• PS MS : Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    LE LIÈVRE ET LA TORTUE

    d’après Jean de La Fontaine

    Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

    Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

    Gageons, dit celle-ci, que vos petits levrauts

    Écriront dans trois ans moins bien que mes petiots.

    Moins bien ? Êtes-vous sage ? Repartit l'Animal léger.

    Ma Commère, il vous faut relire

    La progression de ma méthode.

    Sage ou non, je parie encore.

    Ainsi fut fait : et pour tous deux

    On mit près du but un enjeu.

    Savoir quoi, là est toute l'affaire ;

    Le juge fut choisi, il émit un avis :

    « À six ans tout enfant devra,

    Sans modèle cela va sans dire,

    Écrire son prénom en cursive. »

    Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;

    J'entends de ceux qu'il fait lorsque, sûr de son fait,

    Il observe l’enfant, le suit dans ses élans,

    Et le pousse à oser bondir ici et là.

    Ayant, pourtant, du temps de reste pour jouer,

    Pour nourrir, et pour observer

    Où va l’enfant, il double la Tortue

    Qui va son train de Sénateur.

    Elle cherche, elle analyse ;

    Elle se hâte avec lenteur.

    Lui cependant méprise une telle conduite ;

    Voit la gageure déjà tenue ;

    Croit qu'il y va de son honneur

    De partir tôt. Il coupe, il plastifie,

    Il néglige toute autre chose

    Que la gageure. À la fin, quand il vit

    Que les enfants de l’autre écrivaient en cursive,

    Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit

    Furent vains : les beaux prénoms des enfants tortues

    Dépassaient en souplesse et rigueur ceux des lièvres.

    Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?

    À quoi vous sert de vous hâter ?

    Moi l'emporter ! et que serait-ce

    Si vous les suiviez au CP ?

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    CP, novembre.

    Explication de texte

    En Maternelle, rien ne sert de courir, il faut préparer le terrain. Se précipiter ne fait qu’installer des habitudes bien difficiles à déraciner ensuite.

    Sachons raison garder, et avant de se précipiter comme le Lièvre, cherchons à imiter Dame Tortue. Même si la maman de LILI lui a appris à écrire une barre et une autre barre et puis une barre avec un point et puis encore une barre et une autre barre et puis encore une barre avec un point, donnant lieu à toutes sortes de tracés, tous révélateurs de prérequis non-acquis.

    Écrire son prénom (fable)

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    Écrire son prénom (fable)

    Ces essais d’écriture, tout en félicitant la jeune Lili, Dame Tortue aurait pris le temps d’en analyser les manques. Et, avant d’imposer à Lili d’écrire aussi son prénom à l’école ― de surplus en capitales d’imprimerie, ce qui est « hors programme scolaire » ― elle aurait cultivé son aisance motrice et aurait cherché à installer des normes de taille, de position et de repérage dans un plan à deux dimensions.

    Car en Petite et Moyenne Sections, c’est l’installation de ces prérequis que nous devons viser si nous voulons que Lili, mais aussi Zakaryah, Barthélémy, Maximilienne ou Appolonya, arrivent au CP en écrivant leurs prénoms d’une belle cursive bien normée, comme le réclame le programme scolaire de 2015.

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    Merci à Jean Boyault, pour sa police Belle Allure GS

    L’aisance motrice

    Ils l’obtiendront tous en faisant des travaux à leur mesure, celle de tout-petits qui, moins de trois ans avant, ne pouvaient saisir l'objet qu’on leur tendait, ni porter leur main à leur bouche et encore moins lâcher la mèche de cheveux ou la branche de lunettes qu’un mouvement réflexe leur avait fait saisir.

    Ces travaux à leur mesure, ils sont nombreux, très nombreux, et simples, très simples à mettre en place. Ce sont tous ceux qui permettent de se débarrasser des mouvements réflexes primitifs et de cultiver le tonus musculaire, la dissociation des doigts et la coordination œil-main.

    On y trouve quasiment toutes les activités qui plaisent aux petits : jouer avec des objets, petits ou gros, fins ou épais, longs ou courts, rigides ou souples, lourds ou légers, pour froisser, déplier, plier, empiler, aligner, construire, boutonner, transvaser, coller, rouler, remuer, malaxer, pincer, laisser une trace, dessiner, peindre, enfiler, torsader, tresser, tisser, modeler, aplatir, étirer, visser, dévisser, coudre, ...

    On y ajoute un entraînement régulier grâce aux comptines et jeux de doigts qui amènent les enfants à sortir de l’usage inconscient de leurs mains pour passer à leur observation attentive et à leur mobilisation contrôlée en vue d’obtenir un effet.

    Cette aptitude à obtenir un effet précis est cultivée sur le papier, crayon en main pour gribouiller, colorier de petites surfaces et surtout découvrir le dessin figuratif.

    Ces acquis sont travaillés pendant deux longues années, ou trois, pour ceux qui entrent à l'école en TPS, temps nécessaire pour que, de cet usage rendu conscient et volontaire des mains, émergent les gestes de l’écriture : déplacer son bras de gauche à droite, fléchir et tendre le pouce (fléchette) et produire, en n’utilisant que la mobilité des doigts, de courtes files de boucles, de pointes ou de ponts et des petits ronds.

    Ils permettront aux enfants arrivés en Grande Section d’accéder très facilement en quelques mois tout au plus à l’écriture de leurs prénoms, même si leurs parents n’ont pas pensé à consulter les attendus de fin d’école maternelle avant de les affubler d’un prénom cumulant les difficultés scripturales !

    La taille

    La manipulation de ces objets petits ou gros, fins ou épais, longs ou courts, installe peu à peu chez l’enfant les réponses motrices régulées en fonction du volume, de l'épaisseur, de la longueur de ces objets.

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    Nous pouvons affiner cette perception grâce à des suites d’objets empilables, emboîtables ou encastrables (tour, escalier et barres Montessori, poupées gigognes, pyramides, réglettes Cuisenaire, encastrements, mais aussi écrous et boulons de différents diamètres, dînette, vêtements de poupées, etc.).

    La verbalisation qui accompagne l’usage de ces jeux éducatifs permet de mettre des mots sur ce qui n’était jusqu’alors que des sensations visuelles ou tactiles.

    Cette adaptation de la réponse motrice et les acquis lexicaux leur serviront plus tard à percevoir la différence entre les petites et les grandes lettres et à les reproduire en respectant cette norme de taille.

    Les positions relatives

    Moins nécessaire dans l’écriture cursive que dans l’écriture en capitale d’imprimerie, la position des éléments d’un tracé les uns par rapport aux autres doit néanmoins être travaillée à l’école maternelle.

    C’est celle qui aurait permis à Lili de savoir comment agencer les deux barres de son L et le point et la barre de son i,  si son lièvre de maman n’avait pas pensé que le plus important était ce qui se voit, là, tout de suite, maintenant, et non ce qui se prépare en secret, à petits pas.

    Cette compétence à faire un lien entre deux ou trois éléments est aussi simple et aussi agréable à travailler que les prérequis précédents.

    En classe, donnez aux enfants des cubes, des bâtonnets, des réglettes, des pions et laissez-les jouer librement. Observez-les et suggérez-leur des pistes de recherche. Regardez les interactions entre enfants et favorisez-les.

    Écrire son prénom (fable)

    Lorsqu’une construction vous paraît intéressante, photographiez-la, exposez-la et faites-la reproduire et décrire à des enfants volontaires. Profitez de tous ces instants pour verbaliser et installer du vocabulaire : à côté de, au-dessus, au-dessous, sur, sous, debout (vertical), couché (horizontal), penché (oblique), au milieu, entre, à gauche, à droite, ...

    En salle de motricité ou dans la cour, c’est avec un ou deux objets et leur propre corps que les enfants vont affiner leur perception des positions relatives. N’importe quel jeu avec des balles, des anneaux, des foulards, des bâtons, une toile de parachute, des bancs, une échelle amènera à vivre corporellement et désigner des positions relatives. N’importe quel jeu qui travaille le schéma corporel aussi (Jacques a dit, pour ne citer que le plus célèbre).

    C’est ainsi que sur les dessins libres, ayant pris des repères plus sûrs, les enfants structureront peu à peu les éléments de leur bonhomme, de leur maison, de leur poisson, leur chat ou leur oiseau. Voyant cela, nous saurons qu’il est temps de programmer des exercices de graphismes décoratifs issus de traditions culturelles et d’époques variées qui serviront à décorer la classe à l’occasion des fêtes et à offrir aux parents ces petits souvenirs auxquels ils accordent tant de prix.

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    Merci à Melmelboo

    Certains de ces éléments décoratifs utiliseront les mêmes gestes que l’écriture cursive (boucles, pointes, ponts, ronds anti-horaires) et, comme ils auront le rôle de décorer un espace de plus en plus contraint (par exemple, œuf de Pâques non ligné puis ligné horizontalement), la gestion des positions relatives rencontrera celle de l’espace à deux dimensions. 

    La gestion de l’espace à deux dimensions

    On dit deux dimensions, la verticale et l’horizontale, ce qui, pour l'écriture, détermine quatre direction : haut, bas, gauche et droite.

    C’est en arrivant à l’école, à un âge bien plus tendre que celui de ses valeureux ancêtres, que l’enfant du XXIe siècle apprend à passer à pas forcés de l’espace à 3 dimensions qu’il a encore bien du mal à dominer à celui à 2 dimensions des feuilles de papier.

    Après les positions relatives des éléments d’un graphisme les uns par rapport aux autres, le voilà confronté aux conventions régissant l’ordonnancement des éléments entre eux. Conventions qui se sont pourtant forgées en plusieurs milliers d’années d’humanité, ces quelques œuvres en sont la preuve.

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Pour ce qui concerne l’écriture, comme pour le dessin, nous voulons qu’il ait intégré trois conventions :

    → Le bord de la feuille qui est le plus éloigné de lui représente le haut de celle qu’il voit au tableau et le fond de la scène qui se déroule sous ses yeux. En écriture, c’est ici qu’on commence.

    → Le bord de la feuille qui touche son ventre ou presque représente le bas de celle qu’il voit au tableau et le premier plan de la scène qu’il a sous ses yeux. En écriture, c’est là qu’on finit.

    → Les bords latéraux représentent aussi les bords latéraux de la feuille affichée au tableau mais, en écriture, celui qui est au plus près des fenêtres est celui qui représente le départ d’une ligne horizontale alors que celui qui est au plus près des placards muraux et celui qui représente son arrivée (exemple de localisation à adapter à l'agencement de la salle de classe)...

    Pas simple. Mais nous avons du temps, nous rappelle Dame Tortue.

    Parce que, pendant ces deux à trois années scolaires, nous allons regarder de très nombreuses représentations à deux dimensions : des photos, des dessins, des dessins animés, ...

    Et que nous allons en réaliser encore bien plus.

    Puis que nous croiserons nos représentations avec celles de nos camarades, de nos enseignants, des illustrateurs et artistes que nous rencontrerons.

    Et c’est ainsi que, de la TPS à la GS, nous passerons de quelques traces mal assurées à des compositions beaucoup plus élaborées où, sans avoir besoin de décodeur, tout un chacun comprendra que, contrairement à la brodeuse de Bayeux, les personnages sont proportionnés pour entrer dans le château, contrairement à ceux peints sur la fresque trouvée dans la tombe de Rekhmirê, les arbres se tiennent debout, contrairement à ceux de la grotte de Lascaux, les aurochs galopent tous trois sur le même sol.

    Connaître ainsi les conventions d’utilisation de l’espace à deux dimensions, grâce à des années de dessin figuratif, va énormément aider l’enfant à gérer l’espace graphique quand il s’agira pour lui d’écrire, non pas comme un lettré de la Rome antique, en capitales et sans espaces entre les mots, mais comme un élève de France du début du XXIe siècle : en cursive, dans l’espace très balisé d’un cahier à réglure seyes.

    Il a déjà tout en main, surtout que, depuis deux ou trois ans, il a vu écrire ses enseignants à la main, en cursive, et que sa mémoire a enregistré ces codes de gestion de l’espace graphique.

    Il sait qu’il doit commencer en haut de la page et écrire de gauche à droite, en faisant courir les lettres à l’horizontale. Il s’est déjà essayé à remplir des interlignes de graphismes décoratifs et transférera facilement cette compétence à ces signes d’un nouveau genre qui, cette fois, racontent quelque chose d’intelligible à tous ceux qui connaissent le code.

    Mais ça, c’est une autre histoire, que Mme Tortue et M. Lièvre connaissent bien ausi et que nous avons déjà bien des fois racontée...

    Merci à Laurence Pierson et Isabelle Godefroy dont les travaux m’ont aidé à éclairer mon propos.


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