L'École Primaire comme je voulais la raconter
Quelques astuces pour que le dessin figuratif ou tout du moins volontaire apparaisse chez les plus jeunes de nos élèves.
Pourquoi à heure fixe, me direz-vous ? Rappelez-vous ces paroles du Renard, dans le Petit Prince, d'Antoine de Saint-Exupéry :
Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur... Il faut des rites.
Nous pouvons même aller jusqu'à tricher un peu : si un enfant a couvert sa feuille de petits points dont il ne sait pas que dire, nous dirons par exemple : « Oh ! Mais tu as dessiné la neige qui tombe ! C'est très joli, tous ces petits flocons ! Bravo ! »
→ avant tout, ceux de leurs camarades car ce sont ceux dont ils vont pouvoir s'inspirer (les flocons de neige de tout à l'heure envahiront bientôt toutes les feuilles de dessin de nos tout-petits pendant quelques jours avant d'être réinvestis en confettis du Carnaval, en œufs de Pâques que les cloches sèment dans les jardins, en grêle qui est tombée un jour de printemps)
→ quelques croquis simples que nous ferons nous-mêmes, sous leurs yeux, pour expliquer un mot ou une phrase (en prenant bien soin toutefois de ne pas les présenter comme des « modèles à suivre » avant la moitié de la MS ou même la GS, dans le cas d'enfants qui n'ont pas dessiné dans les classes antérieures)
→ les illustrations des albums, qui montreront à l'esprit de l'enfant que le dessin existe pour de vrai, dans la vie réelle, qu'il sert à montrer quelque chose (il est bien entendu que cette observation ne vise pas à une quelconque analyse psychanalytico-artistique de l'œuvre à la manière d'un cours de l'École des Beaux Arts, nous sommes chez des tout-petits, ce sont eux qui donnent le la de leur compréhension et non l'adulte qui se fait plaisir en étudiant et reproduisant Miro, Munch, Klee ou Dali...)
même comme ça, ils mettent plusieurs mois. Ceci dit, ce n'est pas un réel problème puisque l’étape « gribouillage » est très importante en elle-même
Tout au long de leur très courte vie, ils ont déjà mis du temps pour arriver à se retourner, ramper, marcher à quatre pattes, se tenir debout avec puis sans appui, babiller, parler, porter leur cuiller à leur bouche, enfiler une paire de moufles, etc.
Nous pouvons qualifier cette étape pendant laquelle ils gribouillent, barbouillent, répètent inlassablement le même geste de période de latence ou encore, comme le faisait Freinet, période d'installation.
C'est un temps pendant lequel les petits enfants accumulent les expériences, constatent, tâtonnent, musclent leurs doigts, apprennent à les diriger en fonction d'un but, etc.
Et puis, un jour, on ne sait pas trop pourquoi, les enfants se sentent prêts et une licorne, une voiture ou un sapin de Noël émerge du magma gribouillé !
La machine est lancée même si, très souvent au début, c'est l'occasion qui fait le larron et la forme tracée de manière aléatoire qui détermine l'explication (ci-dessus, par exemple, il est fort probable que, l'enfant ayant produit sans le vouloir cette forme allongée et pointue, il ait décidé a posteriori qu'il s'agissait de la corne d'une licorne. Il l'a alors striée pour représenter la forme spiralée donnée habituellement à cet attribut légendaire).
Ils sont alors en chemin vers le dessin intentionnel, celui qu'on prévoit à l'avance. Mais là, nous sommes souvent plus proches des 4 ans révolus de la MS que des tout juste 3 ans de la TPS/PS...
Ne jamais donner de consigne strict du style « Dessine un bonhomme, une maison, etc ». On croit être efficace, en cherchant à impulser une inculturation.
Cela peut se comprendre dans le cas d'un exercice collectif au cours duquel c'est l'adulte qui, sous la dictée des enfants, dessine ces éléments. Mais ce n'est pas du dessin libre, c'est un travail d'observation visuelle, de repérage spatial et de langage oral.
En dessin libre, il n'y a qu'une voie : laisser dessiner librement.
La seule dérogation que nous puissions nous permettre, ce serait de proposer des idées à ceux qui en réclament.
Nous répondrons par exemple à ceux qui disent « Je ne sais pas quoi faire... » qu'ils peuvent se souvenir de l'histoire que nous avons lue le matin, du jeu que nous avons fait dans la cour, de l'oiseau dont nous a parlé un camarade ou de la voiture qui est en train de klaxonner sur le parking devant l'école...
Là généralement, sauf s'ils sont malades, fatigués ou déprimés, ils sont lancés et démarrent de manière enthousiaste un dessin qui, cinq minutes plus tard, racontera souvent tout autre chose parce qu'un trait en aura entraîné un autre, une rupture de rythme aura créé une petite courbe ici qui a fait penser à ça qui a entraîné ci et qui a abouti à cette nouvelle réalisation que personne, et surtout pas son auteur, n'attendait.
L'imagination d'un petit enfant, c'est tout autre chose qu'un projet à long terme mûrement réfléchi et pesé... Laissons-leur ce temps, et ils nous feront bientôt de bien beaux dessins...
Progression de cycle : le rond