L'École Primaire comme je voulais la raconter

Merci à Sophie Borgnet pour ses personnages !
Maintenant que nous avons fait le tour des compléments du verbe, passons aux autres mots que nous pouvons compléter.
Allez savoir pourquoi ce complément-là pose tant de problèmes aux élèves (et parfois à leurs enseignants) !
Peut-être à cette fameuse manie de l'analyse grammaticale grâce aux réflexes construits autour de questions-types auxquelles correspondraient des réponses-types ?
C'est ainsi qu'il nous arrive de lire, y compris chez des adultes ayant mission de transmettre les connaissances, que, dans la phrase : Les marins portent des tee-shirts à rayures. ou dans celle qui explique que La hauteur de la Tour Eiffel est supérieure à celle de la Statue ... de la Liberté., puisque nous répondons quatre fois à la question « à quoi ? » ou « de quoi ? », nous allons forcément découvrir quatre Céhohi ! Et c'est encore pire chez nos élèves à qui manque la base des bases : la conscience de la notion de nom !
C'est pourquoi il nous faut urgemment repartir du début, ce qui devrait se faire dès la Maternelle (et jusqu'au CM2), lors de séances de langage impromptues, au sujet de ce que nous pouvons dire...
Imaginons des tout-petits qui nous parlent de leurs vélos. L'un évoque son vélo bleu, l'autre son vélo de course, un troisième son vélo à roulettes et un dernier son vélo qui va très vite ! L'air de rien, juste en faisant parler des petits enfants, nous avons implicitement travaillé toutes les expansions du nom d'un seul coup. Et nous pouvons continuer en leur posant des questions :
→ « Louis nous a parlé de son vélo bleu. Qu'est-ce qui peut être bleu aussi ? Donnez-nous le nom d'objets qui sont bleus. »
→ «Inaya nous a dit qu'elle avait un vélo de course. Connaissez-vous des noms d'objets qui sont "de course" ? »
→ « Jade a dit qu'elle avait un vélo à roulettes. Y a-t-il d'autres objets à roulettes ? Pouvez-vous me donner leur nom ? »
→ « Imane nous a dit qu'il a un vélo qui va très vite. Connaissez-vous des noms de choses, d'animaux ou de personnes qui vont très vite ?... Une voiture qui va très vite ? Oui, très bien. Et encore ?... »
Suite à ces séances informelles, si au CP puis au CE1 et même CE2, nous avons par de très nombreux exercices exercé nos élèves:
→ à bien repérer les noms et à ne jamais les prendre pour des verbes
→ si, à l'oral et à l'écrit, nous les avons entraînés à compléter ces noms par des adjectifs, qu'ils savent repérer et nommer
→ si, à l'oral comme en maternelle, ils ont fréquemment complété des noms par d'autres noms ou par des propositions relatives,
nous n'aurons pas de difficulté au CM1 à faire découvrir aux élèves qu'il n'y a pas que les adjectifs qui complètent les noms et qu'il arrive aussi qu'ils soient complétés par d'autres noms !
Ce qui nous ramène à notre premier exemple.
Les marins portent des tee-shirts à rayures.
Il nous sera facile de leur faire dire que :
Le nom rayures donne un complément d'information sur les tee-shirts que portent les marins. Il complète donc le mot tee-shirts. Le mot tee-shirts est un nom commun ⇒ à rayures est un complément de nom puisqu'il complète un nom.
Et nous pourrons même leur faire créer eux-mêmes leur trace écrite qui dira à peu près :
Parfois, les noms sont accompagnés d'un complément qui en précise la forme, la matière, le contenu, la possession, l'époque, etc. Toutes ces précisions sont des compléments de ce nom. Les noms qui sont complément de nom sont très souvent introduits par une préposition.
Ah, celui-là, il n'est que pour nous ! Avec dix puis huit malheureuses heures de français par semaine, je ne pense pas que nous ayons le temps en Primaire de le travailler par écrit jusqu'à la prise de conscience et la formalisation.
Restons donc entre adultes même si, dès la Maternelle, plutôt que de leur apprendre à tracer des lignes verticales avec de la peinture, et puis des lignes verticales avec des feutres, et puis de lignes verticales avec le doigt dans de la semoule, et puis encore et toujours des lignes verticales, nous pouvons (et même nous devons), enrichir tous azimuts leur langage, non pas seulement avec deux mots par jour, mais aussi grâce à des exercices qui les amènent à travailler implicitement la structure de la langue.
Maman a été contente...
à enrichir en demandant de préciser son idée. On obtiendra :
elle a été contente... de son cadeau, ... de la photo de classe, ... de voir mes cahiers, ... du spectacle, ... de la peinture que j'ai rapportée, ... et même... du collier de nouilles !
Cela ira donc très vite si tous les adultes présents ici :
→ se souviennent que le réflexe questions-types = réponses-types est un réflexe à combattre
→ se souviennent qu'il faut toujours chercher à comprendre qu'apporte comme précision le mot qu'on analyse
→ reconnaissent facilement les adjectifs
Il nous suffira de savoir que :
Parfois, les adjectifs sont accompagnés d'un complément qui les précise.
Exemples : Cet exercice est facile à faire. La pluie est bonne pour les plantes. Ta gourde est pleine d'eau fraîche. Un coffre rempli de pierres précieuses est caché dans ce château.
Toutes ces précisions sont des compléments de cet adjectifs. Les mots qui sont complément de l'adjectif sont très souvent introduits par une préposition.
Petit rappel :
Comme leur nom l'indique, ils indiquent un état (être candidat, devenir grand, rester calme, demeurer persuadé de ceci ou cela, sembler sérieux, paraître un personnage original).
Les verbes d'état ne sont que six et peuvent tous être remplacés par le verbe être :
être, paraître, sembler, demeurer, rester, devenir.
On peut ajouter à cette liste quelques locutions verbales : avoir l'air, passer pour, ...
Un verbe d'état ne peut pas être complété par un complément d'objet qu'il soit direct ou indirect puisqu'il indique un état et non une action.
Le mot ou le groupe de mots qui attribue une qualité (une manière d'être) au sujet d'un verbe d'état (et de quelques autres verbes comme s'appeler, se montrer, se trouver, se nommer, se faire, ...) s'appelle tout naturellement un attribut du sujet.
Exemples : Paul est fiévreux. Il semble malade. Malgré les médicaments, sa température reste élevée. Heureusement, son oncle est médecin. Il nous rassure : « Cette maladie se fait rare aujourd'hui. Elle s'appelle la rougeole ! Elle n'est pas à redouter. »
Contre-exemples (pour éviter le pilote automatique qui associe verbe d'état = attribut) : Paul est à Paris. J'appelle mon chien.
Remarquons que dans les exemples, l'attribut désigne une qualité attribuée au sujet (la fièvre de Paul, sa maladie, l'élévation de la température, l'oncle médecin, ...) ou encore une manière d'être du sujet alors que dans les contre-exemples, le pseudo-attribut ne désigne absolument pas une qualité attribuée au sujet (Paris n'est pas Paul, pas plus que moi, je ne suis mon chien).
Ça, comme le complément de l'adjectif, c'est pour nous, pas pour les élèves. Alors pourquoi en parler, me direz-vous ?...
Eh bien pour ne pas dire d'âneries et pour sélectionner avec rigueur les phrases que nous présenterons à nos élèves pour un exercice d'analyse grammaticale.
Imaginons que, par exemple, nous donnions cette phrase :
Les élèves ont imaginé un véhicule moitié avion et moitié train.
et que nous nous apprêtions à leur en faire analyser chacun des groupes.
Comme d'habitude, nous leur demandons d'abord de trouver le verbe conjugué et de l'analyser :
→ ont imaginé : verbe imaginer, premier groupe, mode indicatif, passé composé, 3e personne du pluriel
Ce qui les amène à analyser le sujet de ce verbe, celui qui a imaginé :
→ Les élèves : groupe nominal, masculin pluriel, sujet du verbe imaginer.
Une fois ces deux éléments placés, comme le verbe imaginer a toujours un objet, nous le cherchons (au besoin à l'aide de la voix passive)
un véhicule (moitié avion et moitié train) : groupe nominal, complément d'objet du verbe imaginer.
Et là, nous arrivons à cette partie que j'ai indiquée en grisé et entre parenthèses parce que, dans de très nombreuses classes, enfants comme adulte n'auront pas forcément réalisé que ce groupe est une « qualité » attribuée au véhicule, ou, plus simplement, une manière d'être de ce véhicule, et non un simple complément de nom qui ferait partie GN complément d'objet. Nous l'analysons, nous adultes, ainsi :
moitié avion et moitié train : GN coordonnés, attributs du complément d'objet direct véhicule
Je conviens avec vous que la différence est subtile, raison de plus pour ne pas y confronter les enfants. Quelques exemples pour nous aider à ne pas tomber dans le piège :
Le travail sur écran l'a rendu myope. - On surnomma Louis XIV, le Roi Soleil. - Lorsqu'une ville était fortifiée, on la jugeait imprenable. - J'aime ma maison, je la trouve charmante. - J'ai trouvé les portes fermées.
C'est sur ce petit casse-tête que nous finirons cette série d'articles. Cela nous permettra d'établir quelques règles d'or à appliquer dans nos classes, qu'elles soient de TPS ou de CM2 :
→ Nous devons avoir les mêmes ambitions pour nos tout-petits, nos petits, nos moyens ou nos grands élèves : celles d'enrichir leur façon de parler, d'écrire, de lire et de penser.
→ Cet enrichissement passe par la structuration de la langue, à leur niveau, par des exercices d'abord très concrets, basés sur les échanges langagiers oraux, puis de plus en plus abstraits, jusqu'à arriver progressivement à l'analyse grammaticale des mots d'une phrase.
→ Pour mener à bien cet enseignement, nous devons nous-mêmes avoir les idées claires sur une grammaire scolaire simple et efficace, basée sur l'analyse du rôle des éléments qui constituent la phrase au niveau de la compréhension et sur ce qu'ils apportent au discours
→ Pour cela, il convient de ne jamais raisonner en terme de questions-types apportant des réponses-types, ni, au risque de nous transformer en Monsieur Jourdain, en terme de place du mot ou groupe de mot dans la phrase.
Qualifier les compléments (1) ; Qualifier les compléments (2) ; Qualifier les compléments (3) ; ...