L'École Primaire comme je voulais la raconter
Pour changer un peu de Mao, les Tables de la Loi, ça vous va ?...
Encore un écrémage du petit livre rouge, CE1... La compréhension de textes, alléchant, non ?
Aujourd'hui, ce sera court. Non pas que la compréhension de textes n'aurait que très peu inspiré les rédacteurs du Guide (au fait, quelqu'un sait qui ils sont ?) mais parce qu'il a fallu au contraire scinder en plusieurs parties un chapitre extrêmement long :
A. Les principes issus de la recherche ⇒ (que nous verrons aujourd'hui)
B. Les principes pour la pratique de classe (avec un Focus : Mise en œuvre d'une leçon) ⇒ Que nous verrons plus tard
C. Travailler la compréhension par diverses lectures et activités et résumé. ⇒ Que nous verrons encore plus tard
Pour les codes de lecture de cet article, voir ici.
→ Voilà. À étudier à fond en cherchant des exemples dans sa pratique personnelle de la lecture. Puis à appliquer sur les textes que nous lisons aux enfants de la TPS au CM2 et à ceux que nous leur faisons lire du CP au CM2 ! Cela remplacera tous les produits commerciaux dont regorgent les maisons d’édition !
→ Suit le petit couplet « décodage » dont nous savons hélas qu’il n’est pas inutile :
L’identification des mots représente un préalable à l’exercice de la compréhension qui ne peut démarrer qu’à partir du moment où les mots sont identifiés. L’identification suppose donc, pour la lecture, que les mécanismes de reconnaissance des mots écrits soient construits et suffisamment automatisés pour permettre une reconnaissance fluide.
→ Plus de cohortes de non-lecteurs au CE1[1] !
Quand il lit une phrase, l’élève doit extraire rapidement les mots de la mémoire visuelle à long terme pour une désignation rapide. Il doit aussi garder en mémoire les mots au fur et à mesure qu’il les décode (mémoire de travail), tout en associant les mots lus à leur signification, en élaborant des représentations, et des situations de référence servant à élargir le champ de la compréhension, la contextualiser, la relier, la prolonger pour produire et enrichir sa pensée (mémoire à long terme).
→ D’où mes fréquentes réflexions sur l’erreur qui consiste à imposer aux élèves de déchiffrer d’abord et de comprendre ensuite : l’enfant (comme nous-mêmes) procède par réajustements successifs.
Petit exemple avec les réflexions in petto de l’élève Dugenou Kevin ou Tartempion Kevina entre parenthèses :
« C'est alors qu'apparut... [kaparu ? C’est quoi, ça ? ] le renard [Ah ouais ! C’est un renard qui est venu ! Qui a paru, quoi ! Comme le génie qui apparaît quand on frotte la bouteille dans Aladin !... ]
– Bonjour, dit le renard. [Y dit bonjour au petit prince paske c’est lui qui est le héros. Je le vois sur l’image.]
– Bonjour, répondit poliment [Ça, c’est bien, la maîtresse, elle aime les histoires où les gens, y sont polis] le petit prince, [Voilà, j’avais compris, il a bien dit bonjour au petit prince ! ] qui se retourna mais ne vit rien. [Hein ? C’est quoi ça ? Il ne vit rien, ça veut rien dire... Il ne vit plus, on dit... Bon je demande à la maîtresse !... Ah oui, OK, c'est pas qu'il est mort, c'est que le petit prince, il a pas vu qui c’est qui parle... ]
– Je suis là, dit la voix, sous le pommier. [Ah bah voilà ! Il était sous le pommier. C’est pour ça qu’il l’avait pas vu !... En plus, sur le dessin, y’a même pas de pommier ! C’est quoi ce truc ?...]
– Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli... [Pfff ! Y sait même pas c’est quoi un renard, lui ! Trop nul !]
– Je suis un renard, dit le renard. [Nul ! Comme si on le savait pas... Attends, on n’est pas des bébés, quand même... C'est pour les bébés, cette histoire !]
– Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste... [C’est vrai qu’il est tombé sur la Terre et qu’il connaît personne. C’est peut-être pour ça qu’il connaît pas les renards ?... Ouais, ça doit être pour ça. C'est pas pask'il est un bébé, alors... ]
– Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé. [A..pri...voi...sé... Apprivoisé, c’est quoi ça ?... Je demande à la maîtresse.]
Pour comprendre un texte qu’il déchiffre parfaitement, l’élève doit activer des processus qui s’apparentent au contrôle exécutif et qui permettent le maintien du but recherché. Il sélectionne des indices, effectue des raisonnements pour atteindre ce but, inhibe les raisonnements inappropriés, change de stratégie s’il le faut, détecte et corrige les erreurs d’appréciation qui l’éloignent du but.
→ Voir traitement de l’extrait du Petit Prince ci-dessus.
Comprendre un texte requiert beaucoup d’attention. Lors des séances dédiées à la compréhension de textes, dès le début du CE1, les élèves sont en mesure de lire de petits textes de manière autonome. Le professeur habitue ses élèves à exercer une vigilance orthographique et à mobiliser des connaissances grammaticales pour comprendre ce qu’ils lisent avec exactitude. Il attire leur attention sur les indices morphosyntaxiques et les habitue à repérer la terminaison des mots. Une attention est portée à la ponctuation, aux connecteurs et aux reprises anaphoriques.
→ Entièrement d’accord. À condition que ce soit fait régulièrement mais à doses homéopathiques !
Transformer la lecture suivante en leçon de grammaire, orthographe, conjugaison, étude structuraliste est le meilleur moyen d’écœurer tout le monde, enseignant compris...
Ni collectes systématiques de mots ou de structures syntaxiques, ni travail sur toutes les inférences du texte, même celles que les élèves avaient comprises d’eux-mêmes.
Juste quelques repères quand le lecteur semble perdu dans ce qu’il lit. En gras, les apports de l’enseignant...
– Ah! pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
– Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
[ Nous venons de lire : « Mais après réflexion, il ajouta »...
Tout le monde a compris l’expression « après réflexion » ? Non ? Alors, la réflexion, c’est quand on réfléchit. Le renard lui dit qu’il n’est pas apprivoisé et le petit prince répond pardon mais ?... Oui, c'est cela : après il réfléchit un peu avant d’avouer qu’il ne sait pas ce que signifie le verbe « apprivoiser ».
Réfléchir, réflexion. Comme respirer et ?... Respiration... Réciter et ?... Récitation. Punir et ?... Punition ! Parfait, un dernier : continuer et ?... Continuation, c’est cela. Alors, maintenant activité « continuation de la lecture » !]- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?
[Attention, Kevin, tu n’as pas bien vu le point. C’est un point ?... d’interrogation, c’est cela. Le renard ne déclare pas, il interroge : « Que cherches-tu ? » D’ailleurs, vous voyez, il a dit d’abord le verbe et puis après, le pronom : c’est la forme interrogative.
Quand on interroge, on met un point d’interrogation parce que c’est la forme interrogative.
Hop ! Continuation !]– Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
– Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
[Coucou, Kevina, regarde le point. C’est un... ? C'est cela , un point d’interrogation !
Alors relis-moi cette phrase pour que tout le monde comprenne que tu lis une question, une phrase interrogative.]– Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
[Très bien, Uranus, tu as fait attention au point d’interrogation. Bonne intonation !]
– C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..."
[Ne vous affolez pas, il va nous expliquer cette expression. Il suffit de lire la suite, vas-y, Urania. Attention au point d’interrogation, surtout !]
– Créer des liens ?
[Alors ? Je vous écoute... Oui, c’est cela, le petit prince est comme vous, il ne sait pas ce que signifie l’expression « créer des liens », il veut que le renard lui explique.]
– Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
[Les points de suspension, qui s’en souvient ?... Oui, c’est quand nous voulons laisser du temps à la personne qui nous écoute... ou parce que nous cherchons ce que nous allons dire... ou parce que nous ne sommes pas sûrs de notre réponse... Tiens, d’ailleurs, tu as bien fait de nous dire ça Albator, justement, la réplique suivante en contient, de ces points de suspension-là. Lis-la nous, tu verras...]
– Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
[ « Il n’est pas sûr ! Il croit que la fleur l'a apprivoisé, mais il n’est pas sûr »
Oui, c’est cela. Il pense qu’elle l’a peut-être apprivoisé... Pourquoi pense-t-il cela ? Revenez à l’explication du renard, relis-nous la, Obi Wan Kenobi. Phrase par phrase... Vous l’arrêterez quand vous aurez l’explication.] ...
→ Conclusion (donnée par le Guide rouge lui-même) :
Le rôle du professeur consiste à focaliser l’attention de l’élève et à l’habituer à persévérer dans sa lecture, même s’il rencontre des obstacles, en le relisant, en l’annotant si nécessaire, en s’autorisant des retours en arrière.
Pour les mots dont il ignore le sens, le professeur invite l’élève à émettre des hypothèses en fonction du contexte, ou à partir de leur morphologie.
Il lui apprend à faire attention non seulement aux mots, mais aux constituants du texte.
Bien décoder et bien comprendre l’oral permet de mieux comprendre les textes lus, ce qui impose de faire des élèves des décodeurs experts dès le CP. L’étude menée en 2015 par Édouard Gentaz, Liliane Sprenger-Charolles et Anne Theurel met en évidence que, sur près de 400 enfants de CP issus de milieux peu favorisés, seuls 1,5 % des élèves décodeurs et ayant une bonne compréhension à l’oral sont en difficulté pour comprendre les textes qu’ils lisent.
→ Qu’on se le dise ! Et qu’on le dise aux collègues de CP (et de GS) : il n’y a pas de fatalité... S'ils décodent et s'ils ont du vocabulaire, appris en classe, depuis la TPS, ils comprendront ce qu’ils lisent !
Une autre étude, dans laquelle les élèves ont été suivis du début de la grande section à la fin du CE1, révèle que les capacités précoces d’analyse phonémique permettent de pronostiquer le futur niveau de lecture des élèves. Plus cette capacité est développée, plus les enfants parviennent à lire et comprendre des textes. Le rôle de l’école maternelle, avec un entraînement à l’analyse phonologique puis phonémique, prépare les élèves à l’apprentissage de la lecture de façon décisive.
La continuité des apprentissages en lecture est un impératif qui conditionne les réussites futures.
→ Et je ne vous dis pas quand, en plus, dès la GS, l’analyse phonémique est remplacée par l’analyse graphophonémique. Là c’est carrément incroyable ! Même en REP+ !
→ En parlant de continuité des apprentissages, si la maternelle voulait bien :
a. arrêter d'écrire en majuscules bâtons
b. arrêter de travailler sur les syllabes orales
les enfants n'auraient pas l'impression de débarquer sur la Lune pour tout recommencer à zéro en arrivant à l'école élémentaire.
Entraînement et persévérance participent à une meilleure compréhension des textes. Les compétences en lecture se construisent en rencontrant de nombreux textes et en s’entraînant à les comprendre. Une étude Pisa montre également une corrélation entre le plaisir de lire et la performance en compréhension de l’écrit.
→ Là, je sens une légère contradiction entre ce que nous avons lu dans les chapitres 1 et 2 (voir Le petit livre rouge (1) ; Le petit livre rouge (2) ; Le petit livre rouge (3) ) et ce que nous apprenons ici...Ne sommes nous pas un peu dans l'injonction paradoxale chère à nos décideurs, n'est-ce pas ? Il va y en avoir du jeune (et moins jeune) PE cassé par des IEN autoritaristes à cause de ces consignes contradictoires...
→ Quant au plaisir de lire... même chose. Y a-t-il plaisir de lire lorsqu’on ressasse le même texte pendant une semaine et qu’il donne lieu à des activités aussi passionnantes que le surlignage systématique de la ponctuation, les collectes de mots et expressions et autres exercices annexes en ateliers qui font perdre un temps précieux ?
Lire fréquemment, que ce soit de courts textes ou des lectures longues, favorise la confrontation aux mots et donc la nécessité d’accéder à leur compréhension, mais permet aussi l’intégration de schémas d’organisation des différentes phrases lues.
→ Je n’aurais pas mieux dit. Faites lire à vos élèves tous les jours et vous pourrez leur faire lire des textes de plus en plus exigeants. Par effet « boule de neige », vos collègues enseignant au CM1/CM2 pourront à nouveau enseigner le passé simple et le passé antérieur, les subordonnées relatives et conjonctives, le subjonctif et le conditionnel, et, cerise sur le gâteau, leurs élèves ne confondront plus en un ignoble gloubi-boulga les faits historiques, géographiques et scientifiques qu’ils tenteront de leur faire connaître !
Pour permettre aux élèves de lire un volume de textes conséquent, il est nécessaire de proposer des lectures dans tous les domaines d’enseignement,
→ Et de ne pas leur faire perdre de temps à « peigner la queue de la girafe » pendant la moitié des 2 h à 2 h 30 quotidiennes de français !
comme par exemple en sciences, domaine dans lequel les textes documentaires peuvent s’intégrer dans la démarche d’investigation.
→ Voilà... Plutôt que de refaire pour la nième fois « Flotte ou coule » ou « Le calendrier de la semaine », hein ?...
Les lectures personnelles à l’école et à la maison sont à développer pour compléter les textes étudiés en classe.
→ Et nous revoilà dans l’idéal d’une école dans laquelle nous aurions du temps pour tout et même pour les lectures personnelles. Enlevez-nous ces 108 heures stupides qui ne servent à rien et rendez leurs 26 heures aux élèves et nous en reparlerons.
→ Quant aux lectures personnelles à la maison, c’est presque criminel d’écrire ça dans un guide pédagogique !
L’école est là pour égaliser le rapport au savoir en donnant plus à ceux qui ont le moins. Que les familles complètent, si elles en ont les capacités et la volonté, c’est tant mieux, et nous n'allons certainement pas les en empêcher.
→ Mais pour le reste, mesdames et messieurs les décideurs, faites ce que vous avez à faire pour que ces familles-là soient de plus en plus nombreuses : logements décents, réduction du chômage, aides sociales efficaces, suivi des familles en difficulté, véritable prise en compte des enfants en situation de handicap !
→ Alors, nous, nous pourrons faire ce que nous avons à faire ― soit, dans ce cas précis, apprendre à lire à nos élèves pendant le temps scolaire ― et non ce que vous nous convainquez de faire une fois de plus : culpabiliser les familles qui ne savent pas le faire et déclarer leurs enfants inaptes par leur faute.
Le petit livre rouge (1) ; Le petit livre rouge (2) ; Le petit livre rouge (3) ; ... ; Le petit livre rouge (5) ; Le petit livre rouge (6) ; Le petit livre rouge (7) ; Le petit livre rouge (8) ; Le petit livre rouge (9) ; Le petit livre rouge (10) ; Le petit livre rouge (11) ; Le petit livre rouge (12) ; Le petit livre rouge (13) ; Le petit livre rouge (14)
[1] Un de temps en temps pour pallier l’absence de structures spécialisées intégrées aux écoles, c’est tout ce que nous devrions tolérer.