• Quand ça fait plaisir et puis qu'ça débarrasse !

    Avez-vous eu vent de la modification de l'article D321-6 du Code de l'éducation ? Moi non... Pour l'instant, rien dans le BOEN, rien de la part de ma hiérarchie... Il faut dire qu'apparemment, cette modification, toute récente puisque publiée le 21 novembre 2014, était déjà actée par les DASEN et IEN dans nombre de départements.
    Pour moi, c'est nouveau. Figurez-vous qu'après la commission d'appel en cas de refus des familles, qui nous avait déjà méchamment dépossédés de notre statut d'expert de l'enfant en milieu scolaire, voici que désormais...

    Citation : A titre exceptionnel, le redoublement peut être décidé pour pallier une période importante de rupture des apprentissages scolaires. Il fait l'objet d'une phase de dialogue préalable avec les représentants légaux de l'élève. La décision de redoublement est prise après avis de l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré. 

    Voilà... Déjà que mon Aimé-qui-aimait-la-maîtresse (et qui grâce à cela avait appris à lire, à écrire et à compter pendant son CP) galère comme un malade au CE2 et perd toute estime de soi devant la montagne qui se dresse devant lui... Tout ça parce qu'une gloriole mal placée d'adultes endoctrinés par une trentaine d'années de désinformation l'a empêché d'aller son train de sénateur ! Avec de décret-là pour compléter, c'est le bouquet... Comment voulez-vous qu'une personne qui ne l'a pas vu au quotidien et qui est pressée par sa hiérarchie de faire du chiffre puisse imaginer les souffrances d'un petit bonhomme contraint à grandir trop vite, à grands coups de pilules vitaminées et d'étirements en cage de contention ?
    Si vous saviez comme je regrette de l'avoir embouqué de force[1], ce petit bonhomme qui ne parlait pas encore à 4 ans et qui avait besoin de dix fois plus longtemps que ses copains pour assimiler une notion, un mot nouveau ou le sens d'un concept ! Si vous saviez comme je m'en veux de l'avoir pris en Aide Personnalisée 60 heures au cours de son CP puis en APC - fonction soutien scolaire, 36 au cours de son CE1 !
    Je le savais que c'était du "plaqué en toc", ce que je faisais. Je me rendais bien compte que ce dont il avait besoin, le petit Aimé, c'était d'un peu plus de temps et d'un peu plus de maturité et pas seulement d'un peu plus d'acharnement quotidien...
    Il ne s'agissait pas d'un petit chevreau destiné à la boucherie que l'on souhaitait voir grossir au plus vite afin de récupérer le lait de la mère pour la fromagerie.
    Il s'agissait d'un enfant au développement intellectuel moins rapide que celui de ses camarades. Le temps dont il avait besoin n'aurait pas dû se compter en heures quotidiennes de gavage (même ludique !) mais en année scolaire de répit...
    Et tout son drame vient de là ! Comme le drame de centaines d'enfants qu'on envoie chaque année au casse-pipe avec, comme le propose le décret, un dispositif d'aide placebo qui rassure les familles et désespère enfants et vrais experts, ceux qui les suivent au quotidien dans leurs salles de classe.

    Citation : Au terme de chaque année scolaire, le conseil des maîtres se prononce sur les conditions dans lesquelles se poursuit la scolarité de chaque élève. Lorsqu'il s'avère nécessaire, un dispositif d'aide est proposé.

    Vous voulez que je vous en donne un efficace, de dispositif d'aide pour les petits canards boiteux qui perdent pied dès qu'on les presse ? C'est du temps qui passe... Un temps long qui leur permettra de s'assurer avant de risquer une palme dans l'eau, tranquillement, sans risquer la noyade !

    En file indienne, les variables d'ajustement !

    Et des preuves, j'en ai ! Assez peu finalement... parce qu'ils ne sont pas si nombreux, ces enfants-là. En 40 années de carrière en École Primaire (deux à onze ans), j'ai dû faire redoubler une quinzaine d'enfants tout au plus. Cela ne fait même pas quatre enfants sur 200 à 250 par décennie.
    Des cas lourds, d'abord... quatre qui, grâce à ce redoublement, ont pu se sentir un peu plus à l'aise au milieu d'enfants qui avaient à peu près les mêmes jeux, les mêmes intérêts, la même façon d'appréhender la vie qu'eux. L'une est allée directement en classe de perfectionnement (c'était à l'époque où la France était encore assez riche pour considérer qu'il fallait donner plus et mieux aux enfants trop différents pour être à l'aise dans une classe de 25 élèves suivant un programme scolaire exigeant sans trop d'anicroches), l'autre a suivoté jusqu'en 6e SEGPA et est actuellement en MFR[2] où elle prépare un CAP agricole... Quant à la troisième, je crois qu'elle a aussi passé un CAP et qu'elle vit sa vie d'adulte à son rythme. En tout cas, je n'ai jamais entendu dire, alors que sa famille vit près de chez moi, qu'elle ait désespéré au point de rater sa vie totalement. Le quatrième, enfant testé par le psychologue scolaire comme ayant trois ans et demi d'âge mental à l'issue de la Grande Section, aurait dû aller en CLIS, mais il n'y avait pas de place pour lui. Il a échoué dans un CP où il a joué les utilités en fond de classe... Je l'ai ensuite perdu de vue, la famille ayant (encore une fois) déménagé.

    Les autres cas, moins difficiles que ces quatre-là, ont tous, sauf un (mon fils), vraiment tiré profit de ce redoublement en tout début ou en cours de scolarité élémentaire. Certains ont continué une scolarité moyenne mais sans gros décalage et ont opté après la Troisième pour des filières courtes (CAP, BEP).
    D'autres ont repris tranquillement, sans difficultés, le cursus commun ; il s'agissait souvent des enfants jeunes, nés en toute fin d'année scolaire, parfois porteurs d'un handicap sensoriel qui, une fois connu et parfois corrigé, n'a plus été invalidant. Pour un ou deux d'entre eux, il s'agissait d'enfants issus de milieux très défavorisés où on ne leur parlait que très peu.
    Parmi ceux-ci, je recense une infirmière libérale, un animateur de club équestre, deux chefs d'exploitation agricole, un conducteur de travaux publics, un pâtissier, un mécanicien moto...

    Le dernier de ce groupe d'enfants, l'ami Doudou, est actuellement au CE1, dans ma classe. C'était le copain d'Aimé et, comme lui, après une GS difficile, un CP au forceps, il ramait l'an dernier au CE1.
    La lecture ne s'automatisait pas, l'écriture était déplorable, l'orthographe lexicale restait phonétique, les règles de grammaire demeuraient opaques. Tout ceci a été dûment constaté dans un bilan orthophonique catastrophique diagnostiquant une grave atteinte des fonctions de l'enfant, déclaré incapable de progrès en écriture-lecture sans une prise en charge lourde.
    En mathématiques, c'était encore pire. "Aucune capacité d'abstraction", a décrété le médecin scolaire qui, en plus de la prise en charge orthophonique, a demandé des prises en charge  orthoptique, psychologique et cognitive au CMP le plus proche...
    Parallèlement à tout cela, le comportement se dégradait. Avec son pote Aimé, il virait à la terreur des bacs à sable, susurrant des grossièretés aux copains, même beaucoup plus âgés, et se cachant derrière les arbres pour mener des razzias éclairs au milieu du terrain de foot, dans le coin des échanges de cartes Pokémon ou dans la fabrique à bracelets en élastiques. L'insolence et les ricanements n'étaient pas loin et, en fin d'année, lorsque le départ d'Aimé a été décidé, les parents ont dû être alertés afin qu'ils redressent un peu la barre.

    La famille, au début rétive au redoublement, l'a accepté suite à la lourdeur de la prise en charge en orthoptie (diagnostic de grave dyspraxie visuelle). L'enfant manquait deux demi-journées par semaine, il n'allait donc pas pouvoir suivre les apprentissages communs...
    Au mois d'avril, j'ai profité de cet état de faits pour faire discrètement glisser le bureau de Doudou vers le coin des CP. Petit à petit, je lui ai proposé de suivre certaines activités des CP qui lisaient encore lentement mais déjà couramment, comme lui.
    Le petit bonhomme a tout de suite accepté ! Lui, la gloriole mal placée des adultes, il s'en fichait. Ce qu'il voulait, c'est être à l'aise et pouvoir redorer son blason bien écorné par presque trois années de difficultés scolaires récurrentes. Et puis, au niveau de l'âge, né prématuré à la fin novembre de l'année civile dévolue[3] aux programmes scolaires de la file indienne "CE1 - cuvée 2013/2014", il était bien plus proche de Dania, P'tit Lolo et Plus-Vite-Que-Son-Ombre, nés au premier trimestre 2008 que de Oui-Oui, Mafalda et Malicia, ses aînés de presque une année entière !
    Les parents, avertis par leur fils qui recommençait à leur raconter l'école et à parler de ce qu'il avait su faire, ont commencé à comprendre que tout ce qu'ils avaient entendu dire sur la perte d'estime de soi de l'enfant "rétrogradé" n'était peut-être pas aussi systématique que cela.

    Cette année, leur Doudou fait réellement un vrai CE1 de vrai élève. Son grave handicap orthophonique a presque totalement disparu. Il adore... les dictées... et particulièrement les mots difficiles comme longtemps, maintenant, aujourd'hui. Il prend la parole sans arrêt pendant les leçons de grammaire. Il se régale à signaler les accords en genre et en nombre des noms et des adjectifs et est devenu imbattable pour donner la personne et la terminaison d'un verbe.
    Figurez-vous qu'il commence même à avoir des réponses mathématiques bien qu'il ne sache pas encore toujours formaliser l'opération qui lui a permis de les obtenir. Vendredi, par exemple, il savait que maman avait besoin de 5 billets de 5 euros pour payer les 25 euros qu'on lui demandait mais il avait oublié que c'était l'opération "En 25, combien de fois 5" qui matérialisait cette recherche.
    En tout cas, nous sommes bien loin du petit garçon qui, perdu dans un monde conceptuel bien trop grand pour lui, additionnait immanquablement tous les chiffres du problème et répondait Il y a 12 à ce type de problème l'an dernier[4] !
    Du coup, les parents, convaincus, ont décidé d'attendre un peu pour faire suivre la rééducation orthoptique (qui s'est miraculeusement arrêtée vers le 15 septembre 2014) par la rééducation orthophonique. Quant à moi, je bagarre pour essayer d'obtenir que Loulou arrête de s'endormir, épuisé, vers 23 heures, et bénéficie enfin de longues nuits de sommeil réparateur[5]. Je suis sûre que cela réglerait très vite les derniers décalages qui subsistent...
    Son année de naissance, il s'en préoccupe fort peu et c'est tout uniment, sans aucun regret dans la voix, que le jour de son anniversaire, il nous a informés de sa date de naissance, nous prouvant par sa remarque que ses capacités d'abstraction sont en train de naître : "Moi, je suis né en 2006. Le ... novembre 2006. Alors, je vais avoir 8 ans, parce que 2006 + 8, ça fait 2014."

    Ce cas - unique, hélas, me reprocheront certains de mes lecteurs... Encore heureux, vous ne voudriez pas que tous les enfants soient contraints à grandir trop vite, non ? - nous prouve bien que c'est du côté des adultes qu'on ne veut voir qu'une tête, sans aucune oreille qui dépasse.

    Les enfants, eux, ce qu'ils demandent, c'est d'être bien là où ils sont. Ils aiment apprendre et progresser, du moment où ce qu'on leur propose ne dépasse pas trop ce qu'ils sont déjà capables de faire.
    Quant au "traumatisme", il n'existe que si l'entourage le provoque par son inquiétude, ses soupçons, son tableau trop noir de la situation. Il est évident que si l'on chante à un enfant sur tous les tons qu'il va perdre ses copains, s'ennuyer à recommencer la même chose ou se sentir dévalorisé et rejeté, il ne peut pas se sentir confiant et prendre cette remise à niveau, car c'est bien de cela qu'il s'agit, de manière positive !

    La classe idéale à faire en deux années au lieu d'une pour Doudou et Aimé aurait sans doute été la Grande Section. Ah, stop ! Je m'arrête tout de suite :

    Citation : Aucun redoublement ne peut intervenir à l'école maternelle, sans préjudice des dispositions de l'article D. 351-7.

    Trop tard pour les futurs Doudou ! Ils iront au casse-pipe au CP et se paieront orthophonistes, orthoptistes, orthosomnistes et autres alors qu'il aurait suffi d'attendre qu'ils atterrissent tout doucement sur Terre, au milieu de nouveaux camarades dont l'âge affectif ou mental correspondaient au leurs !

    "Je ne veux voir qu'une tête" a décidé le législateur. Un enfant qui échoue restera désormais au milieu de ses camarades dotés de manière plus standard qu'eux et ajoutera au traumatisme de cette différence qu'il perçoit celle d'avoir un régime particulier... "Coucou, mes petits élèves ! Aujourd'hui, vous allez écrire à vos camarades sur Twitter ! Sauf Bibi qui lui, fera un coloriage... N'est-ce pas, Bibi ? Ta lettre, toi, tu me la dicteras pendant l'APC... Et cet après-midi, pendant que Bibi ira avec Nono, le maître du RASED, nous regarderons la vidéo sur les grenouilles. Mais ce n'est pas grave, Bibi, tu reviendras juste à l'heure pour copier les leçons et comme toi, tu ne les copies pas, je te raconterai la vidéo pour que tu puisses suivre son exploitation demain matin avec la dame qui vient nous en parler..."
    Et il ne pourra effacer les compteurs à la fin de l'année où il a donné des signes de noyade que si celle-ci est due à des absences prolongées... Personne n'a dit au législateur que les enfants en souffrance n'amènent plus à l'école que leur enveloppe charnelle ? Et que leur absence cognitive et affective est plus que prolongée.
    Désormais nous devrons attendre qu'ils deviennent "décrocheurs" pour les plaindre et traiter le problème.

    Génial, non ? Et tellement à l'écoute des besoins réels de l'enfant, n'est-ce pas... C'est pourtant bête comme chou. L'égalité de traitement ne peut pas correspondre à l'égalité des chances, bien au contraire.
    Le vrai courage serait de permettre à chaque enfant d'avancer à son rythme, dans le cadre de programmes scolaires (puisque notre métier, c'est l'enseignement) égalitaires et égalisateurs des chances.

    Celui qui avance lentement, on lui octroie du temps parce qu'on sait que ce temps perdu, c'est du temps et de l'argent gagné. Son année supplémentaire (ses deux parfois,...) lui évitera le plus souvent tous ces troubles occasionnés par la perte de confiance, la mésestime de soi ou tout simplement l'immaturité sensorielle et cognitive.
    Et ceux qui avancent vite, comme mon petit Beppino, 5 ans 2 mois, qui caracole sur les programmes du CP sans aucune difficulté, on leur permet de brûler quelques étapes au passage... Euh non, les vrais experts que nous sommes n'en prononceront qu'une seule ont décrété les rédacteurs du Code de l'éducation, plus, cela doit dépendre de celui qui ne voit jamais les élèves :

    Citation : Le conseil des maîtres ne peut se prononcer que pour un seul raccourcissement de la durée d'un cycle durant toute la scolarité primaire d'un élève. Toutefois, dans des cas particuliers, il peut se prononcer sur un second raccourcissement, après avis de l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré.

     Tant pis pour ceux qui, comme mon Lolo, né en janvier, après avoir sauté la Moyenne Section, puis le CE2, obtenaient avec deux années scolaire d'avance une mention Très Bien au baccalauréat et entraient brillamment en classe préparatoire (là, c'était juste pour me faire traiter d'élitiste par les mal-comprenants... j'adore les gens qui ne lisent que ce qu'ils ont envie de lire) !

    Alors, chiche, on le revoit ce décret ? Et on ose expliquer aux familles que, dans le cadre de la Refondation de l'École, en raison de leur expertise en ce domaine, ce seront désormais les Professeurs des Écoles qui, réunis en conseil de ce que vous voulez, ajusteront au plus près la scolarité de chaque enfant, en fonction de ses besoins réels, sans aucune condition d'âge civil.
    Et si on décrétait, au sens législatif du terme, qu'afin de rendre cette adaptation à l'enfant encore plus profitable, désormais aucune classe à un seul niveau ne doit dépasser 25 élèves et que cet effectif doit être réduit de 5 élèves par niveau supplémentaire au sein de la classe, ce serait presque parfait !

    Parce que là, pour le moment, l'égalité, la vraie, elle me fait plutôt penser à ça (pas de point Godwin, s'il vous plaît, c'est la chanson que je cite) :

    [1] Terme employé par les éleveurs de Drôme Provençale lorsque, devant un agneau ou un chevreau trop faiblards pour téter, ils lui enfournent la tétine du biberon de force dans la gueule et l’obligent à avaler le contenu du biberon aussi souvent que nécessaire pour que le petit démarre et soit capable de téter seul sa mère.

    [2] Maison Familiale Rurale

    [3] Savez-vous que jusqu’à la fin des années 1940 environ, les enfants nés entre le 1er octobre et le 31 décembre de l’année civile n’entraient pas au CP l’année de leur sixième anniversaire ? C’est même de cela qu’est née la légende des 30 % de redoublants ! http://skhole.fr/une-erreur-malencontreuse-retards-scolaires-et-r%C3%A9formisme-%C3%A9ducatif-des-ann%C3%A9es-soixante-dix

    [4] Bah oui : Quand les données numériques sont 25 et 5, et qu’on ne comprend rien, mais alors rien à ce qui peut préoccuper les foules, cela donne 2 + 5 + 5, soit exactement 12, bande d’ignares !

    [5] Tiens ça, c’est une idée de métier d’avenir : rééducateur du sommeil ! "Mon petit est dys-somnique, c’est le docteur qui l’a dit !"
    Je suis sûre qu’après deux ou trois sujets aux infos de TF1, à l’émission Les Maternelles ou à  « J’ai des soucis avec mes enfants et je tiens à ce que le monde entier le sache », les officines ne désempliraient plus.


    8 commentaires
  • Aujourd'hui, c'est twictée !

    Ce matin, aux infos de 7 h 30, sur Europe 1, j'ai appris ce qu'était la dictée du XXIe siècle autrement dite twictée. J'écoute actuellement le replay (c'est à 7 h 36) pour être sûre de ne pas vous mentir. 

    Nous apprenons dans ce reportage que notre pays est pionnier pour l'usage du numérique en dictée ! Moi qui croyais que nous étions à la traîne, voilà qui fait plaisir, n'est-ce pas ? Si en plus d'être à la pointe de l'innovation numérique mondiale, ça aide nos élèves à orthographier une langue réputée difficile comme la nôtre, ça, c'est une nouvelle d'importance !

    Le reportage se passe dans une classe de CE2, en Seine-et-Marne. Les élèves commencent par écrire avec un stylo, sur une feuille de papier, deux phrases dictées par leur professeur des écoles (la dame dit "instituteur", mais je suppose que c'est juste parce que ce terme de "prof des écoles" n'a jamais réussi à passer la rampe...). Ces deux phrases ont en tout et pour tout 140 caractères, espaces compris, format Twitter oblige.
    Nous en entendons une : "Huit nouveaux participants entrent dans les groupes." (52caractères)... Pour la deuxième, nous ne saurons que sa longueur supposée : 88 caractères au plus.

    Après cette écriture en autonomie, les élèves se regroupent pour discuter de leurs productions respectives et tenter le challenge du "sans faute". C'est le moment de la négociation. On entend deux élèves de 8 à 9 ans et demi épeler le mot "nouveau", tel qu'ils l'ont écrit. Le premier épelle : "N.O.U.V.O", le second "N.O.U.V.E.A.U".

    L'instituteur (sic) envoie alors la dictée non-corrigée, c'est-à-dire telle que les élèves l'ont rendue après la négociation, par internet, à une classe à l'autre bout de la France qui a fait la même dictée. Qui tape cette dictée avant de l'envoyer ? On ne nous le dit pas... Tel que c'est raconté, il semblerait que c'est le maître. Jusque là, l'usage d'internet est assez limité, mais ça va venir.

    En effet, à partir de là, les élèves des deux classes vont dialoguer, via Twitter, afin de s'échanger des règles de grammaire ou argumenter sur leurs choix orthographiques. Un petit exemple : ce jour-là, un élève explique dans son twitt que "circuit" finit par la lettre T puisqu'on peut dire "court-circuiTer"...

    Enfin, la journaliste nous annonce une cerise sur le gâteau : grâce à leurs twictées, les élèves apprennent en prime les codes en usage sur les réseaux sociaux. En échangeant leurs twitts avec une autre classe, ils apprennent à user de prudence sur internet en direct, ce qui est plus efficace que s'ils écoutaient une conférence annuelle sur les dangers des échanges virtuels.

    Déjà, cette dernière explication me semble un peu vaseuse... Je veux bien qu'à chaque séance (hebdomadaire, si j'ai bien compris), le maître leur rappelle qu'il ne faut pas qu'ils aillent traînailler n'importe où et qu'il convient qu'ils restent concentrés sur leur objectif de correction de dictée, mais de là à dire qu'ils apprennent à se méfier des inconnus qui leur adresseraient un message et qu'ils transféreront cette compétence acquise à des usages plus ludiques et personnels du web, c'est un peu audacieux.
    Mais je ne demande qu'à y croire après tout. Un peu d'optimisme en ce monde bien sombre, ça ne peut pas faire de mal.

    Non, ce qui me choque le plus, c'est l'exercice en lui-même... Déjà, 140 signes, au CE2, c'est assez peu. J'ai calculé, même à 5 signes de moyenne par mot (+ espace ou signe de ponctuation le suivant), ça fait glorieusement une dictée de 28 mots. Quand on sait que celles que mes élèves de CE1 écrivent actuellement quotidiennement ont entre 40 et 48 mots, c'est déjà un petit peu ennuyeux au point de vue de l'égalité des contenus....

    Ensuite, vient la durée de l'exercice. Dicter 28 mots, disons que cela prend un petit quart d'heure.
    La négociation, si elle porte sur chaque mot dans chaque groupe et qu'il convient ensuite de s'accorder, cela doit bien tourner autour de la demi-heure.
    Puis, le maître qui envoie cela, fautes comprises (comment fait-il, le collègue, pour ne pas avoir le x du pluriel à la fin de nouveau qui arrive tout seul sous ses doigts lorsqu'il tape ?), cela va assez vite... Allez, cinq minutes en comptant large.
    Enfin, la renégociation inter-classe, de twitt en twitt... Vous diriez combien, vous ? J'avoue que je n'en ai aucune idée...
    Et quand est-elle enfin corrigée, cette dictée ? Quand est-ce que l'élève de CE2 qui croit encore comme mes petits CP après deux mois et demi d'apprentissage de la lecture que "nouveau" cela s'écrit "NOUVO", va enfin apprendre qu'il se trompe et que des adjectifs qualificatifs français qui finissent par "O", il n'y en a qu'un...

    Tout ce temps perdu, quelle tristesse ! Déjà que je pleure sur nos 27 heures de classe de mes débuts et tout ce qu'elles nous permettaient de caser comme connaissances et ouvertures culturelles, sportives et citoyennes ! Et là, ces pauvres gamins qui sont là à attendre un twitt venu d'ailleurs pour pouvoir corriger un truc qui se rectifie en trois coups de cuiller à pot si on met deux élèves au tableau comme sur la photo, ou simplement si on discute et laisse répondre les enfants pendant la dictée elle-même :

    "Huit nouveaux participants... Marwann, tu nous redis comment on écrit "huit" en lettres ?... Bien, "nouveaux", maintenant... Léa, le son [O] de nouveau, beau, jumeau,..., s'il te plaît ?... Et qui est "nouveau", dans cette phrase ?... Les participants... Bien... Participants... qui me donne le féminin ? Combien sont-ils, ces participants ?... Théo, tu me donnes le nombre du nom commun "participants" ? Et de l'adjectif qualificatif "nouveaux" qui s'y rapporte ? Tout le monde se souvient de la marque du pluriel de chacun d'entre eux ?... Nolwenn, tu nous les rappelles ?... On continue...".
    Quand on ne cherche pas à noter les élèves, ni à les classer du premier au dernier, mais plutôt à les faire progresser, on peut ainsi "tout dire", jusqu'à ce que chacun ait pris le réflexe de chercher ainsi, dans sa mémoire, dans les outils dont il dispose (dictionnaire, lexiques, tableaux de conjugaison, ...), les solutions aux problèmes qu'il cherche à résoudre. 

    Mais pour adopter cette démarche, réellement coopérative, à laquelle tout le monde participe à sa mesure, encore faut-il que chacun sache que, dans la classe, il existe une personne qui est là pour jouer ce rôle d'animateur, d'hôte, d'assistant technique, de référent, d'ami prêt à offrir une main secourable, à donner à tous ce qu'il a reçu d'autres avant lui... Un ins-ti-tu-teur, celui qui institue, élève, éduque.
    Et je me demande si ce n'est pas, en plus du temps perdu, de l'énergie, électrique comme cérébrale, dépensée pour rien, ce qui m'ennuie le plus. Pas pour briller et obtenir à peu de frais lauriers et médaille, bien sûr. Mais parce qu'ils me font peine, nos petits enfants perdus du "Construis-toi toi-même" ! Et parce que je trouve que les chemins que certains se tracent, abandonnés qu'ils sont à tous les niveaux, sont bien tristes, bien sombres, bien regrettables.

    Alors non, ce n'est pas dangereux de perdre une demi-journée pour un exercice qui aurait dû, correction comprise, ne durer que trente à quarante minutes. Non, ce n'est pas dangereux d'attendre d'avoir neuf, dix, douze, quinze ans, pour savoir qu'il n'y a que l'adjectif qualificatif "rigolo" qui, en français, se termine par la lettre O.
    Mais si, c'est dangereux de ne pas savoir que, dans leur grande sagesse, les adultes ont prévu qu'un enfant avait besoin des adultes pour se construire, s'élever, s'éduquer et que c'est pour cela qu'il y a plus de deux siècles ils ont créé le métier d'instituteur, très distinct de celui de (mauvais) dactylographe.

    Ici, la suite : Des nouvelles de la Twictée

     


    37 commentaires
  • Décrottons l'histoire !

    Dans Libé en ligne du 10 novembre, la journaliste Catherine Mallaval nous raconte L'indécrottable retour de la vieille école, comme d'habitude. C'est bien simple, tout le monde fantasme sur l'école d'autrefois, depuis la secte des adorants de la blouse grise jusqu'à la confrérie des idolâtres du Socle !

    En les lisant, je me retrouve comme l'ami Georges qui ne voulait choisir ni les Tommies, ni les Teutons, et je leur dis :

    Le jour où on arrêtera de tout mélanger, contenus et blouses grises, nombre d'heures de classe et plumes Sergent Major, coups de règle sur les doigts et confiance dans les capacités de TOUS les enfants à sortir du niveau présupposé de leur milieu d'origine si on leur en donne les possibilités, on aura (enfin) fait un grand pas en avant.
    Lisez les textes libres des élèves de Célestin Freinet et compulsez les Bibliothèque de Travail qu'ils rédigeaient dans les années 1920 à 1960 (Freinet est mort en 1966, je n'y peux rien), vous verrez quel était le niveau d'enfants du Peuple qui n'avaient connu ni coups de règle, ni blouses grises, ni bonnets d'âne. Et pourtant, ils faisaient déjà de l'expression orale, plastique et tout ce que vous voulez, de la recherche d'informations, de l'ouverture sur le monde... Il y en avait même qui étudiaient l’espéranto, c'est pour dire.

    La clé de leur succès ? Des instituteurs bien formés, maîtrisant aisément les contenus qu'ils sont chargés de faire découvrir à leurs élèves, un nombre d'heures de classe suffisant par semaine et une volonté d'instruire le plus largement possible ceux qui n'ont que l'école pour découvrir le monde. Tout le reste, les blouses grises, les débats citoyens, les bonnets d'âne, les tablettes numériques, les bons-points et les validations des paliers du socle, c'est du folklore... A chaque époque le sien.

    Décrottons l'histoire !


    3 commentaires
  • Un service spécialisé plutôt que l'école...

    "Ce n'est pas une position pessimiste, ma position, conclut M. Rufo, c'est une position d'avenir, l'avenir autonome de ces enfants."

    Au cours de cette émission, qui dure six minutes à peine, le grand pédopsychiatre si médiatique reçoit une mère et ses jumeaux de bientôt quatre ans, atteints d'un syndrome de Prader-Willis qui occasionne un retard de langage, associé à des troubles du comportement.
    Ces enfants sont actuellement scolarisés en MS et accompagnés chacun d'une AVS.

    J'écoute, m'attendant à entendre parler de la chance qu'ont ces deux petits bonshommes de vivre avec leurs petits camarades, d'être intégrés dans une classe dite "normale", de suivre le cursus scolaire de tout un chacun et... pas du tout !!!

    Bien au contraire, M. Rufo parle de sa crainte de les voir développer un trouble de l'estime de soi. Il s'inquiète que ces enfants ressentent très vite leur différence et se dévalorisent en voyant qu'ils "ne sont pas dans la progression des autres petits garçons et petites filles de leur âge."
    Il parle d'équipe spécialisée qui les suivrait sur plusieurs années avec plus d'attention et d'occupation.

    "L'école, dans ces conditions... ils ne peuvent pas vraiment progresser, même avec l'AVS. Ils auraient un service spécialisé avec toute une équipe éducative qui les suivrait pendant des années, on pourrait envisager des progrès à leur rythme, dit-il à la mère des enfants, en la regardant droit dans les yeux."
    Il va même jusqu'à se demander comment fait l'institutrice de maternelle pour leur offrir l'accompagnement dont ils ont besoin.

    Il explique qu'il faut choisir entre une scolarité "normale", "standard" et une véritable conquête de l'autonomie.
    "Que feront-ils à 18 ans ? demande-t-il. Quelle sera leur capacité à s'intégrer dans la société ? Auront-ils besoin d'une aide spécialisée ? Avec emploi adapté ou pas ?"

    Il s'excuse alors d'apparaître comme un peu "attristant" en parlant d'enseignement spécialisé.
    "Mais ce n'est pas du tout triste, pour moi, l'enseignement spécialisé, nous dit-il. C'est au contraire une chance offerte à l'autonomie de ces enfants. Plutôt que l'école qui n'est pas faite pour des enfants en décalage de développement. L'école, c'est la norme, avec des possibilités d'intégration qui doivent rester dans le registre du possible..."

    Monsieur Rufo, comme je vous remercie au nom de ces deux petits bonshommes, au nom de tous ces petits enfants souffrant d'un handicap lourd qui ne trouvent pas à l'école, dans la norme standard, le cocon dans lequel leurs capacités d'autonomie pourraient s'épanouir.
    L'élevage en batterie n'est pas fait pour eux, merci de le dire.

    Quand en 2013, vous expliquiez à la France que l'école se porterait beaucoup mieux lorsque ce seraient des animateurs qui feraient faire de l'Optimist en lieu et place des heures de classe que le gouvernement aurait pu nous rendre au titre de la Refondation de l'École, j'étais très en colère contre vous.

    Cette fois, au contraire, je vous suis reconnaissante de vous mêler de mon métier. Oui, mes collègues et moi-même n'avons pas été formés pour inclure (on ne parle plus d'intégrer, c'était réducteur) dans nos classes des enfants "en décalage de développement". Non, même avec l'aide d'un ou plusieurs AVS, nous ne savons pas faire. Notre métier, c'est l'école standard et ses possibilités d'intégration ne sont pas extensibles à l'infini. Nos capacités non plus. Nous le savons et vous sommes reconnaissants de l'exposer ainsi à la face du monde.

    Puissiez-vous être écouté en haut lieu aussi bien maintenant lorsque vous vous occupez de faire connaître les besoins des enfants en décalage de développement que naguère, lorsque vous promouviez l'externalisation du temps périscolaire !

     


    6 commentaires
  • Ça tournoie autour du malade...

    Comment ils pourrissent le web

    Merci à Loys.


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique