• Question de points de vue

    Question de point de vue

    Toucher la lune avec le doigt

    « Regarde, maîtresse, moi, je touche la lune ! »

    « Oui, c'est ce que nous voyons, Ermengarde, mais tu sais que ce n'est qu'une impression. Nous ne pouvons pas toucher la lune. La lune est très loin, à des centaines de milliers de kilomètres de nous. Si tu veux un jour pouvoir toucher la lune, il faudra que tu apprennes beaucoup de choses dans une école très compliquée puis que tu suives un long entraînement difficile pour pouvoir conduire les navettes spatiales. Enfin, il faudra que tu y ailles couverte d'un scaphandre spécial relié à des réservoirs d'oxygène car, sur la lune, les êtres vivants ne peuvent pas respirer, il n'y a pas d'air. », répondra la collègue réaliste qui ne veut pas mentir aux petits enfants.

    Alors que son collègue de la classe d'à côté entrera dans le jeu et dira à la petite Ermengarde : « Oh mais oui, dis-moi !... Vous avez vu ça, les copains ? Ermengarde touche la lune !  Nous dirions même qu'elle va l'attraper. Dis-nous un peu, Ermengarde, c'est comment, la lune ? C'est doux ? c'est chaud ? c'est froid ? c'est rugueux ? ça chatouille ? ça pique ? Raconte-nous un peu... »

    Pour moi, les deux attitudes se valent. Elles peuvent même avoir lieu dans une même classe, l'une le lundredi 47 octenvrier à 9 h 15 et l'autre le marmedanche 52 juinvembre à 13 h47. À deux conditions...

    Que nous ne soyons pas dupes

    Car là où ça devient grave, c'est quand on est dupe.

    Dupe de l'enfant qui, s'il a plus de cinq ou six ans, sait très bien qu'il ne touche pas la lune, et qui, s'il est plus jeune, a besoin qu'on s'intéresse à son point de vue pour pouvoir le dépasser.

    Ou dupe de notre propre vision des choses, ce qui nous amènerait à voir dans l'enfant un perturbateur qui nous dévie de notre route, un imbécile qui ne comprendra décidément jamais rien ou encore une outre à remplir de connaissances à régurgiter telles quelles, sans adaptation, ni transformation, ni assimilation... 

    Et que nous gardions le cap

    Celui de tout éducateur : faire grandir harmonieusement les enfants qui nous sont confiés, en leur offrant le meilleur, dans le plus de domaines possible.

    Ce qui se traduit plus modestement pour les enseignants de l'école primaire par : trouver des procédés pour traiter avec profit les programmes de l'école maternelle et/ou élémentaire dans le but de les faire acquérir à une proportion très significative de nos effectifs.

    Ici, nos objectifs pourraient être, dans la classe n° 1 :

    → faire entrer l'enfant dans le principe de réalité

    → lui donner une notion de chronologie

    → lui inculquer quelques connaissances scientifiques et géographiques

    et dans la classe n° 2 :

    → développer l'imaginaire

    → encourager la créativité

    → travailler le champ lexical du toucher

    Deux caps différents, mais tout aussi solides l'un que l'autre, pédagogiquement parlant.

    L'enfant a donné son point de vue, l'enseignant s'en est emparé pour l'emmener vers d'autres points de vue, celui des autres enfants parfois, le sien, toujours, basé sur les notions, concepts et capacités qu'il est chargé de lui faire acquérir.

    Soit, dans la vie quotidienne d'une classe

    Avec quelques exemples, ce sera plus simple :

    ◊ Lorsque des enfants croient être, de leur point de vue, en train de fabriquer le plus beau cadeau du monde qu'ils offriront à leurs familles à l'occasion de la prochaine fête carillonnée,

    ♥ ♥ ♥ l'enseignant quant à lui cherche : 

    ⇒  à développer leurs habiletés manuelles et leur jugement artistique,

    ⇒ à renforcer leur concept de temps qui passe en le ponctuant par des dates clés

    ⇒ à leur inculquer le soin, la persévérance, l'empathie

    ∴ et il devient la dupe quand il se met lui aussi à chercher à faire fabriquer à de jeunes enfants le plus beau cadeau du monde et à l'emballer magnifiquement pour que ça en mette plein les mirettes de tous ceux qui le verront...

    ◊ Lorsque des enfants croient être en train de compter les jours de classe dans le but d'organiser une grande fête lorsqu'ils en seront au centième de l'année scolaire,

    ♥ ♥ ♥ l'enseignant quant à lui cherche : 

    ⇒  à renforcer leur concept de temps qui passe

    ⇒ à leur faire travailler quotidiennement la numération et le calcul

    ∴ et il devient la dupe quand il se met à compter et recompter sur les calendriers quel jour tombera finalement ce centième jour sachant que tel jour il a été absent non remplacé, tel autre il a fait grève, tel autre l'école a été fermée parce que Machin a décrété une journée banalisée pour ceci ou cela ou quand il investit du temps et de l'argent dans la confection et l'impression de tout un attirail censé rendre cette activité encore plus appétente et formatrice

    Lorsque les enfants écoutent ou lisent l'histoire de la Gazelle à Trois Cornes ou celle du Tricératops qui découvre la valeur du pardon des offenses, ils vivent l'histoire et, si elle leur plaît, ils se passionnent pour les péripéties de l'action et les aventures du héros jusqu'à les rejouer entre eux en classe ou dans la cour de récréation et à en répéter en boucle les bons moments ou les bons mots.

    ♥ ♥ ♥ l'enseignant quant à lui cherche : 

    ⇒  à donner à ses élèves l'envie d'apprendre à lire ou de perfectionner leur lecture

    ⇒ à leur faire découvrir les trésors de la littérature

    ⇒ à enrichir leur lexique par la fréquentation d'œuvres inscrites au patrimoine mondial de la littérature au vocabulaire riche et varié

    ∴ et il devient la dupe quand il se met à vivre Gazelle à Trois Cornes, dessiner Gazelle à Trois Cornes, découper, coller, écrire, peindre, raconter Gazelle à Trois Cornes et même à chercher dans Gazelle à Trois Cornes LA solution aux problèmes existentiels de ses élèves  ou quand il investit du temps et de l'argent dans la confection et l'impression de tout un attirail censé rendre l'histoire du Tricératops qui découvre la valeur du pardon des offenses encore plus incontournable

    Je pourrais continuer ainsi pendant des heures, passant de l'apprentissage de l'écriture à la construction de la notion de nombre, de la capacité à devenir élève à l'étude de la frise chronologique de l'histoire de France, de l'utilisation du papier cristal à l'école à la taille des étiquettes de prénoms mais c'est bientôt Noël et nous avons besoin de légèreté plutôt que de contenus exhaustifs.

    Alors, comme disent les enfants (mais nous ne sommes pas dupes) :

    « Joyeux Noël !

    Que Papa Noël soit très gentil avec vous

    car vous avez tous été

    très, très sages ! »

    Question de points de vue


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