truc !
    - Pour ne plus se perdre dans la jungle des terminaisons verbales grâce à l'analyse grammaticale des verbes que l'on souhaite employer ?... Oh ben non alors, ça, c'est pas innovant 

    Alors ?... Vous donnez votre langue au chat ?... Bon, je vous dis tout. 
    On peut, au choix, enseigner les stratégies pour comprendre les textes, en moyenne section de maternelle, ou celles pour comprendre les énoncés et les consignes. Mais je suis sûre qu'en cherchant bien, on en trouverait d'autres. 

    Avec les élèves ? Pffff ! Encore une fois, les faire descendre de vélo, s'asseoir calmement à leur place et les contraindre à se regarder quand ils pédalent, dialoguer autour du pédalage, décomposer l'action de pédaler de manière sûre et efficace en dizaines de sous-sous-sous-connaissances-compétences-capacités toutes plus ennuyeuses les unes que les autres ?
    La pédale droite, sa vie, son œuvre - la pédale gauche nous divulgue tous ses secrets - le pédalier, un inconnu qui nous veut du bien - roue avant, roue arrière, laquelle pousse l'autre ? - la chaîne, pourquoi nous la cache-t-on ? - le pied, l'articulation de la cheville, le genou, la hanche - le système nerveux central, son rôle dans la transmission des informations aux articulations de la hanche, du genou, de la cheville et du pied - tenir le guidon, rôle du guidon dans le pédalage - les pneus, des gadgets caoutchoutés ?
    Quelle tristesse !

    Mais abrégeons ! Après trente années de bain d'écrit où les maîtresses, sur ordre de leurs formateurs, supérieurs hiérarchiques et autres penseurs en sciences de l'éducation, lisaient imperturbablement des albums de littérature de jeunesse entiers aux élèves sans en expliquer un mot, une virgule, une action, pour ne pas déflorer la relation particulière qui se créait entre l'auteur et l'enfant... [ « Killian, lâche ça ! ... Tom, arrête de tirer les cheveux de Maïa !... Oui, Louis-Thaddée... très bien, Sixtine-Marie... bravo, Hippolyte... » ]... Excusez-moi... Donc, après ces trente années, nous voici revenus à... l'âge de pierre de la pédagogie.
    Celui où l'on pensait qu'avant d'apprendre à lire dans des livres, il fallait successivement :
    1) apprendre les 26 lettres de l'alphabet,
    2) apprendre toutes les combinaisons possibles de deux de ces lettres,
    3) apprendre toutes combinaisons possibles de trois de ces lettres, puis de quatre, puis de cinq, ...
    4) apprendre à lire des mots
    5) apprendre à lire des phrases
    6) et enfin... si l'enfant n'avait pas craqué avant et qu'on ne l'avait pas déclaré inapte à l'effort intellectuel... lire des textes !
    [Pour l'écriture, c'était une autre compétence. Indépendante. D'où l'orthographe délirante de certains apprenants-scripteurs de l'époque.]

    Eh bien nous y revoilà, ou presque. Mme Pauline Kergomard et sa petite phrase sont sans doute passées inaperçues :

    Le but à atteindre, en tenant compte des diversités de tempérament, de la précocité des uns, de la lenteur des autres, ce n'est pas de les faire tous parvenir à tel ou tel degré de savoir en lecture, en écriture, en calcul, c'est qu'ils sachent bien le peu qu'ils sauront, c'est qu'ils aiment leurs tâches, leurs jeux, leurs leçons de toute sorte, c'est surtout qu'ils n'aient pas pris en dégoût ces premiers exercices scolaires qui seraient si vite rebutants, si la patience, l'enjouement, l'affection ingénieuse de la maîtresse ne trouvaient le moyen de les varier, des les égayer, d'en tirer ou d'y attacher quelque plaisir pour l'enfant. [Programmes de l'École Maternelle - Journal Officiel du 2 Aout 1882]

    Ce qui fait qu'on conçoit des progressions ciblées où l'on fera étudier aux élèves, à part, l'une après l'autre, « la détection d'inconsistances (lexicales et situationnelles), l'interprétation des connecteurs, des anaphores et des relations causales, la déduction, la construction des modèles de situation et les structures d'histoires »... À quatre ans et demi... Snif...

    Ou bien, on se rend enfin compte que les élèves ne comprennent pas les énoncés et les consignes !
    Tu m'étonnes. Au rythme d'une séance de résolution de problèmes toutes les huit séances de mathématiques, il ne fallait pas s'attendre à mieux. Surtout quand on sait comment sont organisées ces séances, encore une fois compétence-capacité par compétence-capacité : lire un problème, le reformuler - relever les mots-clés - repérer la question - trouver les inconnues - trouver les données - trouver les données manquantes - trouver les données inutiles - ...
    À vous dégoûter d'être curieux. Surtout que, bien entendu, la résolution empirique, sans avoir les outils et les connaissances nécessaires pour, est favorisée au nom de l'esprit d'entreprise et du refus de donner des recettes éprouvées.

    Et la solution à tout cela ? Certainement pas la progression pas à pas, incluant le problème de découverte, l'entraînement ciblé à l'utilisation d'une technique, d'une procédure, l'intégration de cette nouveauté à un système déjà en place grâce à d'autres problèmes, tous les jours, pour chaque nouvelle notion. Trop classique ! Pas assez innovant.
    Non, non, des activités cloisonnées pour étudier un à un : « utile, pas utile, manquant - les mots importants d'un énoncé - les bonnes questions à se poser - la reformulation des consignes » ... mais j'arrête parce que j'ai l'impression de me répéter, là... C'est reparti pour trente ans, alors ?...

    Quand remettra-t-on donc un peu de liant dans la formation des enseignants pour qu'ils puissent donner à leurs élèves une impression de globalité ? Quand leur enseignera-t-on tout cela à eux et seulement à eux de façon à ce que, dès la TPS et jusqu'au CM2, ils sachent, avec patience, enjouement, affection ingénieuse, tout en leur lisant des histoires, en leur en faisant lire, en les entraînant à compter, calculer, observer, tracer, mesurer, leur faire découvrir les mille facettes de la compréhension d'un texte, d'une consigne, d'un problème, simplement en vivant avec eux, au quotidien, sans émietter et  éparpiller les composantes ?

    Quand laissera-t-on les enfants apprécier Michka, Le Vaillant Petit Tailleur, Le Roman de Renart, Amadou le Bouquillon, Tistou les Pouces Verts ou La Gloire de mon Père sans leur demander s'ils ont d'abord appris à interpréter les relations causales, les anaphores et les connecteurs ? Quand permettra-t-on au petit enfant de nous guider dans sa connaissance du nombre et son envie de calculer au lieu de croire qu'il faut la déconnecter du concret, du sensible qui est son quotidien, sa façon d'appréhender les choses ?

    Alors, les enfants, tous, ou presque, apprendront sans s'en rendre compte à trier les données pertinentes ou détecter les inconsistances lexicales si, chaque jour et à chaque moment, leurs enseignants gardent à l'esprit que ce que le matériau qu'ils leur offrent doit solliciter leur intelligence, leur réflexion et les aider à maîtriser des techniques au service d'une compréhension de plus en plus fine et d'une résolution de plus en plus pointue des problèmes qui se présentent à eux.

    Les « stratégies pour ... », c'est aux enseignants qu'il faut les faire connaître, pas aux élèves qui, eux, sont sur leurs bicyclettes et pédalent de plus en plus vite, sur des chemins de plus en plus difficiles, avec le talent, la motivation et la persévérance que l'école leur aura transmis quand elle aura remis les contenus au cœur de sa pédagogie.

     


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