L'École Primaire comme je voulais la raconter
Certains enfants, encore en début d'apprentissage (en fin de GS, au début du CP et même, hélas, lorsqu'ils ont « loupé le coche » au CP, en début de CE1) n'écrivent que la consonne lorsque nous leur dictons une syllabe « consonne + voyelle ».
C'est curieux pour nous, parce que nous avons depuis longtemps adopté le codage « consonne+voyelle » et que ce dernier nous paraît de ce fait le seul pertinent. Mais il est ou il fut des alphabets qui ne traitaient que les consonnes et que, pourtant, les peuples qui les utilisaient savaient lire...
Comme quoi, c'est un peu comme la convention de lecture de « gauche à droite »; une habitude qui fait force de loi mais est très loin d'être universelle.
Ceci dit, cette convention étant la nôtre, il va falloir que ces enfants s'y mettent.
L'idéal pour cela, ce sont les lettres magnétiques, si possible minuscules scriptes.
Celles-ci, par exemple, qui ont l'avantage d'avoir la possibilité de mettre des accents.
On peut aussi opter pour des minuscules cursives, comme celles qu'on trouve chez Montessori, avec leur code couleur qui distingue les voyelles des consonnes.
Personnellement, je trouve que c'est moins bien parce qu'on n'est pas dans l'écriture « extérieure », celle qui est lue dans les livres. Mais cela se défend aussi...
À l'école, en GS et en tout début de CP ( dans les deux cas, pour les deux ou trois premières consonnes étudiées), le jeu concerne le groupe classe rassemblé autour du tableau. Plus tard dans l'apprentissage (suite du CP ou récupération au CE1), il ne concerne que les élèves en difficulté et peut être pratiqué pendant les APC ou pendant que le reste de la classe est occupé sur un travail écrit simple.
À la maison, il concerne le début d'apprentissage dans le cadre de l'IEF ou le soutien/complément de l'apprentissage dans le cas d'un enfant qui, pour une raison ou une autre, peine à apprendre à écrire et lire en même temps.
→ On donne à l'enfant une ou deux consonnes plus toutes les voyelles qu'il connaît déjà et on convient avec lui qu'il doit en utiliser deux (puis bientôt trois) pour écrire en classe sur le tableau, ou à la maison sur la porte du réfrigérateur, de gauche à droite, chacune des syllabes que nous lui dicterons.
Cette capacité à écrire des syllabes à l'aide d'objets représentant les lettres doit se transférer à l'écriture manuscrite (au sens étymologique : celle qui s'écrit à la main, dirigée directement depuis le cerveau).
En GS et début de CP, mais aussi en réapprentissage ou en soutien à l'apprentissage difficile (CP en difficulté et CE1 non-lecteurs), la pratique de la dictée de syllabes doit accompagner journellement la pratique de la lecture et de l'écriture à l'aide d'objets de ces mêmes syllabes. L'idéal est qu'elle ait lieu crayon en main, sur un cahier ou une ardoise.
Pour ceci, il convient d'utiliser aussi longtemps que besoin la « fragmentation » de la syllabe[1] :
1) On dicte une syllabe, par exemple « ri »
2) L'enfant y arrive, on s'arrête là, on relit en soulignant de gauche à droite avec son index : « ri » et on dicte « ra »
2 bis) L'enfant oublie la voyelle, on prolonge le son [i] : « riiiiiiii »
3) L'enfant y arrive, on s'arrête là, on relit en soulignant de gauche à droite avec son index : « riiiii... c'est bien ça, ri » et on dicte « ra » (puis « raaaaa », si ça ne fonctionne pas)
3bis) L'enfant n'arrive pas à percevoir ce qui manque alors on « fragmente" : « riiii... iii...iii... » (un peu comme si on riait : « Hi hi hi ! ») jusqu'à ce que l'enfant ajoute cette voyelle qu'il entend (je vous rassure) mais qui ne lui semble pas utile.
4) L'enfant y arrive, on s'arrête là, on relit en soulignant de gauche à droite avec son index : « riiiii...iii...iii..., c'est bien ça : rrriiiiii, voilà : ri » et on dicte « ra » (puis « raaaaa » et enfin « rraaa...aaa...aaa... », un peu comme si on riait « Ah ah ah », si ça ne fonctionne pas)
Il est bon de savoir que, si on veut faire en sorte qu'il n'y ait que très peu d'enfants qui auraient besoin de ces aides, on peut, dès la première graphie, associer un geste à cette lettre vue, dite et écrite.
Ces gestes faits pendant qu'ils lisent et vus pendant que l'enseignant dicte leur permettent de mieux percevoir la succession des sons qu'ils prononcent.
Ici, les enfants miment lettre à lettre le mot... cheval.
Normalement, en faisant cela tous les jours, c'est l'affaire de deux à trois semaines pour les débutants (GS, début de CP) et d'une à deux semaines pour des CP ou CE1 bons déchiffreurs mais insuffisamment exercés à l'écriture autonome jusque-là[2].
L'enjeu sera alors :
1) d'écrire « mar... fil... sur... lac... » sans en oublier une des trois...
2) puis « ar... ol... if... uc... » dans l'ordre conventionnel « gauche droite » adopté par les Grecs et les Romains
3) puis « papa, riri, lulu », car certains enfants pensent qu'écrire « pa » suffit ou même qu'il est interdit de l'écrire une seconde fois juste à côté, suivant ainsi nos très lointains ancêtres qui faisaient de même
et enfin « Papa rame sur le lac. » en individualisant les mots, moment où il conviendra de se replonger dans l'Histoire des Alphabets pour y redécouvrir que, jusqu'à une époque très récente de l'histoire de l'écriture (13 siècles, une paille !) tout le monde trouvait normal d'écrire sans espaces entre les mots !
Lire, ça s'apprend aussi, et même surtout, en écrivant sous la dictée (et la production d'écrit autonome[3]), encore mieux que sous la copie, même répétée à plusieurs reprises (les lignes de pa pa pa pa, lu lu lu lu, etc.).
La première production d'écrit autonome (d'après une demande suggérée par l'adulte : « Écrivez aaaa... écrivez oooo.... aaaa... aaa... ooo... ») doit avoir lieu le premier jour d'apprentissage, même en GS où elle prendra, comme en début de CP, un caractère ludique marqué, grâce aux Alphas, aux lettres magnétiques, aux ardoises que les enfants découvrent souvent à l'école, aux « petits challenges entre amis » et autres idées géniales et drôles que tout professeur des écoles, ou parent, a forcément en réserve dans sa besace.
Ici, une dictée à 3 mains en GS , visant à écrire Morobo, le nom de la sorcière...
Deux excellents jeux pour exercer cela tout en amusant les enfants : le loto des Alphas et Syllamots, qui n'est malheureusement plus commercialisé (des versions pdf sur le site de Zaubette).
[1] Et ceci, même si les linguistes et autres soutiennent et maintiennent qu’une consonne ne peut se prononcer seule et que, de ce fait, une syllabe ne peut être fragmentée.
[2] En soutien à des élèves en difficulté, cela peut être beaucoup plus long. Il convient de ne pas se décourager et d'insister, insister et encore insister jusqu'à ce qu'un beau matin, on constate que le barrage a cédé et que l'élève écrit facilement ces deux lettres associées qui lui posaient jusqu'alors tant de problèmes.
[3] Attention, je ne parle pas d’écrits reconstitués par copie en utilisant des listes de mots fournies par l’adulte mais bien d’écrits composés lettre à lettre, grâce à la technique de l’encodage. Bien sûr, les débuts ne sont pas très spectaculaires et plus tardifs mais le résultat est beaucoup plus solide, surtout si, dès le début, la convention de l’orthographe est aussi enseignée.