• C1/C2 : Discrimination auditive

    C1/C2 : Discrimination auditive

    Quoi de neuf du lundi matin, A., trois ans et demi, raconte :« Hier, je suis allé à l'hôpital pour voir un pépé. »

    La maîtresse inquiète demande : « Ah bon, ton pépé est malade, le pauvre ? »

    Et le petit de rétorquer, un peu suffoqué devant tant d'incompréhension : « Mais non ! Un petit pépé ! Un pépé qui poit le piperon ! »

    Ce petit A a grandi. Trois ans après, au CP, il apprenait très facilement à lire et à écrire ; six ans plus tard, il « sautait » le CM1 et entrait avec un an d'avance au CM2 ; treize ans plus, il avait une mention Très Bien au bac S et intégrait la classe de Maths Sup d'un prestigieux lycée de province ; il est actuellement ingénieur et chef d'entreprise.

    Même parcours sans anicroche pour la petite P. qui, au même âge, explosait de rire et rétorquait à son papa qui cherchait son disque de stationnement car il disait être garé en zone bleue : « Papa, si c'est zaune, c'est pas bleu ! » ou pour le petit J. qui chantait avec conviction :

    « Tot', tot', tot', tot',
    Ti frappe à la porte ?
    Tot', tot', tot', tot',
    C'est le petit tot'
    Totorito ! »

    Et pourtant, ni les uns ni les autres n'auraient pu, s'ils avaient su lire les emplois du temps de leurs enseignants de maternelle, trouver de créneaux discrimination auditive ou phonologie.

    Car ces trois enfants, et tous leurs petits camarades présentant eux aussi ce qu'on n'appelait pas encore des « troubles du langage », ont vécu leurs années de maternelle, avant le grand chambardement, quand personne n'avait encore eu l'idée géniale de considérer un « moins de 7 ans » comme un adulte imparfait qu'il convient de corriger au plus vite sous peine de le voir échouer plus tard.
    Familles et enseignants accueillaient comme normales ces petites entorses à la prononciation et tout le monde savait que, bien accompagnés, à tout moment de la vie de classe, les enfants les corrigeraient d'eux-mêmes avant l'âge fatidique du passage à l'écrit (fixé alors à plus de 5 ans de manière à laisser du temps au temps).

    Beaucoup d'accompagnement

    L'accompagnement est essentiel et le langage oral est le point central autour duquel gravitent forcément toutes les activités d'une journée en école maternelle. Il garde une place prépondérante, soutenu et accompagné de son pendant, le langage écrit jusqu'à la fin du CE1.

    Au cours de ces activités, l'enseignant écoute et fait écouter, parle et fait parler en articulant clairement, répète et fait répéter, apporte des mots, des sons, éduque le sens de l'ouïe et celui de la vue.

    Pour être plus efficace et ne pas priver ses élèves de sa présence, il organise la vie de la classe autour du groupe-classe dans lequel il joue son rôle de dispensateur de savoirs mais aussi d'organisateur du temps de parole[1], d'éducateur au beau langage.

    De manière à ce que le groupe soit pour les enfants la marque de fabrique de l'école, c'est en groupe-classe qu'on entre en classe et le regroupement est le premier et le dernier temps de chaque quart de journée, que ce soit pour dialoguer ensemble, chanter, réciter, écouter des histoires, échanger des remarques et des observations, ...

    Petit à petit, année après année, l'enfant bien accompagné évolue, il devient capable de comprendre les symboles.
    Il a alors le plus souvent 5 ans révolus et, c'est à cheval sur la dernière année d'école maternelle et les deux premières années d'école élémentaire que son enseignant, pour le moment toujours formé pour accompagner les enfants, c'est-à-dire les êtres humains de 2 à 11 ans, introduit dans son univers proche les lettres et la façon de les agencer.

    L'œil aide alors l'oreille et l'oreille aide l'œil à finir de corriger ces petits problèmes articulatoires, l'accompagnement a réussi à ne pas médicaliser ce qui n'était que des approximations normales en cours d'apprentissage.

    Ne reste alors qu'un enfant par ci par là qui, dans les cas les plus bénins, aurait besoin d'une année de plus, ou qui, malheureusement, a vraiment besoin d'une aide spécialisée pour articuler sa langue aisément (et donc en discriminer les phonèmes proches). Celui-là sera orienté vers un personnel spécialisé, seul formé à évaluer et traiter cette grande difficulté.

    Pas d'évaluations, de normes, de grilles, de tests

    Pour les autres, pas besoin de tout cet attirail pour les faire avancer. L'école dite de la confiance doit faire confiance en l'espèce humaine et savoir que, comme tous les jeunes mammifères, les rejetons de la dite espèce évoluent lentement mais sûrement, chacun à son rythme, vers ce qu'elle imagine être la perfection de l'âge adulte.

    Car c'est dans la confiance, dans le temps actif des mouvements, des jeux, des discussions, des découvertes, des observations, des chants, des comptines, des histoires, des poèmes qu'on leur lit, ..., que les enfants apprennent à parler, à s'écouter et peu à peu à analyser ce qu'ils prononcent.

    Le temps passif pendant lequel l'enseignant est occupé à évaluer quelques enfants, à leur faire repasser les tests qu'ils ont ratés, à leur faire seriner cent fois les mêmes exercices pour qu'ils les réussissent enfin, à cocher des cases sur des grilles est du temps volé aux apprentissages, à l'irrépressible besoin de grandir, de progresser, de se dépasser de tout enfant en bonne santé.

    Une progression à petits pas

    Un jeune enfant ne progresse pas comme un enfant plus grand, un adolescent ou un adulte car ses apprentissages ne sont pas de même nature.

    Il a besoin pour progresser de butiner tout autour de lui, au cours d'expériences variées. Il traverse des périodes pendant lesquelles il progresse dans un domaine alors qu'il semble presque régresser dans d'autres. Il a besoin d'enthousiasme, de jeux, de mille petites choses différentes dont son esprit se saisit, dans un désordre parfois incroyable. Il tâtonne, essaie, recommence, abandonne ceci, privilégie cela au hasard de ses découvertes, tout imprégnées d'intuitions, de fulgurances, de paris...

    Tout ceci s'agglutine peu à peu : les connaissances émergent, parfois au moment où l'on s'y attend le moins, les compétences viennent ensuite, naissant toujours de l'action qui les stabilise et les automatise, les savoir-faire sont proches, prêts à être installés sûrement, maintenant que toutes ces intuitions ont été vérifiées et validées.

    L'exact contraire du schéma actuel

    Celui qui consiste à programmer, à dates et heures fixes, dès les plus petites classes et dans un ordre immuable, le moment où tous devront être capables de compter les syllabes d'un mot, d'identifier la syllabe d'attaque ou la syllabe finale, et ainsi de suite jusqu'à, avant même d'avoir introduit le support visuel, de manipuler et jouer avec les syllabes...

    Car, tous ces exercices, cette transmission verticale de l'adulte vers l'enfant, conçu comme un adulte mal fait qui ne sait pas et doit apprendre dans l'ordre à décortiquer sa langue, seraient d'un très grand intérêt pour un adolescent ou un adulte qui apprendrait à prononcer les phonèmes d'une langue étrangère inconnue.

    Mais ils n'aideront pas A à passer tranquillement, en trois années scolaires, de sa prononciation erronée du mot bébé à l'écriture et la lecture aisées des mots bébé et pépé, amis aussi bain et pain, bol et Paul, barre et par, etc.

    Ils stresseront la petite P. qui comprend très bien ce qu'elle dit mais qui n'arrive pas encore à le prononcer et s'étonne de ce que son père puisse à ce point méconnaître sa propre langue.

    Ils conforteront le petit J dans l'idée qu'il n'est pas normal et l'empêcheront d'accéder à cette estime de soi si importante pour son développement affectif.

    Une grille pour que l'adulte s'y repère et s'évalue :

    J'ai collecté ci-dessous un grand nombre d'activités propres à parfaire les capacités articulatoires, à éveiller le sens de l'ouïe,  à le conforter et l'affiner grâce au recours à celui de la vue, après qu'il aura été lui-même éveillé et exercé. Afin qu'il soit plus clair, je l'ai compartimenté par niveaux(que j'ai signalés par un code couleur), de la MS au CE1. Ceci est bien entendu indicatif et peut être sujet à variations.
    Je n'ai pas mis la TPS et la PS mais toutes les activités audio-orales de MS sont transposables à ces niveaux. On se gardera en revanche de tenter de faire passer les activités audio-écrites.

    Les collègues intéressés pourront s'y référer pour trouver les activités qui leur correspondent et les aideront à faire progresser leurs élèves sans leur infliger ces longues séances de phonologie trop bien cadrées pour correspondre à leur mode de pensée, beaucoup trop foisonnant pour être mis en grille.

    N'hésitez pas à poser des questions, demander des éclaircissements, solliciter de l'aide ou des documents.

    Télécharger « Discrimination auditive MS à CE1.pdf »

    Notes :

    [1] À ce sujet, voir et écouter : Pour une pédagogie de l’écoute à l’école maternelle, de Pierre Péroz.


  • Commentaires

    1
    Lundi 18 Février 2019 à 10:35

    Tellement d'accord... Pourquoi presser de plus en plus les enfants au risque de leur rogner les ailes avant même qu'elles aient terminé de pousser...

    Dans le même état d'esprit, je propose 77 jeux pour bien parler : http://lenviedapprendre.kneo.me/shop/view/3951A1

    Bravo pour votre accompagnement et votre engagement auprès des enfants !

    2
    Natacha
    Lundi 14 Septembre 2020 à 22:10
    Merci beaucoup! Jaurais tellement apprécié avoir des collègues comme vous pour échanger au quotidien!!
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