• Les maximes, taille enfant ou adulte.

    Le mieux est l'ennemi du bien

    Une maxime comme une autre, témoin de son époque, comme le furent naguère les phrases qui ornaient les murs de la classe de M. Topaze.

    Le mieux est l'ennemi du bien

    « Les erreurs sont la preuve qu'on essaie... »

    Elle est formidable, cette maxime, et tout professeur des écoles devrait l'utiliser, à longueur de journée, lorsqu'il encourage ses élèves à apprendre, s'intéresser, essayer, oser, se souvenir, se lancer, etc.
    Elle est formidable mais... Maxime contre maxime, appliquée avec trop de rigueur, répétée trop souvent, utilisée à mauvais escient, elle peut devenir la preuve incontestable que, très souvent, « le mieux est l'ennemi du bien ».

    Prenons un exemple pagnolesque, horriblement daté : celui de l'assiette de soupe. Vous savez, celle qui, c'est bien connu, a la réputation de faire grandir les petits enfants.

    « La soupe, ça fait grandir ! »

    Dans la famille A, on se prouvait chaque jour, avec raison, qu'après des essais répétés, l'erreur consistant à croire que « la soupe, c'est pas bon » finissait par disparaître de l'esprit d'Albert et Andrée.
    De manière plus ou moins concluante selon l'état de fatigue du soir,  encouragés gentiment à goûter juste un peu, avalant un jour une cuiller pour papa, une cuiller pour maman, une cuiller pour l'ours en peluche et une pour la locomotive chérie, parfois même détournés du pensum grâce à de belles histoires racontées par un adulte dévoué qui en profitait pour enfourner discrètement une cuiller après l'autre, les deux enfants finirent par arriver à avaler seuls toute leur assiettée !
    Devenus adultes, Andrée est une mangeuse de soupe convaincue, ravie de la voir au menu, alors qu'Albert n'a pas vaincu ce dégoût et qu'il préfère toujours éviter d'avoir à ingérer le brouet fadasse qui dégoûtait ses soirées enfantines.

    Dans la famille B, on appliquait, avec plus de rigueur, la même maxime. Bernard et Brigitte restaient assis de longues demi-heures devant une assiette de soupe qu'ils devaient essayer d'apprécier, avalant cuiller après cuiller en se bouchant le nez et en fermant les yeux. Les jours où, décidément le challenge était impossible à atteindre, nos deux enfants allaient se coucher le ventre vide et, le matin, au réveil, au lieu du bol de lait et des tartines, c'était l'assiette de soupe qui les attendait sur la table du petit déjeuner ! Après des années de ce traitement, Bernard et Brigitte finirent par avoir de la soupe une idée tellement négative qu'aujourd'hui encore, adultes rassis, ils ont gardé une horreur de ce plat qu'ils ne goûteraient pour rien au monde.

    Chez les C, Claude et Colette avaient trouvé le truc ! Dès qu'ils voyaient arriver sur la table le sinistre breuvage, ils se tordaient de mal au ventre, montraient des signes indiscutables de la plus intense des fatigues, pleuraient et se lamentaient devant le calvaire que leur famille s'apprêtait à leur faire subir. Les parents, émus jusqu'aux larmes, après quelques encouragements timides, menant au mieux à une pointe de cuiller trempée dans l'assiette puis léchée avec des haut-le-cœur, enlevaient le plat honni et le remplaçaient par quelque mets mieux apprécié des enfants.
    Aujourd'hui, si Claude a vaincu son idée reçue et goûte, de temps en temps, une assiette de soupe, notre amie Colette continue à penser, sans en avoir jamais avalé plus d'un dé à coudre, qu'elle est victime d'une allergie à cette nourriture !

    Je préfère ne pas parler de la famille D, tout en sachant que, malheureusement, elle existait. Monsieur et Madame D, considérant que « l'essayer, c'est l'adopter » et que « tout ce qui ne tue pas rend plus fort », contraignaient Denise et Daniel à ingérer la mixture en alternant privations, humiliations et même souvent violences. S'ils sont encore en vie et qu'ils ont eu à subir jusqu'à leur adolescence ces tortures morales et physiques, il y a peu de chance qu'ils soient aujourd'hui des consommateurs de soupe acharnés.

    « Le mieux est l'ennemi du bien. »

    Et si, surgie des préceptes de l'éducation bienveillante et d'un programme d'Éducation Morale et Civique dont le premier des commandements repose sur la sensibilité et l'expression de ses sentiments, cette maxime faisant des erreurs, l'alpha et l'oméga d'un apprentissage bien compris, pouvait amener les professeurs des écoles aux mêmes travers éducatifs que le précepte corrélant étroitement la consommation de soupe à la croissance des jeunes enfants ?

    Nous aurions d'abord la classe de Mme Alécoutactive.
    La maxime, ancrée au fond de son cerveau, lui permet d'encourager Abel à apprendre, Alice à s'intéresser, Abdel à essayer, Armand à oser, Alima à se souvenir, Antonin à se lancer, etc.
    Forte des conseils donnés depuis les débuts de l'École Publique1, elle s'ingénie à inventer exercices, leçons et activités visant à « aider au développement des diverses facultés de l'enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d'application », et les programme pour «  faire aimer l'école, donner le goût du travail, n'imposer jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge. »
    Comme elle a à cœur de « varier, égayer,en tirer ou y attacher quelque plaisir pour l'enfant », c'est par « la patience, l'enjouement, l'affection ingénieuse » que Mme Alécoutactive apprend à ses élèves à tirer petit à petit partie de leurs erreurs pour aller plus loin, plus vite, tout en étant plus fort.

    Chez Monsieur Bienfairtoujours, c'est une autre histoire. La maxime, affichée sur tous les cahiers d'élèves, est appliquée au pied de la lettre, mais alors vraiment au pied. Chez lui, ni gommes, ni effaceurs, ni corbeille à papier. Tout doit rester. Les erreurs sont la preuve que l'on essaie. Il a même institué des référentiels sur lesquels est consigné pour chaque exercice, le nombre d'erreurs de chaque type et il utilise des tampons de couleur qui émaillent les cahiers, rappelant à chacun que tel jour, il frôlait la ceinture bleue, alors que tel autre, il a eu du mal à garder la jaune !
    En fin de semaine, lors de la réunion de classe, chaque élève présente ses travaux à ses camarades qui décident avec lui de la couleur des gommettes qu'il doit placer sur la grille d'évaluation qu'il doit faire signer à ses parents pendant le weekend.
    Tant pis pour Bertille qui n'aime pas se sentir en défaut et rougit en tournant les pages de ses cahiers ; tant pis pour Bilal qui, très lent, peine à recommencer vingt fois et accumule les retards ; tant pis pour Bryan qui n'est jamais content et n'arrive pas à se sentir satisfait de ce qu'il fait ; tant pis pour Beverly qui se bute et n'avance pas parce qu'elle n'a pas l'habitude de la soupe froide au petit déjeuner ; tant pis pour Barnabé qui est toujours content de lui et patasse avec joie sur des cahiers truffés de fautes d'orthographe, de barbouillages illisibles et d'erreurs de calcul  !
    Pourtant M. Bienfairtoujours ne se départit jamais de sa bonne humeur et répète, jour après jour, que ces erreurs sont formatrices, qu'elles vont aider tout le monde à apprendre. Droit dans ses bottes, il fait recommencer 36 fois le même exercice à Bilal et Barnabé dont les résultats plongent, il reçoit les parents de Bertille, Beverly et Bryan en leur affirmant que c'est leur manque de confiance en soi qui les perturbe et qu'il serait peut-être bon de prendre rendez-vous avec des professionnels de santé afin de trouver une solution à leur mal-être. 

    Madame Chérimoncœur a une compréhension plus sensible du proverbe. Chez elle, c'est cette maxime qui est affichée, afin que chaque élève puisse la prendre pour lui et s'en servir pour se réconforter :

    Les maximes, taille enfant ou adulte.

    et sur leurs cahiers ou dans leurs travaux oraux, Corentin, Camelia, Charlène, Chloé, César, Carlos et Candelaria ont bien compris : l'important est d'écrire, de dire, de raconter quelque chose !
    Dans leur tête, la maxime s'est personnalisée et, c'est très sûrs d'eux qu'ils répondent à leurs parents quand ceux-ci s'affolent du nombre impressionnant d'erreurs diverses et variées qui constellent leurs lectures, leurs écritures, leurs calculs, leurs récitations, leurs propos : « Mais enfin, la maîtresse me l'a dit : je fais comme je sais et j'ai le droit de me tromper ! Elle nous dit toujours de bien nous rappeler ça :

    Les maximes, taille enfant ou adulte.

    Alors... vous voyez que j'ai raison ! »

    Il ne nous reste plus que Messieurs Désabusé, Décalé et Dominant.
    Monsieur Désabusé aime les enfants. Il n'aime pas leur faire de la peine. Dans sa classe, personne n'a de raison de faire d'erreurs parce que personne n'a d'occasion d'hésiter et personne n'a d'occasion d'hésiter parce que personne n'a vraiment d'occasion d'apprendre en s'entraînant. En arrivant le matin, les enfants jouent un bon moment dans la cour pendant que Monsieur Désabusé bavarde avec ceux qui ont envie de se confier à leur maître. Quand il fait mauvais ou que tout le monde s'ennuie, on rentre et là, on voit... Monsieur Désabusé a de jolis classeurs, remplis de fiches polycopiées : des coloriages, des jeux, des découpages et toutes sortes de choses amusantes. De temps en temps on joue à des jeux de société, quelques-uns seuls, d'autres avec le maître. L'ordinateur est allumé et si l'on est assez rapide, on peut piquer la place des autres pour aller jouer à ce qu'on veut... Il y a aussi une grande bibliothèque à laquelle on a accès en toute liberté. Quant à ceux qui ne font pas grand-chose mais brassent beaucoup d'air et produisent beaucoup d'agitation, les récréations qui s'éternisent sont pour eux. Enfin, pour l'alibi pédagogique, il y a les vidéos ! Les documentaires animaliers, les émissions scientifiques pour enfants, les films et les dessins animés, tout y passe. Pas besoin de statut de l'erreur chez Monsieur Désabusé !

    Chez monsieur Décalé, c'est un peu pareil. L'école de grand-papa, ce n'est pas son truc. Les enfants ont bien le temps d'apprendre; surtout que personne ne sait ce qui leur sera utile dans vingt ans. Alors, monsieur Décalé se fait plaisir en entraînant ses élèves dans son sillage au fil de ses tocades. Cette année, c'est le site de l'école qui les occupe. L'année dernière, c'était le nettoyage du petit bois, de l'autre côté de la zone commerciale. Et l'année prochaine, monsieur Décalé compte se lancer dans la construction écologique à base de paille compressée et d'argile ! Quelle chance pour les enfants qui seront dans sa classe ! Ils vont pouvoir, à sa suite, apprendre à se documenter, à calculer des proportions, à bâtir des plans, à baliser un terrain, à rédiger des courriers pour obtenir des financements, des autorisations, des articles dans la presse ! Vraiment, chez Monsieur Décalé, on ne joue pas dans la même catégorie et le statut de l'erreur a une toute autre gueule que chez les autres !

    Et puis, il y a monsieur Désespéré ! Autrefois, il a cru à tout ça, le renouveau pédagogique, l'enfant au centre, l'autoconstruction des savoirs, la régulation par les pairs. Et puis... ça n'a pas marché comme il voulait... les parents n'étaient pas contents... les enfants difficiles l'épuisaient... pourtant il avait appris toutes les maximes du renouveau, tenté toutes les expériences, suivi tous les courants...
    Alors, comme le Cancre de Jacques Prévert, dont il a l'impression qu'il sert de modèle à l'élève nouveau idéal, il a tout rejeté en bloc ! Il a donné sa démission d'une institution qui le décevait et a construit son propre monde. C'est un monde en noir et blanc, culottes courtes pour les garçons, jupes plissées et nœuds dans les cheveux pour les filles. Il a recruté autour de lui des gens qui pensaient comme lui, et ils ont construit autour de leurs élèves de solides remparts d'enfermement, d'exclusion et de mépris.
    Les maximes qu'ils affichent au mur sont celles de Topaze, quand ce n'est pas pire. Leurs élèves les récitent, debout, les bras croisés, comme ils récitent leurs tables, leur liste des préfectures et sous-préfectures, leurs prières laïques ou confessionnelles. Chez eux, les erreurs sont des fautes, commises par manque d'application et d'efforts, et il convient de les expier par des punitions, des pensums et des retenues. C'est un autre monde où, encore une fois, le mieux est l'ennemi du bien et où l'assiette de soupe a été volontairement rendue la plus insipide possible pour évacuer de son absorption toute notion de plaisir, d'envie et de joie.

    Science et conscience

    L'École n'a pas besoin de maximes, ni pour ses élèves, ni pour ses maîtres, parce qu'elles sont au degré zéro de la réflexion et de la compréhension. L'École a besoin de savoirs, de connaissances, de réflexions, de confrontations des idées et de remises en question.
    L'outil n'est rien s'il est utilisé sans une solide connaissance de son histoire, de sa fabrication, de son utilisation selon les circonstances, les matériaux et les occasions. Et l'être humain est un matériau tellement particulier que ce n'est pas un outil aussi basique qu'une maxime qui conviendra pour le modeler et lui donner le bon geste et la bonne méthode, adaptable à tous les êtres humains auxquels il va se trouver confronté.

    Qu'au cours de leur formation, initiale ou continue, les professeurs des écoles aient eu à se baser sur des maximes et des proverbes pour débuter une réflexion, pourquoi pas ? Que le formateur s'en serve de temps en temps pour rappeler à plus de bon sens et de raison, très certainement.
    Mais cela ne peut se comprendre que si, tout autour, on a bâti une solide connaissance de l'enfance, de ses possibilités, de ses espoirs, de ses craintes et de sa perpétuelle évolution. Bernard et Brigitte n'aimaient pas l'assiette de soupe froide, Colette et Claude avaient conçu des procédures de contournement, Denise et Daniel souffrent encore aujourd'hui des violences subies pendant leur enfance comme Éliette et Eugène, dont nous n'avons pas parlé, peinent à combler les carences éducatives et nutritionnelles dont ils furent les victimes.
    Nos Bryan, Charlène, Doriane et Elyas d'aujourd'hui n'ont pas plus que leurs grands-parents à être victimes des lubies d'apprentis-sorciers qui font passer le dogme avant la raison, l'application stricte des instructions officielles avant l'empathie et la connaissance sensible de leurs personnalités naissantes.

    Alors... à bas les maximes en pédagogie !

    Notes :

    1 Toutes les citations sont extraites des Programmes pour l'École Maternelle, P. Kergomard, 1882.


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  • Commentaires

    1
    Normandyx
    Mercredi 3 Février 2016 à 12:49

    Le statut de l'erreur est un vaste sujet de discussion ou devrait l'être chez les enseignants mais surtout sur la façon d'éviter qu'elle ne se reproduise.

    Les maximes, c'est le prêt à penser pour collégienne qui écrit ça au blanco sur sa trousse, je me souviens de mon CP avec des maximes de morale qui étaient affichées, la plus haute d'entre elles dans un coin, présente dès le début d'année,  était "faire un mensonge pour cacher une faute, c'est faire un trou pour cacher une tâche, affichée toute l'année, et à la fin de l'année, décrochage des affichage pour cause de rénovation de la peinture, j'ai compris que cette affiche jaunie servait à cacher une grosse trace d'infiltration et du plâtre cloqué...

     

    Pour que ce soit plus joli sur les cahiers du soir, je propose une version illustrée à peine modifiée

     

      • Mercredi 3 Février 2016 à 12:56

        Merci Normandyx pour cette contribution à la fois réfléchie et pratique ! Je m'en vais proposer la devise Shadok à tous les adeptes de l'éducation morale à la floraline !

      • Normandyx
        Mercredi 3 Février 2016 à 16:32

        la conclusion "plus ça rate, plus p, a de chances que ça marche" est déjà la devise des ministres de l'éducation nationale et des réformes qu'ils signent sans en avoir vraiment pris la mesure et que leurs présentent les pédagogues de bureau de leur ministère... ceux qui ont vu que leurs "nouveaux rythmes" allaient rendre les enfants plus détendus... Je suis en grande section en ce moment, j'ai un élève que les responsables de la garderie comme les animateurs présentent comme agressif et mal adapté à l'école et qui est difficile en classe, comme il ne me pose pas tant de problèmes, j'ai essayé d'en savoir plus car il y a une REE de calée mais sa maitresse ne sera pas revenue... Il est à l'école à partir de 7H 45 jusqu'à 18 h 15, et le mercredi, à 11h45, il part pour le centre "de loisirs" (en cette saison ils sont parqués à l'intérieur), après quoi, à partir de 17h, il est à la garderie du centre de loisirs....

        Avant sa mère avait organisé son travail pour ne pas travailler le mercredi, mais pour une demi journée "ça ne vaut pas le coup"...

        Il va entrer au CP déjà dégoûté de l'école et avec l'étiquette à suivre parce qu'ayant déjà fait l'objet d'une REE...

      • Mercredi 3 Février 2016 à 18:04

        " Dans l'intérêt de l'enfant ", qu'ils disaient ! Pauvre gamin...

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