L'École Primaire comme je voulais la raconter
Vendredi 22 janvier, n'écoutant que mon courage, j'ai pris le train pour la capitale dans le but d'aller vivre une expérience interdite à tous mes collègues de l'enseignement public.
Figurez-vous que je suis allée vérifier de mes yeux et de mes oreilles qu'il existait, en France même, des personnes qui diffusent des méthodes pédagogiques dangereusement dissidentes, si dangereusement dissidentes d'ailleurs qu'il n'est même pas besoin d'aller y voir pour en être convaincu.
Et ce que j'ai vu m'a beaucoup plu. C'était à la fois solidement étayé sur le plan théorique et agréablement illustré au point de vue pratique.
Pour le plan de la conférence, je vous propose de vous en référer au site même de la conférencière qui a tout détaillé de façon très convaincante. Vous pourrez y télécharger le programme en pdf, ce qui me permet de me contenter de vous en copier-coller la présentation :
La journée Bien écrire à l'école maternelle approfondira plusieurs points :
- graphisme et écriture dans les programmes 2015
- la motricité fine
- les activités préparatoires à l'écriture
Sachez cependant qu'à aucun moment, Laurence Pierson ne cherche à transformer les petits enfants en robots ou à les empêcher de jouer et de grandir mais qu'au contraire, elle conseille d'être très vigilant à laisser du temps au temps, à profiter du jeu libre pour donner à l'enfant le goût et les capacités à fournir des efforts, à pratiquer l'évaluation douce, sans épreuves à passer, sans cahiers à cases qui figent l'instant et peuvent, si l'on n'y prend pas garde, cristalliser les défaillances momentanées en réelles difficultés.
Elle veille à instaurer une confiance mutuelle entre l'Institution, dont elle présente les programmes en vigueur et explique comment les mettre en œuvre, ses professeurs, dont elle peut parfois bousculer quelques représentations mentales mais toujours avec respect et gentillesse, les familles, qu'elle considère comme partenaires éducatifs mais dont elle décharge la responsabilité sur le plan des acquis scolaires.
Dans les classes de l'école maternelle qu'elle présente une à une, de la plus petite où le jeu libre est roi à la plus grande où l'apprentissage de l'écriture précède puis accompagne l'apprentissage de la lecture, les enfants jouent, échangent, vivent une vie d'enfant qui grandit, affine ses capacités sensorielles (voir, manipuler, entendre), peaufine ses moyens d'expression (langage oral, dessin, arts visuels, expression corporelle) et prend peu à peu, intuitivement d'abord, puis de manière volontaire et assurée, des repères de plus en plus précis dans l'espace, le temps et les acquisitions sociales (écriture, lecture, calendrier et même si nous n'en avons que très peu parlé, calcul et numération).
Et comme tout vient à point à qui sait attendre, comme c'est par le jeu et l'exercice libre de la manipulation qu'elle commence, rien n'est ardu, rien n'est tristounet, rien n'est répétitif.
Ce qui fait que l'on retrouve dans les conseils qu'elle nous donne ceux qu'ont prodigués tous les grands pédagogues qui ont fait la renommée de l'école maternelle, celle qui accueille les tout-petits tels qu'ils sont pour en faire, en trois ou quatre années, des élèves qui entrent au CP tels qu'en rêvent toutes les familles et tous les instituteurs et institutrices ! Tout y est, l'indulgence et l'humilité devant le tout-petit d'une Pauline Kergomard, l'éducation au geste approprié d'une Maria Montessori, le milieu riche et aidant d'un Célestin Freinet. Comme ces trois-là et tous les autres qui les ont accompagnés dans leur recherche d'une éducation du petit enfant, Laurence ne conseille pas la croissance découpée en cases fines ou le téléchargement donnée par donnée de compétences déconnectées les unes des autres mais rien de moins que la globalité d'une acquisition raisonnée et raisonnable de l'écriture-lecture, celle qui associe l'apprentissage des gestes qui constitueront bientôt dans l'esprit de l'enfant un véritable réseau câblé lui permettant de programmer lui-même la combinaison de gestes nécessaires à l'écriture des mots qu'il saura « chiffrer »1 et comprendre en même temps qu'il les écrit.
Avec son programme et ses conseils, les enfants n'ont pas besoin de descendre de leur vélo pour se regarder pédaler, ce qu'elle déconseille formellement, car, au-delà du risque de chute, cela perturberait la constitution du programme sensorimoteur qui permet l'écriture. Ils n'ont pas besoin non plus de multiplier les entrées qui leur permettront d'accéder au sens de l'acte de lire puisqu'ils l'auront bâti de l'intérieur, par leur propre activité de scripteurs efficaces, écrivant souplement, sans fatigue grâce à une éducation à la tenue du crayon et à la maîtrise gestuelle obtenues par les jeux de doigts, les comptines, l'acquisition d'un rythme intérieur, la danse, les jeux de construction, de fabrication, de création plastique... Grâce au temps gagné, l'école maternelle redevient celle où l'on joue avant tout et non plus celle où l'on court d'activité de phonologie en activité de production graphique, d'atelier d'écriture inventée en rituels calqués sur ceux de l'école élémentaire, de tris de texte en exploitations des productions langagières, des albums, des prénoms, des jours, des mois en vue de constituer des répertoires, des listes, des alphabets, des... pfff ! j'arrête, je suis déjà épuisée.
Et c'est de ces bons conseils dont l'Éducation Nationale se prive, malgré les propositions répétées d'intervention dans le cadre du Plan Annuel de Formation des Professeurs des Écoles ? C'est cela qu'elle préfère cacher à ses étudiants en Master de l'Éducation dans ses ESPE ?
Oui... Tout comme elle ne souhaite pas voir présenter et commenter des méthodes d'apprentissage de la lecture ou du calcul différentes... Tout comme elle préfère ne pas lire et encore moins proposer Pour une maternelle du XXIe siècle de peur d'y trouver peut-être une ouverture qui déstabiliserait des années de certitudes.
Où est-elle, l'ouverture d'esprit dont nous nous targuons, nous, pédagogues du début du XXIe siècle ? Où est-elle notre capacité à accueillir l'autre, à ne pas nous enfermer dans notre tour d'ivoire, méprisant l'inconnu tel un adversaire ? Comment accueillerons-nous des petits enfants tous différents mais tous égaux si, avant même d'avoir lu, vu et testé, on rejette l'infidèle et le boute hors du sanctuaire ?
On peut traiter les autres d'obscurantistes et déplorer leur manque de tolérance lorsqu'on se comporte comme eux et que l'on rejette a priori ceux qui ne prêtent pas allégeance et osent dire qu'un autre monde, d'autres méthodes, d'autres représentations mentales sont possibles !
C'est comme cela qu'on en vient à se refermer sur soi, rejetant l'autre et ses différences. C'est comme cela aussi qu'on l'écarte ainsi de l'enseignement pour tous, tel que l'avaient voulu ceux qui ont fondé l'école publique, tous les enseignants, toutes les familles qui ressentent trop l'ostracisme pédagogique.
Les collègues démissionnent, harcelés par une administration trop tatillonne, aux injonctions trop rigoureuses ; les familles s'écartent de l'école et cherchent ailleurs, dans le privé confessionnel ou laïc, allant jusqu'à créer parfois elles-mêmes leurs propres écoles tant la demande de sortir des sentiers battus et rebattus est criante ; les enfants développent des troubles allant de la dysgraphie à la phobie scolaire, en passant par tous les « dys-quelque-chose » possibles et imaginables...
Mais l'Éducation Nationale ne plie pas. Ses élèves ne bénéficieront de professeurs formés à l'enseignement de l'écriture liée que si ces derniers paient de leur poche et prennent sur leur temps de repos pour le faire de leur propre chef. Encore heureux si après, ils ne se voient pas empêchés de le mettre en pratique dans leur classe au prétexte que, même s'il est rigoureusement conforme aux programmes, il contrarie la mise en place je ne sais quel projet de circonscription à base d'écriture approchée, de carnets de l'écrivain ou autres exercices de métacognition visant à permettre à l'élève de découvrir la différence entre les séquences sonores et les séquences graphiques.
Pendant ce temps-là, l'école privée, elle, de tous horizons, confessionnelle ou non, sous contrat ou hors-contrat, s'intéresse, ose, s'informe, se forme et teste avec bonheur sur ses élèves, leur permettant ainsi d'infirmer les malédictions2 établies depuis des décennies.
C'est ainsi qu'à cette formation, j'ai rencontré N et F, toutes deux enseignantes dans une école privée confessionnelle de stricte observance, qui utilisent dans leurs classes depuis quelques années De l'écoute des sons à la lecture et Écrire et Lire au CP, à qui Sophie Borgnet et moi-même allons présenter Se repérer, Compter, Calculer en GS et Compter, Calculer au CP et qui, mandatées par leur directeur, venaient se former au geste d'écriture. Je suis persuadée qu'elles adopteront très vite dans leurs classes le programme d'éducation que propose Laurence car il est facile à mettre en œuvre, appétant et efficace pour les enfants. Comme je sais qu'elles lisent mon blog, j'en profite pour les saluer toutes deux et leur confirmer que je mettrai le plus rapidement possible en ligne le cahier de rédaction que j'avais promis pour accompagner les livrets de lecture de CP3.
Et maintenant, pour les collègues de l'enseignement public qui n'ont pas l'occasion et le droit de se former à l'enseignement de l'écriture ou à l'utilisation de méthodes d'écriture-lecture, de comptage et calcul, je vous conseille de prendre contact avec Laurence, via son site, ou avec moi, via le formulaire de Contact ici présent.
Pour les parents, catastrophés par l'écriture de leur enfant, qu'il soit petit ou grand, vous pouvez aussi contacter Laurence Pierson, à Paris, Yvette Aboukrat, à Créteil, dont je connais de longue date la valeur en tant que collègue et que j'ai eu la joie de rencontrer lors de la formation de samedi dernier, ainsi que toutes les rééducatrices en écriture qui sont leurs partenaires directes.
Vous pouvez aussi bien entendu me contacter et je ferai en sorte de vous conseiller des ouvrages, des techniques, des activités à mettre en place avec vos enfants à la maison.
Et pour les enfants, les tout-petits qui jouent sans se soucier de rien, ce qui est bien le moins qu'on puisse leur souhaiter à leur âge, et les grands qui peinent parfois à comprendre pourquoi il convient de prendre tant de détours pour arriver à écrire proprement et sans fautes, à lire, à compter et à calculer, je ne peux rien faire d'autre que de souhaiter que cessent pour eux tous les obscurantismes, toutes les chapelles aux portes closes et aux fenêtres placées trop haut pour que jamais, au grand jamais, leurs adeptes n'aient l'idée d'aller voir s'il est vrai qu'ailleurs et en d'autres temps, il y avait aussi des programmes scolaires, plein de programmes scolaires, tout un tas de programmes scolaires pour l'école maternelle, l'école maternelle, l'école maternelle !4 Et qu'aucun d'entre eux n'a jamais autant demandé de contrôler l'enfance et de lui tirer dessus pour qu'elle pousse plus vite que celle que nos connaissons aujourd'hui.
Notes :
1 Au sens de « composer lettre à lettre ». Lorsqu'on lit on « déchiffre », lorsqu'on écrit on « chiffre », à l'aide du code commun à tous : notre alphabet.
2 Vous savez, ces sinistres malédictions qui corrèlent l'échec scolaire au nom de famille, au lieu de résidence, au compte en banque de papa et maman, à leur degré d'instruction…
3 C'est ainsi que l'autre jour, dans un autre contexte, j'ai rencontré des personnes qui, issues d'un milieu diamétralement opposé à celui-là, ont découvert qu'on pouvait être à la fois rigoureux sur les contenus et faire confiance à l'enfant, l'accueillir avec empathie et refuser d'en faire un homo numericus biométriquement contrôlé sur toutes les coutures, aux paramètres scientifiquement évalués.
4 Private joke visant à démontrer que, contrairement à ce que nos collègues croient parfois, les premiers programmes de maternelle ne datent pas de 2002.