L'École Primaire comme je voulais la raconter
Merci à Wistan pour son cahier de CE2, il y a quelques années...
Imaginons une classe de 29 élèves (oui, je sais, c'est trop, c'est juste pour coller aux effectifs actuels et ne pas être taxée de douce rêveuse) de CP, CE1, CE2, CM1 ou CM2, à moins qu'elle n'ait deux, trois, quatre ou cinq de ces niveaux...
Par commodité, nous appellerons ces 29 enfants : Albert, Bélinda, Corentin, Dounia, Elias, Fatou, Gabriel, Hélène, Hicham, Ilies, Jacklin, Kassandrah, Liam, Léocadie, Mathis, Nina, Ovide, Pamela-Andréa, Quentin, Rose, Siméo, Tabatha-Rayana, Ulysse, Valentine, Victor, Warren, Xerxes, Ysaline, Zoé.
Par commodité aussi, nous les assiérons par groupes de deux, Albert à côté de Bélinda, Corentin à côté de Dounia, Elias avec Fatou, et ainsi de suite, jusqu'à un trio composé de Xerxes, Ysaline et Zoé.
Depuis le début de l'année, toutes les journées se déroulent de la même manière, grâce à un emploi du temps répétitif, et, que ce soit en français ou en mathématiques, les méthodes employées font partie de la catégorie qualifiée d'explicite.
Par commodité, voici celui de notre classe fictive :
Matin |
Lecture - Expression |
Étude de la langue (sous-domaines par rotation) |
Récréation |
Mathématiques |
Après-midi |
Éducation Physique et Sportive |
C3 : Culture scientifique ou Humaniste - C2 : Questionner le Monde |
Récréation |
Anglais / Arts plastiques / Musique (par rotation) |
Dans une méthode explicite, chaque jour amène une nouvelle leçon, qui se trouve exactement à la suite de la précédente, la complétant d'une nouveauté et une seule. Les apprentissages reviennent tout au long de l'année, reprenant les acquis antérieurs et les approfondissant.
Exemple : Notre classe fictive sait qu'aujourd'hui :
→ en lecture, elle lira le texte suivant de son manuel de lecture, que ce texte est la suite de celui lu vendredi, et que, une fois le texte lu, comme chaque jour, elle cherchera à en tirer du sens grâce au questionnaire qui se trouve à la suite.
→ en étude de la langue, c'est grammaire, parce qu'on est lundi et que la leçon va parler de l'accord de l'adjectif qualificatif avec le nom, mais lorsque l'adjectif se trouve éloigné du nom alors que la semaine dernière, il se trouvait juste à côté.
→ en mathématiques, elle aura une série d'exercices visant à stabiliser la connaissance de la technique de la multiplication à un chiffre au multiplicateur et que cette série d'exercices sera suivie d'un problème et d'un exercice de calcul mental
Les enfants ont le plus souvent un manuel ou un fichier, qui peuvent être l'un comme l'autre créés par l'enseignant lui-même, dont ils suivent la progression page après page. Au bout d'une semaine, même au CP, tout le monde sait quelles pages il va avoir à faire dans la journée.
⊗ La première partie de la leçon se déroule au tableau, à partir d'un matériau d'étude simple :
→ quelques phrases en étude de la langue
→ une situation problème en mathématiques
Lors de cette partie l'enseignant guide les débats, amène la discussion sur le sujet qu'il veut voir traiter, sollicite les élèves pour qu'ils en tirent des conclusions d'ordre général.
⊗ Ces conclusions sont alors synthétisées sous la forme d'un court texte, d'une carte mentale, ou d'un exemple illustré.
⊗ Les élèves ouvrent leur manuel ou leur fichier et retrouvent cette synthèse en tête de page. Cela leur permet de comprendre que ce qu'ils viennent d'apprendre n'est pas propre à leur classe, à ce moment précis, mais commun à tous, tout le temps.
⊗ Avec leur enseignant, ils font alors les premiers exercices présents dans le manuel de manière guidée, au tableau, par exemple, des élèves s'y succédant, ou sur l'ardoise, ou encore plus simplement, au tableau, sur lequel l'enseignant écrit sous la dictée de chaque élève successivement.
⊗ Il reste alors une grande partie de la séance qui sera réservée à la pratique autonome corrigée a posteriori grâce à plusieurs exercices généralement gradués en difficulté dont la liste est écrite au tableau.
C'est là que va se situer le problème des corrections de ces productions individuelles.
→ La veille au soir,l'enseignant a préparé une « antisèche » de manière à pouvoir corriger rapidement tous les exercices et y repérer facilement les erreurs. C'est quelque chose de très simple où juste les réponses figurent, si possible un peu codées, surtout dans les grandes classes, où les élèves ont des yeux pour voir...
Exemple : Pour les exercices de Wistan, élève de CE2, cela donne
3 : 1680 - 1470 - 1430 - 2806 ◊ 4 : 2250 - 1590 - 1940 - 5478
5. 2 € x 125 : 250 € ◊ 3 € x 35 = 105 € ◊ 1 € x 200 = 200 € ◊
250 € + 105 € + 200 € = 555 €
6. table 7, ordre croissant.
→ Près du tableau,sur lequel se trouve la liste des exercices, l'enseignant a affiché depuis le début de l'année une longue bande de carton sur laquelle la liste des élèves est écrite, chaque prénom l'un en dessous de l'autre :
Albert
Bélinda
Corentin
Dounia
Elias
Fatou
Gabriel
...
...
Zoé
→ Une pince à linge de couleur est placée en face d'un prénom ; dans notre classe fictive, ce sera par exemple celui de Corentin. Tous les élèves savent que cela signifie que lors de la précédente séance de travail en autonomie sur un cahier, c'est Corentin qui est venu le premier au bureau montrer son travail.
→ L'enseignant déplace la pince à linge qui désigne maintenant le prénom situé juste en-dessous ; chez nous, celui de Dounia. C'est donc Dounia qui viendra la première présenter son cahier.
→ Lors de la séance de travail en autonomie suivante, ce sera près du prénom situé encore en-dessous, soit celui d'Elias, pour nous que sera déplacée la pince à linge.
→ Ainsi, dans notre classe témoin, au bout de 29 séances en autonomie, soit environ 9 à 10 jours de classe, Dounia aura été une fois première, une fois dernière, une fois avant-dernière et ainsi de suite jusqu'à se retrouver à nouveau première à présenter son travail.
Les élèves prennent leur fichier, leur cahier du jour, ou leur cahier de français ou de mathématiques, datent leur travail et copient le numéro et la page du premier exercice, s'ils travaillent sur un cahier.
La première consigne est lue à haute voix par un élève. Personnellement, je ne fais pas copier les consignes sur les cahiers puisque une personne extérieure peut les retrouver facilement en feuilletant le manuel.
S'il s'agit d'une petite classe (CP, CE1, parfois même CE2), la première phrase en français ou le premier exemple en mathématiques sont commencés en commun et écrite au tableau (nous ne sommes pas là pour évaluer mais pour faire réussir).
Puis les élèves continuent seuls. L'enseignant leur laisse deux ou trois minutes pendant lesquelles il peut, par exemple, aider quelques élèves généralement en difficulté à commencer leur travail.
Observons ce qui se passe dans notre classe fictive :
Au bout des ces deux ou trois minutes, l'enseignant va s'installer à sa place habituelle (au milieu des élèves sur un bureau vide, à son propre bureau, au fond de la classe sur une table collective, ...) et appelle Dounia et Elias.
Ceux-ci viennent se placer l'un à sa droite et l'autre à sa gauche et posent leurs cahiers l'un sur l'autre, celui de Dounia sur le dessus.
L'enseignant contrôle le travail que Dounia a déjà réalisé, signalant si c'est juste d'un petit trait en bas à droite du travail, gommant et entourant ce qu'il faut corriger. C'est aussi le moment où il peut lui conseiller d'accélérer un peu ou au contraire de prendre son temps et moins bâcler son travail. Elias est encouragé à s'intéresser à la correction.
Dounia prend son cahier et retourne à sa place continuer son travail pendant que Fatou s'approche du bureau et prend sa place à côté de l'enseignant.
L'enseignant supervise le travail d'Elias sous le regard de Fatou qui voit ce qu'il fait et entend ce qu'il explique.
Pendant qu'Elias retourne à sa place, et que le travail de Fatou est vérifié, c'est Gabriel qui remplace Elias.
Lorsque le tour est terminé, et que Corentin a montré son travail, Dounia, puis Elias, puis Fatou et ainsi de suite reviennent et l'enseignant corrige la partie suivante de leur travail.
Peu à peu, des élèves terminent leurs exercices. Déjà les plus rapides ont fini. Ils savent qu'ils doivent attendre leur tour et prennent un livre, un jeu, un dessin, un bricolage en cours et le continuent assis à leur place ou dans les coins organisés de leur classe.
Quand leur tour arrive, ils viennent montrer leur travail à l'enseignant qui leur signale les erreurs éventuelles.
Le « départ » des élèves les plus rapides libérant des places, la liste des prénoms se raccourcit de minute en minute. Cela permet à l'enseignant de prendre plus de temps avec les plus lents, ceux qui font le plus d'erreurs, ceux qui sont le moins sûrs d'eux.
À la fin de la séance, quand il ne reste plus que deux ou trois élèves, l'enseignant s'installe près d'eux et les aident à finir dans le temps imparti.
Dans les classes de CM, quand les exercices sont très longs, il peut arriver que l'on n'ait pas le temps de corriger en rotation le dernier exercice. Si on utilise une méthode explicite, on le corrigera hors de la présence des élèves, sans s'inquiéter de ce qu'ils regardent ou pas la correction qu'on aura faite car on sait très bien que dans ce type de méthode, l'exercice reviendra souvent sous une autre forme, parfois un peu complété, lors des semaines suivantes et que l'élève aura d'autres occasions de progresser dans ce domaine.
Avoir une horloge à aiguilles au-dessus du tableau et, éventuellement, surtout dans les petites classes, une horloge en carton qu'on réglera sur l'heure de fin des exercices apporte aux enfants une sécurité supplémentaire. Ils savent où ils en sont et peuvent apprécier seuls, en comparant les deux horloges, s'il convient qu'ils accélèrent le rythme ou s'ils peuvent au contraire fignoler tranquillement leur travail.
Pour mieux leur apprendre à gérer ce temps d'autonomie, on peut en début de séance mettre en route un minuteur qu'on réglera au choix :
→ pour qu'il sonne en fin de séance
→ ou au bout de 5 à 10 minutes (un peu éprouvant pour soi mais très utile lorsqu'on a des élèves qui ont du mal à s'y mettre).
Nous lisons souvent que des collègues cherchent comment « travailler l'empathie » dans leur classe. L'aide mutuelle est l'une des pistes possibles, en plus de nombreuses autres, dont font partie le travail collectif en début de séance, la synthèse collective et les exercices à travailler tous ensemble au tableau.
Les élèves qui ont fini sont encouragés, mais pas forcés, à aller aider leurs camarades. Parfois, une petite carotte virtuelle du style « Qui veut aller aider Xerxes à finir à l'heure pour que nous puissions aller en Sport cet après-midi ? » aide chacun à prendre conscience des différences et à tenter de les atténuer par une aide empathique.
On leur signalera que lorsqu'ils aident un camarade, ils apprennent eux aussi puisqu'ils sont obligés de reformuler leurs questions et leurs explications jusqu'à ce que celui-ci comprenne.
Attention, ne pas autoriser les aidants à apporter leur cahier aux aidés pour éviter qu'ils se contentent de leur faire recopier l'exercice sans réflexion.
On peut, toutes les 5 à 10 minutes par exemple, arrêter tout le monde pour un moment d'observation et de recherche au sujet d'un ou plusieurs des exercices suivants.
Tous les élèves posent alors leurs stylos et regardent l'exercice signalé dont l'élève demandeur lit la consigne à haute voix.
S'en suit quelques secondes de discussion, débouchant sur un début de résolution parfois, ou une première phrase écrite au tableau.
Si aucun des élèves n'est capable de proposer ces débuts de résolution, c'est l'enseignant qui donne l'exemple, en le rapportant à ce qui a été synthétisé en début de séance.
Cette organisation semble difficile à adapter aux premières semaines du CP quand les élèves découvrent les outils de l'école élémentaire.
Cette difficulté est d'autant plus grande ces dernières années que, dans de nombreuses circonscriptions, le travail collectif autour d'un objectif commun à la classe est banni depuis longtemps et qu'à cette absence d'apprentissage du travail en groupe-classe s'ajoute désormais l'interdiction plus ou moins complète du travail quotidien sur fiche ou cahier.
On ne pourra donc adopter cette organisation que plus tard, lorsque les premières bases auront été mises en place.
Pour que cette mise en place soit rapide, les outils et l'emploi du temps y sont pour beaucoup.
Si chaque jour des activités simples se déroulent à heures fixes, que les exercices proposés sont répétitifs, toujours sur le même support et dans le même ordre, tout ira assez vite.
Les enfants apprendront très rapidement à sortir leur cahier du jour, réaliser leurs deux lignes d'écriture avant d'y écrire les quelques lettres, syllabes puis mots et enfin phrases dictés par l'enseignant si c'est tous les matins après la lecture et les jeux de doigts que ce travail est proposé.
Très vite, ils sauront aussi gérer leurs fichiers d'exercices de lecture ou de mathématiques
⇒ si on a pris soin de doter chacun d'eux d'un marque-page relié par une ficelle à la couverture du fichier,
⇒ si on l'ouvre chaque jour à la page suivant immédiatement celle de la veille
⇒ si on ne saute jamais ni un jour, ni une page, ni un exercice
⇒ si les enfants sont à l'aise dans ce fichier et y retrouvent souvent les mêmes exercices
Pendant cette période, le rôle de l'enseignant, c'est que tous réussissent. Il circule donc parmi ses élèves, s'asseyant au besoin près de l'un d'eux si le besoin s'en fait sentir.
C'est de cette place privilégiée qu'il commence à installer ce système de « corrections par rotation », d'abord pour les élèves dont il constate qu'ils s'habituent bien aux nouvelles règles et qu'ils n'ont pas de problèmes particuliers pour organiser leur travail et réussir les exercices proposés.
L'utilisation d'un fichier, associé à la méthode de lecture en français, et indépendant en mathématiques, va permettre que très vite tous les élèves puissent passer à cette méthode.
Au début, ce sera après chaque exercice, décortiqué en groupe-classe qu'il appellera ses élèves dès qu'ils l'ont fini, validera leur travail ou gommera leurs erreurs pour qu'ils recommencent.
C'est l'époque du « travail réussi » où aucun élève ne finit la séance avec autre chose qu'un feu vert, un « très bien » ou tout autre moyen de montrer que ce travail a été réussi[1].
Au bout d'un mois, voire moins si les élèves ont le même enseignant qu'en GS, les enfants ayant pris des habitudes de travail, connaissant bien leurs fichiers et les exercices que l'enseignant donne chaque jour sur le cahier du jour, ce dernier peut afficher la liste d'élèves près du tableau et expliquer le système de la pince à linge.
Généralement, les élèves sont ravis car, depuis un moment déjà, ils ont remarqué que c'était toujours Albert, Fatou, Nina, Quentin, Victor et Ysaline qui finissaient les premiers puis que tout à coup, une dizaine d'enfants finissaient tous ensemble et que l'attente se faisait parfois très longue.
Et comme ils ont aussi remarqué qu'ils n'ont pas toujours besoin qu'on leur explique très précisément l'exercice suivant car ils l'ont déjà fait plus de dix fois précédemment avec d'autres lettres ou d'autres données numériques, ils piaffent d'impatience à l'idée de pouvoir continuer tout seuls afin de finir vite et de pouvoir « aller jouer[2] ».
En deux ou trois jours, tout le monde a compris le système et tout, même les dictées, pourvu qu'on ait installé des coins-jeux dans la classe peut être corrigé de cette manière, en rotation.
[1] J’en profite pour expliquer le 10 sur 10 au travail de Wistan : cette année-là, les élèves ont choisi la note sur 10 comme moyen d’évaluation, car c’était celui qui leur semblait le plus juste et le plus précis. Ces notes n’étaient compilées nulle part et ne donnaient lieu à aucune moyenne hebdomadaire, mensuelle ou trimestrielle. C’était juste un total de points obtenu tel jour à tel heure pour tels exercices.
[2] L’existence de coins-jeux dans une classe de CP est un puissant moteur d’efficacité dans les exercices écrits ! N’oublions pas que ce sont des petits, même si on vient de les précipiter chez les grands, encore plus maintenant que la GS est retournée au Cycle 1.