L'École Primaire comme je voulais la raconter
Illustration de Sophie Wiktor
Suite de la partie Progression dans l'article de Canac (1947).
On y parle de chaque nombre appris l'un après l'autre, en ajoutant une unité au précédent puis décortiqué de toutes les manières possibles et imaginables. Les élèves prennent déjà des repères dans la forêt des notions et concepts numériques, sans mécanismes venus d'on ne sait où et appris par cœur à la Topaze. Ils fréquentent intuitivement les nombres pairs et les nombres impairs et découvrent que 7 est un drôle de vilain petit canard, dépourvu d'affinités intéressantes... Ils acquièrent sans même s'en rendre compte les premières notions sur les multiples et n'auront peut-être pas besoin de seriner leurs tables avant d'avoir compris l'intérêt de ce type d'exercice mnémotechnique... Même les carrés (de 2 et de 3, forcément) commencent à acquérir un semblant d'existence officielle.
On verra que le zéro attendra d'être utile à l'écriture du nombre dix pour avoir droit de cité. Et que ce nombre dix est présenté dès le départ, avant d'être écrit et lu, comme un groupement de deuxième ordre. Et là, je rêve que tout le monde lise cet article et qu'on abandonne la frise numérique affichée dans toutes les maternelles. Cela éviterait que, tous les jours, elle revienne au bon souvenir des instits de CP et de CE1 quand ils découvrent, affligés, que Bien-Scolaire et Écrit-Avant-De-Réfléchir se sont encore laissés avoir et ont écrit sans hésiter que 375 grammes, c'était égal à (2 g + 1 g + 5 g + 2 g + 5 g) à moins qu'ils ne recalculent sans cesse, doigts de pied à l'appui, combien font 13 - 3 ou 14 - 4...
On verra enfin que les manipulations et le calcul mental arriveront bien avant l'écriture et le travail en autonomie sur un cahier et que ce n'est que lorsque les élèves (de 5 et 6 ans, je le rappelle) connaîtront réellement le nombre qu'on leur proposera de noter le résultat de leurs recherches.
Monsieur Canac, à vous l'honneur !
Dans une deuxième étape, les nombres de 6 à 10 seront étudiés d'une manière analogue : chaque nombre étant défini et posé par l’adjonction de l'unité au nombre précédent, puis figuré dans des schémas géométriques simples, enfin étudié dans ses diverses décompositions. Notons toutefois une nouveauté assez importante : alors que les schémas constellants qui représentent les 5 premiers nombres sont facilement saisis d'un seul coup d’œil et globalement, cette opération devient impossible, ou incommode, avec des nombres plus élevés : 8 pastilles disposées en octogone forment une figure bien moins lisible qu'un carré de 4 pastilles. Il est donc indiqué, au-delà de 5, de présenter des schémas non plus indivis, mais analysés en plusieurs fragments, dont aucun ne présentera plus de 5 objets : au lieu de 8 points en octogone, deux carrés de 4, le domino double-quatre. Il suffit encore ici de laisser entre ces fragments un intervalle en blanc pour faciliter l'analyse visuelle ou de présenter des schémas de plusieurs couleurs.
Le procédé le plus simple pour étudier ces nombres de 6 à 10 consiste à prendre appui uniformément sur le nombre 5 et d'associer la notion des nombres suivants avec des schémas du type : 5 + 1; 5 + 2; 5 + 3; 5 + 4 ; 5 + 5.
Ce procédé, proposé par divers auteurs de manuels récents, serait sans doute agréé par l'auteur des récents programmes, qui est de toute évidence un sectateur déterminé de la demi-dizaine. Il permet de retrouver la série déjà parcourue de 1 à 5 et de mettre en évidence le nombre 5, moitié de 10, qui, en système décimal, est le point d'appui de diverses unités de mesure.
On peut préférer toutefois une marche plus souple, chaque nombre étant surtout associé avec le schéma le plus significatif, le plus parlant, le plus symétrique, avec celui qui achemine aux décompositions les plus intéressantes. Il semble indiqué, par exemple, de présenter 6 sous la forme du domino correspondant , qui est 2 fois 3 et 3 fois 2 et qui permet de faire apparaître aisément les décompositions 4 + 2 et 2 + 4 ; huit serait naturellement figuré par le domino double-quatre ; neuf, par le jeu de quilles (3 fois 3, 6 et 3, 3 et 6) dans lequel, par un jeu convenable de jetons de 2 couleurs, on forme l'autre décomposition intéressante : 5 + 4 = 4 + 5; dix, c'est le domino double-cinq.
Quant à 7, nombre sauvage et remarquablement dépourvu d'affinités intéressantes, on peut le figurer par le schéma 4 + 3,faute de mieux.
Ce schéma de 9 offre encore l'avantage de mettre en valeur la forme carrée, caractéristique de ce nombre (et de 4) ; les nombres 3, 6 et 10, eux, peuvent être représentés par des groupes triangulaires (des oranges sur un compotier) et ici encore cette forme régulière est le symbole d'une forme arithmétique remarquable. Ainsi, ces modestes combinaisons préfigurent des notions mathématiques de grand intérêt.
Quel que soit du reste le point de départ de cette étude des nombres de 6 à 10 tous les schémas figurés ci-dessus apparaîtront à leur tour, y compris les moins symétriques, ceux par exemple, où entre le nombre 7 (7+2 ; 5 + 2 ; puisqu'il s'agit d'aboutir a une revue complète de la table d’addition pour le moment, pour des totaux ne dépassant pas 10). Il est indiqué toutefois de mettre l'accent, d'une manière ou de l'autre, sur les groupes qui offrent les plus belles symétries, les p1us amies de la mémoire. Si, par exemple, on a abordé les nombres de la deuxième demi-dizaine en prenant appui sur 5, on peut ensuite, dans des exercices de révision, grouper les dix premiers nombres en « familles ».
Famille |
de |
2 : |
2, |
4, 6, 8, 10. |
Famille |
de |
3 : |
3, |
6, 9. |
Famille |
de |
4 : |
4, |
8. |
Famille |
de |
5 : |
5, |
10. |
Le nombre 7 apparaissant encore comme irréductiblement insociable.
Ainsi, en se plaçant successivement à tous les points de vue possibles, l'on donnera aux enfants une notion complète et précise des nombres de la première dizaine.
On pourra dès lors leur apprendre à poser correctement de petites additions et de petites soustractions, en observant, par exemple, la progression suivante
4+ 3 = … 7 - 3 = … 4 7
4 + … = 7 7 - … = 4 + 3 - 3
Quant à la division (partages) et à la multiplication, l'étude des « familles » naturelles indiquées ci-dessus a pu en donner l'idée (par l'intermédiaire, peut-être, des notions de double et de moitié) mais le moment n'est pas encore venu de poser ces opérations, notamment pour ne pas introduire de confusion entre les signes plus (+) et multiplié par (x).
Pour lire le reste de l'article :
1. Après l'écriture, les nombres !
3. Les cinq premiers nombres
...
6. De 11 à 19, les irrégularités de langage
7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !"