L'École Primaire comme je voulais la raconter
Les coins-jeux à l’école maternelle
Quelques coins bien aménagés, où un groupe de quatre enfants peut aisément s’installer pour des jeux d’imitation, feront toujours plus pour intégrer tous nos élèves que n’importe quel projet citoyen aux multiples ateliers imposés.
Ces coins ont parfois totalement disparu des classes maternelles. Cela est bien dommage car c’était le lieu d’échanges spontanés de plus en plus riches et construits.
On y trouvait souvent un appartement en miniature, à la taille des enfants, avec sa cuisine, sa chambre des poupées, sa coiffeuse, son atelier de bricolage. Les enseignants y laissaient jouer filles comme garçons et faisaient ainsi plus pour promouvoir l’égalité des sexes que ne le feront jamais toutes les accumulations de paroles qui s’envolent.
Et dans les modèles réduits de ville, ferme, école, hôpital, zoo, garage, cirque ou gare, personne ne se préoccupait de la couleur, de l’âge et du sexe des policiers, fermiers, soigneurs, conducteurs d’engins, apprentis-puériculteurs ou coiffeurs.
Dans nos coins de jeu, la leçon de langage à l’efficacité éprouvée naît quotidiennement des dialogues entre enfants.
L’enfant d’origine étrangère y progresse bien mieux que dans n’importe quel atelier de remédiation pour petits parleurs. C'est en jouant qu'il y apprend comment se nomment les ustensiles de cuisine, les vêtements, les outils, les véhicules, les actions,… D’autant que, n’étant pas bloqués par un atelier dirigé, enseignant et ATSEM sont disponibles et peuvent venir de temps compléter ou rectifier les échanges enfantins.
Toute la classe s’y crée une première culture commune enrichie de ce que chacun y raconte librement. Ce faisant, tous découvrent des particularismes qui n’ont pas forcément cours dans leurs foyers. Plus besoin de leçons ni de longs débats sur l’égalité des sexes, la théorie du genre, l’ouverture aux autres cultures ! C’est en vivant ensemble et en se racontant que les enfants apprennent tout cela !
Pablo change la couche du poupon et Djamila répare la voiture cassée. Kilian montre comment chez lui on se sert des baguettes pour manger et Ousmane raconte comment on s’assoit en tailleur autour du tapis où se trouvent les plats dans lesquels chacun se sert. Vicky explique sa caravane et raconte comment on peut se débrouiller pour que tout le monde y ait sa petite place.
L’enseignant est là pour interdire les moqueries, expliquer les différences, s’intéresser à la culture de l’autre, gérer un mini-débat qui naît spontanément et y apporter l’ouverture que lui donnent son âge et sa culture.
Des jeux individuels des enfants de deux à trois ans qui jouent les uns à côté des autres, n’échangeant que fortuitement et très brièvement, naît le foisonnement propre aux essais de communication des presque grands de quatre à cinq ans.
Ces derniers commencent à s’organiser, d'abord chacun pour soi. Ils découvrent peu à peu la possibilité d’élaborer une activité commune et d’y instaurer des règles. Ils en déduisent qu’il leur est parfois nécessaire de convaincre, de rallier à leur cause, de dominer et d’exclure aussi, hélas.
Au maître de savoir alors instituer des règles justes qui canaliseront sans bloquer la créativité.
Ces règles donneront à chacun sa place tout en laissant le leader du jour insuffler la dynamique du moment. Elles préserveront le calme de l’un et la timidité de l’autre. Elles calmeront les ardeurs d’un troisième ou la précipitation d’un quatrième. Elles fourniront à tous les premiers repères nécessaires à toute activité collective, même ponctuelle.
De ces premiers essais maladroits d’organisation naîtront les véritables activités longues où le jeu s’enrichit chaque jour de règles plus complexe.
On voit ainsi une année, un coin-dînette se transformer en restaurant dans lequel un groupe de grands de cinq à six ans entraîne toute la classe, maîtresse comprise, dans la rédaction de menus aux prix détaillés, la confection de serviettes et nappes en papier décoré, de monnaie factice qu'il va falloir compter, de tableaux à double-entrée pour que chacun soit à son tour serveur, cuisinier, plongeur ou client.
Une autre année, ce sera le coin-garage qui transformera la classe en un immense autocar avec ses tickets, ses arrêts obligatoires, ses visites organisées, ses plans de villes et ses cartes routières.
Ces projets, conçus par des enfants habitués à jouer librement, vivent par eux, pour eux et ne doivent rien à une progression exogène conçue pour donner à voir aux visiteurs.
Ils sont le résultat d’une éducation au Vivre-Ensemble née de l’observation patiente du maître, de son respect de la petite enfance qui éclot à son rythme, de son désir de mettre en place une liberté active[1] basée sur une discipline librement consentie[2].
Au Vivre Ensemble s’ajoute la motricité.
Déplacer les meubles, balayer, plier, ranger dans les placards, empiler… changer les poupées, les allonger, les asseoir… installer la dînette, la laver, l’essuyer… faire rouler les voitures sur les routes et les trains sur les rails… visser et dévisser… coiffer, tresser, nouer… autant de gestes qui exercent tout aussi bien la main que la série de fiches d’exercices progressifs de découpage selon un trait de plus en plus alambiqué !
Les progrès viennent à point, accompagnés par le maître qui est là pour encourager, solliciter, aider, montrer parfois, sans jamais pour cela se départir de son rôle d’observateur attentif du groupe et des interactions qui y naissent.
De cette observation, il tire la connaissance de ses élèves. Cela lui permet de savoir ce qu’il peut attendre de chacun d’eux, quelle aide lui apporter, quelle sollicitude avoir dans chaque cas. Son action visera alors l’autonomie de chaque enfant, la précision de ses gestes, l’adaptation de ses réponses motrices aux problèmes techniques que pose l’agencement qu’il a lui-même prévu.
C’est ainsi qu’en offrant la liberté de jouer, des premiers jours d’école maternelle aux dernières semaines avant l’école élémentaire, les coins de jeux auront été les témoins du passage du tout-petit enfant découvrant un nouvel univers au jeune élève se sentant membre à part entière d’une communauté scolaire dont le but affiché est l’apprentissage de nouvelles connaissances.
Ils pourront alors disparaître de la sphère scolaire pour être reconstruits ailleurs, à l’abri du regard des adultes, et continuer ainsi à faire vivre dans l’imaginaire de chacun la hutte de branchages de Robinson, le village au cœur de la forêt de Robin des Bois ou l’arbre creux de Peter Pan et des Enfants Perdus.
L’école, elle, continuera son œuvre civilisatrice en offrant à ses élèves devenus grands, les héros de la Littérature, des Sciences et de l’Histoire, pour qu’ils servent d’inspiration à leurs nouveaux jeux d’imitation.
[1] M. Montessori.
[2] C. Freinet