L'École Primaire comme je voulais la raconter
Les élèves arrivent à l’école après presque deux mois de vacances. Ils rêvent de réussite scolaire, de beaux cahiers bien écrits à l’aide d’un matériel tout neuf, d’activités communes avec leurs camarades, de grands jeux de cour et de découvertes étonnantes. Cela tombe bien, c’est exactement le programme de leur première journée de classe… et des suivantes.
Le matériel est prêt pour leur épargner ce qu’ils n’aiment pas : la programmation, la répétition à l’identique, tout ce qu’ils apparentent à un travail à vide qui n’avance à rien et a un goût de reculade devant l’obstacle. Cahiers et classeurs sont déjà prêts et étiquetés ; leurs pages de garde sont complétées, leurs intercalaires ordonnés. Les livres de classe sont triés, posés sur les bureaux et ils n’ont plus qu’à être placés dans les casiers.
L’emploi du temps est affiché en grand format près du tableau et chaque élève en découvre un, plastifié, sur son bureau. Après l’appel et les présentations d’usage, la classe peut commencer.
N1 correspond au niveau des élèves les plus jeunes, N2, au niveau intermédiaire, N3, à celui des élèves les plus âgés.
Les trois groupes reçoivent leur matériel de lecture. Après quelques courtes minutes d’explication, dès le premier jour, c’est à un « vrai travail » que les élèves vont s’atteler : une lecture oralisée pour le groupe des plus jeunes[1] qui restent près du maître et un travail en autonomie pour les deux groupes suivants.
Les deux jours suivants, ce sont les « moyens » (N2) puis les « grands » (N3) qui auront à lire à voix haute près de leur enseignant pendant que les deux autres groupes mèneront leur tâche en autonomie.
Le maître a pris soin d’opter pour un matériel[2] qui permet de travailler toutes les compétences de lecture en même temps de manière à ce que chaque élève sache qu’il n’est pas possible de lire sans comprendre ni de comprendre sans déchiffrer. La lecture en autonomie est toujours accompagnée de courtes tâches écrites qui permettront de vérifier qu’elle a été effectuée avec le sérieux qui s’impose. En fin de séance, lorsque le travail du groupe du jour est fini, le maître vérifie rapidement le travail produit par les élèves en autonomie.
Les premiers jours, le maître n’aura rien à réguler. Tout au plus pourra-t-il, surtout chez les plus jeunes, commencer à installer la première notion d’étude de la langue qu’il va leur donner à étudier. S’il utilise des manuels conçus dans une idée de progression dite « spiralaire », ce sont les trois groupes qu’il va réunir, pour quelques minutes autour du tableau, le premier chapitre de chaque groupe découlant en droite ligne de celui du niveau inférieur.
À partir d’un matériau commun, deux ou trois phrases constituant un court paragraphe, il amène ses élèves à analyser rapidement le point qu’il souhaite leur voir découvrir ou réactiver. Vite, deux ou trois exercices oraux, pendant lesquels chacun est sollicité à son niveau et place à l’exercice écrit, toujours plus efficace pour la mémorisation que la copie d'une « leçon » à apprendre par cœur !
Dans l’idéal, lorsque la classe sera lancée, le travail programmé, donné à l’avance pour la semaine, pourra être organisé comme bon lui semble par chaque élève. En ce début d’année, il vaudra sans doute mieux que le maître reste plus modeste et annonce à ses « grands » qu’il souhaite qu’ils travaillent sur les exercices ayant trait à la notion vue pendant la séance de régulation afin qu’ils en mémorisent les points essentiels.
Pendant que ses grands sont occupés, le maître se consacre à l’un des exercices-phares de sa méthode d’orthographe : la dictée quotidienne des petits. Comme c’est une dictée d’apprentissage, pas question de noter autre chose que le taux de réussite à l’exercice du jour ; ce taux ne sera même pas gardé en mémoire et n’entrera pas dans une moyenne hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle ou annuelle. Cette dictée peut d’ailleurs même être corrigée en direct, segment de phrase par segment de phrase, selon les difficultés constatées par le maître en regardant par-dessus l’épaule de son petit groupe d’élèves.
Ce taux de réussite pourra tout aussi bien être noté par un pourcentage ascendant ou descendant ou par une note sur 10 ou sur 20, obtenue elle aussi par calcul ascendant ou descendant. L'important étant que les élèves progressent et se sentent pris au sérieux, il choisira en revanche impérativement de « tout compter » quitte à écrire au tableau les segments de mots ou de phrases qui lui semblent dépasser de loin les compétences de son groupe d'élèves.
Et comme nous sommes en début d’année, il a choisi un « matériau » simple visant à encourager plutôt qu’à décourager tout ou partie des enfants : lettres et syllabes pour un CE1 très faible ; syllabes et mots simples pour un CE1 moyen ; courte phrase pour un CE1 fort ou un CE2 faible ; deux ou trois phrases dont les idées s’enchaînent, seulement s’il sait avoir à faire à un excellent CE2.
Lorsque la dictée des premiers est finie, le maître interrompt le travail du groupe de « grands » avec lequel il va travailler l’orthographe ce jour-là. S’il a choisi d’alterner les groupes sur deux jours, c’est pour pouvoir rapidement augmenter les quantités de mots et de phrases dictées afin d’installer plus durablement et plus profondément les réflexes orthographiques. En ce début d’année, ce ne serait pas nécessaire, surtout s’il n’a pas de CM2, mais comme il souhaite installer au plus vite une routine pour ne plus avoir à assister sans arrêt ses élèves dans leur organisation, il s’en tient à ce modèle, même s’il n’est pas encore vraiment utile.
La méthode est la même qu’avec les plus petits. Elle tient compte des acquis des années antérieures, quitte à être réduite s’il constate, toujours en corrigeant « en direct », qu’il a été trop ambitieux et qu’il vaut mieux raboter très sensiblement les exigences.
Il n’est pas inquiet car il sait qu’en maintenant le cap du « tout compte » en dictée et celui du « zéro faute dans tous les écrits », que ce soient ceux de français, de mathématiques, d’histoire, de géographie, de sciences ou de vie quotidienne (cahier de texte, mots aux familles, affichettes à placarder au portail de l’école, ...), il obtiendra peu à peu l’attention orthographique qui manque pour le moment à la plupart de ses élèves.
Pendant ce temps, les deux autres groupes s’activent sur leur travail programmé puis, dès qu’ils l’ont fini, choisissent une activité libre qu’ils pratiqueront jusqu’à l’heure de la « régulation » précédant la récréation[3].
Pendant les minutes qui restent, le maître appelle près de lui ses élèves ou s’installe près d’eux et reprend, avec chacun d’entre eux ou avec chaque petit groupe, le travail effectué en autonomie. Il en renvoie certains à leur place pour effectuer quelques corrections qu’il leur a signalées, réexplique au besoin un détail qui semble leur avoir échappé. Après cette remise sur le métier de l’ouvrage, si l’élève semble encore dépassé, c’est près de lui qu’il finira l’exercice, avec son aide[4].
Normalement, l’âge des élèves dispensera le maître de leur rappeler qu’il serait bon qu’ils profitent de la récréation pour passer aux toilettes, boire et se restaurer éventuellement. En ces tout premiers jours, cela peut cependant se révéler utile pour certains.
En rural, le plus souvent, les maîtres participent tous à la surveillance de la cour, chacun étant responsable de tous les enfants présents. Une cour de récréation trop petite ou mal aménagée ou bien quelques enfants très difficiles faisant régner le chaos peuvent cependant nécessiter que les classes s’y succèdent. La récréation faisant partie du temps de travail des professeurs des écoles, rien ne s’oppose à ce que nous soyons tous « de service » tous les jours, à toutes les récréations.
Le système mis en place pour l’Étude de la Langue sera repris à l’identique pour la séance quotidienne de mathématiques : une découverte collective ou consacrée à un seul niveau quand le besoin s’en fait sentir ; un travail programmé rendu possible par une méthode de mathématiques réellement « spiralaire » et explicite ; des régulations, collectives, par niveaux niveau ou individuelles, le plus souvent pendant la correction du travail de la journée.
En ce premier jour, la notion du jour étant très simple et chaque niveau traitant du même sujet[5], le maître commence par une courte activité commune. Il présente d’abord la situation de découverte des plus jeunes, continue en imbriquant celle destinée au groupe des moyens et termine par les compléments réservés à l’entraînement des plus grands. Cette méthode qui démarre toujours du centre de la spirale et l’élargit peu à peu va lui permettre, au bout de quelques semaines d’utilisation, d’avoir des élèves plus réactifs, car ayant déjà quelques lueurs dans le domaine qu’ils sont censés découvrir.
La classe finit la matinée en avançant le travail programmé de mathématiques ; le maître quant à lui navigue parmi eux, corrigeant en direct les travaux de chacun selon la méthode déjà employée en Étude de la Langue et fournissant les appuis nécessaires à ceux qui les réclament.
Une fois leur travail corrigé, les élèves peuvent à nouveau se diriger vers une activité libre de leur choix. La plupart d’entre eux prend alors le temps de mettre à jour l’agenda ou le cahier de texte pour le lendemain et de commencer la préparation du cartable.
Tous les chapitres déjà mis en ligne sont répertoriés dans la Table des matières évolutive que vous trouverez dans la partie Sommaires.
Pour la partie présente
I. Idées reçues ; III.1. Trois niveaux dans la même classe ; III. 2. E. Mise en route - Élém. sans CP (1) ; III. 2. E. Mise en route - Élém. sans CP (2) ; III. 2. E. Mise en route - Élém. sans CP (3)
[1] S’il s’agit d’élèves de CE1 dont certains non-lecteurs ou très faibles lecteurs, le maître aura tout intérêt à procéder avec eux comme avec des élèves de CP : lecture à voix haute quotidienne, plusieurs fois par jour, avec un matériel adapté à leurs capacités réelles. Savoir perdre du temps sur les bases permettra sans contestation possible d’en gagner à l’avenir. Se reporter au chapitre précédent : classe élémentaire avec CP pour l’emploi du temps.
[2] Et un seul ! Foin de ces « manuels d’apprentissage de la lecture » qui iront bientôt jusqu’à la préadolescence et qui proposent aux maîtres de corriger les difficultés que leur utilisation crée chez les enfants !
[3] Plus tard dans l’année scolaire, certains choisiront de se mettre tout de suite au travail programmé de mathématiques afin d’être sûrs d’avoir fini à la fin de la matinée sans pour cela être obligés de se presser.
[4] Toujours pour éviter cette impression de « train qui roule à vide » ou, plus parlant, cette « assiette de soupe froide » qu’on ressert jusqu’à l’écœurement. Mieux vaut de l’aide et des encouragements. D’autant qu’ayant déjà trois niveaux à mener de front, il serait judicieux de ne pas multiplier les difficultés en laissant dès le début les « canards boiteux » traîner loin derrière leurs petits camarades plus chanceux.
[5] Quelle que soit la méthode employée, il s’agit souvent de l’usage des chiffres pour écrire des nombres et de la notion de nombre en général.