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CP : Deuxième trimestre
Déjà 14 semaines de classe de passées... Dans les classes qui ont opté pour une méthode purement graphémique, ou même pour une méthode plus ouverte, tolérant quelques rares apports globaux, les enseignants commencent à paniquer.
En effet, après toute une formation puis toute une carrière axée sur la fréquentation et l'exploitation des albums, il est difficile de se dire que, pour encore une dizaine de semaines, il va falloir se contenter de :
Méthode Boscher page 31ou encore de :
Je lis, j'écris - pages 48-49voire de :
De la part de l'adulte-enseignant, ça se comprend.
Comment ne pas s'inquiéter de voir ses élèves ne jamais lire autre chose que des syllabes et des mots sans suite, vaguement agrémentés de quelques phrases à l'intérêt douteux ? Comment ne pas se dire qu'il faudra un jour sortir des assonances ou allitérations visant à renforcer le décodage plutôt qu'à créer un répertoire littéraire pour les enfants ? Comment accepter que, pendant une année scolaire entière, les enfants ne vivent quasiment qu'à travers quelques personnages certes très sympathiques mais qui limitent sérieusement leur ouverture culturelle ?
Alors la tentation de sortir du manuel pour renouer avec les bonnes vieilles habitudes surgit, d'autant que tous les collègues ou presque rassurent et renchérissent : « Moi, dans ma classe, j'étudierai Le petit Roi... Et moi, La galette de Padipado... Chez moi, j'organise un rallye lecture avec dix ouvrages qu'ils vont lire chez eux... Et moi, je vais leur faire créer une bibliothèque virtuelle sur leurs tablettes numériques... »[1]
Et la culpabilité croît, croît, croît... si bien qu'on en vient à croire les copains et les copines : puisque dans leurs classes, ça marche, pourquoi chez nous, ça ne fonctionnerait pas ? Pourquoi nos élèves devraient-ils continuer à psalmodier des syllabes sans suite, à lire des phrases à faire bredouiller n'importe quelle personne n'ayant pas suivi avec assiduité des cours d'art dramatique ou à radoter inlassablement les aventures d'un petit animal même très sympathique pendant que d'autres découvrent des trésors ?
Alors, on se lance et on recherche LE titre qui fera avancer nos enfants sur le chemin de la littérature, la vraie, celle des vrais livres...Pourquoi pas, si ... ?
Pourquoi pas, en effet. Pourquoi pas si ça marche chez les autres ? Pourquoi pas si cela leur permet de continuer à avancer ? Pourquoi pas si l'on peut joindre l'agréable à l'utile.
Mais aussi pourquoi si c'est pour voir plonger définitivement les trois ou quatre petits canards boiteux qui avancent vaille que vaille depuis la rentrée et ont bien du mal à suivre le rythme qu'on leur impose[2] ?
Pourquoi si quelques-uns de leurs camarades plus favorisés commencent eux aussi à plonger et ont du mal à se repérer dans l'avalanche de graphies inconnues que leur propose cet album pourtant choisi avec soin ?
Pourquoi si c'est pour que même les plus habiles d'entre eux sortent ensuite du CP avec une ou deux lacunes difficilement récupérables par la suite[3].Pourquoi si ce plongeon, en haute mer ou dans le petit bain, est dû à la mise au second plan du patient travail d'acquisition des graphies mis en place depuis le début de l'année .
Pourquoi si ceci sous-entend et que nous abandonnions la lecture de la page quotidienne de notre manuel, tel jour parce que nous avons musique, tel autre parce que le temps à la neige a rendu le comportement de nos élèves électrique, ou encore parce que l'IEN passe tel jour et que lui, ce qu'il veut voir, c'est comment nos élèves dissertent sur le réseau littéraire que « nous » avons mis en place au niveau de la circonscription ?Une obligation : Tous lecteurs à l'entrée au CE1 !
Ceci devrait être notre seule contrainte pédagogique, contrainte à laquelle personne, sauf preuves médicales à l'appui, ne devrait pouvoir déroger.
Car il n'y a aucune autre raison qu'une cause médicale avérée par un médecin indépendant pour que des enfants de 6 ans et demi à 7 ans et demi quittent le CP non-lecteurs après 10 mois d'apprentissage. Et j'ose espérer pour eux, malgré l'infini respect que je porte à leurs camarades à besoins particuliers, que nos petits élèves ne sont pas tous porteurs d'un handicap qui leur rend impossible cet exploit somme toute très mesuré.
La lecture suivie de contes et récits fait partie des possibilités pour apprendre à lire dès lors que les premières bases sont posées et, en effet, on peut très bien concevoir qu'après 14 semaines de classe, soit 28 séances de 2 journées, il faille sortir des clématites qui couvrent les clôtures, des vagues qui couchent de longues algues ou même des petits héros qui s'extasient devant un feu d'artifice, visitent la savane ou ramassent des chatons sur les routes[4].
Cependant, il faut impérativement que nos élèves et particulièrement les plus faibles puissent continuer à découvrir, fixer et automatiser la reconnaissance du grand nombre de graphies qu'il leur reste à étudier.
Comment faire ?
Notre manuel de lecture doit donc rester la base du travail quotidien et c'est l'album qui devra s'effacer les jours de neige, les jours où il y a musique et même pendant les heures que l'IEN nous laissera gérer hors de sa présence le jour de sa visite !
Ces jours-là, nous lirons nous-mêmes la double page de l'album que nous avons choisi d'exploiter en lecture suivie plutôt que de sabrer la lecture patiente et indispensable des longues listes de un dîner un baiser un rocher un boucher un écolier un atelier un pompier le courrier ... (Je lis, j'écris, page 68) ou des boi coi doi loi poi moi noi roi soi toi voi ... (Taoki, page 83).
Nous pouvons aussi nous dire qu'après tout, puisqu'au premier trimestre, nous avons pris le temps de leur lire nous-mêmes les textes que nous voulions utiliser pour enseigner explicitement la compréhension et développer le vocabulaire, nous pouvons bien continuer encore pendant un bon trimestre.
Dans ce cas, nous ne commencerons la lecture suivie d'albums de la littérature jeunesse ou de contes du répertoire patrimonial que lorsque nous aurons définitivement rangé dans les placards nos manuels d'apprentissage de la lecture. Nos élèves sachant alors tous lire de manière efficace (même si elle est encore un peu lente chez certains), nous aurons vite comblé le retard et c'est bien plus d'un album que nous lirons au cours de la dernière période de l'année scolaire !Nous pouvons enfin rêver...
... à l'époque, pas si lointaine peut-être, où...
- après des années d'un « tout compréhension » qui a conduit 15 % à 25 % d'une génération à l'illettrisme partiel
- puis encore après l'époque actuelle où le culte de l'assonance vire parfois au non-sens, où l'allitération débouche sur « l'alittérature » et où la journée de classe est censée très régulièrement privilégier l'épreuve marathonienne de débitage de syllabes à la vitesse d'une kalachnikov en furie...
... l'Institution accèdera enfin à la raison et promouvra des manuels qui, lorsque les enfants commencent à bien déchiffrer, après 14 semaines de classe,
- les dispensent peu à peu des boi, coi, foi, doi, choi à n'en plus finir
- favorisent la compréhension et la mémorisation des régularités orthographiques en structurant des listes de mots
et basent ce travail sur la lecture de contes et récits adaptés à leurs connaissances graphémiques actuelles.
Elle poussera alors les enseignants à réaliser ainsi la synthèse entre la nécessité absolue d'automatiser la reconnaissance de tous les graphèmes de la langue française et l'urgence d'entamer la découverte autonome de textes issus du patrimoine littéraire ou inédits bien avant la fin du CP, si l'on ne veut pas voir certains élèves trop entraînés au tir de mitraillette pour apprendre à se poser avec la délicatesse d'un colibri sur les mots et les phrases pour en goûter le nectar.
Écrire et Lire au CP, Livret 2 - pages 4, 5Pour l'instant, ces manuels sont très peu employés, souvent anciens (tel Mico mon petit ours), mais ils existent et fonctionnent, dans tous les milieux.
Je vous propose pour ma part Écrire et Lire au CP, Livret 2 qui, à travers deux récits inédits en épisodes (Le trésor du pirate et Le cirque), deux contes traditionnels en épisodes eux aussi (Le loup et les sept chevreaux, des frères Grimm, et La chèvre de M. Seguin, d'Alphonse Daudet), un conte court (Le costume d'Arlequin), un extrait littéraire (Pinocchio et le Grillon qui parle, de Collodi), quelques intermèdes documentaires ou rappelant l'univers du premier livret (Guignol, La chèvre et La neige, Visite chez le boulanger, Géographie) permet d'étudier très sérieusement:
- les graphies suivantes : s entre deux voyelles ; oi ; in/im/ym/ym ; au/eau ; ill ; ei/ai ; ouill/aill ; eu/œu ; gn ; er/ez ; ain/aim/ein ; e = è ; ce/ci ; ç ; eui/euille/œil/cueil/gueil ; ay/oy/uy/ey ; ien ; tion = sion ; oin ; valeurs de la lettre g (récapitulation) ; ph
- une initiation à la grammaire : présent des verbes du 1er groupe ; masculin/féminin ; pluriels en -aux et -eaux ; pluriels en -s ; m avant m, p, b ; quelques terminaisons de l'imparfait ; féminins en -euse ; qualifier le nom ; accord de l'adjectif avec le nom ; classer des noms ; genre des noms (-ier/ière, -ail/-aille, eil/eille, euil/euille, ouil/ouille, -ien/-ienne) ; morphèmes dérivationnels (-aine, -eur/-euse, -eux, -ier, -erie, -ième, -et/-ette, -tion) ; familles de mots
Cela permet à l'enseignant de finir sûrement l'apprentissage graphémique, évitant l'écueil des enfants non-lecteurs à l'entrée au CE1
→ en commençant tranquillement l'Étude de la Langue pour :
- favoriser l'acquisition des bases de l'orthographe,
- enseigner la morphologie dérivationnelle et flexionnelle pour mieux comprendre et mieux écrire
- développer le vocabulaire
→ en enseignant explicitement la compréhension à partir de textes lus par les élèves.
Je peux vous l'envoyer au tarif lettre verte (5,28 € pour un envoi des deux livrets, 3,52 € pour un seul) au prix où me le vend mon éditeur (6,50 € pour chacun des deux livrets) en France Métropolitaine. Vous pouvez me contacter en cliquant ici pour les modalités d'envoi et de paiement : Contact
Notes :
[1] Dialogues complètement inventés avec titres et projets totalement fictifs !
[2] Personne ne dira assez le mal qu’on a fait aux plus fragiles de nos élèves en leur imposant d’apprendre à parler, puis à écrire et lire en fréquentant l’école 108 heures de moins par an que leurs parents au même âge !
[3] Je connais personnellement un excellent élève de CE2, lecteur extrêmement fluide, qui, depuis le CP, traîne une incapacité à mémoriser les valeurs de la lettre g et lit régulièrement « jalope » pour « galope » et « guymnase » pour « gymnase ».
[4] Même si, dans mon cas, je trouve que ce dernier exemple est de loin le « moins pire » !
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Commentaires
Tout à fait d'accord, Maîtresse Chouette. Lire des textes appétents, mais adaptés à leurs capacités de lecteurs, oui, perdre du temps d'apprentissage pour tenter de lire des textes dans lesquels deux mots sur trois, une fois sortis des un, une, les, des, mes,est, et, de, du, dans, sur, avec, ... sont indéchiffrables, c'est faire courir un risque d'illettrisme à tous les élèves auxquels il faut du temps pour apprendre.
À la rentrée de septembre, j'ai parfois envoyé 10 exemplaires par jour d'un manuel d'apprentissage accéléré de la lecture à des collègues désespérés par le nombre de non-lecteurs qu'ils accueillaient dans leur classe de CE1 et parfois même de CE2 ! C'était parfois plus du tiers de la classe qui était passé « à côté » de l'essentiel malgré tous ces beaux albums et ces séances de « phono » aux comptines inutiles.
Et ça, c'est grave, et c'est ce qui nous vaut ces évaluations CP qui nous prennent un temps fou et nous empêchent de mener nos apprentissages comme nous le souhaitons. Il est plus que temps que ça cesse et qu'on donne à tous les enfants les mêmes chances de réussite, en tous points du territoire.