L'École Primaire comme je voulais la raconter
Suite de : La « phono » naturelle et familière (1) et La « phono » naturelle et familière (2) commentaire de La deuxième section de maternelle (d’après C. Ouzilou, Dyslexie, une vraie-fausse épidémie, Presses de la Renaissance, 2001).
Durée : 20 à 30 minutes
En début d’après-midi, les enfants de 4 à 5 ans ont encore souvent un petit coup de pompe. Certains ont même besoin d’un vrai temps de repos dans un lit.
Pour les autres, ceux qui sont peut-être excités par un repas pris en collectivité suivi d’un temps de récréation peu ou pas organisé en fonction de leurs besoins d’attention humaine, de calme et de liberté[1], ou ceux qui, désormais, ne ressentent qu’une vague fatigue tout à fait compatible avec un effort cognitif raisonnable, nous prévoyons une activité d’écoute et d’expression.
Si nous pouvons disposer d’une salle suffisamment vaste pour qu’ils puissent s’allonger, cela nous permettra d’obtenir plus vite l’attention auditive dont nous avons besoin. Les enfants déchaussés, assis en tailleur, en cercle, feront d’abord quelques exercices respiratoires semblables à ceux du matin[2]. Nous leur demanderons ensuite de « reposer » leurs bras, leurs épaules, leur cou, leur bouche, leurs yeux, leur dos en leur montrant comment se détendre[3], puis ils « reposeront » leurs jambes, par des massages sur les cuisses, les mollets, les chevilles et les pieds. S’ils sont assez calmes et détendus, ils s’allongeront pour écouter leur respiration, lente et profonde, et la percevoir en posant leurs mains à plat sur leur ventre. Si leur enseignant se rend compte que la station allongée sera prétexte à chahut et rigolades, il préférera les laisser assis, en tailleur, tête baissée et yeux fermés (… ou pas…).
C’est là qu’après tout au plus 5 à 10 minutes, la séance d’attention auditive commencera vraiment par des repérages de sons dans l’espace. Muni d’un simple tambourin[4], l’enseignant se déplacera silencieusement dans la salle et les élèves devront trouver l’endroit où il se trouve lorsqu’il tapote, de moins en moins fort, la peau tendue du tambourin. Il pourra aussi, en tapant sur son instrument, suivre un trajet que les élèves suivront du doigt, toujours les yeux fermés et la tête baissée.
Au cours de l’année, les jeux varieront : reconnaissance d’instruments dont l’enseignant joue, les mains cachées derrière un paravent ; repérage des camarades disséminés dans la pièce, chacun avec un instrument différent ; écoute plus fine grâce à des clochettes ou des lames sonores aux sons très éloignés (très grave et très aigu) puis progressivement par d’autres, de plus en plus nombreux[5], dont les sons sont de plus en plus proches ; suivi d’une mélodie jouée à la flûte à coulisse avec symbolisation de la hauteur grâce à la main qui monte et qui descend devant soi[6].
Ces jeux seront au moins une à deux fois par semaine suivis de jeux d’exploration de ce matériel musical : reproduction de rythmes, création de phrases musicales, « partitions » à inventer ensemble puis à reproduire, à plusieurs, sous l’écoute attentive du reste de la classe, etc[7]. Alors que, les autres jours, l’écoute portera sur un morceau musical que l’enseignant aura sélectionné pour ses qualités[8] : structure simple, répétitive, dont les phrases sont facilement identifiables, rythme particulier, facile à reproduire, mise en valeur particulière de la sonorité d’un instrument…Si l'on peut, de temps en temps, ajouter comme sur la photo une séance de découverte d'un instrument présenté par un musicien prêt à le faire découvrir à de jeunes enfants, nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir d'enseignant de MS pour rendre nos élèves « tout ouïe » de façon naturelle et familière.
Quel que soit le thème de la séance, l’attention auditive sera constante, que l’enfant soit acteur ou auditeur ; l’appartenance au groupe sera rappelée et chacun sera encouragé à écouter ou produire pour ses camarades, avec eux, dans une cohésion de plus en plus parfaite. En plus d’un excellent travail de mise en pratique du « vivre ensemble pour apprendre ensemble », cette écoute des sons constituera, comme nous le dit C. Ouzilou, un « travail sensoriel [ … ] très riche, aussi bien dans l’objectif scolaire qu’extrascolaire, [ qui ] donne l’habitude de l’oreille tendue et plus précisément éveille les capacités discriminatoires des sons du langage ». Elle entre donc de manière parfaite dans notre « progression naturelle et familière » de phonologie et permet, elle aussi, de valider, dès les premières semaines d’école les attendus de fin de cycle relatifs au son et à l’écoute active :
Durée : 15 à 20 minutes
La journée de classe touche à sa fin. Il reste moins d’une demi-heure à passer ensemble avant de se quitter pour de nombreuses heures[9]. Les enfants ont besoin de garder de leur groupe, leur « meute », un souvenir positif, agréable, qui n’a pas pu les ennuyer ou les mettre en échec. Ce souvenir doit obligatoirement concerner le domaine-phare de l’école maternelle : le langage oral ; s’il fait pressentir aux élèves ce qui sera le domaine-phare lorsqu’ils seront plus âgés (le langage écrit), il mettra tous nos élèves à égalité quel que soit leur milieu d’origine et leurs conditions de vie.
Quoi de mieux pour réaliser tout cela qu’une « belle histoire », contée ou lue par l’adulte, écoutée tous ensemble, dans un endroit agréable, presque « au coin du feu » en hiver et « à l’ombre d’un bel arbre » en été ?
Cette histoire, l’enseignant la choisit avec soin en fonction de plusieurs critères, qu’il gardera pour lui, car pour ses élèves, seul doit transparaître le plaisir d’écouter des histoires :
Dans le domaine de la phonologie, il maintiendra l’exigence de toutes les séances de langage de la journée : articulation claire, prononciation la plus exacte possible, analyse auditive pour remarquer des régularités (« Les petits animaux, c’est souvent « on » : « oison, ourson, chaton, raton » ; les arbres, ça se dit beaucoup avec « ier » : « bananier, noisetier, prunier,… » ; etc. »), des liens (« jardiner », c’est de la famille de « jardinier » et de « jardin » ; une « noisette », c’est plus petit qu’une « noix » parce qu’une « fillette », c’est plus petit qu’une « fille » ; etc.), des oppositions phonologiques (un « pain », ce n’est pas un « bain » ; « grille », ce n’est pas « gris » ; etc.).
Mais c’est surtout dans le domaine de l’attention auditive que cette séance entraînera les enfants vers le « tout ouïe », un « tout ouïe » qui privilégie le sens, la compréhension, la mémorisation des structures, l’acquisition d’une culture commune, l’envie de connaître toujours plus d’histoires, de tournures de phrases et de mots pour se sentir à l’aise et développer son imaginaire. Une véritable méthode globale d’acculturation écrite !
S’il faut pour cela mettre en place un rituel de début de séance, clochette qu’on agite, sac à histoire que l’on retourne en prononçant une formulette, temps de relaxation où, après s’être assis confortablement, on ferme sa bouche à double tout (cric ! crac !), on frotte ses yeux et ses oreilles à la poudre magique qui permet de bien voir et bien entendre puis on pose ses mains à plat sur ses cuisses en leur demandant de rester tranquilles, il faut le faire… et s’y tenir ! Pas de prises de parole désordonnée, pas de jeux avec ses doigts, les yeux dans le vague, pas de petites agaceries à ses voisins et encore moins de discussions parallèles pendant que le conteur lit ou raconte…
La meilleure façon de garantir cette écoute attentive, c’est de la préparer en amont, en annonçant brièvement ce qu’on va lire ou en montrant une image que les élèves décrivent librement. Plus cette image sera grande et fouillée, plus chaque élève aura l’occasion de s’exprimer et plus nous nous assurons sa participation active à l’écoute qui va suivre.
L’enseignant rend sa future lecture désirable en faisant en sorte de terminer l’observation de l’image par des questions ouvertes, très vite posées par les enfants eux-mêmes, ou en formulant l’annonce du récit qui va suivre de manière à garder un mystère (« Dans la page que nous lirons aujourd’hui, vous allez découvrir pourquoi c’est le plus jeune des fils du bûcheron et de la bûcheronne qui va réussir à faire sortir ses frères de la forêt » ; « Aujourd’hui, nous allons savoir si le peuple de l’eau sait ce qu’est LA MENDE et où elle se trouve. Les poussins vont aussi découvrir des jeux fantastiques que nous allons décrire » ; etc.).
Afin de ne pas lasser et de rendre la découverte du sens agréable à tous, il lit par tout petits épisodes, parfois tout juste une phrase en début d’année, s’interrompt souvent pour donner la parole aux élèves sans poser d’autres questions que : « Alors ? » de manière à ce que chacun puisse s’exprimer. Nous retrouvons le fonctionnement de la première activité de la journée lorsque chacun s’exprimait, avec une consigne supplémentaire toutefois : parler de ce que nous venons d’entendre. Certains paraphraseront, d’autres n’auront entendu qu’un mot qu’ils répéteront alors que leurs camarades, mieux armés, raconteront, expliqueront ou même commenteront ce qu’ils viennent d’entendre.
Dans le cadre de l’exercice de phonologie, l’enseignant reformulera les mots mal prononcés et les tournures fautives, demandera une articulation plus claire, une prononciation plus précise… Dans le cadre de l’écoute attentive et « compréhensive » du texte, il acceptera tout ce qui reste dans le sujet. Il félicitera toutes les interventions, en les reformulant au besoin, et en s’appuyant sur le texte lui-même pour valider les propos de chacun :
- Tu dis que le Petit Poucet a consolé ses frères. Oui, regardez, c’est écrit là :
« Ne craignez point, mes frères. Mon père et ma mère nous ont laissé ici mais je vous ramènerai bien au logis. Suivez-moi seulement.»
ou encore :
- Oui, tu as raison : les poussins jouent dans l’eau ; ils n’ont plus peur. Je vous le relis :
« Arrivés chez le Peuple de l’eau (les Akoua-Joulo), beaucoup de poussins oublient leur peur du Kontrôleur. Ils se plongent dans l’essai de tous les jeux. »
L’enseignant freinera en revanche assez rapidement les digressions qui, au départ, peuvent paraître intéressantes car relançant le débat mais qui, hélas bien souvent, ne servent qu’à un seul élève dans son entreprise inconsciente de « chef de meute ». Ces interventions parfois très passionnantes sont néanmoins peu à même de permettre à la classe en général, et à cet élève en particulier, d’avancer dans le domaine de l’écoute active puisqu’elles bloquent son auteur, comme ses camarades, dans une auto-écoute centrée sur une « vie intérieure intense ».
Tout passionnant que soit cet élève, nous devons, pour lui, le ramener à l’activité commune car nous savons que « l’usage qu’il fait ou ne fait pas de son oreille jouera, tout au long de sa scolarité – et plus tard dans sa vie – un premier rôle. Qu’il […] n’écoute pas le handicape […]. »
Enfin, pour que tous nos élèves attendent ce moment avec impatience, il est fondamental que l’album ou le texte choisis ne soient pas prétextes à leçons, exercices et évaluation. Aimer les histoires, ce n’est pas les « exploiter » en en faisant le centre de tous les ateliers de création artistique, graphisme, lecture, écriture, organisation de l’espace et du temps, et plus si affinités ! Aimer les histoires, ce n’est pas non plus faire semblant de se laisser bercer par les flots d’un bain d’écrit auxquels on ne comprend goutte parce que personne ne nous a jamais ouvert la porte du monde des livres… Ces livres, ces albums, ces contes sont là pour être lus, par petites quantités pour qu’ils soient intelligibles à tous et que tous entrent dans le monde magique des histoires, mais aussi pour être lus par plaisir, par envie, par choix… pas pour « travailler l’écrit et la posture de lecteur ». À bas les exploitations d’albums, vivent les albums libres, prêts à assurer à chaque élève, de manière naturelle et familière, les capacités nécessaires pour (Attendus de fin de cycle - école maternelle - programmes 2015) :
MS : La « phono » naturelle et familière (1)
MS : La « phono » naturelle et familière (2)
...
MS : La « phono » naturelle et familière (4)
[1] La liberté dont parle Maria Montessori dans « Naissance d’une pédagogie scientifique », celle qui, grâce à l’éducation motrice, sensorielle et langagière a permis d’instaurer une discipline active et l’a libéré des obstacles qui limitaient son développement harmonieux
[2] Une minute suffit…
[3] De nombreux ouvrages existent, plus souvent conçus pour la maison que pour l’école, mais tout à fait adaptables à la classe. Il faut être très modeste et ne pas heurter les élèves en leur imposant trop vite et trop tôt des comportements qui les dépassent mais, à part quelques enfants très tendus, on peut arriver à de bons résultats en quelques semaines (… mais pas du jour au lendemain). Calme et patience, aucune pression pour obliger chacun à s’y mettre, aucune recherche d’évaluation sommative et tout va venir, à son rythme.
[4] Sans cymbalettes. Une paire de claves, un wood-block ou tout autre percussion peu sonore convient aussi à l’exercice.
[5] Jusqu’à 4 ou 5, en fin d’année.
[6] Penser à cacher la flûte car des « petits malins » n’écoutent pas et se contentent de suivre le déplacement de la coulisse.
[7] De nombreuses idées dans « De l’écoute des sons à la lecture », de Thierry Venot, chez Grip Éditions.
[8] S’il ne se sent pas assez musicien pour cela, il pourra utiliser « Une année au concert » cycle 1 ou cycle 2, du Scerén, parfait pour suivre une progression et ne rien négliger en route.
[9] Non, je ne hurlerai pas contre les après-midis raccourcis qui, dans tant d’écoles en France, empêchent les élèves de bénéficier, tous, d’un accompagnement de qualité dispensé par des personnels formés qui les connaissent dans leur globalité à travers tous les petits événements qui font le sel d’une journée de classe. Mais je continue à déplorer.
[10] Je pense à Claude Ponti, par exemple.