• Où l'on voit bien que 30 > 24... (8)

    Où l'on voit bien que 30 h > 24 h...  

    Merci à W., CE1, de m'avoir prêté son cahier pour illustrer cet article.

    Dernière partie de la Progression Canac 1947 pour le Cours Préparatoire.

    Nous avions laissé nos élèves sur la mer d'huile des nombres de 20 à 69. Ils avaient profité de ce voyage pour apprendre à poser "en colonnes" les additions et les soustractions sans retenue. Nous avions par ailleurs supposé qu'ils continuaient à résoudre de petits problèmes par la manipulation concrète mais aussi en apprenant avec leurs enseignants à traduire leur raisonnement par un calcul et une phrase de réponse puisque cet exercice était préconisé dès lors que les élèves auraient une "image mentale" des premiers nombres.

    Ils n'ont plus maintenant, en élèves qui bénéficient pendant 30 heures par semaine d'un enseignement structuré, qu'à boucler un programme au contenu bien plus ambitieux que celui que, malgré toute notre bonne volonté, nous arrivons à rendre profitable à nos élèves. Même si leurs Programmes Scolaires ne prévoient que trois fois 15 minutes par jour de calcul (soit 3 h 45 pour eux contre 5 h pour les enfants de 2014), il semblerait que l'imprégnation générale aidant, nos parents ont eu la possibilité d'aller bien plus loin dès leur Cours Préparatoire que ne peuvent le faire leurs petits-enfants...

    On nous rétorquera sans doute "enfants en échec scolaire", "redoublements" et tutti quanti... Cependant ne me faites pas croire que les institutrices et instituteurs d'il y a 60 ans étaient tous des monstres insensibles qui continuaient à manipuler leurs bûchettes seuls au milieu d'un désert d'enfants perdus. Sauf exceptions de sinistre mémoire, ils devaient bien être un peu comme nous tout de même et se sentir tenus d'emmener leurs petits élèves tous aussi loin que possible, non ? Ne serait-ce que pour leur estime d'eux-mêmes... Il me semble que depuis la plus haute antiquité, les êtres humains ont toujours eu à cœur de se sentir réussir et de contempler avec satisfaction le résultat de leurs efforts.

    D'autres nous répondront "nouveaux publics", "enfants en grande détresse", "communautés" et ainsi de suite. J'irai pour eux de mon anecdote personnelle, comme d'habitude. Lorsque j'étais en Seconde, en 1971/1972, notre professeur d'histoire avait fait un sondage parmi les 45 élèves de notre classe pour savoir lesquels d'entre nous avaient quatre grands-parents français de souche. Avec un seul grand-père immigré, je faisais partie des quatre ou cinq élèves les plus "franco-français" de la classe. Conclusion : mes camarades et moi étions tous peu ou prou "issus de la diversité" et nos parents avaient été nombreux en leur temps à faire partie des "nouveaux publics".

    Quant à la détresse, il suffit de regarder trois minutes d'un reportage consacré à la France entre 1945 et 1955 environ pour constater de visu que les enfants qui apprenaient à compter dans les classes dont parle M. Canac souffraient eux aussi de mal logement, de carences alimentaires et autres symptômes qui se développent lorsqu'une société tombe lourdement ou se relève avec difficultés.

    Mais revenons-en aux nombres de 69 à 100. Nos petits CP de 1945 comme de 2014 vont peiner avec la nomenclature, tout le monde en est convaincu.  Cela exigera du temps et du soin. Et si ce temps était mieux réparti lorsqu'on faisait trois fois un petit quart d'heure qu'avec les grandes plages horaires de la semaine à 24 heures chrono où, quand on sort le matériel, il faut que ça vaille le coup ? Peut-être était-ce plus payant ?

    On profite de cette fin d'année pour apprendre à multiplier et diviser par deux et cinq de la règle concrète à l'opération posée dans sa nudité... On ne se presse pas, on sait que les élèves auront cinq années d'école primaire, sept pour ceux qui n'allaient pas au collège ensuite, pour passer doucement des 36 : 5 et des 24 x 2 du CP aux divisions et multiplications de nombres décimaux ou de fractions des élèves de Cours Moyen ou de Cours Supérieur.

    Enfin, parce que c'est très difficile, on apprend à poser les soustractions avec des retenues... Au CP ! Là, j'avoue que je suis bluffée et que je n'y crois qu'à moitié... On nous dit d'ailleurs que l'enfant l'aura vue et comprise au moins une fois mais qu'il n'est pas sûr qu'il puisse ni l'expliquer, ni vraiment reproduire le mécanisme seul (voilà un autre sujet d'article qui pourrait s'intituler "L'école primaire, cinéma permanent des compétences en cours d'acquisition").

    Ce qui m'a intéressée, c'est la technique proposée. Elle tient à la fois de la "technique par cassage" que nous voyons vantée un peu partout depuis une trentaine d'années et de la "technique traditionnelle" qui garde malgré tout ses adeptes parce qu'elle évite de barrer, raturer, surcharger les opérations.

    Et ce qui m'a étonnée, c'est que cette année, quelques jours après avoir lu cet article, ça a été la technique que m'ont spontanément proposée mes deux "matheux" du CE1 : "Puisqu'on n'a pas assez d'unités, on n'a qu'à ouvrir un sac. ", m'ont-ils dit.

    Comme ils me proposaient de noter "à côté" ce sac ouvert pour le déduire plus tard en plus des dizaines qu'on nous demandait d'ôter, j'ai vite suggéré de le noter plutôt en bas à côté des dizaines du nombre à retrancher. Et lorsque nous en sommes arrivés à ce deuxième calcul, tout le monde se souvenait du "sac ouvert de tout à l'heure", même mon petit poussin perdu et certains CP qui assistaient à l'exercice. J'ai trouvé qu'en effet, c'était plus simple pour des enfants jeunes que le jonglage avec la conservation des écarts qui fait quand même un peu tour de passe-passe malgré l'introduction du gentil grand-père qui donne un billet de 10 euros à l'un et 10 pièces d'1 euro à l'autre de ses petits-enfants.

    Voici donc l'avant-dernière intervention de M. Canac qui ne reprendra plus la parole que pour proposer une évaluation terminale pour les élèves de CP. Nous nous retrouverons donc encore une fois avec ce monsieur courtois et agréable qui ne prend pas les instits de base de trop haut. C'est tellement précieux un formateur qui ne les croit pas incapables de comprendre ce qu'ils font quand ils le font et qui les juge aptes à déterminer tout seuls s'ils ont bien réussi à transmettre savoirs et savoir-faire à leurs élèves qu'ils côtoient au jour le jour.

    Initiation au calcul entre 5 et 7 ans (H. Canac, 1947)

    Les nombres de 69 à 100 - Multiplication et division - La soustraction à retenue

    Reste enfin une dernière étape : les nombres de 70 à 100, qui présentent quelques difficultés de nomenclature où s'empêtrent assez souvent les élèves et dont l'étude demande donc du temps et du soin. Vers le même temps (fin de l'année préparatoire), on pourra faire effectuer et poser de petites multiplications et de petites divisions par 2 et par 5, en partant de manipulations concrètes pour passer peu à peu à la règle opératoire dans sa nudité ; et enfin on initiera les enfants au secret de la soustraction avec retenue.

    La pratique de cette dernière opération ne va pas sans quelque difficulté et l'explication en est délicate avec de jeunes enfants. Il nous est arrivé d'entendre de jeunes maîtres ne rien dire qui vaille là-dessus ou se borner à énoncer le mécanisme opératoire sans aucune justification.

    Ce mécanisme peut toutefois se justifier simplement, même devant des enfants assez jeunes.

    Soit, par exemple, la soustraction : 42 - 27. Que signifie cette écriture ? Que j'ai 42 bûchettes et que je veux, de cette collection, en retirer 27. Réalisons d'abord, devant nous, le grand nombre : 42, par 4 dizaines de bûchettes plus 2 bûchettes. Comme pour les opérations déjà connues, considérons d'abord les unités. Je dois enlever 7 unités. Mais, contrairement au cas de la soustraction sans retenue, je ne trouve pas ces 7 unités parmi les unités « hors dizaines » du grand nombre. Je prends donc l'un des 4 paquets de 10 bûchettes, je l'éventre et je mets ces 10 bûchettes, avec les 2 bûchettes isolées. De ce tas de 12 bûchettes, j'en retire 7 et il m'en reste 5. Mais, avant d'aller plus loin, je note bien que j'ai enlevé une dizaine au grand nombre   j'en garde la mémoire, je retiens cette dizaine. Passons à présent aux dizaines : j'enlève 2 paquets de bûchettes et je constate qu'il ne m'en reste qu'une. L'opération faite, il me reste donc 1 dizaine et 5 unités, ou 15. C'est que, des 4 dizaines primitives, j'ai enlevé en tout 3 dizaines : les 2 du petit nombre plus la dizaine de retenue ; de là le mode opératoire...

    Cette explication une fois donnée, avec toute la simplicité et la patience convenables, il n'est point sûr que les enfants soient capables de la reproduire et, par exemple, de l'exposer à leur tour. Du moins garderont-ils le souvenir de l'avoir une fois comprise et la recette de l'opération ne leur apparaîtra plus comme un mystérieux tour de passe-passe.

    Pour lire le reste de l'article :

    1. Après l'écriture, les nombres !

     2. Savoir compter jusqu'à 100

     3. Les cinq premiers nombres

    4. Les  nombres de 6 à 10

    5. Le nombre 10, la dizaine

    6. De 11 à 19, les irrégularités de langage

    7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !" 

    ...

    9. Évaluation des acquis


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 19 Mars 2014 à 18:59

    Alors moi je répondrais "instits au bout du rouleau avec 24 heures seulement, qui ne prendront leur retraite que dans 20 ans", et prolifération d'enfants-rois.

    2
    Mercredi 19 Mars 2014 à 19:12

    Et tu n'aurais pas tort... Dans les conditions actuelles d'exercice. Mais, comme disait Brel, "il est paraît-il des terres brûlées, ne donnant plus de blé, qu'un meilleur avril "...

    3
    Mercredi 19 Mars 2014 à 21:03

     

    Pour vous consoler un chouia : encore 2 ha de blé à ressemer cette année à cause de la pluie ...

    Qu'est-ce qui est pire : des enfants rois ou une météo pourrie ?

     

    Quand on obtient un si beau cahier, comme celui de W. , ma foi, il y a tout de même de quoi relever la tête ...

     

    Vous êtes utiles, mesdames, continuez ...

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    4
    Mercredi 19 Mars 2014 à 21:14

    Merci. On va essayer de continuer. Tant qu'on nous en laissera l'occasion.

    5
    Jeudi 20 Mars 2014 à 07:51

    Mais si l'occasion était mieux organisée, que l'école n'était plus ce hall de gare où s'agitent de plus en plus de personnes ressources  aux objectifs contraires et aux statuts mal déterminés, je pense que les soucis qu'évoque à juste raison abcdefgh diminueraient de façon conséquente.

    Actuellement, entre les parents, le personnel municipal d'accueil, les animateurs et les PE, une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Alors, pensez, des enfants, comment voulez-vous qu'ils sachet à quel saint ils sont  censés se vouer.

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