L'École Primaire comme je voulais la raconter
Encore une fois, sur Néoprofs, un sujet sur l’ouverture d’une école privée hors-contrat, prônant, au milieu d’un vernis garantissant un apprentissage scolaire structuré, un entre-soi confortable garanti par une participation financière des familles de 200 € par mois, le port de la blouse et une volonté bien dans l’air du temps de combattre l’amoralité de l’école (publique, sous-entendu).
Certains internautes ne voient que la méthode syllabique qui va sauver les petits enfants de l’horrible Ribambelle, et négligent, ou cautionnent, des signes pourtant évidents d’une volonté clairement affichée de promouvoir l’Ordre Moral en sauvant l’Enfance de la décadence orchestrée par les lobbies laïcards et gauchisants actuellement au pouvoir.
Dans le Règlement intérieur, on nous parle de blouse cousue au nom de l’école[1], mais aussi de l’interdiction du jean et des baskets pour tous ou de celle de la boucle d’oreille pour les garçons. Le port de jupes ou robes arrivant aux genoux est recommandé pour les petites filles. Les cheveux des garçons doivent bien entendu être courts et ceux des fillettes longs et attachés.
Et là, on se demande… Qu’est-ce que la longueur des jupes et des cheveux, la couleur des pantalons ou des chaussures, le port d’une blouse brodée ou pas au nom de l’école ont à voir avec l’acquisition de la lecture et des règles d’orthographe ?
Comment l’interdiction des baskets et celle, liée au sexe de l’enfant, du port de la boucle d’oreille vont-elles contribuer à l’enseignement des quatre opérations et à la maîtrise de la résolution des problèmes de fractions ?
Alors, on cherche… Partout… Méthodes, peut-être ?... Non.
On apprend juste que celles-ci seraient éventuellement apparentées à la Troisième Voie (les leçons d’explication sont systématiquement suivies d’exercices pratiques, guidés puis autonomes), mais ce n’est pas clairement affiché.
On lit aussi qu’il y aura des devoirs écrits à faire pendant l’étude obligatoire (1 heure, tous les soirs, dès le CP) et qu’en plus de cela, les parents devront veiller à ce que l’enfant mémorise et puisse restituer intelligemment ses leçons du jour.
À part cela, point de contenus, de programmes ou d’explications.
Fouillons Matières enseignées pour voir… Français ? Méthode rigoureusement syllabique, écriture cursive, dictées quotidiennes, poésies hebdomadaires. D’accord, on voit.
Passons sur l’adjectif qualificatif syllabique, synonyme de sérieux selon les uns et de diable incarné selon les autres, mais ne correspondant plus, dans l’imaginaire collectif, avec ce que les historiens de l’apprentissage de la lecture entendent par là[2] . Nous supposerons plutôt, parce que le texte ne nous le dit pas, que les enseignantes de Grande Section ou de CP[3] vont utiliser une des dizaines de méthodes alphabétiques synthétiques actuellement sur le marché, comme les nombreux collègues qui, exerçant dans le Public ou le Privé sous-contrat, commandent chaque année des centaines de manuels « alternatifs », des boîtes d’Alphas, des méthodes Borel-Maisonny, Fransya, Ouzilou, des À coups sûr, Sam et Julie, L'Arbre aux Sons, … ou même des méthodes Boscher et Cuissart, si, à la caution de progressivité des apprentissages qu’elles offrent toutes, ils ont envie d’associer le côté nostalgique et rétro d’un univers désuet déconnecté du quotidien d’un enfant d’aujourd’hui…
Ne nous attardons pas sur le reste non plus. Pas besoin de couper les cheveux en brosse, d’interdire d’apporter des jouets à l’école ou d’obliger les familles à fouiller les catalogues de vente par correspondance pour dégotter des blouses d’écolier et des vêtements sans marques apparentes, pour faire écrire les élèves en cursive, programmer une dictée tous les jours et une poésie par semaine !
En mathématiques, c’est pareil… Dans de nombreuses écoles publiques, en plus de l’addition, de la multiplication, des nombres décimaux et des fractions, on enseigne la soustraction et la division à des petits bonshommes aux cheveux couverts de gel et à des fillettes en tee-shirts à bretelles (c’est ça, un décolleté, sur une fillette pré-pubère, non ?).
Et ils y arrivent, même s’ils ont les bras couverts de gadgets à la mode qu’ils confectionnent eux-mêmes à la récréation, filles et garçons confondus !
Passons sur les autres matières, pour lesquelles on ne connaîtra pas le contenu[5], ni sur l’emploi du temps grâce auquel on apprend que, finalement, encore plus fort qu’à la communale en béton[6], on ne fera que 5 heures de français par semaine et qu’on aura deux fois plus de récréation que les petits athéo-parpaillo-judéo-bouddhicco-beuriens qui fréquentent cet antre de perversion laïque !
Je dis cela parce que, toujours dans le règlement intérieur mais aussi dans Pratique religieuse, on lit que l’établissement est non confessionnel mais que le corpus scolaire est héléno[7]-chrétien. Par ailleurs, on ne nous fait référence qu’à une éventuelle appartenance à la religion catholique, à l’exclusion de toute autre religion. On lit aussi que la famille est la première éducatrice. Et là, on se dit qu’on a déjà entendu cela quelque part récemment et qu’il faudrait peut-être aller lire la partie Qu'est-ce qu'une école indépendante ? , juste pour s’assurer qu’on ne risque pas d’inscrire son enfant dans un lieu où la culture générale n’est peut-être pas celle qu’on aimerait qu’il reçoive…
On y découvre que le projet de cette école est sans doute instructif mais il est aussi de se démarquer de l’État, dont elle ne dépend pas, et des choix démocratiques que celui-ci a pris dernièrement…
On se surprend alors à penser que le glissement sémantique affiché par cette nouvelle qualification de notre civilisation, remplaçant, avec une belle faute d’orthographe, un terme qui pour certains sent toujours le soufre, le levantin, le cosmopolite, et même l’association diabolique avec le compas et l’équerre, n’est sans doute pas aussi anodin que cela… Le ciel d'été s'obscurcit soudain d' oiseaux au bien sombre plumage.
Alors, on se dit qu’un jour on essaiera de comprendre le pourquoi du comment du choix des articles de la Revue de presse mais que pour aujourd’hui, ça suffit.
Et là, on fond en larmes ! Parce que ce genre d’école, même s’il a toujours existé à la marge, était voué à rester extrêmement confidentiel et limité à une frange infime de la population, refermée sur elle-même.
Notre bonne vieille école publique[8], laïque et gratuite, même si elle ne satisfaisait pas toujours les intégristes de tous poils, avait une telle réputation de sérieux qu’elle clouait le bec à tous ceux qui lui reprochaient d’être l’École sans Dieu.
C’était l’école pour tous, celle où chaque enfant, ou presque, apprendrait à lire, à écrire, à calculer et acquerrait ce vernis de culture générale qui lui permettrait de s’ouvrir aux autres et de les comprendre. Et elle s’est perdue…
Et si elle s'est perdue, c'est parce que, comme l’autre, celle qui préfère la mythologie grecque à une possible collusion avec les autres civilisations du Livre, elle a cru que c’était la blouse qui faisait l’écolier…
En faisant raccrocher cet accessoire aux patères des couloirs, en le jetant aux orties, elle a cru nécessaire de se dépouiller de tous ses autres oripeaux. Et elle a tout rendu, l’ivraie et le bon grain, l’accessoire, l’anecdotique, le superflu... et l’essentiel !
Ainsi, elle a permis qu’aujourd’hui de prétendus bons apôtres ramassent dans le fossé les dépouilles qu'elle a cru honteuses et s'en parent pour masquer leurs intentions.
Apprendre à lire, à écrire, à réfléchir, cela ne nécessite surtout pas d’uniforme, qu’il soit de tissu ou de pensée.
Ce qui se cache sous les blouses de certaines officines, ce ne sont pas toujours que de bons sentiments et des désirs d’émancipation des peuples.
Où est-elle l’instance réellement démocratique qui revendiquera haut et fort l’instruction comme l’outil nécessaire au développement d’une société plus juste, plus égalitaire, plus respectueuse des droits imprescriptibles ? Qui va enfin reprendre le flambeau de ceux qui réclamaient l’excellence et la culture pour toute personne résidant sur le territoire national sans aucune distinction d’origine ou de religion ?
Il y a urgence, les marchands sont entrés dans le temple !
[1] Qu’est-ce que ça signifie ? Je n’en sais rien. On peut supposer qu’il s’agit de transformer l’enfant en panneau publicitaire d’un nouveau genre en le faisant arborer, brodé sur sa blouse d’écolier, le nom de son école plutôt que les plébéiens et internationaux Nike, Levis ou Quechua habituels…
[2] http://michel.delord.free.fr/lir-ecrlect.pdf
[3] Enseignantes que je plains de tout cœur… Pour avoir suivi les mésaventures d’une collègue ayant répondu aux sirènes de Créateurs d’École, j’ai cru comprendre que certains d’entre eux étaient bien peu respectueux du Droit du Travail…
[5] De l’opaque Culture Générale à la Révision des leçons de la veille en passant par l’anglais, la musique, les sports ou les arts plastiques, l’histoire, la géographie ou les sciences…
[6] Celle où François Béranger apprit l’arabe et l’portugais : http://www.jukebox.fr/francois-beranger/clip,tranche-de-vie,q33335.html
[7] Je ne connaissais pas cette référence… Vous ne mettriez pas deux L vous à helléno ?
[8] Sa cousine, l’école privée sous contrat, complétait l’offre et permettait aux familles qui le souhaitaient d’associer l’instruction et l’éducation religieuse de leurs enfants, tout en leur garantissant une stricte application de programmes scolaires nationaux.