L'École Primaire comme je voulais la raconter
Il fut un temps, assez lointain désormais, où l'on avait une drôle de façon d'apprendre à lire aux enfants.
Tout ceci prit fin avec l'avènement de l'école publique, qu'elle soit « primaire » ou « maternelle ». Ou du moins, c'est ce que souhaitaient ses fondateurs (voir ici dans la partie Méthodes contemporaines pour l'apprentissage au CP et là pour l'école maternelle[2]).
C'est là que tout a changé. En quelques décennies, cette école publique et ses méthodes révolutionnaires fit passer la population française d'un illettrisme partiel ou total à une capacité à lire le journal, remplir des formulaires, échanger par courrier avec sa famille, s'abonner à une bibliothèque de prêt et même, contre-coup moins favorable aux régimes en place, rédiger des tracts et militer dans un syndicat, un parti politique ou une association. C'était un beau challenge...
Pendant une centaine d'années, cet apprentissage de la lecture a évolué. Les syllabaires ont peu à peu disparu. On a cherché à rendre plus amusants, plus porteurs de sens les débuts de la lecture, qu'on s'y prenne dans le sens de la « synthèse » (des lettres vers les mots) ou dans celui de l'analyse (du mot vers la lettre).
Dans certaines méthodes, surtout synthétiques il faut le dire, mais aussi analytiques, la syllabe gardait son aura...
C'est ainsi que certains manuels de lecture passaient plus de temps à faire déchiffrer des associations de deux ou trois lettres non signifiantes qu'à emmener au plus vite les enfants vers la lecture de mots et de phrases (il y en a encore...) ou que, dans le cas des méthodes analytiques, on faisait mémoriser aux élèves plusieurs dizaines de syllabes avant d'oser aller plus loin dans l'analyse pour en arriver à l'élément (lettre ou graphème).
Cependant, grâce aux différentes méthodes d'écriture-lecture[3], plus nous nous rapprochions du « point de rupture », plus les méthodes de lecture se dispensaient de cette étape.
Que ce soit en partant des lettres ou en partant des mots, on montrait rapidement aux élèves l'épellation phonétique, on l'appliquait parfois rapidement aux cas simples (lire et écrire des syllabes) mais, très vite, c'est en apprenant à écrire et combiner les lettres pour en faire des mots qu'ils apprenaient à lire, tous ou presque tous, en une à deux années scolaires (le plus souvent en GS ou GS et CP, et, très anecdotiquement, en redoublant le CP).
Tant et si bien que, dans les années 1970/1980, certains ont voulu aller plus loin... Et si même la lettre était inutile ? Si, n'hésitons pas sur les termes, elle était « fasciste » et détournait l'élève du vrai travail de lecteur, la compréhension et l'accès à la littérature ?
Ce furent les années « tout phonétique », puis « tout idéovisuel » puis « tout bain d'écrit littéraire ».
Là, il n'était plus question de syllabes du tout. Ou alors vraiment à la marge... pour les frileux... ceux qui en étaient restés à l'époque « phonétique » :
C'était à l'époque où les élèves apprenaient à reconnaître des mots à leur silhouette, sans en analyser les éléments.
Au bout de quelques semaines, leur petit stock de mots recopiés sur des étiquettes et bien rangées dans des boîtes d'allumettes était étudié au niveau phonologique...
Cela donnait des tableaux de ce genre :
Illustration tirée de Lecture en fête, méthode de lecture, Hachette, 1983
Dans cette méthode-là, selon les auteurs, la syllabe pouvait encore avoir sa petite place, souvent réduite à quelques lignes sur une fiche photocopiée (on était à la pleine époque du boum des photocopieurs) : sous chaque illustration, il y avait des cases... pour marquer l'endroit où l'on entendait ce son qu'il fallait repérer.
Vous voyez de quoi je veux parler, bien sûr ? Alors souvenez-vous-en, nous allons y revenir...
Mais à part ce petit reste, « anecdotiquissime », plus rien. La syllabe avait vécu... La syllabe était morte...
Eh non !... Car après les avatars que nous connaissons, de phonétique en idéovisuelle et d'idéovisuelle en acquisition d'une culture littéraire, certains grands chefs ont mis de l'eau dans leur vin, avalé leur chapeau et cousu des boutons à l'intérieur de leur veste, histoire de pouvoir continuer à l'utiliser une fois retournée...
Parce que, voilà, il fallait bien l'admettre, les enfants avaient besoin qu'on les aide un petit peu plus que ça pour accéder à la lecture courante... Et on a réfléchi... intensément... en regardant par-dessus son épaule.
Jusqu'aux époques où les enfants apprenaient encore à lire, à peu près tous, mais sans tomber dans les vieilleries d'un autre âge.
Et on en a conclu, dans la plus pure tradition « compétencielle » qu'on devait réinstaller des compétences qui avaient été légèrement occultées lors des dernières recherches-actions dans le domaine du Lire à l'école... On en a retenu deux ou trois, selon qu'on inclut le passage à l'écrit ou pas.
Les enfants devaient être entraînés à se repérer dans la chaîne orale.
Comme nous savons tous maintenant qu'une consonne n'émet pas de son et que le son d'une voyelle n'est pas forcément rigoureusement le même selon son environnement, la syllabe est revenue en maître, envahissant les méthodes d'acquisition de la phonologie.
J'avoue que je serai ravie si quelqu'un pouvait m'expliquer quel rapport ces exercices ont avec le fait d'observer attentivement une ligne de symboles regroupés en paquets au nombre semble-t-il aléatoire en les suivant au besoin de l'index et de dire à voix haute, ou directement, juste en demandant à ses yeux de transmettre l'information au cerveau :
« Comme elle était jolie, la petite chèvre de Monsieur Seguin...»
Et là on a usé et abusé de ces lignes de petits carrés placés sous des illustrations.
Pendant deux à trois années de maternelle, puis encore une année de CP dans certaines écoles (je crois que, même au CE1, on continue parfois), on coche, on colorie, on gribouille pour compter ou pour repérer la place de telle syllabe.
Dans la plus pure tradition idéovisuelle, certains ont même imaginé qu'il était fondamental d'apprendre à associer le « dessin d'une syllabe » avec le son qu'elle produit.
C'est ainsi que, dans certaines classes, on voit refleurir les syllabaires de 1850, et que les enfants doivent s'en servir pour écrire eux-mêmes des mots et des phrases.
Dans le meilleur des cas[5] , ces syllabaires ont été composés avec eux :
La boucle est bouclée, encore un petit effort d'analyse et nous renouerons avec l'invention qui révolutionna le monde de l'écrit en le rendant simple et économique.
Certains y sont déjà. Ceux qui, comme moi, n'avaient jamais compris pourquoi, tout à coup, les élèves auraient besoin de ce long détour compliqué pour arriver à boucler la boucle évoquée par P. Kergomard dans l'article signalé plus haut.
Mais d'autres aussi, comme cette collègue[6] qui écrivait ce matin :
Bonjour
Je me rends compte en venant du CP qu’il est aussi facile de bosser le phonème que la syllabe. Et Céline Alvarez en parle dans ses vidéos en disant qu'à trop travailler sur la syllabe puis à déconstruire encore derrière en GS ou CP, on épuise les enfants et qu’ensuite c’est moins évident pour eux le phonème. La syllabe ne sert à rien en plus vraiment pour apprendre à lire, enfin si mais à « entendre » elle ne sert à rien ... ce sont les phonèmes qu’il faut entendre pour encoder. Alors je me pose la question de ne plus passer par la syllabe avec mes MS. Qui fait ça ?
Oui, chère collègue, je suis parfaitement d'accord avec vous, avec Céline Alvarez, avec Maria Montessori, avec Pauline Kergomard, avec les auteurs de La Planète des Alphas, avec Thierry Venot et sa méthode De l'écoute des sons à la lecture, la syllabe, et encore pire, la syllabe orale, ne sert strictement à rien pour apprendre à lire et à écrire.
Ce qui sert, c'est la correspondance lettre/son.
Alors apprenons-leur à bien articuler, à ralentir l'émission vocale jusqu'à presque individualiser les phonèmes, associons dès le début l'écriture de la lettre tracée (en cursive), de la lettre vue (en minuscule scripte) et le son qu'elle produit, afin de ne pas privilégier uniquement les enfants dont la mémoire est auditive, et nous leur aurons évité non seulement le détour que vous évoquer mais aussi l'épuisement et les fausses-pistes dans lesquelles nous les avons entraînés depuis une dizaine d'années...
MS : La « phono » naturelle et familière (1)
MS : La « phono » naturelle et familière (2)
MS : La « phono » naturelle et familière (3)
MS : La « phono » naturelle et familière (4)
[1] Plaignez-vous, me direz-vous, encore quelques centaines d’années plus tôt, ces mots et ces phrases, c’était en latin qu’ils étaient écrits ! Encore une chance de moins de « faire du sens »...
[2] École maternelle qui, à l'époque, je le précise, scolarisait les enfants jusqu'à sept ans et incluait donc notre CP.
[3] Méthodes qui se servent des éléments que les élèves savent écrire pour leur apprendre à lire ce que d’autres ont écrit (aujourd’hui, des méthodes aussi éloignées les unes des autres que peuvent l’être la Planète des Alphas et la Méthode naturelle Freinet sont des méthodes d’écriture-lecture).
[4] Alphabet Phonétique International
[5] Nous ne parlerons pas du pire des cas, celui où les élèves lisent plus de syllabes que de mots, syllabes qu’on a composées pour eux devant leurs yeux et qu’on leur donne à lire isolées, ligne après ligne, comme la partie centrale de leur apprentissage de la lecture.
[6] Si la reproduction de son message la gêne, qu’elle me contacte, je l’enlèverai et le remplacerai par un de ma composition.