• À cheval offert, regardons donc les dents.

    À cheval offert...

    Et un La Fontaine offert aux élèves de CM2 qui quittent l'école primaire, un !

    Sera-t-il lu ? Est-il bien relié[1] ? Qui sponsorise l'opération et appose son sigle sur la quatrième de couverture ?... Voici mes premières questions.
    D'autres, très nombreuses, fusent sur les réseaux sociaux. Certains y voient l'alpha et l'oméga de la reconstruction de notre belle Institution Nationale. D'autres la main-mise de la réaction pédagogique sur l'Enfance et ses verts pâturages (où ne court plus aucune onde pure depuis bien longtemps).
    On débat « Littérature de Jeunesse » versus « Grands Classiques », soulignant la « richesse » de la première, la difficulté et la « déconnexion » de la
    seconde[2], à moins que ce ne soit le contraire et qu'on accueille à bras grands ouverts la suggestion d'un autre grand ponte du « MEN nouveau » dont j'ai oublié le nom et qui consiste à enjoindre d'étudier une fable de La Fontaine par semaine (ou par mois, je ne sais plus) du CP au CM2.
    On suggère d'en profiter pour « ré-instaurer » un uniforme qui n'a jamais eu cours dans l'école publique métropolitaine... On dit tout et n'importe quoi, très vite, sans réfléchir ni s’appesantir. Et, comme toujours dans ce type de média, on ne lit surtout pas ce que les gens ont écrit au-dessus, histoire d'enrichir les échanges.

    À la dix ou quinzième intervention de ce style, je me lasse et me suggère in petto d'intervenir en un lieu où je peux écrire 3 999 999 signes si je veux et où, puisque presque personne ne commente jamais rien, je peux travailler comme je l'entends et proposer tout ce qui me vient à l'esprit sans risque d'énervement préjudiciable à ma fragile petite santé !

    Donc... offrir un livre... à tous les élèves de CM2... et pourquoi pas les autres ?... pour leur faire découvrir le patrimoine littéraire... et leur donner envie de lire... je suis POUR, cent fois POUR !... Mais...

    Mais je trouve :

    • qu'il serait mieux d'offrir ces livres aux écoles. Si vous voulez, le jour de la rentrée (avant ou après la chorale, c'est égal), histoire de vous faire un bon « plan comm' » quand même ;
    • qu'il serait bon de les faire relier par un imprimeur de talent[3], sans mégoter sur la qualité de la colle ; 
    • que ce serait plus judicieux d'ouvrir le choix littéraire au lieu de se cantonner à un seul auteur, une seule époque, un seul genre littéraire. 
      Moi, pour le CE1, j'ai quelque chose, si vous voulez... Il y a du La Fontaine dedans, mais il y a aussi du Prévert, du Hugo, du Carême, du Grimm, du Perrault, du Homère, du Saint Exupéry, du Desnos et puis aussi du Quentin Blake, du Lobel, du Caputo, du Cone Bryant, du Lindgren... et plein d'autres.
      C'est là : Lecture et Expression au CE, charge à vous de le faire éditer sans m'ennuyer plus que de raison.

    Et enfin je suis intimement persuadée qu'il serait nécessaire de prendre son temps et de préparer cette opération en amont avec lenteur et réflexion.

    Il y a bientôt 50 ans qu'on nous dit (en tout cas, moi, je l'ai toujours entendu et j'ai commencé ma carrière le 3 novembre 1975) que la Littérature, la Vraie, ce n'est pas bon pour les enfants, que ça les ennuie et que ça les écarte des livres en général.

    De plus, cela doit faire environ 30 ans (après l'épisode des « lectures fonctionnelles » chères à M. Meirieu, à l'époque, mais aussi à Mme Charmeux et M. Foucambert), qu'on nous serine qu'il faut puiser les œuvres littéraires que nous étudions en classe, de la TPS au CM2, dans le pléthorique vivier de la Littérature de Jeunesse contemporaine.

    On nous a même fourni des listes sur le site du ministère et nos IEN ne sont pas privés de nous communiquer les « bons auteurs » et les « bons éditeurs » au prétexte que, lorsqu'on lit une œuvre, il convient que ce soit une œuvre complète, sous forme d'objet-livre, dûment acheté à 25 exemplaires en primaire pour que chacun puisse tenir en main le précieux contenant...
    Certains supérieurs hiérarchiques zélés, s'appuyant sur le fait qu'un fonctionnaire, c'est là pour fonctionner quoi qu'il en pense, ont même poussé la sollicitude jusqu'à nous fournir les « bons titres » et ont parfois traité avec la rigueur qu'il convient les contrevenants à leurs injonctions pédagogiques qu'ils considéraient de bon sens.

    Et là, tout à coup, coup de pied dans la fourmilière : étudiez du La Fontaine ! Ou du Daudet... ou du Perrault...
    De quoi se voir immédiatement taxé de réac, c'était couru d'avance. Et cela va être suivi d'autant d'effets que l'appel à un démarrage alphabétique de l'apprentissage de la lecture de M. Robien, ou de l'injonction de soumettre les élèves à des contenus grammaticaux plus étoffés de M. Darcos...

    Ce sont les IEN qu'il convient de convaincre en premier.

    Je ne sais pas comment ; ce n'est pas mon métier.

    En revanche, je sais que ce sont eux qui donnent le ton aux animations pédagogiques qui ont lieu pendant 18 heures (incluses dans les 108 h annualisées, vous savez...), chaque année scolaire.
    Et comme ils chapeautent aussi les Conseillers Pédagogiques et les Maîtres Formateurs qui accompagnent (avec douceur et bienveillance, si, si, on y croit très fort) les jeunes Professeurs des Écoles Stagiaires, ce sont eux qu'il faut persuader du bien-fondé de l'approche, à pas comptés, des grands Classiques du patrimoine littéraire national et international.

    Parce que la cerise sur le gâteau, je me répète, ce serait de profiter de l'occasion pour sortir du carcan de l'étude obligatoire d'un « objet-livre » consacré à une œuvre et une seule, exploité jusqu'à plus soif, pendant quelques semaines[4]   d'une année scolaire et une seule pour promouvoir au contraire le butinage artistique consistant à lire plus, plus souvent et plus de choses.

    Des lectures d'œuvres complètes de qualité, en lecture cursive offerte tous les jours par l'enseignant chez les petits, panachée de temps de lecture libre en classe, un petit quart d'heure par jour, chez les plus grands mais aussi, des lectures quotidiennes d'extraits de toutes sortes, reliées dans de vrais « manuels de lecture », proposant tant de la poésie que de la prose, tant du classique que du contemporain, ouverts vers des horizons variés, des intérêts larges et pluriels, visant à donner envie mais aussi à instruire et à cultiver l'amour de la littérature.

    C'est raté pour cette fois-ci, avec ce La Fontaine « lafontainant », offert aux enfants plutôt qu'aux écoles, annoncé dans la précipitation d'une fin d'année caniculaire, entre une chorale qui chante le jour de la rentrée et la pose de cloisons pour couper en deux les salles de classe qui accueilleront chacune 12 élèves de six ans dans 25 m² au lieu de 24 dans 50 m².

    Mais une autre fois peut-être ?...

    Notes :

    [1] Voir chapitre LES RÉFORMES, p. 46.

    [2] Moi, j’en pleure, chers collègues, de votre moutonnerie moutonnante.

    [3]  Un vrai, pas un gugusse qui n’a jamais travaillé pour les écoles, juste parce qu’il est le copain de la copine de la sœur de son beau-frère.

    [4]  Parfois six semaines d'affilée, par des petits bouts de 3 ans, soit 1/26 de leur existence... C’est comme si on obligeait un adulte de 45 ans à consacrer 90 semaines, soit plus d’un an et neuf mois, à l’étude d’une œuvre littéraire !


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  • Commentaires

    1
    Bénédicte
    Samedi 24 Juin 2017 à 14:27

    Vous ai-je déjà dit que j'aime beaucoup vos billets ?

    Tellement drôlement bien dit, tellement juste. Puissent les instituteurs et institutrices de la France entière devraient venir faire un tour sur votre blog et s'en inspirer dans leur pratique. Je vous rejoins complètement sur le fait judicieux d'offrir des livres aux écoles plutôt qu'aux écoliers, ainsi que sur la variété des textes à offrir aux enfants.

    Vos constats et remarques relèvent d'un bon sens qui ne semble plus bien partagé.

    On sent cependant poindre un brin de lassitude sous votre plume. Ou est-ce seulement la chaleur ?

    Merci de vos partages et réflexions.

     

     

      • Samedi 24 Juin 2017 à 15:27

        Non, non, rassurez-vous, aucune lassitude ! Et pourtant, depuis 1975, combien de livrets, plans nationaux, régionaux, départementaux dont le point commun était le "Yakafaukon" !

        Je continue inlassablement à les pointer, comme ça, juste pour le plaisir d'éclairer ceux qui le souhaitent. La lassitude est juste de façade quand on nous ressort trop souvent les mêmes recettes en nous disant "avec nous, ce ne sera pas pareil, vous allez voir ce que vous allez voir", c'est tout.

    2
    Dalila
    Samedi 24 Juin 2017 à 15:28
    A quand un Lecture et expression au CM?
      • Samedi 24 Juin 2017 à 15:30

        Un jour peut-être... Mais peut-être d'autres pourraient-ils s'y mettre, non ?

    3
    Rikki
    Samedi 24 Juin 2017 à 15:40

    Ils avaient déjà fait le coup du petit bouquin offert aux CM, il y a deux-trois ans, non ? il n'y avait pas eu une polémique, justement, sur les logos derrière ?

    Je ne me souviens plus du contenu. Des contes ?

    Bon, en tous cas, balancer des livres, comme ça, sans accompagnement, sans rien, faits à l'arrache, c'est comme décréter chorale obligatoire pour le 4 septembre : de la poudre de perlimpinpin.

      • Samedi 24 Juin 2017 à 16:55

        C'était en 2010, sous Chatel (avec son Dgesco de l'époque, un certain JM Blanquer...) je m'en souviens bien, c'est l'année où j'avais des CM1...
        J'avais reçu quelque chose comme 25 livres pour 28 élèves (ben oui, ils n'avaient pas l'air au courant, au ministère, des effectifs réels dans les vraies classes) et le logo Total sur la couverture m'avait achevée... Je crois qu'on les avait laissés pour faire des séries à étudier pour l'école du coup, mais il paraît qu'ils étaient tellement bien reliés qu'ils tombaient en miettes de suite.

         

      • Samedi 24 Juin 2017 à 20:23

        Oui, c'était en 2010, 2011 et 2012.

        Il y a eu Charles Perrault, Jean de la Fontaine, illustré par Chagall, et enfin Les Lettres de mon Moulin, de Daudet.

        C'est là : http://www.education.gouv.fr/cid56426/-un-livre-pour-l-ete-pour-tous-les-eleves-de-cm1.html

    4
    Rikki
    Samedi 24 Juin 2017 à 20:22

    Ah oui, ça fait déjà 7 ans... comme le temps passe vite. Je me souviens des astuces trouvées par les collègues pour cacher les logos. Mais je ne me souviens pas trop du contenu du livre.

      • Samedi 24 Juin 2017 à 20:57

        Moi non plus. Tout d'abord, nous ne les avons pas eus tous les trois, peut-être parce qu'en rural, il n'y a pas de classe de CM1 mais une "classe des grands".

        Pour le logo, un bon coup de « feutre débile » comme disaient mes petits GS et hop !  nous retrouvions un livre normal, mal relié mais sans logo.

    5
    Anne-Do
    Dimanche 25 Juin 2017 à 16:09

    J'aime bien l'idée du livre par enfant, peut-être parce que moi-même, enfant, n'en avais que très très très peu car cela avait un coût...Un livre était un cadeau de Noël ou d'anniversaire qui me ravissait au plus haut point et une joie qui durait des années car je les relisais, les chérissais soigneusement !

    Bon, à l'heure actuelle, un livre est un cadeau qui bien souvent déçoit car les enfants sont fortement habitués au plastique et aux produits dérivés de ce qu'ils voit à la télé, ou n'aiment plus que ce qui est digital, donc cette idée tombe à côté de la plaque maintenant...

    Effectivement, donc, autant enrichir la bibliothèque de chaque classe, cela donnera l’opportunité de découvrir le plaisir de lire à ceux qui échouent là par hasard, le virus s'attrape parfois à l' improviste ! Et les autres  bienheureux lecteurs se réjouiront !

    Merci pour vos articles qui sont si sensés et avec une goutte d'acidité qui décape !

     

     

      • Lundi 26 Juin 2017 à 09:11

        Merci à vous, Anne-Do. Je trouve très intéressant le projet qui consiste à démarrer la classe de l'après-midi par quinze minutes de lecture libre chez les plus grands ou de lecture offerte par l'enseignant pour ceux qui ne lisent pas encore.

        Ces livres seraient mieux placés dans ce quart d'heure, qu'offerts personnellement aux enfants qui les liront... ou pas.

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