• Enseigner les stratégies pour...

    Enseigner les stratégies pour...

    Allez, à votre avis, pour quoi ?... Sachant qu'il ne s'agit pas de l'ESPE, ni de l'École Militaire, ni de Sciences Po, mais bien de l'école primaire, parfois même dans sa catégorie « moins de six ans ».

    Alors, hein, quelles stratégies pour quelles compétences ?
    - Pour mémoriser facilement et intelligemment la table de 7 ?... Nan, perdu !
    - Pour tracer de jolies boucles juste en remuant souplement trois doigts, le crayon délicatement posé dans « le hamac » constitué par la peau qui relie la base du pouce à la base de l'index et le poignet glissant légèrement sur la feuille de papier posée parallèlement à l'axe du bras ?... Nan, trop fass ! Trivial, ce truc !
    - Pour ne plus se perdre dans la jungle des terminaisons verbales grâce à l'analyse grammaticale des verbes que l'on souhaite employer ?... Oh ben non alors, ça, c'est pas innovant 

    Alors ?... Vous donnez votre langue au chat ?... Bon, je vous dis tout. 
    On peut, au choix, enseigner les stratégies pour comprendre les textes, en moyenne section de maternelle, ou celles pour comprendre les énoncés et les consignes. Mais je suis sûre qu'en cherchant bien, on en trouverait d'autres. 

    Avec les élèves ? Pffff ! Encore une fois, les faire descendre de vélo, s'asseoir calmement à leur place et les contraindre à se regarder quand ils pédalent, dialoguer autour du pédalage, décomposer l'action de pédaler de manière sûre et efficace en dizaines de sous-sous-sous-connaissances-compétences-capacités toutes plus ennuyeuses les unes que les autres ?
    La pédale droite, sa vie, son œuvre - la pédale gauche nous divulgue tous ses secrets - le pédalier, un inconnu qui nous veut du bien - roue avant, roue arrière, laquelle pousse l'autre ? - la chaîne, pourquoi nous la cache-t-on ? - le pied, l'articulation de la cheville, le genou, la hanche - le système nerveux central, son rôle dans la transmission des informations aux articulations de la hanche, du genou, de la cheville et du pied - tenir le guidon, rôle du guidon dans le pédalage - les pneus, des gadgets caoutchoutés ?
    Quelle tristesse !

    Mais abrégeons ! Après trente années de bain d'écrit où les maîtresses, sur ordre de leurs formateurs, supérieurs hiérarchiques et autres penseurs en sciences de l'éducation, lisaient imperturbablement des albums de littérature de jeunesse entiers aux élèves sans en expliquer un mot, une virgule, une action, pour ne pas déflorer la relation particulière qui se créait entre l'auteur et l'enfant... [ « Killian, lâche ça ! ... Tom, arrête de tirer les cheveux de Maïa !... Oui, Louis-Thaddée... très bien, Sixtine-Marie... bravo, Hippolyte... » ]... Excusez-moi... Donc, après ces trente années, nous voici revenus à... l'âge de pierre de la pédagogie.
    Celui où l'on pensait qu'avant d'apprendre à lire dans des livres, il fallait successivement :
    1) apprendre les 26 lettres de l'alphabet,
    2) apprendre toutes les combinaisons possibles de deux de ces lettres,
    3) apprendre toutes combinaisons possibles de trois de ces lettres, puis de quatre, puis de cinq, ...
    4) apprendre à lire des mots
    5) apprendre à lire des phrases
    6) et enfin... si l'enfant n'avait pas craqué avant et qu'on ne l'avait pas déclaré inapte à l'effort intellectuel... lire des textes !
    [Pour l'écriture, c'était une autre compétence. Indépendante. D'où l'orthographe délirante de certains apprenants-scripteurs de l'époque.]

    Eh bien nous y revoilà, ou presque. Mme Pauline Kergomard et sa petite phrase sont sans doute passées inaperçues :

    Le but à atteindre, en tenant compte des diversités de tempérament, de la précocité des uns, de la lenteur des autres, ce n'est pas de les faire tous parvenir à tel ou tel degré de savoir en lecture, en écriture, en calcul, c'est qu'ils sachent bien le peu qu'ils sauront, c'est qu'ils aiment leurs tâches, leurs jeux, leurs leçons de toute sorte, c'est surtout qu'ils n'aient pas pris en dégoût ces premiers exercices scolaires qui seraient si vite rebutants, si la patience, l'enjouement, l'affection ingénieuse de la maîtresse ne trouvaient le moyen de les varier, des les égayer, d'en tirer ou d'y attacher quelque plaisir pour l'enfant. [Programmes de l'École Maternelle - Journal Officiel du 2 Aout 1882]

    Ce qui fait qu'on conçoit des progressions ciblées où l'on fera étudier aux élèves, à part, l'une après l'autre, « la détection d'inconsistances (lexicales et situationnelles), l'interprétation des connecteurs, des anaphores et des relations causales, la déduction, la construction des modèles de situation et les structures d'histoires »... À quatre ans et demi... Snif...

    Ou bien, on se rend enfin compte que les élèves ne comprennent pas les énoncés et les consignes !
    Tu m'étonnes. Au rythme d'une séance de résolution de problèmes toutes les huit séances de mathématiques, il ne fallait pas s'attendre à mieux. Surtout quand on sait comment sont organisées ces séances, encore une fois compétence-capacité par compétence-capacité : lire un problème, le reformuler - relever les mots-clés - repérer la question - trouver les inconnues - trouver les données - trouver les données manquantes - trouver les données inutiles - ...
    À vous dégoûter d'être curieux. Surtout que, bien entendu, la résolution empirique, sans avoir les outils et les connaissances nécessaires pour, est favorisée au nom de l'esprit d'entreprise et du refus de donner des recettes éprouvées.

    Et la solution à tout cela ? Certainement pas la progression pas à pas, incluant le problème de découverte, l'entraînement ciblé à l'utilisation d'une technique, d'une procédure, l'intégration de cette nouveauté à un système déjà en place grâce à d'autres problèmes, tous les jours, pour chaque nouvelle notion. Trop classique ! Pas assez innovant.
    Non, non, des activités cloisonnées pour étudier un à un : « utile, pas utile, manquant - les mots importants d'un énoncé - les bonnes questions à se poser - la reformulation des consignes » ... mais j'arrête parce que j'ai l'impression de me répéter, là... C'est reparti pour trente ans, alors ?...

    Quand remettra-t-on donc un peu de liant dans la formation des enseignants pour qu'ils puissent donner à leurs élèves une impression de globalité ? Quand leur enseignera-t-on tout cela à eux et seulement à eux de façon à ce que, dès la TPS et jusqu'au CM2, ils sachent, avec patience, enjouement, affection ingénieuse, tout en leur lisant des histoires, en leur en faisant lire, en les entraînant à compter, calculer, observer, tracer, mesurer, leur faire découvrir les mille facettes de la compréhension d'un texte, d'une consigne, d'un problème, simplement en vivant avec eux, au quotidien, sans émietter et  éparpiller les composantes ?

    Quand laissera-t-on les enfants apprécier Michka, Le Vaillant Petit Tailleur, Le Roman de Renart, Amadou le Bouquillon, Tistou les Pouces Verts ou La Gloire de mon Père sans leur demander s'ils ont d'abord appris à interpréter les relations causales, les anaphores et les connecteurs ? Quand permettra-t-on au petit enfant de nous guider dans sa connaissance du nombre et son envie de calculer au lieu de croire qu'il faut la déconnecter du concret, du sensible qui est son quotidien, sa façon d'appréhender les choses ?

    Alors, les enfants, tous, ou presque, apprendront sans s'en rendre compte à trier les données pertinentes ou détecter les inconsistances lexicales si, chaque jour et à chaque moment, leurs enseignants gardent à l'esprit que ce que le matériau qu'ils leur offrent doit solliciter leur intelligence, leur réflexion et les aider à maîtriser des techniques au service d'une compréhension de plus en plus fine et d'une résolution de plus en plus pointue des problèmes qui se présentent à eux.

    Les « stratégies pour ... », c'est aux enseignants qu'il faut les faire connaître, pas aux élèves qui, eux, sont sur leurs bicyclettes et pédalent de plus en plus vite, sur des chemins de plus en plus difficiles, avec le talent, la motivation et la persévérance que l'école leur aura transmis quand elle aura remis les contenus au cœur de sa pédagogie.

     


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  • Commentaires

    1
    Cyriaque
    Dimanche 29 Mai 2016 à 13:08

    Passionnant, comme toujours !

    2
    Dimanche 29 Mai 2016 à 16:26

    MERCI!

    3
    Dimanche 29 Mai 2016 à 18:09

    Une bouffée d'oxygène! Merci! J'aime le descriptif avec le vélo: c'est tellement cela!!!

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    4
    Lundi 30 Mai 2016 à 07:10

    Ah  merci !! Tellement, tellement vrai !!! La comparaison est parfaite, la photo excellente et le billet juste ! Nous pratiquons dans notre poulailler la "lecture offerte" plusieurs fois dans la journée : à nous la mythologie grecque, nordique, les classiques littéraires en version intégrale que mon petit de deux ans et demi réclame...!! Que comprend-il? Je n'en sais rien mais il aime le son de la voix, regarder ses frères et sœurs écouter captivés par l’île au trésor ou Don Camillo...!!

    Merci, merci pour tous vos billets, pour ce que vous parvenez à mettre en place dans votre classe...quand mon rôle d'enseignante auprès de mes enfants aura pris fin, je reprendrai une classe pour donner une chance aux enfants des autres de progresser avec une colonne vertébrale bien droite...wink2

    5
    Lundi 30 Mai 2016 à 10:12

    Merci à vous quatre pour vos encouragements !

    Merepoule, que le petit de deux ans et demi se laisse bercer, c'est bien, mais pensez aussi à lui offrir des textes à son niveau, très simple, sur lesquels il puisse vous interroger et puiser autre chose qu'un son de voix agréable et le plaisir de faire "comme les grands".

    6
    Lundi 30 Mai 2016 à 12:06

    Vous pensez bien que professeur des écoles, maman de huit enfants, instruction en famille de tous depuis bientôt 11 ans...la lecture d'album adapté à l'âge des enfants est une évidence !smilewink2

    7
    Mercredi 1er Juin 2016 à 07:10

    Je suis allée lire la fameuse étude. 

    Quelle mauvaise foi quand à l'analyse des résultats! Sérieusement, quand le témoin passe de 97 à  99 points (+2) et l'échantillon à 98 à 101 (+3), en sciences on dirait que les résultats ne sont pas concluants. On ne bidouillerait pas les résultats avec des outils statistiques pour enfumer le lecteur et lui faire croire que les résultats sont bons

    Et puis, ils ont fait quoi aux élèves pour qu'ils régressent en 12 semaine??? C'est complètement anormal que la compréhension oral d'élève scolarisée régressent ! 

    Et en plus il manque des données : ils parlent des CSP des élèves sans jamais les donner, on ignore ce que contenait réellement les séances. Et le dernier paragraphe n'est qu'une apologie des programmes 2002.

    Cette publication pseudo scientifique est une mascarade...

      • Mercredi 1er Juin 2016 à 10:28

        Je n'avais pas poussé la curiosité aussi loin. Rien que la liste des compétences à installer chez l'enfant de 4 ans et demi m'avait suffi... Les inconsistances lexicales ? Déjà à presque 60 ans, j'ai du mal à donner une définition mais en maternelle ! Ou alors, c'est un truc bien bateau dont n"importe quel enfant de six ans qui lit les petites phrases de son livre de lecture a parfaitement conscience sans qu'on ait besoin de lui en parler ?...
        Merci Maîtressepatate pour ton courage et ton abnégation !

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