• CP : La « syllabique » et la compréhension

    CP : La « syllabique » et la compréhension
    Merci à Jeux et Compagnie pour cette illustration.

    Imaginez une classe de CP où, pendant la première semaine de l'année scolaire, les enfants n'aient eu pour exercer leur compréhension du langage écrit que les occasions suivantes :

    ♥ Tu as vu le chat ? Il chasse.

    chat - chasse - cha - ch - a

    il - tu - chat - chasse - le - vu - as

    Tu as vu le chat. - Le chat chasse. - Il a vu le chat. - Le chat a vu le chat. - Tu chasses. - Tu chasses le chat.

    ♥ Marie crie : « Mimi ! Mimi ! » Le chat arrive.

    Marie - arrive - ri - r - i - ra - chi

    Marie - Mimi - crie - arrive - le - chat - tu - il - vu - chasse

    Marie a vu Mimi ; il arrive. - Tu as vu Marie. - Marie arrive. Marie crie. - Le chat arrive ; il chasse. - Le chat chasse. Marie a vu le chat. - Tu arrives ; tu as vu Marie. - Tu arrives ; tu as vu le chat. - Mimi arrive ; il crie.

    Tu as vu le chat ; il chasse. Tu cries : « Mimi ! »

    (extrait de Écrire et Lire au CP, p. 2 à 6)

    ou encore « pire » :

    a o - é u - i y - o u a é i y

    f - s - ch

    fa fé fi fo fu fy - sa sé si so su sy - cha ché chi cho chu chy

    fa - ché - so - chi - su - fé - sa - fu - chi - fo - cho - fi

    ( tiré de Bien lire et Aimer lire, édition1997, ESF éditeur)

    Bien maigre, me direz-vous, et surtout bien éloigné de ces manuels de CP où, dès la première semaine, les enfants sont confrontés à des textes riches de sens, tirés de la littérature de jeunesse ! « Ces enfants-là, au moins, apprennent à tirer du sens des écrits qu'on leur présente », nous répètent à l'envi les défenseurs de ces méthodes, qui ne se privent pas par ailleurs de ridiculiser les maigres écrits d'une pauvreté affligeante quand ce n'est pas totalement vides de sens de la « syllabique ».

    Il est vrai que « Le chat a vu le chat. » ou encore « Marie arrive. Marie crie. », ce n'est pas aussi exaltant que « Il était une fois trois petits cochons. » (tiré de Rue des Contes, Magnard) ou encore « Maman est prête mais elle boude. » (tiré de Litournelle, Bordas) Euh... Quoi que... Finalement... Euh... Ça se vaut, non ?...

    « Oui mais, me direz-vous, vous trichez ! D'abord vous prenez la version analytico-synthétique de l'apprentissage alphabétique (ou graphémique) de la lecture, là où il y a quand même un peu de sens, même s'il est affligeant de pauvreté. Et puis, vous ne tenez compte que de ce que les enfants apprennent à lire seuls.
    À côté de ces quelques mots, pas très exaltants non plus, nous le reconnaissons, dans nos méthodes à nous, il y a LE CONTE que nous leur avons lu et sur lequel nous avons travaillé grâce à un questionnaire précis et une méthode d'exploitation rigoureuse, mise en place par des experts ! C'est très différent. »

    Et je vous répondrai, parce que je suis têtue comme une mule, que nous aussi, dans nos classes, où nos élèves psalmodient il est vrai des fa - fu - fi - fo et des La-ssé I-ssa s'a-ssit. (tiré de Je lis, J'écris, Les lettres bleues, éditeur), nous lisons DES CONTES.
    Parfois en suivant les ouvrages conseillés par la méthode d'exploitation rigoureuse mis en place par un expert ou un autre, parfois au gré de nos envies, juste parce que cet album-ci nous a plu, que cet autre complète bien le thème de Questionner le Monde que nous travaillons en ce moment ou que celui-là nous a été apporté par Enzo, Clara ou Lény...

    En début d'année, la partie « apprentissage de la lecture et de l'écriture », dans une classe qui travaille avec une méthode graphémique, qu'elle soit synthétique (comme Bien lire et aimer lire) ou analytico-synthétique (comme Écrire et Lire au CP) n'occupe jamais les 2 h  à 2 h 30 quotidiennes réservées à l'étude du français. Le travail quotidien qui permet aux élèves de mémoriser auditivement, reconnaître visuellement, d'écrire, à l'aide de leur main ou d'étiquettes, s'ils sont encore trop maladroit, et même de conforter leurs acquis en s'entraînant sur un fichier d'exercices occupe entre 1 h 30 et 2 h, en trois ou quatre séances réparties au cours de la journée de classe.
    Il reste donc entre 30 minutes et 1 heure pour LES CONTES et leurs à-côtés. Ce qui, admettez-le, est très largement suffisant pour mener les séances riches de sens que nous conseillent nos experts préférés.

    – Oui mais alors, si c'est pareil, qu'est-ce qui change ?, me rétorquerez-vous.
    – Ce qui change, ce sont les semaines suivantes, vous répondrai-je.

    Lorsqu'on utilise une méthode graphémique,

    • si on se tient rigoureusement à la progression qu'elle propose, sans s'arrêter en chemin comme le lièvre de la fable ou la fillette du conte, pour se délasser et dévier de son but, quinze jours par ci pour exploiter l'album de Noël, une semaine par là, parce qu'on prépare la fête du centième jour de classe, et,  trop régulièrement, une journée entière parce que c'est le jour de ci, de ça, ou encore d'autre chose,
    • si par ailleurs, on consacre réellement 1 h30 à 2 h par jour à lire et écrire, sous la surveillance de l'enseignant qui vérifie que les enfants sont tous réellement acteurs de leur apprentissage et non simplement auditeurs libres,

    très vite, les élèves dépassent les quelques mots des premières pages, et au sacro-saint CONTE que nous continuons à leur lire chaque jour, au gré de nos envies ou selon une progression estampillée « garantie par les experts », ce sont sur leurs lectures autonomes que nous pouvons exercer leurs capacités de compréhension de la langue écrite.

    Ainsi, après trente journées de lecture environ (soit au début de la deuxième période), les élèves qui utilisent Écrire et Lire au CP lisent, seuls, sans avoir besoin d'utiliser un répertoire de mots, puis peuvent la jouer sous forme de scénette, montrant ainsi qu'ils ont compris l'histoire :

    Une bonne soupe

    Pablo arrive à la ville, il a juste une marmite  vide.

    – Où vas-tu Pablo ? dit la dame.

    – Je promène ma marmite !

    – Elle est vide...

    – Alors, je promène ma marmite vide !

    – Je te donne une patate pour ta marmite.

    – Ah ! D'accord, dit Pablo.

    Pablo arrive près de la rivière. Il a juste sa marmite et sa patate.

    – Où vas-tu, Pablo ? dit Artus, le hibou.

    – Je promène ma marmite et ma patate.

    – Tu es fou !

    – Pas du tout ! Pas du tout ! Je joue.

    – Petit fou-fou, écoute, je te donne une carotte et un chou. Tu feras une soupe.

    – D'accord, dit Pablo. La promenade est finie. Je pars et je prépare une bonne soupe pour ma jolie marmite. Je ne suis pas fou du tout !

    Tandis que ceux de Bien Lire et Aimer Lire à la même époque, pour se prouver à eux-mêmes qu'ils comprennent ce qu'ils lisent, jouent à lire silencieusement puis à exécuter les ordres suivants :

    Ordres

    Tire la porte.

    Marche sur le sol.                   Va sur le tapis.  

    Cache le pot.                         Lave le col.  

    Assis !                                    Regarde par la fenêtre. 

    Apporte la clé.                        Lave le lavabo.  

    Avale ta salive.                      Apporte le cartable. 

    Lis le numéro.                       Ramasse ta gomme.  

    Et si nous prenons pour repère le début du deuxième trimestre, toujours si, bien entendu, l'enseignant a gardé le cap et ne s'est pas trop égaré sur des chemins de traverse, ce sont des enfants qui :

    • commencent à lire sans aide extérieure, en moins de 30 minutes (ce qui reste la norme pour une des trois ou quatre séances consacrées à l'écriture-lecture de la journée), des textes dépassant largement la centaine de mots
    • déchiffrent et comprennent seuls les consignes de leurs fichiers de lecture ou de mathématiques
    • se régalent à déchiffrer tout ce qui passe sous leurs yeux à l'école, dans la rue ou à la maison
    • commencent à écrire sous la dictée, sans avoir appris les mots par cœur au préalable de courtes phrases du type : « Lila picore les miettes de galette dans son assiette comme un petit poulet. »

    Enfin, au troisième trimestre, généralement vers le début mai, la période Méthode de Lecture est finie et nous en arrivons à la période Lecture Courante Oralisée. Et là, je vous assure que les enfants n'ont plus besoin des experts et de leurs savantes progressions pour comprendre ce qu'ils lisent ! 

    Le matin, ils ouvrent leur nouveau livre de lecture, ou l'album de littérature jeunesse que nous leur avons choisi pour la journée, les deux jours ou la semaine à venir, et ils ont la fierté de lire, seuls, à voix haute, parfois même en mettant l'intonation :

    Hansel et Gretel

    Il était une fois un bûcheron qui vivait pauvrement dans la forêt avec sa famille. Sa femme était vieille et cruelle, mais ses deux enfants, Hansel et Gretel, suffisaient à son bonheur. Il était courageux et travaillait dur, mais il n'y avait jamais assez de nourriture à la maison.
    Un jour la femme du bûcheron se déclara lasse d'avoir tant de bouches à nourrir.

    « Demain, dit-elle, nous irons abandonner les enfants au fond de la forêt. Ils sont trop jeunes pour retrouver le chemin de la maison et devront apprendre à se débrouiller. »

    Le bûcheron, qui aimait beaucoup ses enfants, fut très triste de cette décision. Mais Hansel, que la faim tenait éveillé, avait tout entendu.

    Il sortit dans la nuit et ramassa plein de cailloux blancs qu'il mit dans sa poche.

    Le lendemain matin, toute la famille partit dans la forêt.

    pour ensuite, toujours dans les 30 minutes imparties à la première séance d'écriture-lecture de la journée, lire seuls et répondre oralement aux questions suivantes :

    Regardons les illustrations : Quel sentiment éprouve chacun des personnages ? 

    Souvenons-nous du texte : Que décident de faire le bûcheron et sa femme ?  

    Aidons-nous du texte et des illustrations : Qui est Hansel ? Où se trouve-t-il sur la seconde illustration ? À ton avis, que va faire Hansel avec ses cailloux ?  

    (Le texte et les questions ci-dessus sont tirés du livret 2 de Rue des Contes,
    dans lequel il est destiné à être lu par l'enseignant, les enfants écoutant et regardant)

    Même que, en plus, si nous le leur demandions (je le fais très régulièrement, et je suppose que je ne suis pas la seule), ces questions-là sont tellement simples qu'ils seraient capables de les lire silencieusement et d'y répondre par écrit. À part peut-être la première... que je trouve stupide et sans aucun rapport avec la compréhension de l'écrit qu'elle est censée travailler ! 

    Alors voilà, convaincus ou non, posez-vous la question : « Avec la méthode que j'utilise, est-ce que j'approche, de très très près, les 100 % d'élèves sortant du CP en sachant faire cela, en classe, en lisant à voix haute avec leurs camarades ?

    • Si la réponse est oui, quel que soit le milieu d'origine de vos élèves, et que les rares élèves en échec sont des enfants à profil très particulier, surtout, surtout, n'en changez pas vous avez choisi la méthode qui vous convient et qui convient aux enfants dont vous avez la charge.
    • Si la réponse est non, s'il vous plaît, réfléchissez-y. Vos élèves doivent démarrer leur scolarité élémentaire avec les mêmes chances que les autres.
      Elle est peut-être très jolie, la méthode que vous utilisez, et les histoires que vous y lisez sont vraiment sympathiques et distrayantes, mais, si elle n'apprend pas à lire aux enfants, ne serait-il pas judicieux d'en changer pour une autre qui vous laissera du temps pour lire aux enfants des histoires tout aussi sympathiques et distrayantes mais qui, en plus, leur apprendrait à lire et à écrire ?

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