L'École Primaire comme je voulais la raconter
L'autre soir, j'étais convoquée, avec tous les directeurs de mon secteur, à une réunion d'information organisée par Môssieur l'Inspecteur au sujet du Projet d'École 2014/2017.
J'en suis ressortie laminée, triste comme une poule à qui l'on allait désormais imposer de pondre des œufs carrés dans une étable à vaches parce que son poulailler a été démonté !
Sauf si, atteinte d'une paranoïa enfin déclarée, je me suis laissé abuser par la sinistrose, j'y avais appris de sombres nouvelles qui, en même temps que la mort clinique de l'instruction prise pour base de mon métier, m'apprenaient que, dans un avenir prochain, les professeurs des écoles perdraient leur statut de fonctionnaires d'État pour goûter aux joies de la territorialisation.
Notre chef, très gentil mais droit dans ses bottes, nous a d'abord appris que le Projet d'École n'était que la conjonction de nos rêves quant à notre façon d'exercer notre métier, de la réalité de notre public scolaire et des besoins de la coéducation. Il paraît que cela était censé franchement nous rassurer. Moi, ça m'a fait frémir... Et le malaise s'est accentué lorsqu'il a développé. Ce projet est celui que l'École, c'est-à-dire la Communauté Éducative, se donne à elle-même.
Mon rôle de directrice était donc de nous tirer une balle dans le pied entraîner cette communauté (les parents, la mairie, les "partenaires de l'école", le pape peut-être) dans le projet. Je vais demander la même chose à mon boulanger, mon coiffeur et mon médecin, tiens ! Après tout, il n'y a pas qu'à nous qu'on devrait demander de renoncer à notre spécification professionnelle pour attribuer à tout un chacun le devoir de se substituer à nous, mince alors !
Mais continuons à égayer ce jour d'hiver pluvieux de toutes ces bonnes nouvelles annoncées avec le sourire et beaucoup de pommade pour mieux faire passer l'amertume du traitement de cheval !...
Ce nouveau projet d'école devra être rédigé en corrélation avec le PEdT (Projet Éducatif Territorial). Lorsque les mairies réfléchiront sur les besoins éducatifs des élèves pour élaborer leur projet, nous nous mettrons en relation avec elles, leur communiquerons notre analyse de ces besoins. Ainsi, ensemble, nous réglerons ces problèmes, les Professeurs des Écoles intervenant dans le volet des disciplines scolaires, alors que les mairies reprendront les mêmes axes pour établir le volet éducatif. Si, si... L'exemple choisi a même été la Résolution de Problèmes (pour les non-profs, c'est de l'arithmétique) ! Nous avertissons M'sieur ou M'dame le Maire que nos élèves sont faibles en résolution de problèmes et que nous avons choisi cet axe de progrès pour notre projet d'école.
L'élu municipal réunit alors sans doute son conseil et élabore une stratégie en rapport avec la nôtre dans le choix des TAP à programmer. Madame Michu fera sans doute mesurer la ficelle de son activité macramé et apprendra aux élèves à en mesurer les nœuds pour calculer à l'avance la longueur du bracelet qu'ils vont effectuer et Monsieur Dupont leur apprendra à compter les points à la pétanque en s'amusant à changer les données pour que les élèves transfèrent leurs compétences acquises dans un nouveau domaine numérique !
Les Inconnus sont battus et leur sketch sur le collège va devenir la réalité la plus banale...
Il faut dire que l'introduction des partenaires de l'école dans le cadre de la coéducation va être facilitée par l'abandon de la référence aux programmes de l'Éducation Nationale (ceux qui sont en cours de rédaction et pour lesquels nous serons peut-être consultés, mais vu qu'ils ne serviront plus à rien, ce n'est pas grave).
En effet ceux-ci n'entreront plus en ligne de compte pour le Volet 1 du projet d'école, celui consacré à l'amélioration des résultats des élèves. La référence sera le socle commun, dont le palier 1 passera de la fin du CE1 à la fin du CE2 et le palier 2 de la fin du CM2 à la fin de la 6e, soit dit entre nous... Il n'y aura donc plus d'Évaluations Nationales CE1 et CM2, déclarées tout à coup lourdes à mener, mal ressenties par la profession et peu informatives sur le niveau des élèves.
Elles seront remplacées par des évaluations beaucoup plus ciblées, passées différemment (le fameux organisme indépendant que Chatel avait appelé de ses vœux ?), avec un panel d'élèves représentatif de l'ensemble de la population scolaire française (comme PISA, quoi ?)...
Et là, asseyez-vous, reprenez une petite pilule bleu ciel chère à Huxley, on y est... Les écoles pourront choisir, en toute autonomie, de faire passer tout ou partie de ces évaluations à leur public et d'analyser leurs résultats en fonction de la grille fournie qui leur permettra de s'auto-évaluer selon le profil de leurs élèves ! Comme je suis chez moi, je m'autorise à être grossière (je n'ai plus de petites pilules bleues et elles me manquent). Putain de bordel de merde, bande de monstres, c'est ça, votre égalité des chances à la con ? Vous supprimez les programmes, ou tout comme, vous ne formez plus vos PE, ou tout comme, vous refilez le bébé à des maires sans doute dévoués mais bien peu au fait de la spécificité d'un métier difficile, et vous annoncez que vous donnerez une grille de lecture des résultats selon que nos élèves seront puissants ou misérables ? Vous m'écœurez, tiens !
Je vous raconterai la suite plus tard... Il n'y a plus grand chose mais là, après ce dernier paragraphe, mes bouffées délirantes me reprennent de plus belle.