• Tout un cirque !

    Mes élèves viennent de bénéficier de leur quatrième intervention "Arts du Cirque", inscrite à notre projet d'école intérieur, celui qui fonctionne parce qu'il recueille l'adhésion de trois collègues à l'instant T en fonction de la conjoncture effective constatée et rectifiée au coup par coup en fonction des fluctuations saisonnières[1].
    Il nous en reste trois avec la répétition générale avant qu'ils se produisent en spectacle ainsi que leurs petits camarades des deux autres classes de l'école devant leurs parents ébaubis !

    Tout un cirque !

    Je ne remercierai jamais assez Yan, notre intervenant, diplômé du Centre National des Arts du Cirque, pour son exigence bienveillante et sa façon d'encourager nos élèves, des plus jeunes aux plus âgés, à apprendre à fournir des efforts construits, réfléchis, organisés, introspectifs...

    Tout un cirque !

    Chaque séance commence par une mise en place rapide (3 secondes, maintenant) des 20 enfants de 5 à 8 ans en ligne au fond de la salle.
    Puis c'est l'échauffement, très rythmé, où les élèves imitent leur professeur au geste et à l'intonation près. Pendant 5 à 10 minutes, les enfants en rond autour du tapis, sautent, répètent, lèvent les bras au ciel, s'allongent, tournent, se massent les pieds, lèvent les bras en criant "En bas !" puis les baissent en criant "En  haut !"[2].

    Tout un cirque !

    Tout un cirque !

    Petite contrainte supplémentaire, tout au long de cet échauffement, ils doivent garder en tête un mot magique qui signalera le moment où, quoi que fasse Yan, ils devront rejoindre leur place, assis en rond autour du tapis.

    Et figurez-vous qu'ils y arrivent ! Tous ! Même si Yan fait des blagues et prononce circus avant de se reprendre et de dire chapiteau ! Pas un qui ne traîne, qui se perd, qui refuse la contrainte ou qui trouve un prétexte pour accuser ses voisins de tout et de rien !
    De même pour la constitution des pyramides. Personne ne choisit sa place, personne ne contrevient aux règles énoncées par le maître de l'Art, personne ne parle avec son voisin ou n'oublie les consignes données une seule fois. Et si on l'oublie, Yan est là, tout de suite, pour redonner la position exacte d'un pied, d'une main, d'un genou... Pas de droit à l'à-peu-près lorsqu'on a sur le dos ou sous ses pieds un autre être humain fragile, sensible, directement responsable de notre propre sécurité comme nous le sommes de la sienne.

    Tout un cirque !

    Le cerveau et le corps bien échauffés, les voilà prêts pour les ateliers... Après un début de première séance extrêmement statique où ils ont assisté à un cours presque magistral sur les risques encourus en cas d'auto-construction irraisonnée des règles d'utilisation du matériel (boule, rouleaux américains, pédalos, diabolos, assiettes chinoises), ils ont pu eux-mêmes s'exercer.
    Il a fallu mettre à contribution la maîtresse et l'EVS et les convaincre toutes deux que ce qu'elles devaient faire, c'était exactement ça et pas à peu près ça, parce que ce qu'elles devaient obtenir, c'était exactement ça et pas à peu près ça !

    Tout un cirque !

    Tout un cirque !

    Tout un cirque !

    Même avec Clara et Sacha qui sont les plus jeunes et qui n'arrivent pas encore à comprendre toutes les explications techniques... Même avec Lounès qui a tendance à laisser son esprit s'échapper... Même avec Dylan et Marc-Antonin qui aimeraient bien y arriver tout de suite, mais sans avoir à passer par la phase déstabilisante de l'échec répété, de la difficulté à analyser, de l'erreur à assumer, de l'effort à fournir pour modifier un comportement, de la technique à apprendre pour enfin réussir là où ils échouaient tant que l'exercice d'une liberté désordonnée contrariait leurs désirs d'époustoufler la compagnie par leurs prouesses instinctives !

    Et ça a fonctionné ! D'un claquement de doigt, nos petits bonshommes et bonnes femmes, tout fiers, se mettent en place, d'un autre, ils prennent possession de leur matériel, d'un troisième, ils respectent les consignes, les exécutent, en silence, le sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux... D'un dernier, ils quittent la scène si vite qu'en trois secondes, ils ont disparu dans les coulisses où ils se tiennent silencieux, attentifs, prêts à revenir !

    Tout un cirque !

    Yan ne crie pas, ne punit pas, ne gronde pas. En revanche, il redit, réexplique les règles et ne tolère pas qu'elles soient transgressées...
    Il y en a un qui a parlé pendant le numéro[3] ? Tout le groupe retourne dans les coulisses, prêt à reprendre à zéro en aidant cette fois le camarade à rester silencieux.
    Il y en a un qui utilise sa baguette d'assiette chinoise pour jouer au mousquetaire ? La baguette est prise des mains, puis remise en place de manière correcte et Yan aide le contrevenant à trouver le bon geste pour que l'assiette tourne seule pendant qu'il se déplace lentement dans la salle, bras tendu bien haut au-dessus de sa tête...

    Et tout ceci dure 1 heure 30 minutes, sans pause-pipi, sans moment de détente, sans une seconde pour s'évader !
    Et ça marche ! Si, si, je vous assure ! Même que les enfants en redemandent...
    Comme ils en redemandaient hier quand nous parlions de la Monarchie Absolue, du Siècle des Lumières, des Trois Ordres de la société pré-révolutionnaire, de la diffusion des idées par les journaux et les livres et de la Prise de la Bastille !
    Comme ils en redemandaient avant-hier lorsqu'ils concevaient et choisissaient les décors qui baliseront la scène le jour du spectacle alors qu'il était 16 heures et que, par la grâce de quelques chronobiologistes, ils devaient quitter la salle, épuisés par une journée de classe trop longue et mal adaptée à leur jeune âge !
    Comme ils en redemandent tous les matins lorsque, ensemble, nous lisons, écrivons, résolvons des problèmes, nous entraînons à l'orthographe, à la grammaire, à la conjugaison, au calcul, apprenons à compter, à réfléchir, à comprendre...

    Tout un cirque !

    Le succès d'un enseignement, qu'il soit des arts du cirque, de l'écriture-lecture, du dessin, du calcul ou de la pâtisserie, se mesure au plaisir que prennent les élèves à acquérir le goût du travail bien fait, l'envie de progresser et de réussir. On en apprécie l'efficacité aux habitudes que les enfants adoptent pour arriver au but qu'ils se sont fixé, aux capacités de travail qu'ils acquièrent jour après jour et qu'ils pourront transférer à tous les autres apprentissages, au respect des règles fixées par ceux qui savent et leur économisent les fausses-pistes, les digressions, les pièges dans lesquels ils tomberaient s'ils n'étaient ni soutenus, ni encouragés ou si on les précipitait trop jeunes dans des activités expertes qu'ils ne maîtrisaient pas.

    Quand on est enfant, rien n'est ennuyeux, rien n'est trop dur, trop contraignant si ce n'est l'exercice d'une liberté désordonnée au cadre trop lâche qui libère peut-être le professeur de sa tâche de créateur d'une ambiance adaptée, où l'enfant peut se dépenser en vue d'une série de buts intéressants, canalisant ainsi son irréfrénable activité, dans l'ordre et vers le perfectionnement (M. Montessori)  mais ne lui permet aucunement de se "libérer" des obstacles qui empêchent le développement normal de sa vie.

    [1] Petite digression destinée aux réunionneurs-en-rond, officiellement professeurs mais persuadés que la panacée se trouve hors-la-classe, dans une institutionnalisation d’un monde rêvé où l’on causerait d’élèves qu’on ne verrait pas et que l’on connaîtrait à travers les écrits des sociologues qu’ils ont lus pour les gourouiser !

    [2] Non, non, il n’y a pas d’erreur… C’est juste pour les entraîner à être attentifs et prêts à agir, quoi qu’il arrive.

    [3] Qui dure au maximum une à deux minutes, je vous rassure. Ce n’est pas le bagne non plus !

     

    .


  • Commentaires

    1
    Gelsomina
    Samedi 30 Mai 2015 à 13:58

    Super article qui donne envie de faire classe et cirque! <3

    Bravo à vous tous (élèves, profs, AVS et Yan!!)

    2
    Rikki
    Samedi 30 Mai 2015 à 19:13

    J'ai eu la grande chance de voir de mes propres yeux le travail de Yan avec les élèves de Double Casquette, et je peux confirmer point par point !

     

    Par contre, je suis troooooooooooooooooop déçue d'avoir loupé la séance d'histoire...

    3
    Samedi 30 Mai 2015 à 19:28

    Tu n'as qu'à t'en prendre à Vincent Peillon, Rikki. Mes élèves et moi, nous n'avions rien demandé et la demi-heure qui a sauté grâce à lui, nous la regrettons tous les jours...

    4
    Rikki
    Dimanche 31 Mai 2015 à 08:07

    Mais je m'en suis prise à lui ! Je n'ai pas arrêté de m'en prendre à lui ! J'ai perdu plein de journées de salaire en m'en prenant à lui !

     

    cry

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    5
    Dimanche 31 Mai 2015 à 09:17

    Je sais. Moi aussi. cry

    6
    Normandyx
    Dimanche 31 Mai 2015 à 20:31

    mais quelle horreur!

    La créativité des enfants est bridée et on ne leur laisse pas la libre découverte par tâtonnement expérimental de figures originales!

    Quoi? ils reproduisent des modèles imposés et n'ont pas de projet personnel!

    Et en plus, on interdit les "interactions langagières"*?  mais ce doit être impossible pour des enfants de ne pas parler pendant plus d'une minute...

     

    ;o) je blague, je voulais voir si je pouvais terminer ma carrière en pédagogue du ministère...

    * oui, interactions langagières, c'est ainsi qu'un pédago de passage dans ma classe avait désigné les bavardages entre élèves que j'avais et ai toujours tendance à limiter...

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