• Amertume

    Amertume

    Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Hier, j'apprenais le matin que la syllabe se mourait, ce qui était plutôt une excellent chose pour l'enseignement de nos plus petits, et aujourd'hui, cet article du Monde me jette dans la désespérance.

    Fermer deux à trois cents classes rurales, Monsieur le Ministre, c'est mettre au minimum deux à trois mille enfants de plus sur les routes, matin et soir. Alors même que, finalement, les petites lignes SNCF ne fermeront pas et que ces passages à niveaux mal entretenus par des années de disette économique resteront là, tels des statues du commandeur, rappelant inlassablement à l'État que déshabiller Pierre pour habiller Paul de ses oripeaux les moins onéreux (les autres, on les vend à l'encan), ça comporte des risques.

    Les risques de ces fermetures de classes en milieu rural, encore bien plus que ces levers aux aurores et ces couchers tardifs, ces journées ponctuées de 30 à 45 minutes de car matin et soir, ces risques inhérents aux dangers d'une circulation routière toujours plus importante, cette pollution de l'air engendrée par ces déplacements de populations qu'on pourrait éviter, ce sont les RPI concentrés, ceux qui regrouperont à terme en un même lieu treize classes ou plus d'enfants de deux à onze ans – ah non, c'est vrai, plutôt trois ou même quatre ans, puisqu'il paraît que pour « surveiller des couches et changer des siestes », les personnels municipaux sont mieux formés que les professeurs des écoles.

    Un RPI concentré, c'est ce qui permettra de mettre enfin en place un rêve libéral vieux de vingt ans.
    C'est le germe d'une future EPEP, magnifique machine à déconcentrer les services publics en remplaçant l'État par un conseil d'administration autonome, recrutant à terme ses enseignants, fixant son budget et même, on peut toujours rêver, ses programmes et méthodes, histoire de pouvoir faire jouer la concurrence entre établissements pseudo-publics et privés, dans le plus pur fantasme du Grand Marché de l'Éducation, cher à l'esprit d'un de nos anciens ministres de l'Éducation Nationale. 

    Avantage non négligeable du milieu rural, c'est que sa population est clairsemée, ce qui rend moins visibles et moins effrayants les blocages, manifestations et autres occupations de locaux.

    On ajoute à cela des conseils municipaux souvent peu au fait des innovations politico-économiques, encore bien souvent persuadés que l'École de la République ne peut pas mourir et parfois même tiraillés entre le miroir aux alouettes de l'aménagement numérique des écoles et le coût prohibitif de cet équipement pour la classe de leur village.

    Enfin, pour parachever cette entreprise de démolition – et là, je reconnais frôler de près la théorie du complot – il suffit de finir de décorer le gâteau par la cerise de la formation des enseignants, à qui l'on n'enseigne plus la manière d'enseigner dans une classe à niveaux multiples, le cédrat des programmes scolaires qui font que maintenant, certains parents affirment sans broncher qu'ils ne voient pas pourquoi ils envoient leurs enfants à l'école puisqu'ils y font chaque année la même chose sans jamais rien retenir, et le petit poussin en sucre jaune des rythmes scolaires et des horaires de classe sans cesse allégés, qui font que l'école semble de moins en moins obligatoire et porteuse d'une mission alliant instruction et éducation.

    Grâce à tout cela, les jours où il ne neige pas, où il n'y a pas de brouillards givrants ou d'épisode cévenol annoncés par la météo, où les rivières ne sont pas en crue, où les routiers ne bloquent pas les accès aux grandes villes, où les trains ne passent pas aux moments où les passages à niveau sont relevés, des milliers et des milliers d'enfants supplémentaires iront rejoindre, grâce aux transports scolaires, les écoles de ville à la campagne, à moins que ce ne soient les écoles de campagne à la ville, ce nouveau concept qui les transformera en pion n° 390-13 ou 275-12, là où ils étaient jusqu'à maintenant Noah, Emma, Manon, Maxime, Nathan, Léa et Chloé, élèves de l'école de Trifouilly les Oies, canton de Trou-Paumé-des-Forêts, département de la Garonne-Inférieure.

    Que l'enseignement qu'ils y recevront y soit meilleur, ce n'est pas sûr, mais qu'il coûte moins cher et soit plus avantageux en terme de PIB, ça, c'est évident !

    Et puis,  de toute façon, si, perdus dans l'univers impitoyable d'une école trop impersonnelle pour qu'ils y trouvent leurs repères, ils tombent dans la délinquance, pas de souci, le ministre a promis de créer des internats à taille humaine à la campagne... on aura de quoi les rééduquer !


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