• La lecture (C1 - CP) (1)

    La lecture (en maternelle)

    Merci à J., 5 ans 1/2.

    Un texte à lire sans a priori d'époque qui, j'espère, bientôt, deviendra d'une incroyable modernité.

    Je vous donnerai l'origine et la date plus tard. Je me suis permis deux ou trois ajustements lexicaux que je signale en écrivant les mots qui remplacent les anciens en italique accompagné par un astérisque.

    Les caractères gras sont de moi.

    LA LECTURE

    ♥ L'enfant qui sait parler doit apprendre à lire

    L'enfant arrivant en Grande Section* sera seul admis à apprendre à lire. Il aura cinq ans.

    De quelle méthode se servira-t-on ? Si je me laissais aller à ma pente, je dirais :

    « La méthode importe peu ; qu'on me montre des résultats, et, si je demande comment ils ont été obtenus, ce ne sera que pour mon instruction et par intérêt pour une question qui me préoccupe vivement.»

    Il est évident, en effet,que le procédé grâce auquel l'enfant apprendra à lire en peu de temps et sans fatigue sera un bon procédé ; il est non moins évident que, le procédé étant un outil dont les enseignants* se servent pour enseigner à lire à leurs petits élèves, ils ont le droit de choisir leur outil, l'un pouvant leur paraître plus facile à manier que l'autre.

    ♥ L'enseignant* doit étudier les procédés, les comparer, en choisir un en connaissance de cause

    Mais ma manière – très libérale, on l'avouera – de traiter cette question suppose, de la part des enseignants*, une étude comparative préalable.

    Si vous entrez dans un magasin pour acheter un couteau – vous voyez que j'en reviens à mon outil – vous ne prendrez pas le premier venu ; même si le marchand vous affirme que celui qu'il vous montre est bon, vous en examinez la lame, le manche, la virole ; vous l'ouvrez, vous le fermez ; vous faites de même pour plusieurs couteaux qui vous paraissent de la même qualité, et vous ne vous décidez à faire votre choix qu'en parfaite connaissance de cause.

    La plupart des enseignants* n'ont pas agi ainsi jusqu'à présent, quant aux méthodes, faute de temps peut-être, faute d'éléments de comparaison ensuite, faute aussi de ces études raisonnées qui font naître et développent l'esprit critique.

    Il est vrai que ce travail de comparaison, d'autres semblent indiqués pour le faire à leur place et pour leur apporter tout prêt le résultat de leur étude : ce sont les IEN*, les conférenciers, les écrivains spéciaux : mais ceux-là même ne veulent pas imposer leur choix [quand je vous disais que ce n'était pas un texte actuel mais qu'il serait bon qu'il devienne d'une incroyable modernité... ], ils veulent simplement les guider.

    ♥ Le procédé employé doit avoir un lien avec la méthode générale de culture 


    C'est ce que j'essaie de faire en ce moment en partant de ce principe :

    « Les enfants qui fréquentent l'école maternelle doivent être mis à la lecture le plus tard possible, pour qu'ils sachent lire le plus tôt possible ».

    Une grande partie des heures où l'enfant est en classe, et une grande partie des heures de récréation[1] sont employées à la lecture dans les écoles maternelles, et les résultats sont loin d'être satisfaisants. 

    Cela vient de ce que les procédés de lecture n'ont pas de lien avec la méthode générale d'éducation.

    Ces procédés, plus ou moins factices, plus ou moins artificiels, plus ou moins routiniers et surannés ne font pas corps avec le système éducatif.

     

    ♥ Il faut aller du connu vers l'inconnu

    La devise si souvent mise en exergue : « Aller du connu vers l'inconnu » est, sans qu'on s'en doute, mise absolument de côté, intellectuellement du moins, car je n'appelle pas « aller du connu vers l'inconnu » passer de l'articulation [m][2] et de la voyelle [a], qui ne rappellent et ne représentent rien à l'enfant, à la syllabe ma qui ne lui rappelle, qui ne lui représente rien non plus.

    Pour lui, en effet, dans le mot « gâteau », ce n'est pas le g puis l'â qui sont ses anciennes connaissances ; c'est le gâteau, saupoudré de sucre, bourré de confiture ou débordant de crème.

    Et cependant, c'est par les sons et par les articulations[3] qu'il a jusqu'à présent commencé son labeur intellectuel !

    ♥ Les syllabes détachées, les mots à difficultés, les phrases inintelligibles

    Pendant une période plus ou moins longue, qui varie selon sa mémoire, selon sa bonne volonté et le degré d'habileté de l'enseignant* [Excusez-moi, là, je n'arrive pas à édulcorer le propos pour le rendre plus bienveillant], il reste sur le tableau des voyelles, puis sur celui des consonnes ; enfin[4], il est appelé à grouper les unes avec les autres, et comme, d'après la plupart des méthodes de lecture, la syllabe est la base, il reste des semaines et des mois sur ces groupements sans lien entre eux : ma la ni tu sa tu la pa.

    Il est vrai que dans beaucoup d'écoles, l'étude de la lettre est aidée par des signes plus ou moins cabalistiques ; mais l'enfant a beau fermer ses cinq doigts et faire un mouvement de haut en bas, puis, ouvrant la main, la porter à la hauteur de sa figure comme s'il était étonné et charmé, l'articulation [m] et la voyelle [a] ne lui ouvrent pas plus d'horizon pour cela.

    Quand il passe de la syllabe aux mots, les étapes sont encore plus douloureuses ; il se trouve aux prises avec la difficulté pour la difficulté, avec l'abstraction, avec des mots dont il ne se servira jamais pendant son enfance – je parle des plus faciles – et avec d'autres qu'il ne prononcera jamais de sa vie : cadi, silo, dogme, caleb, [...][5].

    Et les groupements de mots ! « Le député fidèle sera réélu à la majorité. - Le rire désarme. - La guimbarde a éreinté le sapajou - [...][6]

    Soumis à ce régime, l'enfant finit par apprendre à lire, tout le monde le concède ; mais il apprend à lire comme il apprenait naguère la table de multiplication, les départements de France, les fables ; comme il apprenait tout, en un mot : par la mémoire, dans une espèce de mort intellectuelle.

    Si bien que, le jour de la grande victoire, de la victoire définitive, quand il est « parti », qu'il lit couramment, aucun rayon ne vient illuminer, vivifier les pages. Il sait lire mécaniquement, mais lire », qu'est-ce, en somme, pour lui ? C'est traduire par la parole des signes et des combinaisons de signes ; ce n'est pas cueillir les pensées d'autrui pour les ajouter à son propre fonds, à son propre trésor de pensées.

    Nous ne chargeons pas le tableau, puisque trop d'enfants sortent de l'école primaire sans avoir découvert le trésor que recèle le livre. Ce trésor inconnu reste improductif... et TF1 vend du temps de cerveau disponible pour Coca Cola*.

    Aujourd'hui que nous ne faisons plus chanter la table de multiplication, ni les départements, aujourd'hui que nous ne nous permettons de confier à la mémoire que la poésie qui a été comprise, aujourd'hui que nous avons surtout souci d'éclairer notre lanterne, nous ne pouvons laisser l'enseignement de la lecture en dehors de cette espèce de renaissance pédagogique, et nous demandons, nous recommandons une méthode rationnelle.

    ♥ La suite bientôt...

    ... si vous le voulez bien ! Elle abordera les sujets suivants :

    L'enseignement simultané de l'écriture et de la lecture -  Les difficultés que ce procédé rencontre - Un procédé plus expéditif - Tout exercice de lecture doit être précédé d'un exercice de prononciation - Le choix des livres

    Notes :

    [1] Avant de dire que cela n'existe plus, pensez à l'accueil en classe qui, normalement, fait partie du temps de récréation et qui est devenu bien souvent un temps d'apprentissage.

    [2] Que dirait la personne qui a rédigé ce texte si elle savait qu’en 2020, ce n’est même plus l’articulation [m] mais le mot « èm » qu’on emploie ?

    [3] J’aurais pu traduire par « lettres de l’alphabet » et « phonologie », mais je n’ai pas osé trahir à ce point le texte original, bien qu’en lisant la suite, on comprenne exactement cela. Encore que... je me demande si ce n’est pas encore pire puisque, de nos jours, le nom de la lettre remplace le son qu’elle produit et l’articulation n’est étudiée que pour son versant oral sans chercher à ce qu’elle facilite le passage à l’écrit.

    [4] Pour nous, ce sera plutôt au CP (certains y sont encore actuellement après 4 mois de CP).

    [5] J’en saute quelques-uns parce que vous avez compris. Ceux qui récusent le côté vieillot peuvent jeter un coup d’œil sur des listes plus actuelles : insatiable, balbutiant, partiel, ... ou encore entaillé, ensommeillé, effeuillé, ... (in Je lis, j’écris, J. Reichstadt).

    [6] Même chose. En 2020, au CP, on leur en fait lire encore de ces guimbardes qui éreintent les sapajous : « Fâchée, Lola lave l’animal. Alors il fuit avec zèle. » - « Il a lavé les jolis javelots. » - « Un marteau se cache dans un gâteau. »  (in Piano CP, S. Monnier-Murariu) ou « La lune rousse, sur l'allée, sourit et nous rassure. » - « Littérature ! » - « Un bandit débutant dans la bande aborde le port et bondit sur le ponton. » (in Je lis, j’écris, J. Reichstadt)


  • Commentaires

    1
    Gabz
    Mercredi 30 Décembre 2020 à 09:58
    Aujourd’hui nous n’apprenons plus les tables de multiplication par cœur ?
    Et les programmes alors ?
      • Mercredi 30 Décembre 2020 à 10:37

        Les programmes de maternelle préconisent l'apprentissage des tables de multiplication par cœur, aujourd'hui, en 2021 ?

        Même en élémentaire, et de manière progressive, on ne fait apprendre les tables de multiplication par cœur qu'après que les enfants les ont construites eux-mêmes.

        Quant à la maternelle, il m'arrive de leur faire mémoriser les doubles jusqu'à celui de 5 ou de 6, mais c'est toujours après les avoir longuement fréquentés (doigts de la main, dés, notion de paire, ...)

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