L'École Primaire comme je voulais la raconter
Je suis dépitée, ravagée, désespérée... Tels les écoliers français qui ont été testés par PIRLS, je suis en baisse de 30 %...
Enfin, pas moi, mais les manuels scolaires que j'ai écrits... Mais c'est pareil. Surtout que, contrairement à l'année antérieure, je pouvais désormais compter sur les droits d'auteur supplémentaires que me procurerait Pour une Maternelle du XXIe Siècle.
Celui-là, si j'ai bien compté, il s'en est vendu 245... en deux ans... la honte... la loose totale ! L'électricienne du cœur en vend des milliers en trois mois pendant que mes copines[1] et moi, nous n'arrivons péniblement qu'à un petit quart de mille en deux ans !
Pour les autres, et tout particulièrement mes chouchous, Écrire et Lire au CP et Se Repérer, Compter, Calculer en GS, je n'ai pas encore reçu le décompte. Mais je crains le pire...
Ce n'est pas tant pour l'argent que je ne toucherai pas que cela me tracasse à ce point. J'ai reçu tout de même juste assez pour contribuer à aider une famille pendant tout l'hiver. J'aurais bien sûr aimé pouvoir faire plus mais tant pis, c'est déjà ça.
Ce n'est pas non plus d'avoir bûché, de m'être décarcassée pour aller au plus pratique, au plus efficace, d'avoir donné du temps, de la sueur et même des larmes pour défendre mon point de vue et tenter de rendre accessible un savoir, une expertise, des connaissances, appelez ça comme vous voulez...
Non, ce qui m'attriste le plus dans l'histoire, c'est de voir que ces dix années d'efforts n'ont servi à rien... ou si peu... et que nos petits CP, nos jeunes CE1, sans parler des CE2 et des CM vivent toujours les mêmes expériences... Tout comme leurs petits frères et sœurs de maternelle, d'ailleurs.
Ce qui me peine, c'est qu'il existe toujours des petits enfants qui, dès l'âge de deux ou trois ans, sont priés de reconnaître les lettres de l'alphabet, dont ils ne découvriront l'usage magique que trois ou quatre ans plus tard, s'ils l'apprennent jamais...
C'est qu'ils aient toujours des professeurs qui ont besoin d'un « outil » particulier, d'un créneau inscrit à leur emploi du temps et d'une grille d'objectifs à atteindre quasiment tel jour à telle heure, pour leur faire « pratiquer la narration et la compréhension ».
Ce qui me couvre de honte, c'est qu'il existe toujours des classes de GS où l'on exerce séparément les compétences phonologiques, la reconnaissance des lettres en majuscules, leur écriture, toujours en majuscules, et la compréhension orale et écrite, sans jamais proposer aux enfants de les associer entre elles ni leur faire découvrir l'extraordinaire conquête que cette mise en synergie offre sur un plateau...
Ce qui me fait bondir, c'est qu'il y ait encore une majorité de classes de CP où l'on continue, avec le succès que l'on sait, à psalmodier des syllabes une à deux fois par semaine et à écouter lire les adultes le reste du temps... C'est aussi que, dans les autres classes de CP, ce soit la psalmodie de syllabes qui tienne le haut de l'affiche et que les enfants n'aient accès à la lecture compréhensive qu'en récompense, après, s'il reste du temps...
Ce qui me fait hurler de rage, c'est que, dans certains CE1, on puisse encore trouver jusqu'à un quart ou un tiers de non-lecteurs à la rentrée des classes. Que dans d'autres, un petit garçon mignon m'apprenne qu'« on ne lit pas d'histoires parce que c'est pour les CP » et que le travail de lecture se résume à la lecture, hebdomadaire, d'un « tableau de son » sans aucun intérêt narratif.
Que dans ceux où on lit, on en soit encore et toujours à quatre ou cinq petits albums par an, parce qu'on est plus préoccupé à « faire trouver une thématique » aux enfants qu'à leur assurer un accès à la lecture rapide et immédiatement compréhensive.
Et enfin, ce qui me désespère, c'est qu'après ces cinq à six années de gâchis, on n'ait toujours pas redressé la barre, que des élèves de huit à neuf ans (CE2) « étudient » en classe Roule Galette ou Le loup qui voulait changer de couleur, comme leurs petits frères et sœurs de maternelle, sans doute parce que, parmi eux, il y a de si faibles lecteurs que l'enseignant ne peut pas prétendre à plus.
Ce qui m'horripile c'est que les remèdes proposés pour « guérir » les élèves des troubles que les méthodes préconisées ont causés sont toujours les mêmes, que de « fluence » en « enseignement de la compréhension », mes collègues continuent à atomiser les compétences de leurs élèves, persuadés qu'ils sont par leur hiérarchie, leurs formateurs et leurs maîtres es-pédagogie-de-la-lecture; qu'il n'est pas possible de procéder autrement.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé d'agir sur les forums, les réseaux sociaux, ce blog, quelques journaux, mais non, rien, aucune ouverture.
J'ai sans doute souvent joué le mauvais cheval, j'ai très certainement été trop cassante avec certains, je n'ai sûrement pas été assez prête à courber la tête quand on me le demandait. Cela m'a valu encore récemment des exclusions, des portes fermées. Cela me vaut surtout cette invisibilité, ce peu d'audience, cette absence de retours...
C'est tellement rageant d'avoir la certitude de détenir non pas la panacée, mais tout de même des solutions pratiques et fiables et de ne pas parvenir à les diffuser, même quand on les donne[2]...
Pour vos cadeaux de Noël, n'oubliez pas :
Y aura-t-il de la pédagogie pour Noël ?
CP : Mon enfant ne déchiffre pas
[1] Françoise Svel, la correctrice, et Sophie Borgnet, l’illustratrice.
[2] Je propose toujours un outil « révolutionnaire » en lecture pour la classe de CE1, ou même CE2. Je l’offre à qui le veut et je suis prête à dialoguer avec un éditeur sérieux, capable de lui donner une audience normale, pour une éventuelle édition papier.