• Apprendre à conjuguer, de deux à onze ans (2)

    II. À l'école maternelle : de la TPS à la GS.

    B. L'écoute active

    Si, à l'école maternelle, nos élèves apprennent avant tout à s'exprimer à l'oral, ils n'en sont pas moins déjà en train de se préparer à comprendre l'écrit pour pouvoir le lire et s'y exprimer à leur tour. Cet écrit qu'ils ne peuvent ni lire ni écrire les confrontera à des verbes et des temps que l'oral n'emploie pas au quotidien. Certaines formes se fixeront dans leurs mémoires, ils en déduiront quelques règles intuitives, sans doute encore peu performantes1 mais qui constitueront une base sur laquelle l'école élémentaire pourra s'appuyer lorsqu'elle les rendra explicites pour en garantir la maîtrise.

    Les enfants de l'école maternelle auront donc à avancer dans la maîtrise sensorielle de leur ouïe, de manière à devenir capables d'écouter attentivement les comptines, les chants, les poèmes, les récits et les contes que leur transmettront leurs enseignants, en essayant spontanément d'en comprendre le sens. Cette compréhension se manifestera par les questions qu'ils poseront, les réflexions qu'ils feront, les restitutions qu'ils en donneront.

    Le rôle de l'enseignant est simple :

    - apprendre progressivement aux élèves à écouter avec attention ces « paroles venues d'ailleurs »,

    - constituer un vaste répertoire de comptines, chants, poèmes, albums, contes et récits qui leur feront découvrir, comprendre, mémoriser et souvent même employer toutes sortes de verbes, modes et temps, au quotidien,

    - veiller à ce que ce répertoire emploie des formes verbales correctes, des pronoms personnels variés, des phrases bien tournées, un vocabulaire large et choisi.

    B. 1. En TPS et PS

    • Sachant que ses élèves ont encore peu d'attention auditive, il aura soin de s'appuyer sur un support visuel et kinesthésique : les comptines, chants, poèmes seront mimés, accompagnés de gestes ou de jeux de doigts2 ; les contes et les récits seront lus, images à l'appui ou joués par des marionnettes ou les enfants eux-mêmes. 
    • Il évitera toutes les pertes d'attention dues à des œuvres trop éloignées de leur compréhension3, trop longues, mal adaptées à leurs intérêts du moment ou provoquant l'ennui car surexploitées pendant plusieurs semaines.
    • Quotidiennement il usera et abusera des comptines toutes simples, des chants les plus courts du répertoire traditionnel, surtout avec les plus jeunes. L'aide incontestable que donne le rythme de ces œuvres musicales permettra aux élèves de répéter sans se tromper des formes verbales aux temps et modes variés4. Les gestes et jeux mimés qui accompagneront ces chants aideront les élèves à mémoriser le sens des verbes qu'ils apprennent : ils berceront, frapperont, glisseront, trotteront, galoperont, éviteront, craindront, picoreront, consoleront, tapoteront, …, et, tout en prononçant ces verbes, ils en intégreront le sens.
    • Avec les plus âgés, dès la fin de la PS, mais surtout en MS, l'enseignant ajoutera les premiers poèmes, toujours choisis pour leur facilité de compréhension, leur rythme régulier, l'intérêt du sujet qu'ils évoquent, la correction de leur langue5.
    • En commençant par les raconter, à bâtons rompus, aidé ou non par des illustrations, il aidera ses élèves à entrer dans une langue difficile, éloignée de celle qu'ils rencontrent tous les jours. Ce n'est que lorsque l'histoire qu'ils racontent sera comprise qu'il en dévoilera les vers, proposition par proposition, sans omettre une explication de vocabulaire ou de sens général. Une fois ce travail de compréhension fait, il pourra lire le poème entier avant de le faire répéter et apprendre aux enfants.
    • Cette façon de conter, aidé ou non par des illustrations, permettra au maître de faire entrer tous ses élèves dans le monde des contes, des histoires et des récits. Il pourra s'aider d'albums sans textes de très grand format, tels ceux des Oralbums, dont ses élèves observeront et commenteront les images à leur niveau.
    • Il pourra tout aussi se contenter d'images plus petites des albums pour enfants ou se servir de projections ou dessins personnels illustrant les scènes successives des histoires qu'il souhaite leur lire.
    • En revanche, quel que soit le média visuel utilisé, si, comme dans toutes les activités de langage, il laisse les élèves parler la langue qu'ils maîtrisent, il félicitera toute expression appropriée et ne manquera jamais de reformuler les tournures encore maladroites, les formes verbales erronées, les pronoms mal employés.
    • Après ce dialogue6 et ces reformulations, lorsque le sens général de l'image aura été compris de tous, succédera la lecture de l'extrait correspondant à l'image observée. Cette lecture sera fidèle au texte qui, nous le rappelons, aura été choisi avec soin pour la qualité de la langue employée.
    • En effet, si pendant la préparation à l'écoute active menée en amont (aide visuelle, observation des illustrations, dialogues et reformulations), l'enseignant devra tolérer une langue encore hésitante, il n'emploiera jamais lui-même ces approximations enfantines, ces tournures mal bâties, ces erreurs de construction du français7. S'il choisit encore souvent des contes traditionnels dans des versions adaptées à la petite enfance, il veille à ce que la langue que celles-ci emploient soit irréprochable.
    • Ainsi, dès la TPS et la PS, les enfants n'emmagasineront que des formes verbales exactes et découvriront les plus rares d'entre elles à leur rythme d'enfants.

    B. 2. En MS et en GS

    • Cette écoute active, après observation, commentaires, discussions sera bien entendu poursuivie en MS et GS.
    • Comme chez les plus jeunes, l'enseignant s'efforcera de susciter l'intérêt et de le maintenir en choisissant les œuvres en fonction de ses élèves, en les faisant découvrir de manière enlevée et plaisante, sans jamais les ennuyer par des périodes trop longues, des séances d'écoute interminables8, sans pause ni explication ni autres stimuli que la parole de l'enseignant, des textes sans intérêt ou mal préparés en amont9.
    • Les comptines et jeux de doigts seront de moins en moins employées pour l'acquisition de formes verbales, l'enseignant les remplacera par des chants à plusieurs couplets, des poèmes de toutes sortes10 afin de faire employer, aidé par la mélodie qui soutient la mémoire, de plus en plus de verbes, conjugués à tous temps et tous modes.
    • De même, bien préparés en amont, les contes et récits s'allongeront ; ils commenceront à être lus, pour certains, dans leur version intégrale, et il n'est aucun verbe, aucun temps ou mode qui se verra rejeté parce que « trop dur » pour un jeune enfant11.
    • Encouragés par ces lectures, ces chants, ces poèmes, les élèves s'essaieront sans doute à leur tour à employer le passé simple. Les verbes du 1er groupe étant beaucoup plus courants que ceux des deux autres, ce sont les terminaisons des premiers qu'ils appliqueront intuitivement à tous. Dans sa reformulation, le maître remplacera la forme erronée par celle qui convient.
    • Il pourra déjà commencer à expliquer, brièvement, qu'en passant par l'infinitif du verbe, que les élèves trouvent spontanément si on les y prépare, on peut savoir si cette terminaison en -as, -a ou -èrent convient au verbe qu'on souhaite employer.
    • Ce travail, pratiqué sans épée de Damoclès au-dessus de la tête, toujours informel, jamais évalué, passionnera certains élèves avides de règles générales, d'organisation, de structures solides sur lesquelles ils peuvent s'appuyer. Il complétera celui engagé, souvent par les mêmes élèves, lors des séances de langage quotidien. L'enseignant s'appliquera à détecter le moment où les enfants le réclament parce qu'ils en ont besoin très vite pour être plus performants dans leurs productions personnelles et s'emploiera à répondre à leurs demandes.
    • Car, comprenant que c'est ainsi qu'on écrit, les élèves chercheront à s'emparer de ce vocabulaire supplémentaire, cette richesse de la conjugaison qui, d'une simple terminaison, dit qui et quand12, et ils l'utiliseront à leur fin personnelle dans les mêmes conditions : l'écrit dicté ou composé lettre à lettre pour les plus âgés d'entre eux.

    Déjà publié :

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (1)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (3)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (4)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (5)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (6)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (7)

    Notes :

    1 Ils faisèrent, il disa, tu combattas le dragon, il faut que tu prendes, … autant de signes que nos tout-petits sont déjà en train d'apprendre à conjuguer au passé simple et au présent du subjonctif et que, si le travail est maintenu, ils en arriveront à la maîtrise orale et écrite avant d'entrer au collège.

    2 Certains collègues utilisent les gestes du Langage des Signes Français, ce qui doit être excellent pour la compréhension du sens des verbes nouveaux que les enfants découvrent ainsi que pour leur mémorisation.

    3 Chants, comptines et poèmes courts aux mélodies simples et rythmés ; textes décryptés en amont grâce à l'observation commentée des images (voir La parole au quotidien)

    4 Par exemple dans La Souris Verte, nous sommes confrontés à six verbes, trois temps de l'indicatif (imparfait, présent, futur) et un temps de l'impératif (présent), deux personnes du singulier, deux du pluriel, dont une dite « de politesse » ; dans Frère Jacques, nous utilisons la forme interrogative puis la forme impérative ; dans le premier couplet d'Au Clair de la Lune, nous retrouvons à nouveau l'impératif présent, le présent de l'indicatif dont un à la forme négative…

    5 Voir la très jolie scène de Ça commence aujourd'hui, de B. Tavernier, où Philippe Torreton, instituteur de maternelle dans une école maternelle de ZEP, apprend à ses tout jeunes élèves le poème Conversation, de J. Tardieu.

    6 Toujours inspiré dans sa forme des travaux de Pierre Péroz, cités plus haut : http://www.cndp.fr/crdp-reims/ressources/conferences/peroz/peroz.htm

    8 Trois à cinq minutes de lecture magistrale, en MS et même début de GS, c'est interminable. Il n'y a qu'en toute fin d'année scolaire que les élèves de cinq à six ans, déjà habitués à rester vigilants, actifs pendant une écoute immobile arrivent à soutenir leur attention aussi longtemps.

    9 Pour qu'un auditeur s'intéresse, il faudrait qu'il ait déjà en tête 80 % des informations qu'il écoute.

    10 Voir l'exploitation d'une fable de La Fontaine en Grande Section dans Une semaine en GS (5) et Une semaine en GS (6)

    11 Aidé par le sens général, l'enfant comprend parfaitement : « Cependant, il ne se découragea pas et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habituât à demeurer chez lui. »

    12 … et même où !


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  • Apprendre à conjuguer, de deux à onze ans (1)
    Merci à Sophie Borgnet pour son facilitateur visuel de compréhension !

    I. Introduction

    L'École Primaire accueille des enfants âgés de deux à trois ans sachant parfois à peine bredouiller quelques mots ; elle les envoie, quelques huit à neuf années plus tard, sur les bancs du collège.

    Nous avons vu récemment que, jusqu'aux années 1990 environ, ces presque collégiens employaient correctement1 tant à l'oral qu'à l'écrit de très nombreuses2 formes verbales, apprises sur les bancs de l'école. La question se pose alors : comment faisait cette école pour accomplir cet exploit renouvelé année après année, en tout point du territoire, pour l'immense majorité des individus qui l'avaient fréquentée, quelle que soit leur origine ?

    C'est à la fois très simple et très complexe. Simple à comprendre et à mettre en œuvre car les activités, exercices, leçons et traces écrites sont basiques ; plus complexe à saisir et à appliquer au quotidien, car il s'agit d'un changement d'attitude de l'adulte, d'une façon différente de comprendre à la fois son rôle et le rôle de l'École.

    D'abord, il faut comprendre que rien ne pousse sur un terrain qui n'aurait pas été préparé au préalable. C'est donc longtemps avant les premières leçons à apprendre que commence notre travail d'enseignant. Et comme rien ne pousse du jour au lendemain, sans soins ni alimentation, ce n'est que par des efforts quotidiens des enseignants, venus là dans le but d'apprendre à leurs élèves à s'exprimer par oral d'abord mais aussi par écrit, que la conjugaison vient aux enfants.

    Ensuite, il faut savoir que ce n'est pas en pesant l'oie tous les jours qu'on la fera grossir plus vite. Rien ne sert d'évaluer si nous n'avons pas enseigné3 avant.

    Enfin, ce n'est pas en réduisant chaque jour de moitié la portion d'eau et d'avoine de son âne que l'ânier du conte a réussi à terme une excellente opération économique. Nous devons croire en l'enfance et en ses immenses capacités cognitives et mnésiques et lui donner à apprendre en suffisance si nous voulons qu'un jour il nous rende au centuple ce que nous lui avons donné.

    La mission de l'École est de donner à tous les enfants que la société lui confie tout ce qui plus tard, au collège d'abord, mais dans la vie ensuite, pourra leur être d'une quelconque utilité. La compréhension fine d'un discours entendu ou d'un texte lu en fait partie, comme la capacité à s'exprimer clairement dans une langue correcte tant à l'oral qu'à l'écrit, orthographe comprise, bien entendu. Cela sous-entend donc, pour l'enseignement qui nous occupe, que l'École ne peut pas se dispenser d'enseigner tel temps, tel mode, tel verbe sous prétexte qu'il est peu utilisé, inutile à ce stade de la scolarité ou en décrétant que son usage est tombé en désuétude. Tout au plus peut-elle, dans la tranche d'âge qui nous préoccupe, se contenter de n'avoir atteint que le degré le plus bas dans la connaissance de certains temps peu employés dans la littérature destinée aux jeunes lecteurs4.

    Une fois ces métamorphoses accomplies, tout enseignant de Primaire sera prêt à mener à bien l'apprentissage efficace de la conjugaison dans la classe qu'il se verra confier, de la TPS au CM2.

    II. À l'école maternelle : de la TPS à la GS.

    L'enfant de deux ou trois ans qui arrive à l'école maternelle a le plus souvent un vocabulaire encore très limité, il comprend peu de choses, en dit encore moins, n'a pas encore vraiment d'appréciation du temps et ne soutient son attention auditive que dans des circonstances très particulières5 et pour des laps de temps très brefs.

    Lorsqu'il sortira de Grande Section, il devra comprendre une langue riche, choisie, apprécier des variations de sens fines6, employer lui-même à l'oral des formes verbales correctes, conjuguées aux temps et modes qui conviennent, de façon à se faire comprendre de tous, situer les événements dans le temps et les uns par rapport aux autres, être attentif aux régularités sonores et commencer à savoir en parler.

    Passer, en trois ou quatre années scolaires, de « Moi fort, arriv' couper, arriv', arriv' ! »7 à un enfant qui dialogue avec ses pairs, écoute en la comprenant une fable du répertoire classique, commence à utiliser sans se tromper la première personne du pluriel, le conditionnel présent et, sans trop d'erreurs, des participes passés de verbes du troisième groupe et des passés simples8, cela tient du miracle !

    Ce miracle est relativement facile à obtenir si les enseignants des classes successives gardent présents à l'esprit quelques règles simples, quelques exercices faciles à mettre en œuvre, quelques activités collectives à programmer régulièrement et s'ils ne se laissent pas envahir par le doute d'une programmation à très long terme, sans progression définie qui se déroulerait d'activité en activité, sans possibilité d'évaluation normative à dates fixes, sans autres garde-fous que la confiance en l'enfance, l'assurance de voir forcément ses élèves se développer dans tous les domaines, langage oral compris, si les occasions qu'on leur donne sont basées à partir de leurs intérêts et capacités, quotidiennement.

    A. La parole au quotidien

    L'enfant vient à l'école maternelle pour améliorer son langage, tant au point du vue du vocabulaire que de la syntaxe. En trois à quatre ans, dans le domaine de la conjugaison, il va donc devoir apprendre des centaines de verbes nouveaux dont il mémorisera le sens et les formes variées, au moins au présent, au futur, au passé composé et au présent de l'impératif mais aussi sans doute, avec plus ou moins de bonheur à l'imparfait, au passé simple, au futur antérieur, au plus-que-parfait, au présent et au passé du subjonctif et du conditionnel9.

    Le rôle de l'enseignant est simple :
    - favoriser cette parole au quotidien en étant attentif à tous et à tout,
    - offrir un milieu riche, varié, ouvert qui rendra nécessaire l'emploi de verbes toujours plus nombreux,
    - employer lui-même, sans affectation mais avec constance, des formes verbales correctes, des pronoms personnels variés10 des phrases bien tournées, un vocabulaire large et choisi.

    A. 1. En TPS et PS

    • Sachant que ses élèves ont encore peu d'attention, il les regroupera souvent mais pour peu de temps autour de lui. 
    • Il évitera toutes les pertes d'attention dues à des activités trop éloignées de leur compréhension du monde11, trop longues, mal adaptées à leurs intérêts du moment.
    • Ces moments de regroupements seront consacrés à l'observation d'un objet, d'une plante, d'un animal ou d'une image, à l'utilisation d'un matériel, à l'évocation d'une activité. Il sollicitera la parole de chacun, même de celui qui ne sait dire que trois syllabes plus ou moins bien articulées, s'attachera à traduire ces quelques sons en une phrase courte mais claire, recentrera aussi souvent que besoin l'attention de chacun sur l'objet du rassemblement.
    • Il évitera le plus possible la technique habituelle des questions-réponses qui n'oblige pas les enfants à employer des phrases complètes et les maintient dans l'idée qu'il n'y a qu'une réponse possible qu'il convient de donner plus vite que les autres12.
    • Il évitera aussi de faire répéter aux élèves la formulation correcte, ainsi que des phrases stéréotypées13, de peur de les décourager, d'alourdir le dialogue et de disperser l'intérêt des enfants. Lui seul sait qu'il apprend à ses élèves à s'exprimer correctement, eux doivent croire qu'il est aussi passionné qu'eux pour le poussin qui picore dans sa caisse, la jacinthe qui pousse près de la fenêtre, le petit garçon qui joue du fifre sur le tableau de Manet.
    • Ces regroupements seront bien entendu complétés par tous ces moments individuels ou de tout petits groupes qui sont le fond de l'apprentissage moteur, sensoriel, langagier et cognitif d'un enfant de deux à quatre ans.
    • L'enseignant y sera disponible pour tous, à tous moments : des coins-jeux à la salle de motricité, du chevalet de peinture à la table où les élèves modèlent, de la table de tri à celle où les enfants encastrent des formes, il se déplace, sollicite, écoute, reformule, échange, complète, dialogue. Son évaluation est là, dans la discussion informelle mais « pluriquotidienne » avec chacun, sa différenciation aussi.
    • Il évitera de programmer des ateliers tournants qui le bloquent et bloquent aussi souvent l'ATSEM à la surveillance rapprochée d'un seul groupe d'enfants, laissant les autres sans sollicitations langagières adultes pendant de longs moments.
    • Il évitera aussi que ces moments se passent dans un brouhaha qui l'empêche de s'intéresser à la parole de chacun: il apprendra à ses élèves à entendre le bruit et à lui préférer le calme de conversations à mi-voix14.
    • Évidemment, comme au cours des regroupements, il surveille son vocabulaire, sa syntaxe et garde présente à l'esprit cette programmation à long terme qui fera du tout-petit qui balbutie encore et comprend à peine la parole des autres un enfant qui commence à s'exprimer clairement et qui peut participer à un dialogue construit que son maître dirige. 

    A. 2. En MS et en GS

    Cette expression claire et cette capacité à participer au dialogue que le maître dirige sera cultivée jour après jour.

    • Les activités de regroupements où les élèves racontent ce qu'ils voient, entendent, sentent, touchent, goûtent s'allongeront insensiblement ; elles s'enrichiront de dialogues où les élèves évoquent des actions entreprises, des jeux organisés, des découvertes impromptues qu'il convient de partager mais aussi se projettent dans le futur en discutant ensemble des envies qu'ils souhaitent satisfaire, des questions dont ils cherchent la réponse.
    • Pendant tous ces débats, le maître gardera en tête son projet quotidien d'enrichissement de l'art de conjuguer. L'élargissement du temps perçu par les élèves le servira dans ses entreprises ; il les encouragera à revenir sur le passé ou se projeter dans le futur, pour fixer le vocabulaire temporel, pour remplacer progressivement le futur proche, qu'il n'emploiera jamais lui-même, par le couple futur antérieur/ futur simple, pour commencer à faire sentir intuitivement la concordance des temps, pour fixer peu à peu chez ses élèves de nouveaux participes passés de verbes du troisième groupe, ainsi que les terminaisons15 des 1re et 2e personnes du pluriel à l'imparfait.
    • Comme chez les plus jeunes, il évitera de couper la conversation qui s'établit en faisant répéter, se contentant de reformuler aussi souvent que besoin lorsqu'un élève emploie une forme erronée.
    • Cependant, surtout en GS, il se trouvera peut-être déjà confronté à des élèves qui s'intéressent et cherchent à catégoriser, à structurer leurs connaissances, à dégager des règles réutilisables16 de leurs constats. Il fera alors en sorte d'intéresser tout le groupe à cette nouvelle activité, prenant quelques secondes pour les aider à formuler leurs constats, approuver ou contester les règles qu'ils en tirent, expliquer comment, quand ils sauront lire et écrire, ils apprendront comment le système de conjugaison s'organise.  
    • L'exigence de l'enseignant en matière de conjugaison orale pourra alors s'accompagner, pendant les temps de regroupements, de l'emploi d'un vocabulaire spécifique. Le maître y parlera de verbes, par exemple en Éducation Motrice, lorsque les élèves joueront au jeu des mimes ou chercheront toutes les manières de sauter ; tous évoqueront le temps17 qui passe en regardant des images du temps passé, en feuilletant l'album de la classe, en programmant la préparation du spectacle qu'ils donneront aux parents ou la fabrication du village gaulois qui décorera la classe un moment. Il arrivera même que, ponctuellement, au cours des essais de structuration, le maître puisse donner, sans avoir pour ambition que ses élèves les retiennent, quelques termes supplémentaires : pronoms personnels sujets, imparfait, participe passé, passé simple, etc. Il aura nommé les choses, leur aura donné un statut, des jalons seront posés. À ses collègues des classes suivantes d'en tirer profit.  
    • Dans les moments d'activités individuelles autonomes, mais aussi dans les moments d'activités collectives n'ayant pas pour but principal l'acquisition du langage oral18, l'attention à la correction des formes verbales et l'enrichissement du lexique feront toujours partie des buts de l'enseignant .
    • Comme dans les classes d'enfants plus jeunes, il évitera de programmer des ateliers tournants qui laissent trop d'enfants sans sollicitations langagières adultes pendant de longs moments et qui, dans ces classes d'enfants plus âgés, empêchent les échanges de s'enrichir de la parole de chacun. 
    • Il évitera aussi que ces moments se passent dans un brouhaha qui l'empêche de s'intéresser à la parole de chacun: il apprendra à ses élèves à entendre le bruit et à lui préférer le calme de conversations à mi-voix.

    Cet enrichissement du lexique, né du quotidien de la classe dans toutes ses activités, ne saurait cependant suffire à pourvoir nos élèves d'un vocabulaire suffisant à une scolarité riche et féconde s'il n'était complété depuis les premiers jours de TPS jusqu'aux derniers de GS d'une éducation à l'écoute active d'une langue plus élaborée qu'ils ne parleront pas forcément mais qu'ils comprendront déjà.

    Cela fera l'objet du chapitre suivant : L'écoute active.

    Déjà publiés :

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (2)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (3)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (4)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (5)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (6)

    Apprendre à conjuguer de deux à onze ans (7)

    Notes :

    1 Temps et modes choisis ET orthographe.

    2 Calculez vous-mêmes : huit temps de l'indicatif, deux de l'impératif, les participes, deux temps du conditionnel, deux temps du subjonctif pour les verbes du 1er et 2e groupes, les verbes être et avoir ainsi que 21 verbes du 3e groupe, avec tous leurs dérivés.

    3 En revanche, nous auto-évaluer sur les contenus que nous transmettons réellement, les méthodes que nous choisissons, l'attitude que nous avons a face à nos élèves, ça oui, c'est indispensable : chaque jour, chaque heure, chaque instant.

    4 Subjonctif imparfait et plus-que-parfait, conditionnel passé 2e forme.

    5 Échanges duels en situation rapprochée.

    6 Si j'ai le temps, je vous lirai la fin de l'histoire versus Si j'avais le temps, je vous lirais la fin de l'histoire ou encore Quand tu auras enfilé ton blouson, tu nous rejoindras dans le jardin versus Quand tu nous auras rejoints dans le jardin, tu enfileras ton blouson.

    7 Qui a dit qu'un enfant avait besoin de colorier les cases d'un cahier de réussites pour prendre conscience de ses capacités ?… Mais je dévie et on va encore m'accuser d'être verbeuse.

    8 Si les il est viendu, ils sontaient et autre j'ai prendu du début de la MS doivent avoir disparu, subsistent encore en revanche quelques la maîtresse nous a li, il a mouru et de nombreux ils disèrent, il faisa, je comprenus.

    9 Passé 1ere forme, bien sûr !

    10 Il veille à employer « nous » plutôt que « on », utilise « vous » plutôt que nous lorsque l'activité concerne les élèves et non la classe, lui compris, utilise « je » que les plus petits ignorent le plus souvent possible, ainsi que « elle » et « elles » que les élèves remplacent souvent par « y «  (pour « ils »). C'est ainsi que, quel que soit le milieu d'origine des enfants, dès la moitié de l'année de PS, il les entendra dire : « Maître ce sont des feutres fins qu'il faut utiliser ? » ou encore « Et ensuite nous irons à la gymnastique, maître. »

    11 Comptage des présents et des absents, lecture et écriture de la date, des prénoms, consignes données pour cinq ou six ateliers différents, etc.

    12 Voir, si ce n'est déjà fait, cette excellente conférence de Pierre Péroz, déjà citée ici : http://www.cndp.fr/crdp-reims/ressources/conferences/peroz/peroz.htm

    13 Une jeune collègue me racontait qu'une formatrice leur conseillait d'employer une méthode directement inspirée de la méthode Assimil qui consistait à faire répéter inlassablement à ses petits élèves l'un après l'autre : « Je mets une assiette sur la table. Je mets une assiette sur la table. » Cette histoire se passait en France, au XXIe siècle, pas au fin fond d'une contrée à coloniser à l'époque de Jules Ferry !

    14 Voir Maria Montessori, Pédagogie scientifique, tome 1, La maison des enfants, et particulièrement les chapitres L'AMBIANCE et L'HOMME ROUGE ET L'HOMME BLANC.

    15 ...orales, bien sûr !

    16 Ce que nos tout-petits font intuitivement depuis déjà bien longtemps en employant ils sontaient pour ils étaient, il metta pour il mit ou je courirai pour je courrai.

    17 Ce qui est déjà passé, ce qui se passe à présent, ce qui se passera dans le futur.

    18 Nous avons déjà cité l'éducation motrice mais nous pouvons ajouter les arts, la découverte de l'écrit, les activités de structurations mathématiques, l'expérimentation de techniques…


    10 commentaires
  • Le mieux est l'ennemi du bien

    Une maxime comme une autre, témoin de son époque, comme le furent naguère les phrases qui ornaient les murs de la classe de M. Topaze.

    Le mieux est l'ennemi du bien

    « Les erreurs sont la preuve qu'on essaie... »

    Elle est formidable, cette maxime, et tout professeur des écoles devrait l'utiliser, à longueur de journée, lorsqu'il encourage ses élèves à apprendre, s'intéresser, essayer, oser, se souvenir, se lancer, etc.
    Elle est formidable mais... Maxime contre maxime, appliquée avec trop de rigueur, répétée trop souvent, utilisée à mauvais escient, elle peut devenir la preuve incontestable que, très souvent, « le mieux est l'ennemi du bien ».

    Prenons un exemple pagnolesque, horriblement daté : celui de l'assiette de soupe. Vous savez, celle qui, c'est bien connu, a la réputation de faire grandir les petits enfants.

    « La soupe, ça fait grandir ! »

    Dans la famille A, on se prouvait chaque jour, avec raison, qu'après des essais répétés, l'erreur consistant à croire que « la soupe, c'est pas bon » finissait par disparaître de l'esprit d'Albert et Andrée.
    De manière plus ou moins concluante selon l'état de fatigue du soir,  encouragés gentiment à goûter juste un peu, avalant un jour une cuiller pour papa, une cuiller pour maman, une cuiller pour l'ours en peluche et une pour la locomotive chérie, parfois même détournés du pensum grâce à de belles histoires racontées par un adulte dévoué qui en profitait pour enfourner discrètement une cuiller après l'autre, les deux enfants finirent par arriver à avaler seuls toute leur assiettée !
    Devenus adultes, Andrée est une mangeuse de soupe convaincue, ravie de la voir au menu, alors qu'Albert n'a pas vaincu ce dégoût et qu'il préfère toujours éviter d'avoir à ingérer le brouet fadasse qui dégoûtait ses soirées enfantines.

    Dans la famille B, on appliquait, avec plus de rigueur, la même maxime. Bernard et Brigitte restaient assis de longues demi-heures devant une assiette de soupe qu'ils devaient essayer d'apprécier, avalant cuiller après cuiller en se bouchant le nez et en fermant les yeux. Les jours où, décidément le challenge était impossible à atteindre, nos deux enfants allaient se coucher le ventre vide et, le matin, au réveil, au lieu du bol de lait et des tartines, c'était l'assiette de soupe qui les attendait sur la table du petit déjeuner ! Après des années de ce traitement, Bernard et Brigitte finirent par avoir de la soupe une idée tellement négative qu'aujourd'hui encore, adultes rassis, ils ont gardé une horreur de ce plat qu'ils ne goûteraient pour rien au monde.

    Chez les C, Claude et Colette avaient trouvé le truc ! Dès qu'ils voyaient arriver sur la table le sinistre breuvage, ils se tordaient de mal au ventre, montraient des signes indiscutables de la plus intense des fatigues, pleuraient et se lamentaient devant le calvaire que leur famille s'apprêtait à leur faire subir. Les parents, émus jusqu'aux larmes, après quelques encouragements timides, menant au mieux à une pointe de cuiller trempée dans l'assiette puis léchée avec des haut-le-cœur, enlevaient le plat honni et le remplaçaient par quelque mets mieux apprécié des enfants.
    Aujourd'hui, si Claude a vaincu son idée reçue et goûte, de temps en temps, une assiette de soupe, notre amie Colette continue à penser, sans en avoir jamais avalé plus d'un dé à coudre, qu'elle est victime d'une allergie à cette nourriture !

    Je préfère ne pas parler de la famille D, tout en sachant que, malheureusement, elle existait. Monsieur et Madame D, considérant que « l'essayer, c'est l'adopter » et que « tout ce qui ne tue pas rend plus fort », contraignaient Denise et Daniel à ingérer la mixture en alternant privations, humiliations et même souvent violences. S'ils sont encore en vie et qu'ils ont eu à subir jusqu'à leur adolescence ces tortures morales et physiques, il y a peu de chance qu'ils soient aujourd'hui des consommateurs de soupe acharnés.

    « Le mieux est l'ennemi du bien. »

    Et si, surgie des préceptes de l'éducation bienveillante et d'un programme d'Éducation Morale et Civique dont le premier des commandements repose sur la sensibilité et l'expression de ses sentiments, cette maxime faisant des erreurs, l'alpha et l'oméga d'un apprentissage bien compris, pouvait amener les professeurs des écoles aux mêmes travers éducatifs que le précepte corrélant étroitement la consommation de soupe à la croissance des jeunes enfants ?

    Nous aurions d'abord la classe de Mme Alécoutactive.
    La maxime, ancrée au fond de son cerveau, lui permet d'encourager Abel à apprendre, Alice à s'intéresser, Abdel à essayer, Armand à oser, Alima à se souvenir, Antonin à se lancer, etc.
    Forte des conseils donnés depuis les débuts de l'École Publique1, elle s'ingénie à inventer exercices, leçons et activités visant à « aider au développement des diverses facultés de l'enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d'application », et les programme pour «  faire aimer l'école, donner le goût du travail, n'imposer jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge. »
    Comme elle a à cœur de « varier, égayer,en tirer ou y attacher quelque plaisir pour l'enfant », c'est par « la patience, l'enjouement, l'affection ingénieuse » que Mme Alécoutactive apprend à ses élèves à tirer petit à petit partie de leurs erreurs pour aller plus loin, plus vite, tout en étant plus fort.

    Chez Monsieur Bienfairtoujours, c'est une autre histoire. La maxime, affichée sur tous les cahiers d'élèves, est appliquée au pied de la lettre, mais alors vraiment au pied. Chez lui, ni gommes, ni effaceurs, ni corbeille à papier. Tout doit rester. Les erreurs sont la preuve que l'on essaie. Il a même institué des référentiels sur lesquels est consigné pour chaque exercice, le nombre d'erreurs de chaque type et il utilise des tampons de couleur qui émaillent les cahiers, rappelant à chacun que tel jour, il frôlait la ceinture bleue, alors que tel autre, il a eu du mal à garder la jaune !
    En fin de semaine, lors de la réunion de classe, chaque élève présente ses travaux à ses camarades qui décident avec lui de la couleur des gommettes qu'il doit placer sur la grille d'évaluation qu'il doit faire signer à ses parents pendant le weekend.
    Tant pis pour Bertille qui n'aime pas se sentir en défaut et rougit en tournant les pages de ses cahiers ; tant pis pour Bilal qui, très lent, peine à recommencer vingt fois et accumule les retards ; tant pis pour Bryan qui n'est jamais content et n'arrive pas à se sentir satisfait de ce qu'il fait ; tant pis pour Beverly qui se bute et n'avance pas parce qu'elle n'a pas l'habitude de la soupe froide au petit déjeuner ; tant pis pour Barnabé qui est toujours content de lui et patasse avec joie sur des cahiers truffés de fautes d'orthographe, de barbouillages illisibles et d'erreurs de calcul  !
    Pourtant M. Bienfairtoujours ne se départit jamais de sa bonne humeur et répète, jour après jour, que ces erreurs sont formatrices, qu'elles vont aider tout le monde à apprendre. Droit dans ses bottes, il fait recommencer 36 fois le même exercice à Bilal et Barnabé dont les résultats plongent, il reçoit les parents de Bertille, Beverly et Bryan en leur affirmant que c'est leur manque de confiance en soi qui les perturbe et qu'il serait peut-être bon de prendre rendez-vous avec des professionnels de santé afin de trouver une solution à leur mal-être. 

    Madame Chérimoncœur a une compréhension plus sensible du proverbe. Chez elle, c'est cette maxime qui est affichée, afin que chaque élève puisse la prendre pour lui et s'en servir pour se réconforter :

    Les maximes, taille enfant ou adulte.

    et sur leurs cahiers ou dans leurs travaux oraux, Corentin, Camelia, Charlène, Chloé, César, Carlos et Candelaria ont bien compris : l'important est d'écrire, de dire, de raconter quelque chose !
    Dans leur tête, la maxime s'est personnalisée et, c'est très sûrs d'eux qu'ils répondent à leurs parents quand ceux-ci s'affolent du nombre impressionnant d'erreurs diverses et variées qui constellent leurs lectures, leurs écritures, leurs calculs, leurs récitations, leurs propos : « Mais enfin, la maîtresse me l'a dit : je fais comme je sais et j'ai le droit de me tromper ! Elle nous dit toujours de bien nous rappeler ça :

    Les maximes, taille enfant ou adulte.

    Alors... vous voyez que j'ai raison ! »

    Il ne nous reste plus que Messieurs Désabusé, Décalé et Dominant.
    Monsieur Désabusé aime les enfants. Il n'aime pas leur faire de la peine. Dans sa classe, personne n'a de raison de faire d'erreurs parce que personne n'a d'occasion d'hésiter et personne n'a d'occasion d'hésiter parce que personne n'a vraiment d'occasion d'apprendre en s'entraînant. En arrivant le matin, les enfants jouent un bon moment dans la cour pendant que Monsieur Désabusé bavarde avec ceux qui ont envie de se confier à leur maître. Quand il fait mauvais ou que tout le monde s'ennuie, on rentre et là, on voit... Monsieur Désabusé a de jolis classeurs, remplis de fiches polycopiées : des coloriages, des jeux, des découpages et toutes sortes de choses amusantes. De temps en temps on joue à des jeux de société, quelques-uns seuls, d'autres avec le maître. L'ordinateur est allumé et si l'on est assez rapide, on peut piquer la place des autres pour aller jouer à ce qu'on veut... Il y a aussi une grande bibliothèque à laquelle on a accès en toute liberté. Quant à ceux qui ne font pas grand-chose mais brassent beaucoup d'air et produisent beaucoup d'agitation, les récréations qui s'éternisent sont pour eux. Enfin, pour l'alibi pédagogique, il y a les vidéos ! Les documentaires animaliers, les émissions scientifiques pour enfants, les films et les dessins animés, tout y passe. Pas besoin de statut de l'erreur chez Monsieur Désabusé !

    Chez monsieur Décalé, c'est un peu pareil. L'école de grand-papa, ce n'est pas son truc. Les enfants ont bien le temps d'apprendre; surtout que personne ne sait ce qui leur sera utile dans vingt ans. Alors, monsieur Décalé se fait plaisir en entraînant ses élèves dans son sillage au fil de ses tocades. Cette année, c'est le site de l'école qui les occupe. L'année dernière, c'était le nettoyage du petit bois, de l'autre côté de la zone commerciale. Et l'année prochaine, monsieur Décalé compte se lancer dans la construction écologique à base de paille compressée et d'argile ! Quelle chance pour les enfants qui seront dans sa classe ! Ils vont pouvoir, à sa suite, apprendre à se documenter, à calculer des proportions, à bâtir des plans, à baliser un terrain, à rédiger des courriers pour obtenir des financements, des autorisations, des articles dans la presse ! Vraiment, chez Monsieur Décalé, on ne joue pas dans la même catégorie et le statut de l'erreur a une toute autre gueule que chez les autres !

    Et puis, il y a monsieur Désespéré ! Autrefois, il a cru à tout ça, le renouveau pédagogique, l'enfant au centre, l'autoconstruction des savoirs, la régulation par les pairs. Et puis... ça n'a pas marché comme il voulait... les parents n'étaient pas contents... les enfants difficiles l'épuisaient... pourtant il avait appris toutes les maximes du renouveau, tenté toutes les expériences, suivi tous les courants...
    Alors, comme le Cancre de Jacques Prévert, dont il a l'impression qu'il sert de modèle à l'élève nouveau idéal, il a tout rejeté en bloc ! Il a donné sa démission d'une institution qui le décevait et a construit son propre monde. C'est un monde en noir et blanc, culottes courtes pour les garçons, jupes plissées et nœuds dans les cheveux pour les filles. Il a recruté autour de lui des gens qui pensaient comme lui, et ils ont construit autour de leurs élèves de solides remparts d'enfermement, d'exclusion et de mépris.
    Les maximes qu'ils affichent au mur sont celles de Topaze, quand ce n'est pas pire. Leurs élèves les récitent, debout, les bras croisés, comme ils récitent leurs tables, leur liste des préfectures et sous-préfectures, leurs prières laïques ou confessionnelles. Chez eux, les erreurs sont des fautes, commises par manque d'application et d'efforts, et il convient de les expier par des punitions, des pensums et des retenues. C'est un autre monde où, encore une fois, le mieux est l'ennemi du bien et où l'assiette de soupe a été volontairement rendue la plus insipide possible pour évacuer de son absorption toute notion de plaisir, d'envie et de joie.

    Science et conscience

    L'École n'a pas besoin de maximes, ni pour ses élèves, ni pour ses maîtres, parce qu'elles sont au degré zéro de la réflexion et de la compréhension. L'École a besoin de savoirs, de connaissances, de réflexions, de confrontations des idées et de remises en question.
    L'outil n'est rien s'il est utilisé sans une solide connaissance de son histoire, de sa fabrication, de son utilisation selon les circonstances, les matériaux et les occasions. Et l'être humain est un matériau tellement particulier que ce n'est pas un outil aussi basique qu'une maxime qui conviendra pour le modeler et lui donner le bon geste et la bonne méthode, adaptable à tous les êtres humains auxquels il va se trouver confronté.

    Qu'au cours de leur formation, initiale ou continue, les professeurs des écoles aient eu à se baser sur des maximes et des proverbes pour débuter une réflexion, pourquoi pas ? Que le formateur s'en serve de temps en temps pour rappeler à plus de bon sens et de raison, très certainement.
    Mais cela ne peut se comprendre que si, tout autour, on a bâti une solide connaissance de l'enfance, de ses possibilités, de ses espoirs, de ses craintes et de sa perpétuelle évolution. Bernard et Brigitte n'aimaient pas l'assiette de soupe froide, Colette et Claude avaient conçu des procédures de contournement, Denise et Daniel souffrent encore aujourd'hui des violences subies pendant leur enfance comme Éliette et Eugène, dont nous n'avons pas parlé, peinent à combler les carences éducatives et nutritionnelles dont ils furent les victimes.
    Nos Bryan, Charlène, Doriane et Elyas d'aujourd'hui n'ont pas plus que leurs grands-parents à être victimes des lubies d'apprentis-sorciers qui font passer le dogme avant la raison, l'application stricte des instructions officielles avant l'empathie et la connaissance sensible de leurs personnalités naissantes.

    Alors... à bas les maximes en pédagogie !

    Notes :

    1 Toutes les citations sont extraites des Programmes pour l'École Maternelle, P. Kergomard, 1882.


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  • Apprendre à lire au CE1

    Avant-propos du livre du maître accompagnant le manuel de lecture CE1.

    Il éclairera, j'espère, tous ceux qui, après l'apprentissage premier de l'écriture-lecture, au CP, peinent à trouver des textes et des méthodes permettant aux élèves de continuer à progresser, de gagner en autonomie, d'utiliser la lecture et l'écriture comme un moyen supplémentaire de savoir et de s'exprimer.

    Lecture et Expression au CE

    Avant-Propos

    Objectif général

    « On apprend à lire toute sa vie », ai-je appris au cours de ma formation initiale et continue. Personne ne peut nier cela, à condition de faire abstraction des vérités que nos formateurs nous assenaient conjointement à cet axiome de base de la pédagogie moderne.

    Pour appuyer leurs dires, ils intervertissaient volontiers son et sens, sens et son, jusqu'à faire disparaître et l'un et l'autre ; ils démontraient, sans preuves concrètes, que l'étude de l'un contrariait l'acquisition de l'autre ; ils allaient et vont toujours même jusqu'à assurer qu'il conviendrait de les dissocier largement en cours d'apprentissage, jusqu'à ne travailler le son qu'à l'oral ou sur des pseudo-mots alors que le sens devrait être décortiqué procédé par procédé, presque à vide, quand il s'agit de la lecture faite par l'élève1 ou laissé à sa libre interprétation au cours de lectures longues souvent effectuées par le maître.

    Pour nous expliquer comment il convenait d'amener nos élèves à l'écrit autonome, on appelait à la rescousse une autre série de « compétences », qui, si elles devaient impérativement trouver leur source dans les écrits lus, souvent par l'adulte, n'avaient pas cependant à y faire provision de repères orthographiques, syntaxiques ou lexicaux à réinvestir à court et à long terme.

    Seul le type d'écrit comptait et la libération des talents d'écrivain de l'enfant considéré comme déjà capable de maîtriser la forme et le fond. L'orthographe surtout, parent pauvre de l'éducation depuis une trentaine d'années, en était évacuée ; on s'appuyait pour justifier cela sur le principe des compétences indépendantes des connaissances, un peu à la manière de Pierre Dac et Francis Blanche qui, dans un sketch célèbre, affirmaient qu'ils pouvaient le faire mais ne le faisaient jamais ! L'enfant peut écrire sans faire de fautes mais il n'a surtout pas à le prouver lorsqu'il écrit.

    Dans la plupart des classes, on écrit d'ailleurs très peu malgré les « cahiers de l'écrivain » et les grands projets destinés à être exposés en version papier ou numérique à travers les larges fenêtres que l'école doit ouvrir sur l'extérieur. Il faut dire que le temps manque et qu'il est difficile, même après de très nombreux allers-retours entre auto-évaluations et réécritures, d'obtenir de ses élèves ces résultats dignes d'être exposés ! Surtout lorsqu'on commence par la fin et qu'on attend de petits enfants sachant lire et écrire seulement depuis quelques mois des compétences dignes d'un Victor Hugo ou d'un Daniel Pennac !

    L'ambition de ce manuel est tout autre. Il procède pas à pas, rassemblant sur chacune de ses pages, mille compétences différentes qui, prises individuellement, ne servent à rien mais qui, associées les unes aux autres, triturées, malaxées ensemble, font des jeunes enfants de six à sept ans de petits lecteurs, très vaguement écrivains, certes, mais des lecteurs écrivains qui maîtrisent ce qu'ils sont capables de réaliser pour le moment.

    Notre objectif, en écrivant cet ouvrage, est de voir la lecture et l'écriture faire peu à peu partie de la vie quotidienne de nos élèves. À sa suite, ils navigueront de l'oral à l'écrit et de l'écrit à l'oral selon les besoins et les moments : de la lecture de mots simples, destinés à renforcer les compétences de bases, à la lecture à voix haute théâtralisée de scénettes, de la rédaction collective de courtes phrases à l'écriture autonome de textes simples mais complets, tout est mis en œuvre pour que les enfants quittent le CE1 en ayant intégré la langue écrite à leurs pratiques d'expression, de documentation, d'instruction et de communication.

    Grâce à une pédagogie basée sur l'écoute et l'expression orale développée lors de toutes les séances, les élèves vont continuer à parfaire leur langage oral, chacun à son niveau mais tous ensemble pour les progrès de tous : la langue écrite enrichit la langue orale qui, à son tour, s'enrichit des savoirs lexicaux de chacun. La théâtralisation de certains textes, la lecture expressive et l'apprentissage par cœur des poésies régulièrement présentées aident les élèves à corriger leur articulation et à s'imprégner de mots, expressions et tournures recherchés.

    Enfin les illustrations, réalisées pour ce manuel par une artiste connaissant le monde de l'enfance puisqu'elle est aussi professeur des écoles, servent à leur tour la méthode de perfectionnement de l'écriture-lecture mise en œuvre. Elles ont pour mission d'éclairer le texte sans le déflorer, de favoriser l'expression, orale et écrite, d'encourager les élèves à se servir eux-mêmes du dessin pour suppléer momentanément à leurs difficultés d'expression écrite ou pour enrichir leur expression plastique personnelle.

    Organisation pratique au quotidien2

    1) Lecture du texte :

    Apprendre à lire au CE1

    À la rentrée des classes, placés face à un texte de deux à trois lignes, nos élèves peuvent le déchiffrer à voix haute, parfois très lentement, en hésitant beaucoup3, parce que les deux mois de vacances ont tassé leur fond de connaissances et qu'elles demandent à être réactivées doucement.

    Après cette lecture oralisée, ils peuvent raconter, avec leurs mots, ce que cette courte lecture leur a appris ; cela correspond bien entendu à ce que toute la classe et le maître ont aussi appris. Ils pensent à demander des explications sur les mots qu'ils ne comprennent pas et savent, après information, les réutiliser dans des phrases qu'ils inventent eux-mêmes.

    Lors de la lecture du paragraphe suivant, sans qu'on ait besoin de travailler ces compétences à part pendant un autre temps scolaire, ils font le lien avec le précédent, comprennent l'implicite des situations simples qu'ils découvrent et reconnaissent les personnages, les animaux et les choses dans les reprises nominales et pronominales qui évitent les répétitions.

    C'est ainsi qu'après une relecture complète des quatre à cinq paragraphes de chaque texte, ils sont prêts à aller plus loin et se pencher sur une analyse plus fine de ce qu'ils viennent de lire.

    2) Analyse et synthèse à partir du texte lu :

    • Nous savons lire : 

    Apprendre à lire au CE1 

    Ils vont d'abord réactiver ce fond de connaissances graphémiques indispensable à une lecture plus rapide et plus fluide. Pour ce faire, surtout pas de pseudo-mots : l’œil et le cerveau doivent apprendre à travailler conjointement. S'il a été une étape de l'apprentissage où il fallait nécessairement passer par l'encodage lettre à lettre, nos élèves doivent désormais dépasser ce stade et apprendre à déchiffrer très vite les mots les plus fréquents du vocabulaire français, dans une reconnaissance presque instantanée. La lecture va ainsi nourrir l'orthographe qui, à son tour, rendra la lecture plus rapide. S'il le faut, quelques indications feront des mots inconnus, ravalés au rang de pseudo-mots par les élèves, de vrais mots, identifiables par le décodage et identifiés par leur compréhension.

    • Nous expliquons : 

    Apprendre à lire au CE1 

    Le déchiffrage et la compréhension sont à nouveau à l'honneur ensemble dans l'exercice suivant. Les élèves relisent les mots et expressions rares qu'ils ont découverts dans la lecture, puis en découvrent ou redécouvrent1 le sens. Le langage oral est immédiatement appelé à la rescousse pour des reformulations, des exemples, des anecdotes mettant en scène ces mots. Le vocabulaire passif devient actif, il sera réemployé aussi souvent que possible dans la vie de la classe les jours suivants.

    1Voir dans la description des premières leçons.

    • Nous réfléchissons : 

      Apprendre à lire au CE1

       L'enrichissement de la compréhension continue avec l'exercice de la réflexion. Autant que faire se peut, ces questions sont conçues pour être très ouvertes. Elles ne reprennent pas mot à mot le sens exact du texte car il a été déblayé lors des lectures de paragraphes. Leur but n'est pas non plus d'obtenir qu'un bon élève réponde très vite à la première par quelques monosyllabes avant de passer à la suivante ; au contraire, elles cherchent à élargir le débat et permettre à chacun de s'exprimer à son niveau avant de s'intéresser au débat collectif5. Ces questions constituent donc un guide non exhaustif pour le maître qui pourra en approfondir certaines, en supprimer d'autres, rajouter les siennes et surtout toutes celles que leurs élèves choisiront de débattre entre eux6.

      Ces questions peuvent aussi faire l'objet d'un travail d'expression écrite, collectif en début d'année, puis de plus en plus individualisé au fur et à mesure que les élèves acquièrent des réflexes orthographiques et une vitesse d'écriture compatible avec un travail autonome de qualité. Cette solution, après un temps d'apprentissage collectif obligatoire garantissant le respect de l'orthographe et de la syntaxe, peut constituer une excellent solution lorsque le maître est à la tête d'une classe à plusieurs niveaux et qu'il a intérêt à favoriser l'autonomie des élèves pour qu'ils puissent travailler de front, même lorsqu'il s'occupe d'autres enfants.

    • Nous nous exerçons :

      Apprendre à lire au CE1

    •  L'exercice suivant vise aussi à enrichir l'expression orale et écrite des élèves en proposant un travail autour du vocabulaire ou de la syntaxe. Il travaille intuitivement toutes les notions qui, plus tard, seront structurées de manière plus formelle au cours des leçons de vocabulaire, d'orthographe et de grammaire du programme de français. Les notions reviennent souvent, sous des habillages différents, afin que chacun puisse opérer les transferts nécessaires entre ce qu'il pressent intuitivement et ce qu'il a déjà appris, à d'autres moments, parfois même dans d'autres domaines du savoir scolaire. Son exécution sera soit orale, soit écrite, toujours selon le niveau de la classe, le temps mobilisable et la disponibilité du maître.

    • Nous nous exprimons : 

    Apprendre à lire au CE1

    •  Le dernier exercice permet enfin de réutiliser tous ces nouveaux acquis par l'expression personnelle ; de l'oral à l'écrit, en passant par le dessin, tout ce que les élèves savent déjà faire est sollicité, réemployé en association avec ce qui n'est pour le moment que très superficiellement connu. Le maître est là, tout proche, guidant le travail afin que, de plus en plus, et toujours à petits pas, tous progressent et prennent une autonomie réelle car construite et étayée par des savoirs sûrs qui s'automatisent progressivement.

     

    • Nous observons les mots ; nous écrivons sous la dictée :
    • Les élèves pourront ensuite observer quelques mots mis en avant par leur enseignant, en remarquer les difficultés (orthographe lexicale), s'intéresser aux liens qu'ils tissent avec les mots voisins dans des expressions (orthographe grammaticale ; accords). Ces mots seront copiés par eux et révisés le soir. Le lendemain, ils feront l'objet de la dictée quotidienne, en rapport direct avec le thème de lecture de la quinzaine.

    Tout au long de l'année, ces exercices seront repris, enrichis, complétés par d'autres, toujours dans le but d'offrir à tous l'occasion de progresser, d'enrichir leurs connaissances, de les assurer pour pouvoir les mobiliser seuls mais de manière correcte et habituelle : lecture à haute voix fluide, compréhension immédiate du sens général, utilisation du contexte pour pratiquer des inférences et comprendre l'implicite, maîtrise du sens des mots et découverte de règles régissant leur construction, acquisition de réflexes orthographiques et syntaxiques, rédaction autonome de paragraphes de trois à quatre phrases correctement orthographiés et ponctués.

    Les textes de lecture s'enrichiront, ils permettront la découverte d'autres lieux, d'autres temps, d'autres connaissances ; ils élargiront le quotidien des enfants de CE1 en continuant à étoffer leur connaissance du patrimoine littéraire accessible aux jeunes enfants.

    Nous espérons qu'ainsi disparaîtra des classes l'horrible malédiction frappant depuis quelques décennies la plupart des enfants qui n'ont que l'école pour découvrir la richesse de la langue française, son écriture, sa lecture et sa littérature. Puisse ce manuel ouvrir la porte à de nombreux autres, bien décidés à considérer comme lui que si l'on apprend à lire toute sa vie, il est nécessaire que les enfants soient entraînés et guidés dans cet apprentissage et qu'il ne convient pas de les précipiter tout jeunes encore dans une utilisation de moins en moins suivie des vingt-six lettres qui constituent le fond de tous les possibles s'ouvrant à eux à l'aube de leur septième anniversaire.

    Dans la même série :

    A) Lecture Année 1 :

     Module 1

    Modules 2 et 3

    Modules 4 et 5

    Module 6

    Modules 7 et 8

    Module 9

    Module 10

    Module 11

    Module 12

    Module 13

    Module 14

    Annexe 2 : Rédaction collective d'une phrase

    B) Lecture Année 2 :

    Lecture et Expression, Année 2 (1) ; En cours de rédaction

    C) Dictées :

    CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (1) ; CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (2) ; CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (3)

    D) Foire aux questions :

    CE : Utiliser Lecture et Expression (FAQ 1) ; LECE: Comment faire en CE1 CE2 ? ; CE1 : Lecture et Expression au quotidien

    Notes :
    1 Les dernières « modes » sont la recherche d'inférences, sur des textes très courts, décontextualisés, et la fluence, sur des textes lus et relus, jusqu'à obtenir une rapidité de façade, cachant parfois une récitation du texte que l'élève ne regarde même plus.
    2 Bien que nous soyons souvent pris par le temps, il est impératif que la lecture, association du son produit et du sens découvert, soit pratiquée au quotidien et qu'elle fasse toujours l'objet d'une exploitation visant à la rendre naturelle chez les enfants. Chaque double page est conçue comme un tout qui doit faire l'objet d'une séance collective quotidienne. Pour être efficace, l'étude de la page de droite doit suivre immédiatement la lecture effectuée sur la page de gauche. Le travail sur les deux pages ne doit pas excéder 30 à 45 minutes, quitte à ne pas utiliser l'écriture manuscrite au cours de la phase d'analyse et de synthèse.
    3 Pour les élèves qui n'en sont même pas encore là, nous développerons dans la description des premières leçons ce qu'il conviendra de faire pour différencier l'apprentissage ou les aider à combler rapidement leur retard afin de les raccrocher le plus vite possible au groupe.
    4 Voir dans la description des premières leçons.
    5 Voir Pédagogie de l'écoute, Pierre Péroz , destiné à l'école maternelle, mais valable jusqu'à la fin du CE1 et même plus : http://www.cndp.fr/crdp-reims/ressources/conferences/peroz/peroz.htm
    6 Attention cependant à ne pas déborder du cadre horaire et délayer ainsi le bénéfice de la lecture quotidienne, devenue lourde et pesante pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire.

     


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  • Tu apprendras dans la douleur.

    Balades en maternelle

    Premier cas :
    Nous sommes dans une classe maternelle multi-âge, un beau jour de printemps. Après une année scolaire bien employée, chacun vaque à ses petites affaires. Les uns s'activent, avec application, à des tâches de vie pratique, laver, ranger, boutonner, arroser, suivre le tracé d'une lettre et même marcher avec application, sans bruit sur une ligne courbe !
    D'autres associent deux à deux des couleurs, des sons,  des quantités concrètes et des nombres, des images ou des objets et des mots oraux ou écrits.
    Un petit groupe de grands de cinq à six ans effectuent à l'aide de cubes, de plaques, de barres et de perles le partage de 9 998 en 3 nombres égaux pendant qu'un petit groupe de leurs camarades lit, couramment, une histoire à leurs camarades plus jeunes.
    Bah oui, quoi ! Normal, non ? On est dans la classe pilote Montessori que Céline Alvarez avait obtenue de l'Éducation Nationale et qui a disparu depuis... Elle a gardé les meilleurs moments et nous a fait un catalogue de tout ce qui était le plus vendeur. On ne peut pas le lui reprocher, tout le monde en aurait fait autant.
    Qu'elle qualifie cette pédagogie de scientifique et s'associe aux neurosciences qui marchent si fort aujourd'hui ne peut pas non plus nous étonner puisque Maria Montessori, docteur en médecine, licenciée en philosophie, psychologie et biologie, appartenait elle-même à ce courant de pensée qui considère que la pédagogie se doit d'être scientifique, basée sur la connaissance et le respect des lois qui gouvernent le développement psychologique des enfants.

    Sachant cela, on peut être d'accord ou pas... Mais il n'empêche que, dans cette classe, on voit des enfants heureux, épanouis, qui ont visiblement acquis des connaissances variées, dans la joie et la bonne humeur !

    Deuxième cas :
    Nous sommes à des années lumières de là, dans une classe maternelle multi-âges, à Saint-Martin d'Estreaux (Loire), le 10 mars. 

    « Aujourd'hui l'attention est captée par un beau dessin exécuté au tableau par Betty (5 ans 1 mois). « C'est la jolie jeune fille du printemps », dit-elle.
    Nous parlons beaucoup du printemps ces jours-ci. Chaque jour les petits venus des fermes nous annoncent la naissance des chevreaux, l'éclosion des poussins, ceux du bourg apportent des primevères, des violettes. Nos petits amis de Trégastel nous ont envoyé une lettre de printemps, véritable herbier, où nous avons reconnu les chatons, la jonquille, la ficaire. Même les plus petits s'approchent pour voir « la jolie jeune fille. »
    « Elle a rencontré le soleil
    », dit Domi et Betty ajoute : « Son petit cœur chante », car Betty aime à en­tendre « chanter » son petit cœur (elle vient près de moi et pose sa main sur son cœur et sent le tic-tac). Gérard met sa main sur son cœur, on l'imite (ce n'est pas la première fois que cette expérience a lieu) « Tiens, ça fait tic-tac ». Et voilà notre texte :

     « La jolie jeune fille
    du printemps
    a rencontré le soleil.
    Son petit cœur chante tic-tac, tic-tac
    ».

    Presque tous les enfants demandent à lire cette histoire (même Martine, 4 ans), mais certains restent en dehors.
    Georges dessine sa maman et son papa et sa maison Monique aussi, Nicolas fait le portrait de son chien Jupiter et Corinne préfère envoyer à son correspondant son histoire à elle.
    Tandis que Betty, Frédéric, Gérard et Michèle composent le texte à l'imprimerie et que des groupes se forment pour dessiner la jeune fille du printemps (encre de Chine, stylos, crayon à pointe feutre, peinture) les grandes filles copient le texte sur une belle feuille. A la fin de la journée tous les enfants (les petits exceptés) l'ont copié, certains seuls, d'autres à l'aide d'un modèle (qu'ils viennent solliciter, certains précisent qu'ils veulent écrire « en accroché » c'est-à-dire en anglaise).

    En fin de matinée, Gérard s'aperçoit que nous avons oublié le calendrier, il est fier de nous annoncer que nous sommes « mardi 10 mars ». Comptons-nous : grande section : 9 filles, 4 garçons, cela fait 13 ; chez les moyens, il y a : 5 filles et 3 garçons, cela fait 8 ; et chez les petits : 4 filles et 1 garçon, cela fait 5 et 26 en tout dit Dominique. Ce soir nous ajouterons encore les moyens et les petits qui viennent l'après-midi.
    Frédéric a une histoire de calcul à nous raconter, il l'a dessinée ce matin : « Pour manger mon gâteau d'anniversaire il y avait nous six ( papa, maman, ma sœur, mon grand frère, le bébé et moi),mes deux pépés et mes deux mémés, mes deux tontons, mes trois tatas et ma marraine ».
    Que de façons de compter cela ! Depuis la simple énumération (dessinée par Jean-Luc) jusqu'à la véritable élaboration mathématique réalisée par Andrée (6 ronds et 4 ronds constituent la dizaine à laquelle elle ajoute 2 ronds et 3 ronds et encore un rond, ce qui fait 16). 

    Comme un rayon de soleil chassait l'ondée, nous sommes vite sortis dans l'herbe encore humide, nous avons cueilli les primevères pour ne pas les écraser en dansant.

    Et puis les enfants se sont groupés par ateliers.
    Frédéric, Gérard et Hélène se sont installés pou terminer leurs marionnettes. A la table de peinture il y a Jean-Luc, Andrée, Pascale, les deux petites Martine qui peignent des oiseaux et des soleils. Betty peint à la verticale (au tableau) une demoiselle du printemps. Corinne a disposé l'atelier d'encre de Chine, où elle travaille en compagnie de Christian, Serge et Alain-Noël. L'atelier de stylos et de crayons-feutres réunit Anne-Marie, Catherine, Pascale, Serge et Annick.
    Catherine, Ariane, Dominique et Jean-Claude impriment. Monique, Christiane, Nicolas découpent. Georges et Christian écrivent et dessinent pour leur correspondant.
    Je vais d'atelier en atelier, aidant les enfants qui me le demandent (mais ils préfèrent en général l'aide d'un camarade).

    Les imprimeurs sont fatigués, Ariane va dessiner au tableau, Pascale prend sa place. Alain-Noël, qui a terminé son encre de Chine découpe des chèvres et les groupe dans un pré. Gérard fait danser sa marion­nette pour un groupe d'admirateurs.
    Mais cela se fait sans désordre. Il y a du bruit bien sûr, surtout en cette fin de trimestre, mais « c'est un bruit de ruche » quelquefois dérangé par les éclats de rire aigus de notre Michèle malentendante (en trai­tement d'ailleurs, car les parents sont enfin convaincus de sa surdité, non sans mal d'ailleurs).

    Voici l'heure de la récréation, nous n'avons pas vu le temps passer puisqu'il est quatre heures moins le quart. D'ailleurs quelques enfants restent pour ter­miner leur travail (en particulier Hetty, Ariane, Corinne). En rentrant je lis (ou plutôt raconte en montrant les gravures) l'album « L'Enfant-Soleil » édité par la CEL et c'est l'heure du départ. »

    Ça fait un peu ruche, la maîtresse l'admet d'ailleurs, et puis coopérative autogérée d'enfants où la maîtresse est un membre de la communauté ni plus ni moins important que tous les autres.
    Bah oui, quoi ! Normal non ? Puisqu'on est dans la classe maternelle Freinet d'Yvette Bermon, en 1964.

    Sachant cela, on peut être d'accord ou pas... Mais il n'empêche que, dans cette classe, on voit des enfants heureux, épanouis, qui ont visiblement acquis des connaissances variées, dans la joie et la bonne humeur !

    Troisième cas :
    Remontons encore dans le temps. Et entrons sans bruit dans l'amphithéâtre d'une École Normale d'Institutrices pour écouter parler la conférencière :

    «L'enfant bouge et s'occupe. Il s'occupe à jouer. Le jeu, c'est le travail des enfants.Tous les éducateurs dignes de ce nom l'ont affirmé. C'est le titre de gloire de Frœbel.

    Pour s'occuper, il faut que l'enfant ait à sa disposition des objets matériels. Celui qui marche à peine pousse devant lui une chaise qui le soutient ; son aîné fait de la sienne un cheval improvisé ; puis il y a les jouets, les vrais, depuis le hochet à grelots du bébé que l'on porte sur les bras, jusqu'au jeu de dominos avec lequel le doyen de cinq ans apprend à compter jusqu'à douze.
    Non seulement il y a les jouets des chambres, mais il y a ceux des jardins. Les jouets, les ustensiles du ménage, c'est le matériel scolaire de la mère de famille. Ils doivent composer aussi le matériel scolaire des petits à l'école maternelle.
    Et c'est en effet un matériel éducatif, puisque chacun des objets qui le composent sert au développement physique et intellectuel de l'enfant qui l'a à sa portée. Le petit qui s'appuie sur la chaise comprend que sans elle il roulerait par terre ; celui qui a fait un cheval de la sienne a exercé d'abord sa faculté de comparaison, puis sa faculté d'imitation. Les quatre pieds de la chaise lui rappellent les quatre jambes du cheval, et, s'il se met dessus à califourchon, au lieu de s'asseoir, c'est pour faire comme les cavaliers qu'il a remarqués dans la rue ou sur la route. Il parle à ce cheval, comme la petite fille parle au morceau de chiffon qui lui sert de poupée, et la mère intervient dans cette conversation.

    Au jardin, avec les billes, les quilles, les ballons, le sable, que de facultés sont en jeu !
    Quelle leçon bonne et saine et profitable dans un mot dit à propos ! Nous soulignons cette expression « à propos », car la leçon ne porte que quand elle entre dans les vues du petit enfant, quand elle arrive au bon moment, quand elle est opportune. Appeler sur un arbre l'attention d'un enfant qui joue au cheval, c'est du temps perdu; on lui parle branches et feuilles, il répond jambes et queue. L'enseignement, pour être fécond, ne doit pas transporter l'élève dans un ordre d'idées qui lui est étranger, il ne doit lui causer aucune fatigue intellectuelle. Le jeu, le jeu surveillé, le jeu guidé, est un travail suffisant pour l'enfant de la deuxième section de l'école maternelle.

    Cependant, le programme officiel porte 1° les premiers principes d'éducation morale.
    C'est vrai ; mais, lorsque la directrice lavera l'enfant malpropre et qu'elle lui suggérera par cela même l'idée de la propreté ; quand elle l'amènera à rendre un jouet arraché à un petit camarade ; quand elle stimulera son activité ; quand elle lui inspirera un sentiment de tendresse ou de confiance, elle aura fait de l'éducation morale.

    A l'article 2 du programme nous trouvons les exercices de langage.
    Et en effet vous faites dire à l'enfant « la bille », « le cheval », « le ballon », « le sable ». Puis, « la bille est ronde » ; « le cheval a quatre jambes, une queue » ; « je lance le ballon » ; « la fourmi est toute petite » ; « le sable est fin » ; « le sable est sec », « le sable est mouillé ».
    Peu à peu les propositions s'enchaînent en phrases, les phrases se lient en périodes : l'enfant pense et parle.

    A l'article 3, les leçons de choses : un des exercices les moins compris.
    La leçon de choses, pour l'enfant, c'est le nom de l'objet qu'il a dans la main : « la bille » ; c'est sa couleur « rouge, bleue ou blanche » ; c'est sa forme : « ronde » ; c'est l'usage qu'on en fait : « on la fait rouler ».
    Mais ces leçons doivent naître spontanément, au lieu d'être réglementées. C'est horriblement difficile ! dira-t-on. Oui, si l'école maternelle ne fait pas absolument peau neuve, si les directrices n'oublient pas qu'elles se sont crues des professeurs, alors qu'elles étaient des mamans.

    Pourquoi avoir fait un règlement alors ? C'est qu'il faut donner un corps aux idées ; c'est qu'on ne fonde rien avec des abstractions. Ce règlement précise ; il permet de passer de la théorie dans la pratique ; il dit aux directrices : « Vous devez être des mamans ; l'enfant qui joue travaille ; en jouant seul, il développe son corps, son intelligence ; en jouant avec des camarades, il développe son corps, son intelligence, son cœur. Il devient sociable. Or la sociabilité prise de haut, c'est de la morale ; la sociabilité implique la parole ; c'est l'exercice de langue maternelle. L'enfant qui trace des lignes sur le sable ou sur l'ardoise dessine; le dessin mène à l'écriture, l'écriture à la lecture.
    En comptant les cailloux qui servent de limite à son jardinet, les cubes qui lui servent à construire une maison, l'enfant fait du calcul ; en faisant des hauteurs et des creux dans le sable, il fait de la géographie ; en regardant une fleur, de la botanique ; en montrant ses deux mains, ses deux yeux, sa bouche et ses cheveux, de la zoologie. C'est sa science à lui ; ce sont ses études à lui ; il n'en doit pas connaître d'autre. »

    Oh mais quelle permissivité ! Quel appel aux sens, au plaisir, au jeu, à l'effort mesuré et librement consenti !
    Bah oui quoi ! Normal, non ? Puisque la conférencière se nomme Pauline Kergomard et que lorsqu'elle a fondé l'École Maternelle française, elle l'a voulue avant toute chose qu'elle soit faite pour l'enfant et non l'enfant pour l'école. Elle l'a donc conçu comme un établissement où l'enfant doit s'épanouir en santé physique et en santé morale, en force, en grâce, en intelligence, en esprit de conduite.

    Sachant cela, on peut être d'accord ou pas... Mais il n'empêche que, dans cette conception de l'École Maternelle, on reconnaît la volonté de voir des enfants heureux, épanouis, qui acquièrent des connaissances variées, dans la joie et la bonne humeur !

    Quatrième cas :
    Nous voici maintenant dans un temps si reculé que l'idée de l'enfance a de la peine à cheminer dans l'esprit des hommes. C'est tout juste si on conçoit qu'avant d'entrer à la fabrique, vers l'âge de sept ans, les tout-petits, confiés à des mains mercenaires parfois à peine plus âgées qu'eux, frôlent quotidiennement des périls inouïs ! 
    Dans cet univers sombre, des voix s'élèvent, cherchant avant tout à préserver les forces vives de la nation en combattant une mortalité infantile si élevée qu'elle la prive d'ouvriers, de soldats et de bonnes reproductrices. Il faut garder ces tout-petits, les préserver de la maladie et des mauvaises influences, leur inculquer à n'importe quel prix l'amour du bien et de la religion.

    D'autres vont plus loin et commencent déjà à chercher ce qui pourrait les rendre heureux en les améliorant.
    Et ils trouvent... enfin... ELLE trouve :

    Les moyens de réorganiser notre instruction primaire et de la mettre d'accord avec elle-même et avec les besoins actuels :
    « I. — La substitution de la méthode naturelle et attrayante aux procédés factices, routiniers et dépressifs jusqu'ici en usage ;
    [ « II. — L'introduction dans l'enseignement de quelques connaissances aujourd'hui d'utilité générale, telles que l'histoire du pays, celle du travail, l'hygiène, les notions des diverses sortes d'économie, etc. ;
    « III. — L'introduction de l'élément professionnel, s'étendant au commerce, aux langues vivantes, aux arts industriels, aux métiers, et marchant simultanément avec l'instruction proprement dite. » ]

    Pour elle, la méthode française, celle qui doit prévaloir tout le temps et à plus forte raison chez les moins de sept ans, c'est :

    « c'est l'enseignement expérimental compris sous les noms divers d'enseignement par les yeux et de leçons de choses ; c'est l'instruction par les faits, en un mot, c'est la méthode naturelle ».

    Mais laissons parler quelqu'un qui a lu ses écrits, a côtoyé son œuvre et lui a fait confiance :

    Mme ... s'est faite l'apôtre de la méthode naturelle, de la méthode qui prend la nature pour point de départ, ensuite pour guide et pour point d'appui ; qui s'adresse d'abord aux sens et, par leur moyen, met l'enfant en communication avec tout ce qui l'entoure :
    « Coopérer à l’œuvre de la nature, l'étendre, la rectifier quand elle dévie, telle est la tâche de l'éducateur ; à tous les degrés de l'éducation, il faut respecter la nature ».

    Elle répugne à l'abstraction ; elle ne parle qu'en présence de l'objet ou du moins de son image ; sa maxime est :
    « Un signe visible pour chaque chose visible ».
    De là les images qui illustrent ses livres, les instruments et appareils qu'elle a inventés pour rendre partout et toujours l'enseignement concret (voir sa Notice sur l'éducation des sens, ses collections d'images, de dessins et de gravures, etc.).
    A ses yeux, l'éducation doit avoir pour bases non seulement l'observation, la réflexion, l'expérience, mais aussi l'attrait, l'affection, le sentiment, le respect :
    « L'enfant devrait vivre au sein d'impressions fraîches et douces ; les objets qui l'entourent à l'école devraient être gracieux et riants. Il n'est pas un enfant qui ne se laisse prendre à l'affection qu'on lui témoigne. Aimez chacun de ceux qui sont confiés à vos soins. Nous ne valons qu'autant que nous aimons. Tâchez qu'on vous aime, et ce sera facile si vous aimez véritablement vous-même: l'amour, c'est la flamme qui attire la flamme. Il faudra de bonne heure éveiller chez nos pupilles le sentiment de leur dignité morale et travailler à les en pénétrer, en veillant sur nos manières envers les autres. En général, on traite les enfants avec trop peu de façon ; on manque d'égards pour eux. »

    Dans l'esprit de Mme ...,  la salle d'asile était une œuvre d'éducation première, d'épanouissement, de développement dans tous les sens, non une œuvre d'instruction. Elle ne demandait à ses jeunes auditeurs ni effort, ni contention d'aucune sorte, ni travaux, pas même ces prétendus travaux récréatifs mis à la mode par les disciples de Frœbel : elle craignait que l'on ne fît d'eux « des petits galériens ». Elle ne leur demandait que de l'écouter et, pour les y amener, elle recourait aux récits enfantins, aux exhibitions d'objets ou d'images, à tout ce qui pouvait charmer leurs oreilles ou leurs yeux. Si elle admettait quelques exercices d'instruction sentant l'école, ce n'était que dans une mesure très restreinte et sous la réserve que ces exercices seraient courts, rudimentaires, toujours relevés par des mouvements ou des moyens d'aspect.

    Quoi, encore cette idée d'épanouissement, de liberté, cet appel aux sens, au plaisir, au jeu, à l'effort mesuré et librement consenti ! Mais c'est insupportable
    Bah oui quoi ! Normal, non ? Puisque le rédacteur de cette biographie est un dénommé Eugène Brouard, l'un des 350 collaborateurs dont s'entoura Ferdinand Buisson pour rédiger son Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire.

    Sachant cela, on peut être d'accord ou pas... Mais il n'empêche que, dans cette conception de l'instruction des tout-petits, on reconnaît la volonté de voir des enfants heureux, épanouis, qui acquièrent des connaissances variées, dans la joie et la bonne humeur ! 

    Conclusion :

    On peut considérer que tous ces gens-là nous ont fait ou refait le coup de Summerhill et que, lorsqu'il s'agit d'enseigner quelque chose à un élève, on ne peut éviter de lui imposer une tâche bien définie.
    Sans doute est-ce très vrai, dès lors que l'élève en question a dépassé l'âge de la petite enfance (en gros, au moment des premiers signes de la deuxième dentition), époque à laquelle, la question est de lui faire comprendre ce que signifie cette tâche et de lui en montrer l'intérêt.
    Cependant, de l'avis de tous ces pédagogues plus ou moins réputés, avant cet âge, il ne saurait être question d'en faire des petits galériens qu'il ne faudrait en aucun cas laisser choisir en fonction de leurs envies.

    Sachant cela, on peut être d'accord ou pas... Mais il n'empêche que, dans cette conception de l'instruction des tout-petits, qui est aussi la mienne, on voit des enfants heureux, épanouis, qui n'ont certes pas appris dans la douleur mais ont tout de même acquis des connaissances variées et une envie d'apprendre qui les rend aptes à fournir désormais tous les efforts nécessaires à une instruction sentant l'école, comme aurait dit ce bon M. Brouard !


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