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    Télé-réalité

    La téléréalité s'attaque aux enfants titre BFMTV dans cet article qui nous présente deux nouvelles émissions consacrées à l'École, l'une, bien racoleuse, usant une fois de plus la ficelle "blouses grises - coups de règle sur les doigts", la seconde, nouvelle en France, qui narrera par le menu - mais lequel ? - le quotidien d'une école maternelle...

    Ce genre de prétexte, surtout rendus par TF1 et M6, cela laisse rêveur...

    L'Université Paris-5 avait lancé le truc en faisant des vidéos de "formation" sur son site...
    Le problème, c'est que c'était très orienté puisqu'on partait d'emblée sur l'idée que c'était exactement ce qu'il fallait faire en classe et que les résultats obtenus par les petits élèves étaient ce que l'on pouvait attendre de mieux de leur part.
    La recette de la pizza, par exemple, je vous la conseille fortement. C'est un grand moment de pédagogie efficace ! Ce qui devrait prendre cinq minutes, questions de compréhension comprises, s'étale sur au moins 26 minutes (durée de la vidéo) mais sans doute beaucoup plus.

    Il y a eu aussi ce documentaire d'1 h 13 où, dès les premières secondes, on comprenait que les journalistes avaient un fort a priori positif pour l'une des classes et un non moins flagrant a priori négatif pour les autres.
    C'était déjà plus "grand public" que les 26 minutes prises pour expliquer aux futurs jeunes collègues qu'un élève de CE1 peut très bien ne pas savoir lire sans hésiter et en comprenant ce qu'il lit "Dérouler la pâte toute prête. La recouvrir de sauce tomate. Garnir avec des olives et des filets d'anchois. Parsemer de fromage râpé. Demander à un adulte de mettre à four très chaud pendant 10 à 12 minutes." et qu'il convient d'y perdre au moins une matinée entière au lieu de prendre une demi-heure par jour pour leur apprendre à lire vite et bien et partir ensuite sur des bases saines...
    Mais c'était tellement orienté que cela ne peut en aucun cas servir d'information sur le monde de l'école pour des téléspectateur non-avertis. 

    Avec ces deux nouvelles émissions, je ne pense pas non plus que celui qu'on nomme le "grand public" pourra se faire une opinion personnelle argumentée sur la question des méthodes et des modes pédagogiques. Nous risquons au contraire de vite tomber dans du "Jacques Martin à l'École des Fans" au sujet des petits "dont la fraîcheur des commentaires est tellement attendrissante" et du "pensionnat rétro" tendance "colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer" au sujet des grands...

    C'est dommage... Parce que, avec des médias un peu moins versés dans la conquête de l'audimat et à peu près autonomes parce qu'eux-mêmes au fait de ce dont ils parlent, il y aurait peut-être moyen de faire des émissions d'information sur les méthodes et les programmes à différents niveaux, laissant les téléspectateurs tirer eux-mêmes leurs conclusions sur l'efficacité de telle ou telle technique pédagogique.

    Nous pourrions ainsi suivre chaque mois quelques classes de Petites, Moyennes et Grandes Sections, les unes dans la plus pure tradition socioconstructiviste[1], les secondes suivant à la lettre les préceptes de Maria Montessori, des troisièmes appliquant les techniques mises en œuvre par les descendants de l'ICEM de Célestin Freinet , des autres où s'appliqueraient les programmes du GRIP, selon les méthodes que je propose dans Pour une maternelle du XXIe siècle, d'autres enfin où on ferait "un peu de tout" selon les ordres et contre-ordres de sa hiérarchie et des propositions de projets divers et variés "donnant à voir aux parents et à son IEN" que l'on trouve un peu partout sur le web...
    Au cours des mois, on verrait ainsi évoluer ces petits enfants, de leurs premiers pas en classe jusqu'à la fin de l'année scolaire lorsqu'ils ont déjà un pied dans la classe supérieure... ou pas.
    Nous verrions comment sont apaisés les premiers pleurs des tout-petits, comment ils évoluent de leur statut de petit enfant à celui de tout jeune élève, comment s'installent chez eux les premiers apprentissages de la vie en collectivité, du langage oral,
    du jeu et, hélas surtout pour les plus jeunes, de ce que nos théoriciens de l'école appellent sans rire "l'acquisition de la culture de l'écrit" et la "construction du nombre".
    Nous pourrions observer comment l'école les aide à parfaire
    la maîtrise de leurs mouvements et de leurs sens et celle des outils et objets en usage dans les écoles maternelles. Cela nous permettrait peut-être de juger de la pertinence de l'introduction précoce des objets numériques dans la vie de l'école maternelle. Peut-être pourrions-nous même mesurer la différence qui existera(it) entre les classes "tout numérique" et celles où celui-ci n'entre pas ou très peu.

    La même année, mais plutôt une autre année, on diffuserait le même type de reportage en prenant cette fois pour cible la classe de CP.
    Grandes empoignades en perspective ! Débats sans fin dans les médias !
    Pourquoi telle classe, située dans un quartier très défavorisé, voit ses élèves acquérir une lecture compréhensive aisée et fluide, une écriture souple, rapide et déjà correcte au niveau de l'orthographe et de la 
    syntaxe[2] alors que telle autre, pourtant peuplée d'enfants de cadres, se voit affligée d'un nombre incroyable d'enfants sur lesquels planent les sombres corbeaux du soupçon de dyslexie, d'hyperactivité, de dysgraphie et autres maladies graves ? Comment est-ce possible et qu'est-ce qui peut justifier ces différences ?...
    À l'issue de cette série d'émissions, on se le demanderait encore, d'ailleurs. Le Ministère penserait éventuellement diligenter une commission d'enquête, dirigée par les meilleurs chercheurs, qui serait chargée de justifier ces différences tout en préservant la place des dits chercheurs dans les comités de rédaction des programmes de l'école primaire et au-delà. Pas simple...

    Il est fort probable qu'après cette année-là, l'émission serait supprimée.
    Mais continuons à rêver et imaginons qu'elle soit maintenue malgré les constats sans appel fournis par les élèves eux-mêmes.

    L'année d'après serait consacrée au CE2 ou au CM1, parce que ce sont des classes médianes de l'école élémentaire. L'intérêt faiblirait peut-être un peu parce que les enfants y sont moins "mignons" et que les enjeux de l'apprentissage n'y apparaissent pas autant qu'au CP, socle sur lequel se bâtit tout le reste, ou au CM2, antichambre du collège.
    On serait peut-être obligés d'attirer le chaland en proposant quelques incursions en collège... juste pour voir qui est en train d'y préparer tranquillement et intelligemment ses élèves, qui fait du bachotage plus ou moins stérile, qui enfonce le clou des déterminismes sociaux et écarte soigneusement de la table la mieux servie tous ceux dont le pedigree leur semble détonner par rapport aux critères de la réussite scolaire.

    Ensuite, il y aurait le CM2. Là, on mettrait le paquet sur la lecture et l'écriture, leur fluidité, leur efficacité, leur correction. On enchaînerait sur la résolution de problèmes mathématiques, la culture générale, l'aisance à exposer, à justifier sans ergoter pour défendre une vague "opinion" ou un "ressenti" ni vivre dans la négociation perpétuelle...

    Et puis, ensuite, de loin en loin (6e, 3e, Seconde), on retrouverait nos petits élèves des années précédentes devenus des ados. Quels taux d'échecs, d'abandons, combien de PAP et autres PPRE ?...

    On pourrait même imaginer qu'à la suite de ces diffusions, en plus de l'enquête sur l'apprentissage des bases de la lecture, de l'écriture et du calcul, le gouvernement, poussé par les taux d'audience et les retombées médiatiques de ces émissions de vraie   télé-réalité, se mettrait enfin à vouloir refonder l'École de fond en comble, juste histoire d'avoir, demain, très vite, des élèves heureux à l'école, aux savoirs efficaces et immédiatement mobilisables, ayant envie d'en apprendre toujours plus et ayant acquis, s'ils le souhaitent, les moyens intellectuels de se révolter.

    Télé-réalité

    [1] Non, ce n'est pas un gros mot ni une injure, c'est juste le présupposé éducatif majeur des programmes scolaires actuels : l'enfant n'apprend que par le conflit sociocognitif avec ses petits camarades

    [2] Si l'on reste réaliste et qu'on s'applique à considérer l'âge des jeunes élèves et la durée d’études qu’ils ont derrière eux…

     

     


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