• L'habit ou le moine ?

    L'habit et le moine

    Continuons notre tour d'horizon des vraies-fausses bonnes idées qui fleurissent, en ce printemps annonciateur d'élections nationales, tels les marronniers dans la presse quotidienne, quand elle n'a rien à dire.

    Tout comme de temps en temps on nous ressort la chaussette finlandaise (ou le prédicat québécois, plus tendance, ces derniers temps), ne voilà-t-il pas que certains candidats fantasment sur la photo ci-dessus et voient dans le port de la jupette plissée et de la soquette blanche l'étendard derrière lequel l'École vaincra l'échec scolaire, tout en rétablissant son autorité !

    Pour ne pas faire trop, trop ringard toutefois, certains remplacent jupettes et culottes courtes d'un autre âge par des sweat-shirts et des jeans, tout ce qu'il y a de plus chics mais néanmoins actuels. Cela leur permet d'affirmer que ce sont ces vêtements standardisés, auxquels ils rajoutent, le matin au réveil, un chant en chœur, si possible patriotique, qui font de leurs établissements des écoles d'excellence propres à construire des élèves studieux et bien élevés.

    Immédiatement, toute un série de candidats se précipitent à leur suite. Un uniforme, un salut au drapeau, et hop, ils règlent définitivement, le problème de l'école ! La preuve ? Ces quelques écoles implantées[1] ici et là, dans des banlieues en difficulté, dont les élèves proprets réussissent au-delà de toute espérance...

    Hélas, messieurs, comme disait une intervenante sur un autre sujet l'autre jour, n'y a-t-il pas lieu de craindre un embrigadement de la jeunesse dans cette scolarisation qui évoque des images venues d'autrefois et d'ailleurs sur lesquelles de jeunes enfants, tous identiques, chantaient d'une seule voix les louanges d'un leader que l'époque et le lieu trouvaient charismatique, en dépit des mises en garde horrifiées du reste de l'humanité ?
    Là, oui, je suis d'accord avec vous, Madame, bien plus que pour la scolarisation obligatoire des petits enfants de maternelle ! À tel point qu'il ne serait même pas nécessaire de continuer la démonstration. Cette idée sent trop fort le brun, le noir ou le rouge sang pour être ne serait-ce que légèrement défendable et rien que cela suffit pour la rendre inacceptable.

    « Oui mais quand même, rétorqueront certains, c'est dommage, puisqu'on nous dit que ça marche si bien...  Et si nous surveillons attentivement toute dérive extrémiste et que toute suspicion entraîne la fermeture immédiate de l'établissement ? C'est un projet intéressant... Les enfants apprennent et sont heureux ; cela compte, ça, tout de même ? »

    Oui, cela compte. C'est même fondamental. Et cela doit s'obtenir, pour tous et non pour 15 enfants par année d'âge, dans des établissements financés par des dames d'œuvre, disséminés ici et là... Et sans risque pour l'idéal démocratique que notre pays défend !

    Alors, on évacue l'uniforme tout de suite et le chant patriotique, ou religieux, ou à la gloire de Pierre, Paul ou Jacques, tout comme on évacue la chaussette finlandaise (et le prédicat québécois) !

    D'ailleurs, sous forme de contre-exemple, essayez de les garder, ces éléments du décor qui ne servent à rien. Puis, appliquez-les, au pied de la lettre, dans des écoles élémentaires et maternelles tentaculaires, à vingt classes et plus, en serrant les élèves comme des sardines à 30 ou 35 par classe.
    Alors, une fois les enfants déguisés et réveillés à coup de chants patriotiques, continuez à appliquer les vieilles lunes pédagogiques qui remplissent les documents d'accompagnement des programmes, les livres du maître conseillés par nos mentors, les rayonnages de Canopé, les cours magistraux des ESPE et les animations pédagogiques obligatoires destinées aux professeurs des écoles (et de collèges, si j'ai bien compris).
    Un beau sweat-shirt bordeaux ou vert bouteille, une Marseillaise[2] et hop ! tous en EPI, tous en atelier d'écriture approchée, tous autour de vos Oralbums, tous sur vos tablettes numériques !

    C'est là que vous verrez à quel point le flacon que vous convoitez est aussi peu efficient qu'une chaussette, même tricotée main avec de la laine produite de manière éthique et responsable !

    À côté de cela, créez des écoles, sans uniformes ni chants patriotiques, mais avec moins de 100 élèves en maternelle et moins de 120 en élémentaire[3]. Dans ces écoles, ouvrez suffisamment de classes pour qu'aucune d'entre elle n'ait plus de 20 élèves (allons même jusqu'à 15, comme dans l'expérience des sweat-shirts bordeaux, là où toute espérance a été abandonnée de puis bien longtemps).

    Dotez ces classes de professeurs formés à des méthodes efficaces et à des programmes exigeants.
    Convainquez ces nouveaux enseignants de la capacité de leurs élèves à réussir, à petits pas certes mais de manière homogène. Montrez-leur l'inanité de l'évaluation à tire-larigot. Sortez-leur de la tête l'idée que tout est trop difficile et qu'il convient de réduire sans arrêt les exigences. Apprenez-leur que les compétences et les capacités naissent des connaissances et de la culture et que ce sont ces dernières qu'ils sont chargés de transmettre, certes avec bienveillance mais aussi sans parcimonie.
    Donnez-leur suffisamment d'heures de classe pour que leurs élèves aient le temps. Le temps de comprendre, le temps de s'exercer, le temps d'apprendre. Pour cela, délivrez-les des contraintes administratives, rédactions de projets[4], montages de dossiers, remplissages de livrets scolaires uniques, réunions administratives inutiles et chronophages.

    Veillez avec le même soin sur les programmes des centres de loisirs et des associations sportives ou culturelles et formez leur personnel avec la même attention et dans le même esprit que pour les apprentis professeurs.

    Enfin, parce que ces micro-expériences sont généralement appliquées sur des enfants dont les familles sont convaincues du bien-fondé des méthodes, aidez et même assistez dans leurs relations avec les familles les professeurs que vous aurez nommés sur ces nouvelles « écoles de la réussite ».
    Formez des assistants sociaux et installez-les avec tout l'appui dont ils auront besoin.  Ouvrez des maisons de santé dans lesquelles les consultations et les soins seront gratuits, installez-y des spécialistes prêts à aider à la parentalité responsable. Offrez aux familles d'enfants handicapés toute l'aide dont ils ont besoin, orientez-les vers les solutions éducatives les mieux adaptées et les plus efficientes compte-tenu de leurs handicaps. Protégez et favorisez l'éveil de la toute-petite enfance (de 0 à 2 ans) en créant des maisons dans lesquelles les parents seront accueillis avec leurs bébés et conseillés si le besoin s'en fait sentir.

    Alors, très vite, vous constaterez que dans ces écoles conçues pour la réussite, même en strings panthère et tongs, même en chantant Maman, les p'tits bateaux ou Pirouette, cacahuète tous les matins, les enfants sont studieux et bien élevés et leurs résultats scolaires sont très honorables.

    Il n'y aura plus qu'à généraliser l'expérience à toutes les écoles du territoire en n'oubliant ni le rural, ni les quartiers sans histoire, ni les fins fonds des DOM et des TOM...
    Et c'est ainsi que, sans créer de nouvelle niche pour l'industrie de la jupette plissée et de la socquette blanche, mais aussi sans risque pour notre démocratie, vous aurez donné à l'École les armes pour combattre l'échec scolaire et l'incivilité galopante.

    Dans la série « Élections Présidentielles, les vraies-fausses bonnes idées » :

    Le CP dédoublé

    La maternelle obligatoire

    L'autonomie des écoles primaires

    Notes :

    [1] ... par des initiatives privées, genre dames patronnesses, qui aiment les petits pauvres et veulent en sauver une douzaine par année d’âge, histoire de montrer comme elles sont bonnes et altruistes.

    [2] Vous pouvez même ajouter un financement privé par des entreprises du CAC 40 qui fournissent les jolis costumes, le drapeau, et paient l’entretien du bâtiment et le salaire des professeurs.

    [3] 200 en collège, c’est bon ? Ou il faut moins (ou plus) ?

    [4] De projet, il n’y en a qu’un : « Éduquer pour instruire, instruire pour éduquer ». C’est simple et cela ne nécessite pas de réécritures trisannuelles ad « carrieram » aeternam.


  • Commentaires

    1
    A.
    Jeudi 16 Mars 2017 à 12:40

    De toute façon, pour voir si l'uniforme a un quelconque effet sur la violence scolaire et les résultats, il suffit... de regarder dans les pays où le port de l'uniforme est obligatoire ! 
    Breaking News : Ce n'est pas le cas. Ma meilleure amie a fait toute sa scolarité en GB. Les professeurs se faisaient agresser, les élèves harcelés, mais avec le pull de l'école et la cravate ! 
    Ah si, seul effet notable : en plus des problèmes de discipline, de portables, et de pauvreté, il fallait gérer les infractions à l'uniforme. Mon amie adorait se pointer sans une partie de l'uniforme pour pouvoir aller finir la journée à la maison... 

    2
    Bang
    Mercredi 22 Mars 2017 à 20:14

    Rarement en désaccord, mais sur ce thème profondément en désaccord et ravie que ma fille, 10 ans, ait un uniforme depuis la petite section. Cela créée un sentiment fort d'appartenance à l'école, un lien entre les enfants qui, de nationalités et langues maternelles différentes, n'en auraient pas forcément autrement. Pour la famille: aucun problème pour s'habiller le matin, un budget habits beaucoup moins important, aucun problème de "marques" etc.

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