• Qualifier les compléments (2)

    Qualifier les compléments (2)

    Les compléments circonstanciels

    Comme leur nom l'indique, les compléments circonstanciels indiquent une circonstance de l'action exprimée par le verbe.

    A priori, c'est tout simple mais il n'y a qu'à suivre une discussion entre collègues, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans une salle des maîtres ou en animation pédagogique pour savoir à quel point on peut pinailler sur ce type de complément !

    ◊ Un peu d'histoire...

    ♦ Observons :

    Autrefois, avant 1972, date du premier chambardement dont l'école actuelle est issue, on considérait que :

    « On distingue plusieurs sortes de compléments :

    1) le complément direct d'objet

    2) le complément de temps

    3) le complément de lieu

    4) le complément de manière »

    (Livre unique de Français, Cours Moyen, L. Dumas, 1931)

    Un peu plus tard, on apprenait aux élèves que :

    « Les compléments de circonstance ne sont pas indispensables. Mais ils sont utiles par les renseignements qu'ils donnent sur le lieu, le temps, la cause de l'action, la manière dont elle s'effectue, ... »

    (Grammaire, Cours Moyen 1re année, G. Villars, J. Marchand, G. Vionnet, 1963)

    Enfin, tout juste cinq ans avant le grand chambardement, on enseignait que :

    « Le groupe complément qui permet d'indiquer le lieu où se passe l'événement exprimé par le verbe est appelé complément circonstanciel de lieu. Il répond à la question posée après le verbe. Il précise : le lieu où l'on est - le lieu d'où l'on vient - le lieu où l'on va.
    Quand on veut attirer l'attention sur le lieu où se passe l'événement, on place le complément circonstanciel de lieu en tête de phrase. »

    (De la lecture à l'expression française, Rigaud-Vasconi, 1967)

    Nota bene : trois autres séances sont consacrées dans ce dernier ouvrage aux compléments circonstanciels (CCT, CCM, autres CC) en suivant exactement la même démarche.

    ♦ Analysons :

    Lorsque nous lisons ces trois résumés à apprendre par les élèves après avoir travaillé la notion de manière active et concrète (voir La grammaire à l'école élémentaire) nous constatons que :

    ⊗ L'adjectif circonstanciel est apparu tardivement (tant mieux, parce que c'est du charabia pour adultes et ça n'aide pas les élèves à mieux comprendre et mieux s'exprimer). On a d'abord parlé de complément (ce qui est très vague mais reste exact) puis de complément de circonstance (ce qui a le mérite de préciser un point important sans tomber dans le charabia). 

    ⊗ On considérait que ces compléments précisaient l'action exprimée par le verbe en donnant le lieu, le temps, la manière, la cause, etc. de cet action (ou événement), ce qui a totalement disparu après le chambardement de 1989 ou 2002.

    ⊗ On n'a commencé à parler de la possibilité de déplacer ces compléments que tardivement et uniquement dans un but stylistique. Un  de ces trois manuels explique qu'ils ne sont pas indispensables mais simplement utiles (s'ils sont utiles, alors, pourquoi chercher à les supprimer ?)

    ⊗ On y a passé de plus en plus de temps : d'une leçon consacrée à tous les compléments dits du verbe, qu'ils soient d'objet ou de circonstance, on passe à quatre leçons pour la notion de complément circonstanciel

    Après cette digression historique, revenons au but de cette série d'articles : enseigner une grammaire élémentaire qui permettra à nos élèves de mieux comprendre ce qu'ils lisent et mieux s'exprimer, tant à l'oral qu'à l'écrit.

    Pour cela, voyons ensemble quelques renseignements nous permettant de définir quel est le sens et l'utilité de ce type de complément.

    ◊ Il indique une circonstance

    Le complément circonstanciel indique une circonstance de l'événement exprimé par le verbe (action, état) : lieu de l'événement, moment de l'événement, cause de l'événement, but de l'événement, etc.

    Elle attache son vélo au lampadaire. → au lampadaire précise le lieu où elle attache son vélo, c'est un complément circonstanciel de lieu.

    Quand nous regardons l'immensité de l'univers, nous semblons minuscules. → Quand nous regardons l'immensité de l'univers précise le moment où nous semblons minuscules, c'est un complément circonstanciel de temps.

    À cette réunion, je meurs d'ennui ! → À cette réunion précise le lieu où je meurs, c'est un complément circonstanciel de lieu.
    → d'ennui précise la cause de cet événement, c'est un complément circonstanciel de cause

    La plupart du temps, les compléments circonstanciels sont introduits par une préposition. Mais il arrive que ce ne soit pas le cas :

     La nuit, je dors.

    J'irai à la Poste cet après-midi.

    ◊ Il ne peut pas toujours être déplacé

    Malgré cette loi qui nous semble intangible, mais qui n'a pourtant qu'une petite quarantaine d'années, il arrive de temps en temps qu'on ne puisse pas déplacer ce complément, sauf à se prendre pour Monsieur Jourdain et son maître de philosophie.

    Exemple :

    Lola rejoindra ses amis au terrain de jeux après l'école.

    si l'on peut facilement dire :

    Après l'école, Lola rejoindra ses amis au terrain de jeux.
    Lola rejoindra ses amis
    après l'école au terrain de jeux.

    il est plus compliqué, voire bizarre, de dire :

    Au terrain de jeux, Lola rejoindra ses amis après l'école.

    Pourtant, si nous nous attachons au sens de chacun des groupes de cette phrase, nous voyons bien que :

    au terrain de jeux indique une circonstance de l'action de rejoindre ses amis

    au terrain de jeux précise le lieu où Lola rejoindra ses amis

    ⊗ et en plus, comme dirait notre manuel de 1963, au terrain de jeux est utile mais pas indispensable !

    Il est donc clair que au terrain de est bel et bien complément circonstanciel de lieu.

    ◊ Sa suppression n'a aucun intérêt

    Bien sûr, grammaticalement parlant, dans la phrase ci-dessus (Lola rejoindra ses amis au terrain de jeux après l'école), nous pouvons supprimer les deux compléments circonstanciels (après l'école ; au terrain de jeux). Grammaticalement parlant...

    Si nous restons au niveau du sens et de ce que nous cherchons à apprendre à nos élèves, en revanche, l'action de supprimer ces compléments ne présente strictement aucun intérêt. En effet, seuls des détraqués complotistes auraient intérêt à appauvrir la compréhension de textes longs et l'expression orale et écrite d'une génération d'enfants !

    Bien au contraire, lorsque le petit Jordan nous apporte son jogging d'écriture du jour (raconte ton dimanche), et que nous le lisons (ponctuation et orthographe restituée pour que la lecture soit moins pénible à nos yeux d'adultes) :

    Je me suis levé. J'ai déjeuné. Je me suis habillé.J'ai joué. J'ai mangé. On a regardé un film. J'ai goûté. J'ai fait mes devoirs. J'ai mangé. J'ai pris ma douche. Je me suis lavé les dents. Je me suis couché.

    nous n'avons qu'un but, lui faire ajouter les circonstances qui précisent chacune de ses actions !

    Ce qui nous permet de revenir à la phrase ci-dessus et de dire que ce qui nous intéresse dans l'histoire de Lola, ce qui en est le propos principal, c'est le lieu et le moment où elle doit rejoindre ses amis. C'est la première chose que nous demandera un enquêteur si malheureusement Emma n'est pas rentrée après cette sortie.

    Concluons donc :

    Le complément circonstanciel n'est pas indispensable au point de vue grammatical, mais il l'est à son sens.

    ◊ Attention aux verbes de situation dans l'espace !

    Il va à New York.

    Elle habite près de la forêt.

    Il reste dehors.

    J'y suis.

    Nous avons vu dans l'article précédent (Qualifier les compléments 1) que les Instructions Officielles, négligeant totalement le sens de ces propositions, classent ces compléments dans le groupe des compléments d'objet indirect, ne s'attachant qu'à la préposition, quand il y en a une, et à l'impossibilité de les supprimer et de les déplacer  !

    Il m'est même arrivé (assez fréquemment hélas) de rencontrer des collègues persuadé.e.s de prouver leurs dires en confondant l'adverbe de lieu y avec le pronom indirect homophone.

    Je persiste et signe, face à tous les grammairiens de la terre s'il le faut : « Faites ce que vous voulez dans vos universités et vos instituts de recherche mais, par pitié, laissez en paix les petits enfants qui apprennent à parler, écrire et lire le français ! »

    Bien que ces mots ne soient pas une simple circonstance de l'événement relaté, bien que nous constations qu'ils ne sont pas simplement utiles mais bel et bien indispensables à la grammaticalité de la phrase, les jeunes enfants voient très bien que tous ces mots expriment le lieu où se déroulent ces événements. Apprenons donc à nos élèves que ces mots ou groupes de mots sont des compléments de lieu.

    ◊ En conclusion :

    Ne serait-il pas plus simple, pour ne pas entraîner les élèves sur des fausses pistes, et pour faire de la grammaire scolaire un outil utile pour bien comprendre et bien s'exprimer, de la débarrasser de son charabia ?

    Nous avons vu dans les extraits de manuels scolaires anciens que, lorsque l'adjectif circonstanciel est venu s'ajouter à la notion de circonstance, les rédacteurs de manuels ont été obligés de passer de une à quatre leçons pour que les élèves soient sûrs de leur travail.

    Nous avons vu que les derniers programmes en viennent à mélanger allègrement des objets d'une action introduits par une préposition avec les lieux où se déroulent des actions ou états, introduisant de ce fait la confusion autant chez les enseignants que chez leurs élèves.

    Nous avons vu que tous ces excès de formalisme encouragent les enseignants à ne plus faire d'analyse grammaticale du tout (phrase récurrente sur les réseaux d'enseignants : « Si nous-mêmes, nous hésitons et ne sommes pas d'accord entre nous, c'est bien que c'est beaucoup trop difficile pour des enfants ! »).

    Nous avons enfin vu que, dans certains cas, on peut avoir besoin de compléter une action ou un état par un lieu (ou une mesure : Il pèse cinquante-quatre kilogrammes. - Ce film dure deux heures trente).

    Toutes ces raisons me poussent à proposer une solution pratique qui évite tous ces écueils incompréhensibles pour des enfants (et même parfois pour leurs professeurs) :

    Et si nous parlions tout simplement de compléments de lieu, de temps, de manière, de cause, de but ou de moyen ?

    → Nous ne mentirions pas

    → Cela ne nous empêcherait pas d'évoquer au cours de nos dialogues pédagogiques la notion de circonstance de l'action préparant ainsi nos élèves pour la Sixième

    → Nos élèves ne perdraient pas de temps à jouer les universitaires, tout en continuant à progresser dans le domaine de l'expression et de la compréhension.

    Qu'en pensez-vous ?

    Dans la même série :

    Qualifier les compléments (1) ; ... ; Qualifier les compléments (3) ; Qualifier les compléments (4)


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :