• Jeu des métiers

    Avant notre visite du site gallo-romain de Lyon, nous observons quelques vestiges sur internet.
    Les élèves sont très impressionnés par cette mosaïque et tout particulièrement par la rosace centrale. Ça doit être très difficile à faire...

    J'explique la technique et je leur démontre que c'est la suite, bien plus aboutie car réalisée par des adultes, professionnels qui plus est, de leurs recherches sur les cercles, disques, arcs de cercles et portions de disques qu'ils continuent à mener depuis bientôt deux mois.

    Oui mais quand même, c'est très, très dur à faire comme métier...
    Je confirme, tout en disant que tous les métiers sont durs et qu'il faut les apprendre pour savoir les pratiquer.
    - Regardez, mon métier, maîtresse, c'est difficile, non ?
    - Oui.
    - Et pourtant, vous voyez, on y arrive... Et docteur, c'est très difficile aussi...
    - Oh oui alors ! Beaucoup plus difficile que maîtresse !
    - Et chauffeur de car ?
    - Oh là là ! Encore plus difficile !... Presque aussi dur que carreleur de mosaïques gallo-romaines !

    Jeu des métiers


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  • Pire qu'un troupeau de chèvres !

    Il se trouve que, dans une vie antérieure, j'ai été éleveuse de chèvres. C'est vous dire si je sais de quoi je parle...
    Une chèvre, c'est un petit animal facétieux, primesautier, volontiers têtu et même un peu cabochard, pour tout dire étymologiquement capricieux.

    Figurez-vous qu'une chèvre, par exemple, ça s'attache à son berger ou à sa bergère. Tellement bien que, si ceux-ci disparaissent de son environnement, elle peut en tomber malade et en perdre son lait !

    Et quand c'est d'un troupeau qu'il s'agit, c'est encore pire...
    Dans un troupeau, tout le monde a son rôle. Il y a les meneuses qui peuvent entraîner les autres droit devant à travers des hectares d'éboulis, non loin de précipices vertigineux ou, tout aussi grave pour elles, dans le beau pré de luzerne ou de sainfoin du voisin ! Il y a les bagarreuses qui n'attendent qu'un coup d'œil ou d'épaule de travers pour se jeter cornes en avant sur tout ce qui bouge... Il y a les timides, que les bagarreuses tiennent loin du râtelier de fourrage, et qui, si on n'y prend garde, se retrouveront bientôt cachectiques, incapables de suivre le troupeau ou d'allaiter leur chevreau tellement elles seront faibles... Il y a les farceuses qui escaladent tout, ouvrent tous les loquets et qu'on retrouve dans le cerisier de la voisine, dans le potager de la grand-mère ou même debout sur la table de la cuisine, en train de lécher la salière à grands coups de langue râpeuse ! Il y a les fugueuses qui, malgré les avertissements du berger, se font un jour croquer par la dent du loup. Il y a enfin les suiveuses qui, seules, se comporteraient peut-être à peu près correctement mais qui profitent de toutes les bêtises des autres pour leur faire porter le chapeau qu'elles ont pourtant saisi avec joie avant de se l'enfoncer sur la tête sans un regret.

    Le berger connaît ses bêtes et intervient, si possible en amont de la bêtise. Contre la fugueuse, il relève les barrières ; contre la farceuse, il a des verrous, des cadenas même, s'il le faut ; contre les meneuses, il a les chiens , les bâtons, les cloches... Il protège les timides et les tient à distance des bagarreuses... Il montre aux suiveuses qu'il n'est pas dupe et les sermonne tout autant que les autres.
    Il connaît tout son petit monde et sait quelles associations bienfaisantes il convient de favoriser et quelles sont les malfaisantes qui lui mettraient son troupeau en l'air en moins d'une demi-journée ! D'autant qu'il sait que ce troupeau qui sauterait par-dessus les moulins et courrait la prétentaine, le soir, de retour à l'étable, lui donnerait trois malheureuses gouttes de lait. Adieu alors les délicieux fromages dont sont friands les chalands des marchés provençaux !

    Ce qui fait que, quand il sait qu'il doit s'en aller, il prépare cela longuement. Il fait venir à l'avance la personne qui le remplacera. Il lui présente les bêtes, lui fait la liste des qualités et défauts de chacune. Il développe leurs qualités laitières, l'informe sur les rations alimentaires, les goûts de chacune, montre l'état des réserves de foin de luzerne et d'orge. Il la met en garde contre les risques qu'elle encourra à trop laisser la bride sur le coup à Caramella, à croire que Coquine arrêtera de se ruer sur tout ce qui s'approche si on lui parle avec douceur et compréhension, à ne pas cajoler un peu la douce Césarine qui n'ose pas s'approcher du seau de farine d'orge...
    C'est ainsi qu'il peut partir confiant même si, il n'est pas dupe, les bêtes attendront son retour pour à nouveau donner toute leur mesure de lait à LEUR berger et non à cet intrus qui fait semblant de s'intéresser à elles alors qu'il ne les a pas vues naître, vivre, grandir et mettre bas !

    Eh bien, savez-vous, si j'ai tellement aimé m'occuper de mon troupeau de chèvres dans ma vie antérieure, c'est qu'il me rappelait un autre petit troupeau, facétieux, rigolard, bagarreur, pas raisonnable pour un sou, volontiers capricieux et pourtant tellement attachant et capable de si grandes choses... Vous voyez de qui je veux parler ?

    Ce qui me chagrine pour tous ces deuxièmes troupeaux d'un genre très particulier, c'est que plus aucun Grand Grand Grand Chef n'a d'égard pour eux. Là où le berger chouchoute son outil de production avec affection, soin, attention soutenue et fermeté bienveillante, là où les sociétés protectrices des animaux mettraient bon ordre si elles soupçonnaient la moindre maltraitance, le plus petit manquement à la règle, du côté des cours et des préaux, rien, rien, rien de rien ! Abandonnite aiguë, mépris, manque d'intérêt, lâcher-prise et laisser-tomber ! 

    Imaginez par exemple une directrice qui part à la retraite... il va falloir en trouver une autre... qui aura besoin de trois semaines de stage de formation, surtout maintenant que tout n'est plus simple et qu'on ne s'occupe plus des enfants comme on s'occupe d'un troupeau de chèvres, avec affection, soin, attention soutenue et fermeté bienveillante !
    Cette nouvelle directrice, connue depuis le jour où, en février ou mars, elle a demandé à être inscrite sur la liste d'aptitude aux fonctions de directeur, va donc avoir besoin d'un remplaçant, pendant les trois semaines que dureront son stage, qui lui est programmé depuis le mois de septembre.

    L'Administration, si elle est une bonne bergère, a donc forcément prévu un remplaçant bien en amont. Il est venu dans la classe, a rencontré la personne qu'il remplacera, s'est informé des personnalités de tous ses futurs élèves, de leurs régimes alimentaires, non, de leur avancement dans le programme scolaire. Il s'est informé des enfants en difficulté, des PPRE, des PAP, des élèves avec AVS, etc. Il connaît les associations malheureuses, les points à renforcer, les valeurs sûres et les précipices vertigineux !
    Il est prêt, comme notre berger-remplaçant, à prendre le relais de manière à ce que la future directrice, quand elle reviendra, ne constate qu'une toute petite baisse de régime, facile à compenser dès que ses élèves retrouveront leur bergère habituelle !

    Eh bien non ! Rien n'a été anticipé et même mieux, rien n'est possible à mettre en place.
    Les élèves vont avoir classe un jour avec Paul, l'autre avec Pierrette, le troisième et le septième avec Sidonie, le quatrième et le neuvième peut-être avec Gontran mais on ne peut pas l'assurer et puis, entre temps, peut-être n'auront-ils pas classe du tout...
    Qu'un élève difficile soit complètement tourneboulé par cette situation et qu'il couvre d'injures ses camarades et le pion remplaçant diligenté pour la journée, tout le monde s'en fiche ! Qu'une petite élève timide se recroqueville parce que tous ces gens qui apparaissent et disparaissent pire que dans un numéro de prestidigitateur lui donnent le tournis, aucun intérêt !
    Quant aux programmes scolaires, c'est bien simple, même les parents d'élèves s'en fichent... Alors, pourquoi s'acharner à dire qu'il est quand même ennuyeux que ces élèves-là quittent en réalité l'école dans sa mission la plus importante, l'instruction, un bon mois avant tout le monde !

    Vous me direz, un troupeau de chèvres, sa raison d'être, c'est de produire du bon lait qui fera de délicieux fromages qu'on échangera contre des espèces sonnantes et trébuchantes, permettant ainsi à la machine économique de tourner...
    Alors que des enfants, franchement, à quoi cela sert-il ? Ça coûte des sous, ça ennuie tout le monde, il faut faire semblant de s'en préoccuper et de les préserver des dangers de la société et, cerise sur le gâteau, c'est incapable d'apporter sa pierre à la machine économique... Surtout quand on les met en classe, qu'ils monopolisent du poids mort pour la société marchande (du fonctionnaire, si vous préférez) et que, rivés à leurs bureaux comme ils le sont, ils ne peuvent même pas jouer les prescripteurs dans les supermarchés et chez les concessionnaires de voitures !

    C'est donc normal, parfaitement normal, qu'on prenne moins soin d'eux et qu'on les traite pire qu'un troupeau de chèvres...


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  • Visite guidée...

    Douze enfants (eh oui, une malade, dommage pour elle), une maîtresse, deux parents d'élèves à l'assaut du château de Grignan, en Drôme Provençale...

    En route pour la visite :

    Départ de l'école, en dehors des horaires scolaires, en voitures particulières, de manière à arriver sur les lieux avant 13 h 45. Classe transplantée, ça s'appelle. La maîtresse sera sur place aux horaires scolaires et accueillera ses élèves normalement, mais dans un autre lieu.
    Les deux parents accompagnateurs, le père de Tout-Petit-Bonhomme et la grand-mère de Kass'Andrah, feront de même et la sortie scolaire sans nuitée pourra démarrer dans les conditions imposées par l'Administration.

    Nous partons de la Place du Mail, en rang par deux, la maîtresse devant, les parents derrière. Ça papote, ça gigote, ça asticote...
    On sent bien le mois de juin, la chaleur lourde qui énerve les enfants au lieu de les accabler.
    Premier incident : Grand-Lolo refuse de donner la main à Yasameen. Je règle ça rapidement, mais bon, je m'inquiète... Ils sont chauds-bouillants, ces petits !
    Heureusement, Loubna remarque une immense plume rouge sur le beffroi.

    Visite guidée...

    Je rappelle... la marquise de Sévigné... les lettres qu'elle écrivait à sa fille... la comtesse de Grignan... le festival de la correspondance. D'ailleurs nous arrivons sur la place où se dresse sa statue... Voici la marquise, la plume d'une main, sa lettre de l'autre. "Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné", lisons-nous sur la plaque de marbre. Elle s'appelait Marie de Rabutin-Chantal parce qu'elle était noble ? Ouf, ils s'intéressent encore à quelque-chose...

    Visite guidée...


    Nous passons la première porte, petit retour sur les villages fortifiés, les doigts se lèvent, les enfants se passionnent. J'interromps, nous sommes attendus à 14 heures, pas le temps de développer.
    Deuxième incident : Loulou et Plus-Vite-Que-Son-Ombre se tiraillent par le bras et râlent parce que l'autre rouscaille du traitement pourtant amical et distrayant. À nouveau, cours d'Éducation Morale et Civique sur le vif... Mes inquiétudes s'amplifient : nous sommes trop près de la fin de l'année scolaire, les enfants sont fatigués, démotivés par la chaleur, couchés trop tard en raison des soirées d'été interminables, ils vont être infects !
    Nous passons la deuxième porte... Il y a un plan du village. Les élèves découvrent la forme ronde, la muraille qui encercle la bourgade, les différentes portes. Ils repèrent celle où nous nous trouvons et... la pigeonne qui couve sur un surplomb du bâti ! C'est reparti pour une foire aux questions-réflexions-associations-transferts !... alors qu'on nous attend, là-haut, au château du Comte de Grignan...

    Pas de charge pour la dernière grimpette avec encore deux ou trois incidents, mineurs mais quand même... Ils n'arrêtent pas de se titiller, de se moquer, de râler ! Que suis-je allée faire dans cette galère ?

    Visite guidée...

    Accueil et mise en route :

    Devant l'accueil, quelques couples de personnes âgées attendent l'ouverture des portes... Ils regardent d'un œil torve cette bande de mioches pas très policés qui ne semblent pas vraiment décidés à écouter les adultes qui les exhortent à se taire et à se calmer. Je me liquéfie intérieurement. Et il faut que j'aille payer maintenant... et que je rédige le chèque... et que l'hôtesse d'accueil imprime la facture...  et qu'elle téléphone au médiateur culturel (je me souviens, à temps, qu'on ne dit plus un guide, ouf, un impair de moins) qui va nous réceptionner sur le grand escalier derrière les gradins déjà dressés pour le spectacle de cet été.

    Là-bas, dans le coin où je les ai parqués, sous la surveillance de JY et CM, ça gigote, ça tripote les cartes postales, ça papote... Kass'Andrah, qui n'avait pas besoin d'aller aux toilettes au départ de l'école, s'est découvert une envie pressante et, comme CM le propose gentiment, Loubna et Yasameen, et puis P'tit-Lolo et puis Petit-Bonhomme et puis Jeune-Sage-Tranquille se disent qu'après tout, ils pourraient aussi profiter de la visite guidée des lieux d'aisance de ce fleuron du patrimoine historique drômois ! Ce sera non, sauf pour Kass', qui s'entend quand même chanter Manon à deux voix par sa grand-mère et la maîtresse...
    Franchement, j'aurais mieux fait d'aller me pendre le jour où j'ai demandé à l'EVS de réserver !

    Nous passons... enfin... la grande porte et le calme naît de lui-même. Quelques voix chuchotées perturbent à peine le silence :
    - C'est grand !
    - Tu as vu la statue ? Qui est-ce ?
    - Oh ! Les tapisseries !...
    - La chaise à porteurs, tu l'as vue ?...
    - Il y a une alarme, là. C'est pour les objets précieux.

    Visite guidée...

    Se situer dans l'espace :

    Un charmant jeune homme arrive. C'est notre animateur. Il s'appelle Pierre. Il nous emmène d'abord sur la grande terrasse qui domine la plaine alentour... Loubna s'approche de la rambarde qu'elle commence à escalader ! Je la tire en arrière en sermonnant et Pierre commence à interroger :
    - Connaissez-vous les points cardinaux ?
    - Non.
    - Je suis sûr que si. Alors nous allons poser la question autrement... L'endroit où il fait très froid, où il y a des pingouins, des ours blancs, des phoques...
    - Le sud !
    - Non ! Le nord ! C'est le nord.
    - Oui, voilà, le nord. Et de l'autre côté, là où il fait de plus en plus chaud, c'est... ?
    - Le sud !
    - Très bien. Ici, le sud est de ce côté, vers cette grande montagne que vous voyez là-bas... Quelqu'un connaît son nom ?
    - Oui, moi ! Le Mont Blanc ! Euh non, je me trompe toujours ! Le Mont Ventoux !
    - Oui, le Mont Ventoux... Et si nous continuons dans cette direction, nous allons rencontrer... ?
    - Une mer ! La mer Méditerranée !
    - Ah mais c'est très bien, dites donc... Vous savez beaucoup de choses. Donc, ici, nous avons le sud, vers la mer Méditerranée, là, le nord. Et là ?
    - L'est ? L'ouest ?
    - Très bien, là, l'est, avec des petites montagnes qui sont avant d'arriver aux Alpes et qui s'appellent donc...
    - Les Préalpes !
    - Et de l'autre côté, à l'ouest, que voyons-nous ?
    - Au nord-ouest, je vois les éoliennes près de Montélimar !
    - Oui, et nous ne le voyons pas mais peut-être savez-vous qu'il y a un fleuve...
    - Oui. Le Rhône !
    - Eh bien, je crois que nous savons tout. Nous allons donc entrer dans le château par une autre pièce que vous trouverez sans doute superbe.

    Visite guidée...

    Galerie des Adhémars

    Assis en rond sur l'estrade de la salle de concert, les voilà maintenant invités par Pierre à dévider le fil de l'histoire depuis avant la conquête romaine. Le festival continue :
    - A l'époque gauloise, il y avait déjà une place forte sur cette colline. Savez-vous pourquoi les places fortes étaient construites en hauteur ?
    - Oui, parce que c'était plus difficile à attaquer à cause de la pente.
    - Et aussi à cause de la vue. On voit arriver les ennemis de loin.
    - On dit aussi "les assaillants"...
    - Très bien. Et savez-vous le nom de la civilisation qui a attaqué les Celtes et conquis leurs territoires ?
    - Les Romains ?
    - Qui venaient d'où ?
    - De Rome.
    - De quel pays ?
    - L'Italie...
    - Bien. Quel fleuve suivaient-ils ?
    - Le Rhône ? Jusqu'à Lyon ?
    - Oui, c'est cela... Vous êtes décidément très fort... Passons à une autre époque... Le Moyen Âge. Savez-vous comment se nommaient les châteaux de pierre qu'on construisait alors et quel était leur rôle ?
    - Des châteaux forts !
    - Et des villes fortifiées !
    - C'était pour se réfugier quand les assaillants arrivaient !
    - Bien. Eh bien, le château où vous êtes était au départ un château fort.
    - Ça se voit bien à l'entrée. Il y a des grands murailles et des tours fortifiées...
    - Mais dedans, ils ont ouvert des fenêtres parce qu'il n'y avait plus de guerres entre seigneurs. Comme au château de Chambord.
    - Et qu'ils n'avaient plus les mêmes armes.
    - Oui, très bien. Lorsqu'ils ont découvert la poudre, ils ont commencé à construire des canons. Il y en avait de tout petits, très fins, qui avaient un joli nom...
    - Oui. Les couleuvrines ! 
    Là, notre animateur est un peu déçu... Il aurait bien aimé pouvoir le leur dire, ce joli nom : Très bien, passons donc à la salle où  nous sommes... Remarquez-vous sa forme ?

    Visite guidée...

    - C'est un rectangle très allongé.
    - À quoi pouvait servir cette salle ?
    - À manger ? À recevoir des invités ? À faire des bals ? À écouter de la musique ?
    - Oui, très bien. Mais encore ?
    - Là, sur le côté sans fenêtres, il y a deux grandes cheminées...
    - Et à côté, on dirait qu'il y a eu des portes. [Ah oui, tiens... Je n'avais pas remarqué, se dit la maîtresse in petto]
    - Oui. Lorsque le comte de Grignan a fait construire cette pièce, il y en avait d'autres derrière qui n'ont pas été rebâties et qui sont en ruine. Mais à l'époque, cette grande galerie desservait ces pièces. Comment s'appelle chez vous la pièce allongée dans laquelle vous passez pour aller dans les autres pièces ?
    - Un couloir. Là, au mur, les portraits, qui est-ce ? La dame au milieu, on dirait La Joconde...

    Visite guidée...

    - Oui, si tu veux. Elle se tient dans la même position. C'est Françoise de Grignan, la femme du comte de Grignan qui était le représentant du roi en Provence. C'était quelqu'un de très important. Et ce personnage en bas à droite ?
    - On dirait Louis XIV...
    - Oui, en effet, c'est lui. À quoi l'avez-vous reconnu ?
    - Ses cheveux...
    - Et son nez !
    - C'était un roi absolu. Après, il y a eu Louis XV, et puis Louis XVI. Et ça a fait la Révolution.
    - Oui mais revenons à notre château de Grignan, si vous le voulez bien... Nous allons changer de pièce. Suivez-moi.
    - Avant de partir, je voudrais savoir... Louis XIV, il est venu dans ce château pour se faire peindre ?
    - Non, il n'est pas venu. L'artiste a travaillé à partir d'un autre portrait.

    La chambre de Madame

    Très impressionnés, les élèves suivent leur animateur... Les grands escaliers, les tableaux au mur, les statues, les parquets, où ils martèlent un peu du pied à cause du joli bruit que ça fait, je dois l'avouer.
    Nous croisons les mêmes personnes âgées, beaucoup plus attendris que tout à l'heure à l'entrée. Mes petits anges les gratifient de jolis sourires, de Bonjour madame, pardon monsieur, merci madame...

    Visite guidée...

    Et tout continue à les passionner... Les tentures de soie, le ciel de lit et les rideaux, même le cabinet sans doute rempli d'objets précieux. Notre animateur est heureux comme un roi, les parents accompagnateurs et la maîtresse fiers comme Artaban, les visiteurs époustouflés par la culture et l'intérêt de ces enfants dont le plus jeune à 5 ans 3/4 et le plus vieux 8 ans 1/2...

    Au fil de la visite, qui durera plus d'une heure, nous n'avons pas eu un anachronisme, pas un manque d'intérêt, pas une main qui, par inadvertance, caresse un meuble, touche un vase précieux ! Même lorsqu'ils étaient assis en rond par terre sur ces parquets cirés, personne ne s'est roulé par terre, personne n'a tenté une glissade ou un léger dérapage...
    Ils étaient passionnés et auraient voulu poser des questions sur tout. Ils auraient aimé que nous nous arrêtions partout pour expliquer ici les escaliers en colimaçon

    Visite guidée...

    là, la salle consacrée aux lettres que... ah oui ! Marie de Rabutin-Chantal ! On a lu son nom sur la fontaine, en bas... envoyait à sa fille

    Visite guidée...

    Et puis encore la Cour du Puits et ses gargouilles, l'entrée monumentale ressurgie du Moyen Âge, les trois ordres de la société, les privilèges des nobles et des gens d'église, les révolutionnaires qui ont démoli le château, la chaise à porteurs qu'ils veulent voir de près... Ils étaient tout bonnement insatiables.

    Visite guidée...

    Conclusion

    Alors, maintenant, le premier qui vient me dire que, dans une classe, l'effectif n'a pas d'importance et qu'une classe à moins de quinze, ce doit être une calamité, je lui explose de rire au nez...

    Et ensuite, je vais battre ma coulpe...
    En repensant à cette sortie, le soir après l'école, je me suis rappelé les élèves de la "vieille collègue" de l'école privée qui, dans les années 1980, assistaient en même temps que nous, les jeunes collègues branchouilles des écoles publiques de la région, aux après-midis des Jeunesses Musicales ou de Connaissance du Monde.
    Je me suis souvenue de leurs réponses et de leurs questions pertinentes quel que soit le sujet abordé, de leur culture historique, géographique, scientifique.
    J'ai repensé à nos regards complices entre collègues conscients de l'importance de la nouvelle mission de l'école et de nos ricanements silencieux : "Des singes savants, sans doute !... Un enfant d'école primaire ne peut pas retenir tout ça... Ils ne comprennent pas ce qu'ils racontent, bien sûr !... Des gosses de riches élevés dans un milieu de choix auxquels l'école n'apporte rien (nous savions très bien que cela était faux, cette école recevant à l'époque une bonne partie des familles des maçons portugais venus construire les immeubles et les lotissements de la région)".
    J'ai pensé aussi à Pierre, notre animateur, qui, à plusieurs reprises, m'a demandé où nous en étions du programme d'histoire et à qui j'ai dû finalement avouer que, dans les niveaux que j'assurais, CP et CE1, il n'y avait pas de programme d'histoire ; que ce que je leur avais fait apprendre, je n'aurais pas dû ne serait-ce que l'évoquer en classe...

    Et je me suis dit qu'on se demandera éternellement pourquoi notre fin de XXe siècle et notre début de XXIe ont tout à coup décidé d'organiser un gâchis pareil... pourquoi un si grand manque de foi en l'enfance, en son intelligence, en son imagination, en ses capacités à mémoriser, à s'émerveiller, à relier entre elles des informations, des idées, des connaissances...
    Pourquoi, parce qu'ils ne pouvaient pas "tout comprendre", avait-il fallu tout à coup ne surtout plus rien leur apprendre avant de, finalement, dans les années 2000, décider qu'il allait suffire de leur présenter des vestiges épars, une fois, dans le cadre d'une "approche spiralaire" pour qu'ils arrivent à faire la synthèse de chacune des époques anciennes et qu'ils la gardent en mémoire.

    Nota Bene : Je ne me fais aucune illusion et, connaissant les enfants, je sais très bien que, si toutes les connaissances dont ces petits bouts d'hommes et de femmes ont fait preuve ne sont pas réactivées, toutes, dans les mêmes termes, enrichis sans doute, mais repris, c'est sûr, dans deux ans, trois tout au plus, tout aura disparu chez tous ceux d'entre eux qui ne sont pas des passionnés et qui évacueront toutes ces données de leur cerveau pour laisser la place disponible au Coca Cola du moment...

    Visite guidée...


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  • Bientôt disponible !

    Ouf, bientôt fini ! Superbement illustré par Sophie Borgnet, mon bébé va enfin voir le jour après bien des mois de gestation...
    Je remercie tous mes amis et proches qui m'ont aidée, encouragée et soutenue dans cet effort !
    En espérant qu'il vous plaira... Pour que vive et revive l'École Maternelle, la grande belle, pleine de jolies peintures, de fleurs et de gentilles bêtes sur les murs [1].

    Bientôt disponible !

    Si vous souhaitez des frais de port prohibitifs, vous pouvez me contacter.

    [1] François Cavanna, Les Ritals, Belfond, 1978.

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