L'École Primaire comme je voulais la raconter
Illustration de couverture du livret 2 d'Écrire et Lire au CP, X. Laroche
J'ai reçu récemment un exemplaire de Litournelle, paru chez Bordas, pour la rentrée prochaine.
Comme j'avais un peu de temps, je me suis amusée à faire une recension précise des mots importants du texte et des mots outils à mémoriser suite à la lecture découverte du texte par les élèves avec l'aide de l'enseignant. [Les mots en caractères gras sont, le plus souvent, tirés du Manuel 1 de cette méthode sauf lorsqu'ils sont en italiques.]
Suite à cette recension, j'ai compté à combien de reprises ces mots réapparaissaient dans les lectures découvertes suivantes, comme dans les faits de langue ou dans la liste de mots servant à la localisation du son qu'on étudie à chaque épisode.
Pour faire bonne mesure, j'ai compté aussi le nombre de mots lus par décodage complet utilisés dans les lectures découvertes. J'ai en revanche laissé de côté les mots de ces pages qui n'apparaissaient qu'à cette occasion et ne faisaient pas partie du panel de mots utilisés lors d'activités vraies de lecture compréhensive. Faire déchiffrer une fois un archer ou elle rumine peut très bien rester une activité purement mécanique n'ayant aucun rapport avec la lecture autonome d'un enfant construisant grâce à elle sa première culture de lecteur.
Selon mon expérience personnelle, j'ai souvent remarqué, lorsque je travaillais en méthode naturelle, que si un mot indécodable apparaissait cinq fois ou moins au cours d'un trimestre, il était généralement oublié par tous les élèves (sauf ceux qui étaient déjà lecteurs ou presque lecteurs et donc capables de le décoder seuls, bien entendu). Ce mot était d'autant plus oublié qu'il était loin du dictionnaire mental de l'enfant et cela même si l'on s'appliquait à les seriner en classe le plus souvent possible.
Lorsqu'un mot indéchiffrable, même simple, apparaissait entre 6 et 10 fois, c'était encore très difficile pour les plus fragiles de nos élèves (ceux nés en fin d'année scolaire ; ceux originaires d'un milieu où l'on parle peu ou pas ; ceux qui n'ont pas pour priorité principale de bien travailler à l'école...).
Pour les autres, tout dépendait de l'affectif qu'ils mettaient derrière le mot. Un prénom, le nom d'un animal remarquable, un objet important de l'histoire, un verbe d'action, tout allait bien et le mot se gravait aisément dans leur mémoire à condition qu'il réapparaisse à intervalles très, très réguliers. S'il est vu une ou deux fois au mois de septembre et qu'il ne ressort du bois qu'en novembre pour trois apparitions puis en décembre pour une nouvelle, il a souvent été oublié et peut même être confondu avec d'autres appris au même moment ("Maîtresse, s.i.n.g.e, c'est singe ou c'est chauve-souris ?")
[Je vous rappelle qu'on a affaire à des non-lecteurs stricts qui ne possèdent aucun repère sûr dans le codage alphabétique de notre langue. Pour eux, rien ne leur permet de choisir tant qu'ils n'ont pas appris au moins le son produit par les lettres s et ch. Et c'est lorsqu'ils commencent à avoir ces quelques repères qu'il convient de leur en faire adopter de plus précis afin qu'ils ne restent pas bloqués sur l'idée qu'en déchiffrant les deux ou trois premières lettres, on s'en sort toujours... Et là, quand on voit le nombre de fois où, ayant "appris à lire" dégusta, on fait deviner déguster ou déguste ou quand l'acquisition du verbe manger à l'infinitif rend inutile l'apprentissage des formes mange ou même mangèrent, ce n'est pas vraiment gagné... Tremblez collègues de cycle 3 et de collège !]).
Enfin, lorsqu'un mot est vu plus de 10 fois, surtout si ce mot est fréquent dans la langue parlée quotidiennement par les enfants, pas de souci, il est retenu par tous, même ceux qui ont énormément de peine avec tous les autres mots. À condition bien sûr que ces derniers se sentent encore soutenus et épaulés et qu'ils n'aient pas purement et simplement renoncé à apprendre à lire devant l'ampleur de la tâche demandée et le temps gaspillé en pure perte pour eux.
Une petite étoile supplémentaire au guide de la bonne lecturisation de l'enfance, ce sont les mots présentés plus de 20 fois. Ceux-là, non seulement tous les enfants les reconnaissent mais en plus, ils savent les écrire sans le modèle, et ça, ils en sont très, très fiers ! Ils rejoignent dans leur cœur les mots qu'ils ont écrit tout seuls "parce que, maîtresse, je savais que pa, c'est un p et un a, pi, un p et un i et pour faire illon, on met deux l comme dans Camille et on comme dans ballon ! "
Voici le résultat de mon petit ouvrage :
Nombre de mots utilisés dans les parties "Lectures découvertes", "Langue", ainsi que dans les textes intitulés "Je sais lire !" des pages de Révision et consolidation : du Manuel 1 destiné au premier trimestre de l'année scolaire : 268
Mots apparaissant 5 fois ou moins : 164 (dont mots-outils : 15)
Mots apparaissant entre 6 et 10 fois : 46 (dont mots-outils : 9)
Mots apparaissant entre 11 et 20 fois : 16 (la liste en est intéressante puisqu'elle permet de voir ce que peuvent réellement lire seuls les élèves à la mémoire la moins alerte : c'est, est, prête, Pauline, boude(nt), sur, chemin, fait(e), en, loup, Louis, qui, se, d', éléphant, étai(en)t).
Mots apparaissant plus de 20 fois : 13 ((l')école, maman(s), elle(s), et, sont, le, de, les, enfant(s), une, un, il(s), la).
Mots lus par décodage total : 29 (ne, au, chat, rient, tu, ami(es), lire, relire, mot(s), Aline, Annie, Lili, te, mal, nuit, lit, mort(e), relis, rire, acheter, lui, chez, allumer, tarte, ont, rôtir, chaud(e)).
Voilà. Nous sommes théoriquement le 20 décembre, à la veille des vacances de Noël. Si nos élèves ont 5 matinées de classe, ils auront ingurgité une moyenne de 3,4 mots globaux par jour de classe ! Sur ces 3,4 mots, seul un pourcentage infime sera fonctionnel chez une grande partie de ceux qui ont justement besoin de toute notre sollicitude et notre aide car insuffisamment réemployés, parfois à plusieurs semaines d'intervalle (mais qui apparaît dans la première lecture découverte, page 22, n'est plus réemployé jusqu'à la page 94, sauf une fois, page 33, pour servir à la localisation de la lettre m ; dans qui apparaît page 57 disparaît quant à lui jusqu'à la page 72 ; dernier sert de repère pour le son er à la page 87, alors qu'il a disparu après deux malheureuses utilisations à la page 39).
Alors, bien sûr, cette méthode va fonctionner, dans de nombreuses classes. Elle est prévue avec un fichier photocopiable de différenciation parce que, avant même que l'année scolaire ne démarre, on sait que, n'est-ce pas, les élèves n'avanceront pas tous au même rythme...
J'ai même lu qu'il était sain de voir ainsi les écarts se creuser entre Pierre-Hippolyte et Dylan ou Farid, Anne-Sixtine, Fatoumata et Kass'andrah ! Il paraîtrait que c'est prendre en compte leurs différences et ne pas leur imposer de marche forcée... Et là, je bous ! J'explose, je pulvérise, je ventile !
Mes charmants collègues seraient-ils pour la reproduction sociale ? Penseraient-ils comme les dames patronnesses de Brel qu'il faut, pour reconnaître ses pauvres à soi, tout tricoter en couleur caca d'oie ou plus exactement tout trier dès le début à coups de :"Mais enfin, petits camarades de classe, V.i.n.r.e.n.t, nous savons le lire. N'est-ce pas madame, puisque, la semaine dernière, nous avons lu revinrent. Regardez, c'est bien simple, il suffit d'enlever les deux premières lettres et nous retrouvons le mot vinrent qu'il ne faut pas être grand clerc pour comprendre... Ne trouvez-vous pas cela évident, chers petits amis ?" pendant que d'autres peinent à se souvenir du verbe soulager ou à mémoriser l'immense tirade : "C'est l'histoire d'un serpent qui n'est pas content à cause d'un singe qui a eu peur d'un éléphant qui a mal dormi à cause d'une chauve-souris qui a fait "crunch crunch" toute la nuit, pile au-dessus de son lit." (page 77, mois de novembre...) qui contient la bagatelle de onze mots nouveaux non-déchiffrables en totalité.
Elle va fonctionner, c'est sûr... Les enfants seront tous en train d'avancer sur le chemin de la lecture, certains en Ferrari, d'autres en 4L, d'autres encore dans ces voiturettes pour cul-de-jatte qu'on rencontre dans les bandes dessinées et dans les romans populaires évoquant la Cour des Miracles... En revanche, qu'ils soient tous fin prêts pour le CE1... je ne peux pas m'empêcher de douter. Je suis désolée.