L'École Primaire comme je voulais la raconter
Merci à Sophie Borgnet, pour cette illustration tirée de Pour une Maternelle du XXIe Siècle
Imaginons une classe de CP, au deuxième jour de l'année scolaire. La veille, en plus des présentations, on a fait quelques exercices d'approche de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Au cours de ces exercices, certains élèves ont découvert deux ou trois notions, d'autres plus, d'autres un peu moins.
En ce deuxième jour, nous allons préciser nos exercices d'approche par d'autres travaux dans le domaine de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Ces précisions ne pourraient se faire si les notions abordées la veille se retrouvaient aujourd'hui totalement inconnues des élèves. Et nous nous en rendrions compte tout de suite, sans mettre en place d'exercice particulier d'évaluation normative. C'est évident.
Imaginons que la veille, nous ayons fait tracer à nos élèves des suites de 3 ou 4 boucles, toutes de la même taille, et qu'ils y soient tous arrivés. Le jour suivant, nous nous reposerions sur cette compétence pour leur proposer cette fois de tracer des files de 2 petites boucles suivies de 2 grandes, ou de 2 grandes suivies de 2 petites, ou encore d'une alternance grande-petite-grande-petite...
Et c'est en voyant le résultat que nous pourrions dire : « Mes élèves maîtrisent (ou ne maîtrisent pas) le geste de la boucle et ils gèrent facilement la différence de dimension. » ce qui serait déterminant pour programmer les exercices à mener lors du troisième jour de classe.
De même, imaginons qu'en lecture, nous ayons vu les voyelles i et o la veille et que nous nous apprêtions à introduire la consonne n (voir Télécharger « Période 1 - Semaine 1.pdf » dans CP : Rituel d'imprégnation graphémique (1)). C'est dès la première minute de travail que nous pourrions évaluer si tous nos élèves ont retenu les acquis de la veille puisque ceux-ci sont indispensables à l'exercice de lecture du jour.
Personne n'imaginerait ensuite ne plus jamais se servir du geste de la boucle et de la maîtrise de sa dimension jusqu'à la fin de l'année de CP. Personne ne concevrait de trouver des textes ne renfermant ni i, ni o, ni n parce que la reconnaissance et la fusion phonémique de ces trois lettres auraient déjà été évaluées au début du mois de septembre !
Personne n'imaginerait non plus, pour parler un peu des mathématiques, ne pas utiliser les chiffres de 0 à 9 et la compréhension des notions de nombre, de réunion de plusieurs quantités et de numération décimale lors de l'étude de la technique de l'addition posée !
Nul n'est donc besoin d'évaluer en hors-sol (même et y compris à la maison pendant une période de confinement) l'acquisition de ces connaissances et compétences en plus du travail quotidien puisque le travail de chaque jour y suffit.
Si Pierre ne sait pas tracer à la règle un segment qui joint les points A et B et s'il ne sait pas à quoi correspondent les graduations qu'il voit sur cet outil, il ne saura pas tracer à la règle et mesurer les 4 côtés du carré ABCD.
Et s'il réalise l'exercice « À l'aide de ta règle, trace et mesure la longueur des côtés de la figure ABCD. », c'est qu'il sait tracer à la règle un segment et le mesurer en centimètres à l'aide de l'outil approprié. La seule chose qui sera nouvelle ce jour-là et dont il conviendra d'observer la maîtrise, et de la conforter ensuite jusqu'à la fin de l'année, ce sera la deuxième partie de l'exercice : « Donne le nom de la figure que tu as tracée. »
Et chez les plus jeunes, c'est encore plus flagrant ! Surtout si on a réalisé que ce qu'il convient d'évaluer, ce sont des compétences larges et non limitées à un secteur ou un outil précis ayant servi de prétexte à leur développement chez l'enfant.
Prenons la compétence « Comprendre des textes écrits sans autre aide que le langage entendu ».
C'est une compétence large, nous sommes d'accord ?
Alors que l'album « Le réveil de PoussMouss » tiré de la méthode « Écoutaccèmus », lui, c'est un outil précis servant de prétexte au développement de cette compétence chez l'enfant. Oui ?
Alors, pour évaluer la compétence « Comprendre des textes écrits sans autre aide que le langage entendu », nul n'est besoin de prendre à part chacun de nos élèves de Moyenne Section pour leur faire raconter l'album « Le réveil de PoussMouss », le tout en prenant garde à ce que personne d'autre n'écoute, pour ne pas fausser son évaluation future !
Ça, c'est ce que fera le professeur de lettres inconnu que nos petits élèves de MS rencontreront dans 12 ans lorsqu'il leur fera passer leur oral du bac de Français. Et la compétence à évaluer ne sera pas « Comprendre des textes écrits sans autre aide que le langage entendu » mais « Comprendre les textes de la liste des œuvres au programme ».
L'évaluation que nous devons mener, nous, dans notre classe de MS, elle se fera lors de la lecture de l'album suivant, issu ou non de la liste proposée par les auteurs de la méthode « Écoutaccémus ». Et elle sera à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre que celle employée par le professeur de lettres, examinateur du baccalauréat 2032 !
Plus simple parce qu'elle se fera au jour le jour lorsqu'on verra Maïtima exploser de rire lorsque nous lirons la phrase « Pendant ce temps, le troisième petit cochon, qui était très rusé, alluma un grand feu dans la cheminée et y posa un chaudron rempli d'eau. » avant même que nous la complétions par la suivante : « Quand le loup descendit dans la cheminée, il tomba tout droit dedans ». ou quand Pablo nous expliquera qu'une clôture, c'est comme une barrière puisque dans l'histoire, on nous dit que « le berger avait construit une clôture de planches qui empêchait les moutons de sortir et le loup d'entrer. »
Plus compliquée parce qu'elle nécessite d'avoir sans arrêt présent à l'esprit :
→ ce que l'on a déjà fait et qui est désormais bien maîtrisé, ne nécessitant plus qu'une petite piqûre de rappel de temps en temps, pour que personne n'oublie
→ ce qui pèche encore un peu et doit être abordé souvent, de mille manières différentes et à toute occasion,
→ ce qui est encore inaccessible à tous et qu'il faut amener à petits pas, sans brusquer personne.
... que cet exemple-là peut être remplacé par des dizaines d'autres, dans le domaine du langage oral comme dans celui du langage écrit, mais aussi lorsque nous les amenons à Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique ou les activités artistiques.
jour après jour et à petits pas, sûrs mais réguliers, à
construire les premiers outils pour structurer sa pensée
capacité ô combien large et illimitée qui ne peut en aucun cas être évaluée un jour donné à l'aune d'un outil précis ayant un temps servi de prétexte à son développement.