L'École Primaire comme je voulais la raconter
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Classique. Net, propre, sans bavure. Et logique. Pas très courageux, mais logique.
En revanche, ce qui l’est moins, c’est de s’inoculer soi-même la rage pour obtenir qu’on vous tue. Là, j’avoue que je m’interroge…
Cette semaine, à deux occasions, j’ai constaté avec angoisse que certains de mes collègues étaient atteints par cette grave maladie ! Et qu’ils s’acharnaient, autant que faire se peut, à scier la branche sur laquelle ils sont pourtant en équilibre précaire pour accélérer leur chute.
La première anecdote, c’est celle de la collègue de maternelle anxieuse qui demande à ses copines combien elles font durer cette fameuse cérémonie de l’accueil parce que, dans leur école, ils ne s’y retrouvent plus. Ni dans ce défilé de parents qui entrent dans les classes, squattent les couloirs et font parfois entrer les querelles de la cité jusqu’au sein de ce « paradis de l’enfance » que devrait être l’école maternelle. Ni dans cette hérésie qui consiste à ouvrir sa classe pour que les enfants y jouent librement pendant vingt à trente minutes avant de passer à l’exercice de leur métier, c’est-à-dire la conduite d’une classe d’enfants de deux à six ans.
Certaines, plus téméraires que d’autres, lui répondent qu’elles ont sauté le pas et qu’elles « n’accueillent plus » les parents (et accessoirement leurs enfants) dans leurs classe. Trop difficile de les faire partir ensuite, trop d’agitation autour des petits qui, finalement, n’existent plus.
D’autres expliquent qu’elles ont réduit cette période d’accueil à son minimum et qu’elles ferment les portes de leurs classes à 9 h (ou 8 h 30, selon les habitudes locales).
Les premières ne leur rétorquent même pas qu’elles sont bien bêtes de donner ainsi dix minutes tous les matins à « la princesse » puisque cet accueil préscolaire n’apparaît nulle part dans leur compte d’heures…
Car c’est déjà un premier argument. Lorsque l’accueil des enfants, dix minutes avant le début des classes, avait lieu dans la cour, même si la notion de responsabilité existait en dehors des heures de travail légal, elle était au moins légalement répartie entre tous les collègues présents ou renvoyée vers le directeur et les « maîtres de service ».
Mais voici les troisièmes ! Les Messieurs-dames Plus-Plus-Plus de la pédagogie ! Ceux qui s’assoient sur leurs statuts et les luttes de leurs pères et mères et sont prêts à se sacrifier (on verra comment) pour satisfaire aux exigences lubies de leur hiérarchie !
Eux, ils sont là dix minutes avant, et même plus !
Eux, ils accueillent les petits et préparent leur accueil sur de grandes feuilles pleines de colonnes et de cases !
Eux, ils combinent un sas de décompression entre la maison et l’école ! - Quelle décompression ? C’est le matin et ils viennent de se lever, ces petits bouts ? -
Eux, ils profitent de ce temps d’accueil (parfois plus de trente minutes) pour laisser jouer les uns pendant qu’ils évaluent les autres ou leur font rattraper leur absence ! - Et la décompression, elle est où, là ? -
Eux ils en profitent pour instaurer un dialogue avec les familles et il y a même un coin dans l’école où celles-ci peuvent se réunir et où on leur sert le café !
Eux, ils se font bouffer par les deux bouts, oui !
Les familles d’un côté, qui peuvent ne plus respecter les horaires de l’école et y circulent comme dans un moulin. Leur hiérarchie d’un autre qui s’arrange pour primariser l’école maternelle, en y instaurant des évaluations et des exercices à rattraper, et pour la garderiser en même temps : on arrive quand on veut, on repart de même, on vient pour jouer, papa ou maman restent avec nous le temps qu’ils veulent.
La deuxième anecdote, elle est encore beaucoup plus triste. Cette fois, la rage, on ne se l’inocule même pas avec une seringue bien propre, après avoir désinfecté la peau. On cherche un chien, bien galeux, avec les crocs dégoûtants. On s’assure qu’il est réellement enragé. Et s’il a autre chose en plus, c’est encore mieux. La maladie de Carré, tiens. Il paraît que c’est très douloureux. Et on lui tend son mollet… Aussi facile que ça.
Quand il s’agit d’une école maternelle à tuer, on ne prend pas un vrai chien bien sûr. Et les maladies à transmettre ni sont ni la rage, ni la maladie de Carré… C’est moins compliqué mais tout aussi fatal que ça.
Il suffit de demander aux petits bouts qu’on a dans sa classe, quel que soit leur âge, plus de rigueur, de concentration et de maturité physique et morale qu’on est censé en demander à un élève de CE1 en RAR…
En effet, si ce dernier n’a pas à étudier en classe les points du programme de 2008 (caca beurk ! programmes de 2008 ? caca beurk !), l’enfant de maternelle, surtout s’il est très jeune (2 ou 3 ans) doit absolument avoir acquis tout ce qui est dans les petites cases « À la fin de l’école maternelle, l’enfant est capable de : … » et ce, à la maison, avant l’évaluation conduite pas son professeur !
C’est ainsi qu’une de mes collègues préférées a reçu hier chez elle ou presque une mère éplorée regrettant amèrement d’avoir inscrit dès ses deux ans sa fillette à l’école !
Voici ses mots :
La maîtresse lui demande de faire des ronds à l'école, puisqu'il faut faire le "cahier du bonhomme". Or, figurez-vous que Petite Sœur n'arrive pas à faire des ronds ! C'est même, dit la maîtresse, la moins avancée de toute sa classe en matière de ronds ! Vous comprenez bien qu'il est urgent de mettre en place une remédiation.
C'est pourquoi la maîtresse... demande à la maman de faire faire des ronds à sa fille le week-end !
La pauvre maman me dit que la gosse prend le crayon par le bout et le laisse pendre et n'arrive pas à faire des ronds. Du coup, elle lui fait faire des ronds tous les jours, la maîtresse s'énerve parce que les ronds ne progressent pas, la maman s'inquiète parce qu'elle se dit que faire autant de ronds avec un crayon mal tenu, ça ne doit pas être très bon, tout ça, et... J'ai juste envie de
(Signé : Ma copine qu’elle est instit mais qu’elle n’a plus qu’une envie : quitter le navire avant qu’il finisse de sombrer)…
Le virus de la programmation et celui de l’évaluation sont des virus bien plus dangereux que ceux de la rage ou de la maladie de Carré. Si nous n’y prenons garde et qu’on continue à se laisser contaminer par ces deux très graves maladies, nous allons tuer notre école maternelle. Là aussi, le danger arrivera des deux côtés.
Les parents se rebifferont et ne voudront plus inscrire leurs enfants dans cette institution qui fait perdre toute estime d’eux-mêmes à leurs petits bouts.
Notre hiérarchie expliquera, doctement, elle explique toujours doctement et trouve toujours les « experts » pour corroborer ses dires, que les enfants sont soumis à une pression trop forte du fait du trop de savoirs de leurs maîtres. Que par ailleurs, il n’est nul besoin d’être formé à Bac+5 pour surveiller des siestes et changer des couches. Que les Professeurs Des Écoles (avec des Majuscules partout, partout, partout) ont une haute qualification qui ne saurait se satisfaire d’une professionnalisation au rabais, sans recherche-action, programmation-scientifique, évaluation-sommative, et personnalisation des parcours. Et qu’en conséquence, il vaut mieux ne commencer l’école qu’à cinq ans quand les enfants sont enfin prêts à subir profiter de leur immense professionnalisme !
Et hop ! Quand ça fait plaisir et puis que ça débarrasse, n’est-ce pas ?
Alors, s’il vous plaît, ne laissez pas mourir l’école maternelle ! Ne vous laissez pas aller à accompagner et même accélérer sa perte !
Résistez aux sirènes de la communauté éducative et de la coéducation, elles mènent droit aux PEdT, aux Classes-Passerelles, premiers jalons de la suppression de l’École Maternelle, partie de l’École Primaire Publique, présente et égale sur tout le Territoire.
Résistez aussi aux programmations de cycles et évaluations normatives. Elles mènent droit à l’exclusion des petites classes où « les élèves ne font rien puisqu’on ne peut pas les évaluer sur les fondamentaux » !
L’école maternelle, la vraie, c’est autre chose et ça peut éclore un peu partout dès demain, si nous le décidons…