L'École Primaire comme je voulais la raconter
Merci à mon amie Laurence Pierson d'apporter de l'eau à mon moulin !
Et c'est parce que la pédagogie est un art, ou mieux encore, un artisanat que je suis si lente à avancer ce projet !
En effet, tout comme la couturière adapte ses gestes et ses modèles à la morphologie de chaque personne de sa clientèle, tout comme le maréchal-ferrant ne met pas à un poney Shetland les mêmes fers qu'à un Percheron ou tout comme le diamantaire observe longuement le diamant brut qu'il a à tailler avant de risquer son premier geste, le professeur des écoles, tout en étant sûr de son but, se doit d'adapter sa pédagogie aux enfants qu'il a face à lui.
Attention, ne me faites surtout pas dire ce que je n'ai pas dit ! Loin de moi, en effet, l'idée de donner moins à ceux qui ont moins, sous prétexte d'une « adaptation des contenus » à un « public différent » ! Cela me fait toujours autant bondir de lire ici ou là que « les œuvres classiques s'éloignent de la culture moderne », ce qui fait que « seules les œuvres contemporaines issues de leur culture sont adaptées aux enfants que leur milieu social éloigne de l'école » et qu'il serait vain de tenter de les contraindre à s'intéresser à « une culture de classe qui leur est inaccessible » !
Je crois toujours, bien au contraire, que l'école peut et doit être le moyen privilégié d'accession de tous à la culture . Et que cela commence bien avant la Moyenne Section qui est le thème de cette série d'articles.
♥ Un petit exemple pour illustrer mon propos :
Souvent, les collègues d'élémentaire déplorent d'avoir des difficultés à enseigner la conjugaison des verbes au futur car leurs élèves n'utilisent à l'oral que le futur proche. Nous ne pouvons que nous joindre à eux et, tout en nous disant que ce n'est pas à nous, les enseignants de PS ou de MS, de commencer l'étude des conjugaisons, nous devons déplorer que les enfants disent plus souvent « Je vais faire » que « je ferai », « on va écrire » que « nous écrirons » et ainsi de suite !
Si, bien entendu, nous avons raison et que cela ne fait pas partie de nos missions d'enseigner la conjugaison, nous avons pourtant à notre disposition un moyen bien simple, et totalement gratuit, d'éviter à nos élèves les plus éloignés de la culture classique d'être défavorisés face à leurs camarades qui ont eu la chance de naître dans la classe sociale qualifiée de dominante.
Et ce moyen, c'est nous, les enseignants de maternelle, aidés des ATSEM qui nous accompagnent au quotidien dans notre tâche ! Lorsque nous dialoguons avec nos élèves tout au long de nos journées de classe, employons le futur plutôt que le futur proche : « Dès que vous serez en rang, nous irons dans la salle de motricité ! - Tu diras à ta maman que j'ai mis le bouton que tu as perdu dans la poche de ton pantalon. - À la fête de l'école, nous chanterons cette chanson avec les enfants de la classe de ... » Par ce moyen tout simple, nous aurons de bien meilleurs résultats que si nous programmons, une fois par semaine, un atelier au cours duquel nous cherchons à entraîner un petit groupe de nos élèves à remplacer on va faire par nous ferons, on va dire par nous dirons et on va obéir par nous obéirons.
Par ailleurs, si à cela, toujours dans tous nos propos familiers, aussi bien dans la cour de récréation que dans le vestiaire, dans la salle de classe que dans celle de motricité, nous ajoutons l'emploi systématique du pronom nous à la place de on, et si nous choisissons des lectures offertes qui ne bannissent pas le passé simple, nous aurons plus fait pour l'égalité des chances qu'en programmant n'importe quel projet grandiose visant à consacrer une période entière à je ne sais quel corpus de mots qui disparaîtra ensuite dans les tréfonds de leur mémoire.
Car l'enfant est un être d'habitudes et cela d'autant plus quand il a entre 4 et 5 ans. Ces habitudes lui donnent la sécurité affective dont il a besoin pour grandir en toute confiance. Tout comme, s'il est d'origine étrangère, il a appris une seconde langue sans leçons, simplement en fréquentant les structures d'accueil de la petite enfance, crèches, garderies, écoles maternelles, il peut désormais en apprendre une troisième, celle que comprennent et parlent leurs camarades « biberonnés aux albums du Père Castor et à Babar », comme dit, encore elle, mon amie Laurence Pierson ! Et c'est par toutes les habitudes acquises au cours de toutes ses journées de classe qu'il pourra lui aussi s'exprimer avec clarté et même, progressivement, un peu de recherche.
C'est pourquoi, dans le cahier journal fictif que vous allez découvrir ci-dessous, les habitudes qui commençaient tout juste à s'installer à la fin de la première semaine de classe, sont répétées à l'identique, chaque jour de classe, quasiment jusqu'à la fin de la période. Et pour que cette idée nous pénètre tout autant nous, les enseignants, qu'eux, les enfants, j'ai usé et abusé des copiés-collés !
Car nous aussi, nous avons besoin d'être sécurisé.e.s après ces années d'une école maternelle déchirée entre paillettes et évaluations normatives ! Cette école dans laquelle, à certains moments, nous devions morceler en une myriade de miettes infimes l'éducation donnée à tous pour pouvoir disséquer le cerveau de chaque enfant et en examiner une à une toutes les compétences théoriquement acquises, alors qu'en d'autres circonstances, tout à coup, nous abandonnions toute idée d'apprentissage parce qu'il nous fallait mener auprès des publics adultes une Opération Paillettes à l'occasion d'un événement festif (marché de Noël, fête des gens qu'on aime, spectacle de fin d'année, ...).
♥ les apprentissages démarrent dans le vestiaire, parce que ce jour-là, pour la première fois de l'année, il s'est passé ci ou ça et qu'il y a forcément une raison, qu'il convient de chercher, parce que les enfants viennent à l'école pour réfléchir et chercher des réponses à toutes les questions que nous pouvons nous poser au sujet du monde qui nous entoure.
♥ que ces apprentissages continuent dans le coin de regroupement par un Quoi de neuf ? où nous nous intéressons prioritairement à ce que tel ou tel enfant a apporté, ou à ce qu'un autre a apporté en complément de ce qu'un camarade avait apporté la veille, ou à ce que l'enseignant a lui-même apporté, soit pour compléter ce dont nous avons parlé la veille, soit pour ouvrir un nouvel horizon
♥ qu'ensuite, chaque jour, chaque enfant, à la fois pour exercer sa dextérité manuelle, sa capacité à s'exprimer, tant par le dessin que par le langage oral, et découvrir le pouvoir de l'écriture, dessine sur un cahier dédié à cela et qu'il raconte son dessin à l'un des deux adultes de la classe qui retranscrit ses paroles et les lui relit
♥ qu'encore plus tard dans la matinée, les enfants explorent et organisent leurs capacités langagières, manuelles et cognitives pendant un temps d'ateliers de libre choix au cours desquels ils apprennent, apprennent et apprennent encore, tant par l'échange entre pairs que grâce à la présence attentive des adultes qui profitent de leur disponibilité pour s'approcher de tous et aider tant à la verbalisation et à la structuration des découvertes qu'à l'ancrage des habitudes (coopération, entraide, attention, auto-discipline, curiosité, organisation, ...)
♥ qu'après un moment de récréation (auquel, idéalement les enseignants assistent afin de continuer leur mission d'encadrement et d'accompagnement des apprentissages sociaux), c'est le moment où les enfants apprennent à mobiliser leurs compétences physiques, leur créativité, leurs capacités à aller vers les autres pour coordonner leurs actions
♥ et que la matinée se termine par un moment où ce sont l'ouïe, le geste, l'attention visuelle et l'articulation phonatoire qui sont exercées conjointement afin de construire chez chaque enfant l'habitude de coordonner ces quatre sens avant de passer à l'apprentissage proprement dit de l'écriture-lecture
♥ la demi-journée commence par un moment calme consacré à l'observation visuelle, à l'acquisition sémantique (ou à la re-mémorisation d'un lexique déjà connu), à la découverte de la symbolisation et à l'enrichissement des connaissances sur le monde
♥ qu'elle continue par un autre moment calme (sieste pour les plus fatigués) pendant lequel les enfants exercent leurs gestes en vue d'un apprentissage futur de l'écriture, leur ouïe afin d'être capables plus tard de discriminer des sons proches et leurs connaissances sur le monde, dont le monde des livres qu'ils abordent librement en compagnie de leur enseignant prêt à jouer les passeurs
♥ qu'ensuite, après la récréation, toujours idéalement en présence des enseignants qui facilitent les acquisitions sociales, c'est à nouveau l'ouïe qui est mise à l'honneur, en compagnie d'un triple travail sur le rythme intérieur, sur l'observation de ses pairs et sur la coopération pour arriver à un résultat d'ensemble... Sans oublie bien entendu, notre ami le langage oral, présent à tous moments de la journée, et sa compagne la culture générale, celle qui, plus tard, fera la différence entre ceux qui ne connaissent que Jul et Soprano et ceux qui les connaissent aussi mais peuvent en plus citer Prokofiev, Sains Saëns, Verdi, Mozart, ...
♥ et qu'enfin, pour quitter l'école sur une note culturelle de plus, attention visuelle, écoute attentive, capacité à s'exprimer oralement et découverte du monde de l'écrit sont mises à contribution lors de l'heure du conte (qui ne dure qu'une vingtaine de minutes). Une heure du conte centrée sur le plaisir :
→ de découvrir de nouvelles histoires, et donc de nouveaux univers : nous ne ressassons pas le même album pendant un demi-trimestre
→ de partir de ce que les enfants maîtrisent déjà : ils observent et commentent les illustrations, formulent des hypothèses, pour être capables d'écouter et de comprendre le texte écrit
→ de s'exprimer et de jouer pour mieux comprendre et pour réemployer le vocabulaire sans ces tristes leçons de mots qui évoquent plus une manière désuète de transmettre une langue étrangère à des adolescents qu'une réelle construction de la mémoire sémantique
Et maintenant, après ce très long résumé,
Excusez-moi pour les redites, il y en aura beaucoup moins dans les Périodes suivantes.
Télécharger « Une année en MS.3.pdf »
Télécharger « Matériel P1.pdf »
Je ne sais pas si j'arriverai à continuer selon la même formule. Cette série risque fort de s'arrêter sous cette forme après ce premier trimestre entier. Je suis en revanche ouverte à vos suggestions de documents qui vous aideraient à continuer dans la même veine (progressions, trucs pédagogiques, ... ). À vos claviers !
MS : Une année dans la classe des Moyens (1) ; ... ; MS : Une année dans la classe des Moyens (3)