L'École Primaire comme je voulais la raconter
Souvent, les problèmes que nous avons dans les activités écrites (dictées, copies, exercices d'entraînement, résolution de problèmes, production d'écrit) sont des problèmes dus à l'inattention.
Si l'on veut que ces problèmes se réduisent, parfois jusqu'à disparaître, nous devons les traiter dans tous les domaines et toute la journée[1].
→ des jeux d'ordre où l'on perd quand on est inattentif (Jacques a dit, Chaises musicales, Il est minuit dans la bergerie, Dans la mare, sur la rive, le Béret, Un, deux, trois, soleil, etc.) ,
→ des jeux d'attention visuelle (Kim vue, Chef d'orchestre, Maman cane et ses canetons, La cage aux écureuils, Chaises musicales, Touchez du ...)
→ des jeux d'attention auditive (L'aveugle et son chien, L'aveugle et son trésor, Le filet du pêcheur, ...),
→ des jeux de coopération ou de création collective (Ballons déménageurs, Relais ballons, jeux sportifs, écoute musicale et création d'une chorégraphie, ...).
par de courts moments où l'attention doit être totale : rester complètement immobile, même les yeux, pendant 15 secondes ; respirer lentement par le nez et souffler par la bouche le plus lentement possible pendant 5 puis 10 respirations ; sur la pendule de la classe, regarder tourner la trotteuse pendant une minute ; faire des jeux de doigts, des mouvements d'ensemble, des étirements avant de commencer chaque activité demandant beaucoup d'attention ; ...
où tous les élèves sont réunis autour de l'enseignant qui exige que tous s'intéressent à l'activité programmée (voir Note en bas de page) car :
→ c'est dans cette configuration que nous pouvons le mieux observer les yeux d'Untel qui partent dans le vague, Bidule qui se met à gigoter sur sa chaise, Chose qui se retourne pour bavarder avec Machin, Truc qui fait bêtement tomber sa gomme, puis son crayon, puis sa règle, etc.
→ c'est dans cette configuration qu'on peut intervenir tout de suite, parfois même avant que l'attention se dilue complètement, en trouvant immédiatement la petite idée qui relance la discussion ou la recherche, apporte rapidement la réponse que plus personne n'a envie de chercher, remotive Chose, Bidule, Untel ou Machin (souvent l'appeler près de soi et lui confier une petite tâche qui apporte la solution suffit).
→ en bannissant les activités dont les élèves ont fait le tour au bout de quelques jours parce qu'elles se répètent à l'identique et sur le même matériel exactement et sont décrochées du reste de la vie de la classe (la date, chaque jour compte, ...). Si tout ce qu'on fait a son utilité et qu'on peut le prouver aux élèves (la dictée, c'est utile parce que ça nous apprend à écrire comme des grands et ça évite qu'on se moque de nous quand on sera grands ; le calcul mental, c'est utile parce qu'on n'a pas toujours dans sa poche du papier et un crayon ou un téléphone portable avec une fonction calculatrice ; etc.)
→ en multipliant les activités courtes, très rythmées, où on n'a pas le temps de s'évader (par exemple : « Posez votre ardoise et votre crayon ! Compter 5 secondes Vous êtes prêts ? Écoutez et calculez dans votre tête : 2 + 2 ! Compter 5 secondes Vous êtes prêts ? Écrivez ! Compter 5 secondes Levez votre ardoise ! Oui, 2 + 2 = 4. Posez votre ardoise et votre crayon ! Compter 5 secondes Vous êtes prêts ? Écoutez et calculez dans votre tête : 5 + 5 ! Compter 5 secondes Etc.
→ en valorisant exagérément toutes les réussites (par exemple, pour une dictée sans faute, on colle une gommette dorée en forme d'étoile sur le cahier de l'élève, pour une dictée dont certaines fautes ont été corrigées, on trace un + argenté pour chaque faute corrigée et on donne une étoile d'argent si aucune faute n'a été oubliée à la correction) et en convaincant les élèves inattentifs qu'eux aussi bientôt auront des + en argent sur leurs cahiers et même un étoile d'or, que nous allons les y aider, et que même, le jour où ça arrivera, nous serons tellement fiers d'eux que nous mettrons deux étoiles d'or d'un coup pour fêter ça !
→ en partageant équitablement le temps de classe entre les activités purement scolaires (français, maths) et les activités culturelles (QLM, Arts) ou sportives (EPS), souvent jugées plus appétentes par les élèves, afin de ne pas condamner les élèves inattentifs à la double peine : échouer ET être privé de tout ce qui leur permettrait de briller un peu.
→ en concevant un emploi du temps très répétitif où ce sont les activités scolaires qui deviennent les rituels de classe:
Exemple (en élémentaire) :
Le matin en arrivant, après 1 minute 30 d'échauffement et 30 secondes de respiration lente, on sort le cahier du jour, on copie la date et on participe à la dictée qu'on corrige au fur et à mesure .
Puis, c'est l'heure de la lecture : on résume la lecture précédente lorsque l'on est dans le cadre d'une lecture à épisode ou on commente l'illustration et le titre lorsqu'il s'agit d'un nouveau texte avant de lire, chacun son tour un mot (CP), une phrase (CP ou CE1) ou un court paragraphe (CE1, CE2, CM1, CM2).
Afin que l'attention ne se dilue pas et que nous puissions expliquer le vocabulaire et les idées, nous entrecoupons la lecture de très courts débats collectifs organisés par l'enseignant après chaque mot (CP), phrase (CP ou CE1) ou court paragraphe (CE1, CE2, CM1, CM2).
Nota bene : Au CM, c'est un peu différent, les dictées et les lectures commençant à être longues, ce sera soit dictée, correction de dictée puis étude de la langue, soit lecture et explication de texte puis étude de la langue.
Comme l'attention vient d'être très sollicitée, nous prenons 2 à 3 minutes de repos : longues respirations, trottinements sur place, assouplissements (nuque, bras, mains, ...).
Le « rituel » suivant, c'est l'activité collective autour d'un fait de langue (grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire, ... ou CGP pour les CP) où tout le monde participe autour du tableau. Ce rituel se termine toujours par un ou deux exercices écrits avec corrections par rotation.
Ici la récompense est immédiate. Si un élève a fini avant l'heure et que son cahier a été corrigé, il peut rejoindre un des coins-jeux installés dans la classe. Ceci lui permet de constater que l'attention mais aussi l'application paie et qu'on écope pas d'un ennui supplémentaire quand on a été rapide et efficace (les fameux cahiers d'activités où quand on sait, ben, on en reprend une bonne louche et puis c'est tout).
Puis vient l'heure de la récréation.
Après la récréation, à nouveau moment d'attention visuelle et de décontraction (suivre des yeux un objet qui se déplace, respirations lentes, immobilité parfaite, relâchement) suivi immédiatement d'un rituel collectif d'apprentissage, autour d'un fait mathématique cette fois, rituel se terminant lui aussi toujours par un ou deux exercices écrits avec corrections par rotation et, si on a été rapide, la récompense de l'accès aux coins-jeux de la classe.
L'après-midi, après un rituel de retour au calme, vient le rituel d'écriture (production d'écrits ou copie chez les grands ; geste d'écriture ou copie chez les petits).
On peut alors clore la journée de « travail scolaire » en préparant les cartables dont on n'aura plus besoin ensuite puisque voilà l'heure des rituels culturels et sportifs qui s'organisent selon les disponibilités de salles, gymnase, plateau d'évolution, mais si possible toujours dans le même ordre.
Ils comprennent chaque après-midi, entrecoupés si le besoin s'en fait sentir de courts moments de décontraction puis concentration :
⇒ un moment culturel : histoire, géographie ou sciences chez les grands ; questionner le monde chez les plus jeunes[2].
⇒ un moment d'EPS
⇒ un moment d'Arts (musique ou arts plastiques selon les jours)
⇒ un moment de langue étrangère
Ensuite, s'il reste un petit moment, ce doit être un moment plaisir collectif, où l'attention est à nouveau sollicitée mais sur le mode « plaisir » : heure du conte (= lecture offerte, même au CM2), écoute musicale, jeux de création poétique, méli-mélo de mots (Marabout, bout de ficelle, ...), kim vue, kim ouïe, ... afin de se quitter sur un bon souvenir, celui qui fait aimer l'école aux enfants et leur donne envie de revenir demain pour partager avec leurs camarades et leur enseignant de nouveaux bons moments[3].
[1] Plusieurs années après, je suis toujours « traumatisée » par un « Quoi de neuf ? » auquel j’avais assisté dans une classe de GS CP, au mois de janvier, pendant lequel un petit garçon racontait son histoire (passionnante et qui aurait pu déboucher sur une journée entière de travail) dans une inattention indescriptible. La maîtresse l’écoutait d’une oreille, ne reprenait pas ce qu’il disait, n’essayait pas d’intéresser le reste de la classe au sujet abordé. Quant aux enfants, sept ou huit garçons se passionnaient pour le radiateur qu’ils avaient dans le dos et tâtaient les tuyaux pour savoir d’où venait la chaleur (encore un sujet passionnant qui aurait pu déboucher sur une journée entière de travail), une grande fille très sûre d’elle (j’ai appris après que c’était la fille d’une collègue) coiffait sa voisine en papotant, tournant le dos à l’orateur, et répondant d’un ton rogue à la maîtresse qui lui demandait de « parler moins fort », trois enfants « comataient » sur les bancs, deux se bagarraient, une enfant, handicapé moteur, bavardait avec son AVS, ...
[2] Petite prière au sujet de ces activités culturelles, surtout pour les collègues de Cycle 3 : s’il vous plaît, ne les rendez pas stressantes et aussi « inappétentes » que possible en soumettant les élèves à des efforts disproportionnés avec leur âge et leur stade cognitif. L’histoire, la géographie, les sciences, à l’école primaire, cela doit rester une initiation, un encouragement à la curiosité, un émerveillement à chaque découverte, et non un « cours magistral », même interactif, grouillant de renseignements extrêmement détaillés, sanctionné par un apprentissage par cœur et une restitution par « devoir sur table » dans la plus pure tradition de l’enseignement secondaire ou universitaire. Vous les dégoûtez avant même qu’ils aient la culture nécessaire pour que cela devienne une passion chez certains et un intérêt chez tous les autres.
[3] Pour l’enfant ou les enfants asociaux qui, pour une raison ou une autre, mettent sans arrêt la classe en l’air parce que c’est le seul moyen qu’ils ont trouvé de prouver leur existence et leur mal-être, excusez-moi, je n’ai pas de solutions miracles. J’ai juste constaté que c’étaient les activités très dirigées, qu'elles soient collectives ou individuelles, qui leur convenaient le moins mal et que c’était plutôt dans la dispersion que leurs « vieux démons » les taraudaient le plus.