• Segmenter la phrase en mots

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Merci à S. Borgnet pour l'illustration du Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP

    Il arrive que, lors de dictées de phrases, certains élèves collent tous les mots ou, au contraire, segmentent les mots de la phrase en syllabes (ex: che min, lec ture ). Pourtant, chacun d'entre nous travaille sur le sens des mots et la compréhension des phrases. 

    Alors, quelles activités proposer aux élèves pour passer ce cap? Segmenter en mots une phrase dite ou écrite d'un seul bloc, comme le proposent souvent les cahiers d'exercices liés aux méthodes de lecture, est-ce suffisant ?

    Rome ne s'est pas faite en un jour

    Le jeune enfant qui entre au CP n'a souvent pas eu le temps, lors de sa scolarité maternelle, d'acquérir parfaitement la notion de mot. Il entend une chaîne orale continue qu'il analyse plus ou moins finement.

    Tout le monde se souvient des mots d'enfants que les « moins de 7 ans » collectionnent : « Ma maman, elle a enlevé les patataroulettes à mon vélo... J'y suis pas yallé à la fête paske je suitais malade... Au cirque, j'ai vu un gros madaire et un petit madaire... »

    Leur lexique oral se construit, petit à petit, mais il y a encore quelques ratés à l'entrée à l'école élémentaire et l'on sent bien qu'ils n'ont pas encore, malgré les exercices pratiqués à l'école maternelle, parfaitement cerné le concept de mot.

    Heureusement,  l'apprentissage de l'écrit permettra de dissiper bon nombre des derniers mystères, tout en laissant à la littérature le soin de faire disparaître les ultimes pataquès, du bouc émissaire (ou bouquet mystère ?) au piédestal (ou pied d'estal ?) en passant par les commissariats et les secrétariats, malgré leurs commissaires et leurs secrétaires, sans oublier les gens paumés (et non pommés comme de vulgaires choux) et les taches de peinture qui rendent la tâche ardue aux machines à laver !

    Cependant, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ce discours soit d'emblée correctement segmenté, tout simplement parce que ce n'est simple que pour ceux qui savent, surtout lorsque nous entrons dans le domaine des adverbes, des prépositions et autres « mots-outils ». Pourquoi un peu plutôt que unpeu alors que beaucoup et non beau coup ? Quelle différence entre laquelle et la quelle ? Pourquoi au-dessus  alors qu'on écrit aujourd'hui ?... 

    L'erreur fait partie de l'apprentissage

    Quoi qu'en pensent nos gentils évaluateurs compulsifs, l'enfant doit apprendre avant de savoir, et c'est d'une erreur surmontée qu'il s'élancera et sautera par-dessus toute une série d'obstacles.

    Une anecdote éclairera mieux ce propos qu'un long discours.

    Chaque année, vers le début novembre, dans ma classe de CP, nous étudions les graphies ga, go et gu. Et chaque année, entre autres mots, je dicte : les légumes. Et, immanquablement, j'ai un ou deux élèves qui n'arrivent pas à se sortir de cette énigme :

    « Pourquoi s'acharne-t-elle à me faire écrire deux fois le mot les ? »

    Alors, ils rectifient d'eux-mêmes, bien comme il faut, et m'écrivent, parfois même avec la marque du pluriel, à laquelle ils sont « dressés » depuis deux semaines :

    les gumes

    Et je n'arrive que très difficilement à obtenir qu'ils changent de représentation mentale, et seulement après de longues palabres, pas toujours vraiment comprises, à base de :

    « Qu'est-ce que la carotte ?

    — C'est un légume.

    — Qu'est- ce que la pomme de terre ?

    — C'est un légume.

    — Qu'est-ce que le haricot vert ?

    — C'est un légume...

    — Si j'ai sur la table des carottes, des pommes de terre et des haricots, qu'est-ce que j'ai ?

    — Tu as des légumes.

    — Et si je veux que tu me les apportes, qu'est-ce que je te demanderai ? Apporte-moi les ...

    —  légumes...

    — Les... légumes... les... fruits... les pommes... les... carottes... les... légumes. Légume, c'est le nom de toutes ces plantes que nous cultivons et que nous mangeons : un légume, des légumes, le légume, les légumes. »

    Mais pourtant, malgré les interrogations que je lis encore dans le regard de certains, c'est généralement la dernière fois que cela se produit et là où les gumes avaient eu bien de la peine à devenir des légumes, les laiteries, les laitues, les lèvres, etc., ne posent pas le même problème.

    L'article les a acquis son autonomie et il n'est plus confondu avec le début d'un mot dont la première syllabe se prononce [lE].

    Ne pas envoyer sur des fausses pistes

    Donc, tout arrive à se résoudre en son temps, après quelques errements bien compréhensibles, quand on voit comment certains adultes s'obstinent encore à croire qu'un pied peut être d'estal ou qu'un bouquet mystère est forcément en butte à la cruauté de son entourage. Le tout étant cependant de ne pas envoyer d'emblée ces enfants sur des fausses pistes.

    Il est évident par exemple qu'un élève dressé à lire et écrire des syllabes déconnectées du sens aura beaucoup plus de difficultés à prendre conscience que ce n'est plus ce qu'on lui demande lorsqu'on se met à lui dicter des mots et des phrases, que celui qui aura écrit des mots dès son deuxième jour de CP.

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 3

    Il est sûr aussi qu'un enfant à qui on autorise l'écriture approchée dans tous les écrits autres que la dictée apprendra moins vite et moins sûrement à se demander comment s'écrit ce mot et avec qui il s'accorde dans la phrase que celui à qui on a quotidiennement rappelé que les mots ont une orthographe et se mettent d'accord entre eux pour qu'on comprenne mieux avec qui ils sont « amis ».

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 21

    Ne pas évaluer plutôt que d'enseigner

    Forts de tout ce que nous venons de dire, plus personne ne pensera que l'exercice de segmentation d'une phrase écrite « tout attachée » est un bon exercice puisqu'il n'est faisable que par celui qui sait déjà.

    Cet exercice est un exercice d'évaluation, inutile d'ailleurs puisque :

    ♠ il n'apprend ni à lire, ni à écrire,

    ♠ il montre une façon erronée d'écrire 

    ♠ il fait doublon avec ceux qui vérifient la même compétence (rassembler des syllabes pour écrire un mot, segmenter un discours en mots) tout en faisant lire et écrire l'enfant.

    On ne programmera pas plus, en maternelle ou en début de CP, l'exercice qui consiste à demander à un élève combien de mots contient la phrase qu'il vient de prononcer.

    En revanche, cet exercice-là, on le pratiquera avec ses élèves, en en déjouant les pièges, pour enrichir leur dictionnaire mental de mots déjà indépendants de leur contexte, chaque fois que nous écrirons ensemble des phrases, qu'elles soient composées d'icônes en MS et GS ou de mots en GS et CP. 

    Adopter une progression

    L'idéal serait que cette progression s'étale, à l'oral d'abord, puis à l'écrit, de la Maternelle au CE1.

    ... des plus petits... 

    Les premières années de Maternelle (TPS et PS) en resteraient au vocabulaire, le lexique, comme il convient de dire aujourd'hui. Les mots, appris dans leur contexte (le jeu, l'observation, la comptine, l'histoire racontée ou lue, les activités de patouille, de construction, de cuisine, ...) pourraient commencer à être extraits de ce contexte grâce à des jeux d'images, tel celui que j'ai imaginé pour la Méthode Au commencement était l'image.

    Ce lexique oral emmènerait naturellement les plus grands (MS) vers la désignation grâce à des icônes qui, petit à petit, permettraient une première transcription du discours, scindé en mots, à la manière des hiéroglyphes égyptiens (voir ici : PS/MS : 26 fois 26 (4), partie « Chez les MS : Du mot vers la phrase » et PS/MS : 26 fois 26 (5) ).

    Une fois cette façon de transcrire l'oral revue, en début de GS, basée sur la transcription graphémique (et morphémique !) de la langue pourrait démarrer, très lentement en GS (la méthode De l'écoute des sons à la lecture, de Thierry Venot, est à ma connaissance la seule à proposer toute cette progression pour la classe de GS), un peu plus vite au CP.

    ... jusqu'aux plus grands...

    En GS et surtout au CP, si nous voulons éviter autant la transcription trop segmentée (les les gu me... la mé zon...) que celle qui ne l'est pas assez (jévu unchasurlemur), en passant par celle qui l'est de manière aléatoire (tua déza mikia riv), il est indispensable de :

    → réduire le plus possible la période des dictées de syllabes  (quelques jours tout au plus)

    → privilégier le plus tôt possible la dictée de mots : elle est possible dès que les élèves connaissent une voyelle et une consonne, du moment où l'enseignant propose les lettres muettes au besoin

    ♦ Exemple :

    Lili lit. Il lit.

    Attention, au début, apprentissage oblige, l'enseignant dicte ainsi :

    « Li...li... Lili, tout attaché, c'est le prénom Lili...

    Plus loin, pas attaché : lit... avec un t muet... c'est le verbe lire... Lili... lit... Nous disons que l'enfant qui a le prénom Lili est en train de lire : Lili... lit.

    Point, la phrase est finie : Lili lit.
    Qui peut  relire cette phrase ? Qui peut lire juste le premier mot ? le deuxième mot ? le mot qui dit le prénom de l'enfant ? le mot qui dit ce qu'il fait ?

    [ → si vraiment cette absence de travail sur les syllabes inquiète, on peut se dire que toute dictée de syllabes se fera à partir de manipulation de lettres mobiles (lettres Montessori ; personnages Alphas ; lettres reproduites sur des cartes ou des plaques de bois) alors que les instruments scripteurs (craies, crayons, stylos, ...) ne serviront qu'à la transcription de mots peu à peu combinés au sein de phrases ]

    → lorsque les enfants liront leurs premières phrases, jouer à la lecture en cascade : chaque enfant lit un mot de la phrase qui doit être lue, un autre la relit entièrement.

    → lorsqu'on écrira une phrase au tableau, pendant le temps de lecture ou à d'autres occasions, la faire d'abord énoncer aux élèves, puis, seul dans un premier temps, mais bientôt avec les élèves, tracer autant de traits que de mots en adaptant la longueur du trait à la longueur de chacun des mots.

    → multiplier les exercices :

    ♥ d'encodage à partir de dessins (noms mais aussi verbes, adjectifs) :

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 24

    ♥  phrases à trous à compléter par des mots dont la liste est proposée (avec ou sans piège)

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 27

    ♥ mots à reconstituer à partir de syllabes données de manière éclatée

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    C
    ahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 33

    ♥ phrases à reconstituer à partir de mots donnés dans le désordre (entièrement déchiffrables, sans modèle, à partir d'une histoire connue)

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 37

    ♥ mots à associer en raison d'accords grammaticaux

    CP/CE1 : Segmenter en mots la phrase écrite
    Cahier d'exercices Écrire et Lire au CP, p. 29

    Du début à la fin du CP, continuer à dicter mot à mot, après lecture groupe grammatical par groupe grammatical, pour faire émerger l'idée d'accord. Relire groupe grammatical par groupe grammatical en demandant aux élèves de suivre du doigt les mots (on en profite pour enseigner les accords, c'est-à-dire les expliciter et les faire expliciter mot à mot). 

    → En début de CE1, continuer à dicter mot à mot et ne passer à la dictée groupe grammatical par groupe grammatical que lorsqu'on sait que les élèves ont acquis l'individualisation des mots en toute circonstance (sauf les piédestaux et les boucs émissaires !).

    → Tout au long de l'école élémentaire, pour « recoller » ce que l'écriture caroline a « décollé », créant un manque grammatical certain chez nos petits apprenants (et certains de leurs aînés), multiplier les exercices d'étude de la langue :

    ♥ grammaire : nature des mots ; accords dans le groupe nominal ; accord de l'attribut avec le sujet ; accord du participe passé avec le nom dont il décrit l'action ; analyse grammaticale pour aider à la perception de ces liens entre les mots d'une phrase

    ♥ conjugaison : accord sujet verbe ; emploi des temps étudiés un à un et revus constamment

    ♥ lexique : familles de mots ; expressions imagées et compréhension

    → Tout au long de l'école élémentaire, pour enrichir le lexique et éclaircir le sens des mots déjà connus, et pour habituer l'œil à l'image de ces mots, pratiquer chaque jour la lecture à voix haute, en littérature mais aussi en histoire, en géographie, en sciences, en éducation morale et civique et en arts.

    Tout au long de l'école primaire, penser au chant et à la poésie qui, par leur rythme, aident la mémoire à travailler et emmagasiner des mots de toutes sortes


  • Commentaires

    1
    Philau94
    Mercredi 3 Avril 2019 à 22:31

    Un très grand merci pour cet article !

    2
    Cecile
    Jeudi 4 Avril 2019 à 22:17
    Merci de mettre des mots sur des choses que l'on fait déjà ou pas! Ça réconforte de voir qu'on ne se plante pas trop!
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