L'École Primaire comme je voulais la raconter
Je voulais juste dire que, de tous temps, on a vu des gosses, et particulièrement des bandes de gosses, s'introduire quelque part, commencer à commettre des dégradations et continuer jusqu'à tout ficher en l'air si toutefois aucun adulte ne passait par là, simplement par pur plaisir de constater le pouvoir qu'ils détiennent sur les objets.
Cela commence presque au berceau lorsque le petit enfant éclate de rire en renversant vingt fois la tour de cubes qu'un adulte tout fier construit pour lui...
Je voulais juste dire que, depuis le milieu du XXe siècle chez nous, le législateur avait décidé qu'il s'agissait d'actes commis par des irresponsables. Alors qu'avant cette date, s'ils n'avaient pas la chance d'avoir des parents ayant des relations, on les envoyait au bagne pour enfants où ils restaient jusqu'à leur majorité.
Enfin, je n'en suis pas sûre pour les plus jeunes... il me semble que les "moins de sept ans" n'y étaient plus envoyés depuis déjà un petit bout de temps (après la Première Guerre Mondiale, peut-être). Il faudrait que je relise Les Enfants du Bagne, de Marie Rouanet...
Ils en ressortaient presque systématiquement complètement braqués contre la société et n'ayant acquis aucune des valeurs que la République croyait leur inculquer de force dans ces établissements carcéraux pour mineurs.
On avait donc préféré la prévention avec tout son arsenal instructif et éducatif : l'école, bien sûr, mais aussi les patronages, les colonies de vacances, la protection maternelle et infantile, les dispensaires, les centres médico-psycho-pédagogiques... tout ce qui est en train de disparaître ou de devenir tellement cher ou tellement élucubrant qu'on se demande s'il n'y a pas quelque part, caché en embuscade, un "intelligent design" d'un autre genre qui cherche à achever leur disparition en dégoûtant les usagers de faire appel à eux !
Je voulais dire aussi qu'il fut une époque où la communauté des adultes se mobilisait lorsqu'elle voyait une bande de mômes s'agiter discrètement autour d'un bâtiment public ou privé et donner des signes de vouloir y entrer.
Et qu'elle n'hésitait pas à intervenir, sachant qu'il serait vraiment très exceptionnel que la famille du petit interpellé se rebiffe et vienne lui chercher des noises. Au contraire, la plupart du temps, lorsque celle-ci était avertie, elle se rendait compte que son enfant avait encore bien du chemin avant de devenir un être doué de raison, de capacités de choix et de valeurs morales et civiques et elle rajoutait un complément éducatif à l'arsenal déjà déployé depuis sa naissance.
Ceci dit, il ne fallait pas être trop regardant sur l'arsenal éducatif parfois... Dans certaines familles, c'était plus souvent le martinet ou le ceinturon que le dialogue éducatif qui extirpaient le mal que le jeune pervers polymorphe nourrissait en son sein ! Loin de moi l'idée de défendre ce modèle éducatif, soyez-en bien persuadés.
Je le réprouve largement plus que le modèle actuel de l'enfant prescripteur, libre de ses choix depuis la naissance et considéré par sa tribu d'adorants comme le chef de famille.
Enfin, je voulais dire qu'à l'époque des logements de fonction et des concierges, il y avait des adultes présents tout près des groupes scolaires et qu'ils venaient voir ce qui se passait lorsqu'il arrivait que des individus rôdent ostensiblement autour, n'hésitant pas de même à les disperser un peu énergiquement au besoin.
Cerise sur le gâteau, j'aimerais appeler à une toute autre façon de faire acquérir le respect du bien de tous en redorant le blason d'une école où l'Enfance se sent réellement embarquée dans un projet d'éducation qui l'inclut et non pas divisée en autant d'individus qu'il y a d'enfants dont chacun est "maître d'un faux-projet de vie qui exclut tous ceux qui n'ont pas cinq pétales verts à leur fleur du comportement hebdomadaire", comme on le fait bien souvent.
Généralement, insérés dans un groupe, les enfants aiment réussir et se surpasser. Il est dommage que certains n'aient d'occasion de le faire qu'en renversant le contenu des placards, en déchirant des stocks de livres et de papier à dessin et en explosant avec méthode toutes les réserves de peinture d'une école.
Peut-être, je dis bien peut-être, car je suis bien consciente que l'école, à 24h chrono qui plus est, est bien démunie, que si cette école maternelle leur avait offert autre chose que ce qu'elle leur propose ou a proposé quand ils en étaient élèves, ils en auraient été fiers et n'auraient pas été aussi tentés d'afficher à leur cahier de réussite interne les gommettes vertes : "J'ai un super pouvoir sur les objets" et "Je suis un membre éminent de ma communauté de pairs".
Car, en conclusion, je suis bien obligée d'avouer qu'autrefois, malgré l'encadrement bien plus présent des adultes, la prise en compte de la jeune enfance comme un âge particulier où rien n'est fixe, ni règles, ni lois, ni permissions, ni interdictions, parce que l'enfant est régi par d'autres lois presque physiologiques, et même avec la peur du bagne ou de la "maison de correction", il arrivait quand même que des groupes de deux à une quinzaine de gamins échappent assez longtemps à la vigilance des adultes pour aller profaner des tombes (des petits copains à moi étaient allés rétablir la justice et répartir un peu plus équitablement les fleurs, plaques commémoratives, etc., et en avaient au passage tagué quelques-unes au stylo-feutre indélébile pour leur apprendre à être un peu plus partageuses), déféquer et uriner dans des bâtiments qui ne leur plaisaient pas ou dont ils n'aimaient pas le propriétaire, dégommer consciencieusement et méthodiquement toutes les patères dans les couloirs d'une école (cf la trilogie Les Rebelles, JP Chabrol), écraser brin à brin quelques ares de luzerne prête à faucher ou de blé prêt à moissonner, se battre à coups de fruits mûrs dans des vergers qui ne leur appartenaient pas, ouvrir les portes des pacages provoquant la fuite des vaches, des chèvres, des moutons, des porcs ou des volailles qu'ils contenaient, se coucher au milieu de la voie ferrée pour voir ce que ça fait quand le train passe, boire (ou pisser) dans tous les pots à lait d'une rue, dans le flacon de vin de messe du curé, dans l'encre que l'instituteur a réclamé pour son bureau, commander trois tonnes de charbon pour leur prof d'anglais qui habitait au cinquième étage d'une tour, ...
Ils se prenaient une bonne dérouillée, des lignes ou une privation de barres de chocolat, s'ils se faisaient prendre, et il ne serait venu à l'idée de personne d'aller coller l'événement en première page du journal local parce que tout le monde se serait esclaffé et y serait allé de la sienne, bien pire, qu'il avait faite quand il avait douze ans et qu'il voulait impressionner la petite Eliette, le voisin Paulot ou se faire admettre dans la bande du grand Jules...
Et s'ils ne se faisaient pas prendre, ils continuaient leur petit bonhomme de chemin, plus ou moins loin de la ligne de bonne conduite, et, à part M. Sarkozy et sa bande, personne n'aurait eu l'idée d'aller consigner les méfaits de mouflets de moins de sept ans dans un carnet qui les aurait suivis jusqu'à leur majorité.