• GS/C2/C3 : Calculer avec les doigts

    GS/C2/C3 : Compter sur ses doigts

    Grande question du jour : Pouvons-nous laisser les élèves calculer en utilisant leurs doigts en début d'apprentissage ou cela risque-t-il de leur donner de mauvaises habitudes qu'ils n'arriveront pas à perdre plus tard ? 

    Oui, nous pouvons et même nous devons laisser les élèves calculer avec les doigts, surtout à en début d'apprentissage ou lorsque nous récupérons des élèves plus grands qui calculent 7 + 4 (ou plutôt G + ♦ ♦ ♦ ♦ ) en surcomptant, que ce soit sur la file numérique ou sur leurs doigts : « G... H I J K » et parfois même « A B C D E F G... H I J K » ou, si vous préférez : « 7... 8 9 10 11 » et parfois même « 1 2 3 4 5 6 7... 8 9 10 11. »

    Cependant, il faut que nous gardions bien les enjeux à l'esprit et que nous leur apprenions à rendre ce travail utile pour la suite. 

    Car il ne s'agit pas de les précipiter prématurément dans des techniques élaborées de calcul mental, des récitations de mots dépourvus de sens profond, des montages de réflexes de type Pavlovien, ce qui ne manquerait pas, comme pour la fluence de lecture introduite trop précocement, de fabriquer des têtes bien pleines mais pas forcément bien faites dans le meilleur des cas et des dys-machin-trucs lorsque nous les imposerions à des enfants fragiles, manquant de confiance en eux ou trop éloignés de la chose scolaire pour pouvoir griller ainsi les étapes essentielles de leur construction mentale mais aussi affective.

    Premier enjeu : la permanence de la quantité.

    Souvent, en maternelle, les petits enfants ne font pas le lien entre 2 doigts, 2 chaussures, 2 cubes, 2 ronds de couleur, etc. Ils restent dans l'appréhension sensorielle de l'objet et ont de la peine à concevoir que, quels que soient les objets qu'on utilise, la quantité 2 reste toujours 2.

    De la GS au... CM2, parfois, hélas... il convient d'avancer à petits pas dans ce domaine, jusqu'à arriver à l'abstraction complète qui permettra, dans les grandes classes, d'imaginer les grands nombres sans avoir besoin de manipuler des centaines de milliers de trombones, perles, cubes ou morceaux de papier découpé, de s'y retrouver rapidement dans les nombres décimaux, simplement après quelques exercices concrets utilisant la monnaie, les mesures de longueur, de masses, de contenances puis d'aires et de volumes, de concevoir les fractions, qu'elles soient inférieures ou supérieures à 1, en se dégageant rapidement des parts de pizzas, des horloges, des portions de figures planes, etc.

    → Pour cela, nous nous attachons à varier les représentations concrètes : doigts mais aussi bûchettes, bouliers, perles Montessori, réglettes Cuisenaire, boîtes de Picbille, cubes emboîtables, plaques Herbinière Lebert, monnaie, masses marquées, récipients variés, ..., de façon à ce que les enfants prennent peu à peu conscience du fait que le matériel, quel qu'il soit, leur montre toujours la même chose

    Deuxième enjeu : Passer à l'abstraction

    Si le tout jeune élève, jusqu'au début de la GS, a besoin de l'objet qu'il peut toucher, déplacer, manipuler, comparer pour comprendre, celui qui est en train d'éclore chez les enfants de 5 à 7 ans doit petit à petit se dégager de cette obligation de passer par le toucher, la vue ou l'ouïe pour concevoir le nombre.

    Tout au long de l'école primaire, cette plongée dans l'abstraction restera bien modeste et il est illusoire de croire, comme le faisaient les « mathématiques modernes » dans les années 1970, qu'un élève de moins de 12 ans saura se dégager suffisamment du calcul concret pour raisonner sur le nombre et ses règles d'écriture et de calcul, en utilisant d'autres systèmes que la base dix et les chiffres arabes par exemple.

    Nous resterons donc « sur le plancher des vaches » et nous contenterons de dévoiler à nos élèves le grand secret des mathématiciens, car il a toujours beaucoup de succès dans les classes, qu'elles soient composées de petits enfants de 5 à 7 ans ou de presque préadolescents de 10 à 12 ans :

    Le grand secret des mathématiciens

    Figurez-vous, chers enfants, que les plus grands paresseux du monde, ce sont les mathématiciens. Dès qu'ils peuvent trouver une technique qui leur permet de moins se fatiguer, de moins réfléchir, de moins écrire, hop, ils sautent dessus et s'y entraînent pour que son utilisation devienne la moins fatigante possible... Et ils la gardent jusqu'à ce qu'ils en trouvent une autre, encore moins fatigante, encore plus rapide et encore plus facile...

    C'est comme cela qu'ils ont inventé, utilisé, adopté et même amélioré ces techniques-là (et bien d'autres encore que vous apprendrez plus tard) :

    ♥ les chiffres arabes, qu'ils ont préférés aux chiffres romains, égyptiens ou autres, parce qu'ils étaient plus rapides à écrire, plus faciles à dessiner et qu'avec 10 signes différents seulement, on pouvait écrire tous les nombres, presque jusqu'à l'infini, simplement en rangeant quelques signes de droite à gauche, toujours dans un même ordre, très facile à retenir

    ♥ les signes opératoires qui évitaient d'avoir à écrire des longues histoires à chaque fois qu'ils voulaient expliquer leurs calculs

    ♥ le calcul mental qui permettait de garder ses mains dans ses poches quand il faisait froid ou de continuer à tenir leurs outils de travail ou de jeu, même s'ils avaient un besoin urgent de savoir combien faisait ça plus ça, ça moins ça, ça fois ça ou encore ça divisé par ça... 

    ♥ et enfin... la mémoire !... Vite vite, dès qu'ils remarquaient quelque chose qui donnait toujours le même résultat, ils s'empressaient de ranger ce résultat dans un coin de leur cerveau. Ces petits rangements, bien classés par familles, leur permet de ne plus avoir à faire de longs calculs compliqués. Maintenant, ils les ont toujours sur eux et ils peuvent les ressortir mille fois plus vite que la vitesse de la lumière !

    Ce que ces mathématiciens ont fait, vous pouvez aussi le faire, tranquillement, petite idée après petite idée, juste pour moins vous fatiguer, moins avoir besoin de tout recompter sans arrêt tout en restant sûrs de vous. Vous recevrez alors la médaille d'or du meilleur mathématicien, celui qui sait tout sans jamais se creuser la cervelle inutilement.

    → Pour cela, nous leur apprenons à se passer de leur matériel (doigts, boulier, etc.) pénible à sortir et long à manipuler grâce à l'imagination : « Fermez les yeux et imaginez 3 doigts (ou tout autre matériel cité plus haut), rajoutez-en 2 et encore 1, c'est-à-dire 3. Combien voyez-vous de doigts levés (ou tout autre matériel cité plus haut) dans votre imagination ?... »

    Nota bene : Lorsque le domaine numérique ne dépasse pas 10, passer par 5 est fondamental, comme il sera fondamental ensuite de passer par 10. Au début, procédons nous-mêmes à la décomposition du deuxième terme de la somme (ou du retrait) pour que les élèves prennent l'habitude de « compléter (ou revenir) d'abord (à) la première main ».

    → On peut aussi se servir du rituel du Jeu de la Boîte. Il suffit d'une boîte opaque, dans laquelle l'enseignant place 3 billes puis encore 2 et 1 (toujours le passage par 5, ritualisé par l'enseignant).

    La difficulté sera alors d'empêcher momentanément les élèves de se servir de leurs doigts, même imperceptiblement, pendant que nous manipulons les billes et la boîte.

    Troisième enjeu : Soulager la mémoire de travail

    Pour que nous puissions tenir un raisonnement cohérent, pour réussir à nous organiser, planifier une action, tout ceci sans avoir besoin de matériel concret, il nous a fallu tout d'abord engranger de nombreux souvenirs : des mots (le nom des nombres, des signes opératoires, ...) mais aussi des épisodes marquants de notre vie qui, par les sensations qu'ils nous ont procurées, nous ont donné des repères (numériques et opératoires, dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui).

    Plus ces souvenirs étaient prégnants, mais aussi agréables et joyeux, et plus ces repères se sont ancrés facilement et durablement dans notre esprit. Nous comptons maintenant sans même y penser et nous avons une idée claire des nombres usuels et des opérations qu'ils permettent.

    Nos élèves n'en sont pas là, surtout dans les petites classes ou dans les grandes classes de l'élémentaire, lorsque jusqu'à maintenant, ils ont surtout été invités à faire semblant de compter et calculer (la file numérique que l'on tapote du doigt en récitant une comptine absconse, le matériel unique qu'ils manipulent parfois en virtuose mais qu'ils n'ont pas eu l'occasion de relier avec la « vraie vie », celle de tous les jours où ils comptent pourtant constamment – des billes, des copains, du temps qui passe, les cuillères de soupe pour papa, pour maman, pour le chien Toto et pour le poisson rouge, etc. – les tables d'addition puis de multiplication que l'on apprend par cœur avant même d'avoir eu le temps d'en éprouver l'utilité, les procédures de calcul mental installées en 3 petits exemples et puis « automatisées » en une demi-page souvent largement illustrée, les « leçons » à apprendre à la maison dont le style littéraire déroute plus qu'il n'aide, suivies de leurs évaluations « dénarcissisantes » pour tous les enfants qui n'ont pas eu la chance de tomber dans la marmite de potion magique quand ils étaient petits, ... ).

    S'il y a une compétence que l'école devrait s'employer à installer dans leur esprit de manière à ce qu'ils l'apprécient, c'est l'art et la manière de mettre en mémoire les savoirs et connaissances qu'elle est chargée de leur transmettre.

    Non, ce n'est pas aux parents qu'il revient de faire apprendre par cœur les tables, comme je l'ai lu récemment, mais bien à nous, les enseignants. Nous devons absolument leur créer cet univers dans lequel, ils pourront, comme nous, accumuler des souvenirs prégnants, agréables et joyeux qui leur permettront de ne plus avoir à consacrer un temps infini à compter sur leurs doigts, sur leurs bouliers ou avec leurs « file numérique mentale », espèce d'alphabet interminable qui permet, si l'on est patient et concentré, de trouver combien font 9 fois 9, en récitant à mi-voix la suite des nombres de 0 à 81 (ou 80... ou 82... pour peu qu'on ait été distrait en chemin) !

    → Pour cela, nous multiplions les exercices d'entraînement brassant et rebrassant les mêmes quantités, et, dès la GS ou le CP, très  souvent, nous faisons appel à leur mémoire : « Rappelez-vous, hier, nous avons compté 3 + 3, en imaginant nos doigts... Qui s'en souvient ?... Qui saurait dire le total sans se servir ni de ses doigts, ni des images de doigts dans son imagination ?... »

    → Nous leur apprenons aussi à se servir d'un résultat déjà connu pour en deviner un autre sans matériel, ni création d'images mentales : « Vous vous souvenez que 3 + 3, c'est égal à 6 ?... Alors, quelqu'un saurait-il me dire combien font 3 + 2 ?... Et 3 + 4 ?... Pourquoi ?... »

    A ce moment-là, surtout dans les petites classes, en GS, au CP, ou même dans les classes supérieures lorsque les élèves ont appris à surcompter sur leurs doigts ou sur la file numérique sans se représenter concrètement les quantités, il est important que leur « preuve » soit étayée par le concret, les doigts, les boules du boulier, etc.

     

    → Nous les encourageons alors à montrer (démontrer ?) sur leurs doigts, leur boulier, avec leurs bûchettes, leurs perles ou leurs plaques qu'ils ont bien raison et que cette nouvelle technique, plus rapide, plus économique, plus sûre est bien une procédure de mathématicien...

    Cette habitude de réfléchir sur les quantités et de déduire des régularités de la répétition de cas similaires s'installera d'autant mieux si nous commençons tôt et sur un champ numérique restreint et facilement visualisable (c'est pourquoi je déconseille les méthodes qui en GS ou au CP traitent d'un coup le cas de plusieurs nombres, que ce soit de 1 à 30, de 1 à 9 ou même de 1 à 5).

    → Nous travaillons alors ces procédures construites et vérifiées en commun quotidiennement en classe jusqu'à ce qu'elles deviennent des vrais souvenirs, automatisés et inconscients, qui leur permettront de les appliquer et les réitérer de manière automatique

    Nous libérons ainsi leur mémoire de travail pour des tâches plus nobles qui, à leur tour, créeront de nouveaux souvenirs agréables et joyeux qui leur permettront d'acquérir de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences, de nouvelles connaissances.

    Ce sera le moment de leur donner cette procédure à montrer (petites classes : GS et CP) ou à réviser à la maison (du CE1 au CM2), juste pour réactiver la mémoire et pour l'ancrer dans la vie sociale, comme un outil utile partout, à l'école comme hors ses murs.

    Nos élèves ne tarderont pas alors à se passer de leurs doigts aussi souvent que possible, ne faisant appel à eux que lorsqu'ils se trouvent dans une situation qui les déroute, pour se rassurer, tout comme un tout petit revient à la quadrupédie lorsqu'il a peur de tomber s'il reste seulement sur ses deux pieds, sans aucun filet de protection. Ils auront appris à s'en passer à petits pas.


  • Commentaires

    1
    Clém
    Mardi 26 Février 2019 à 20:40

    Merci pour cet article très intéressant !

    Je suis en début de carrière je me suis pas mal questionnée sur l'utilisation des doigts pour calculer. Je vais un peu déculpabiliser "d'autoriser" cette technique !!

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