L'École Primaire comme je voulais la raconter
Certains collègues s'inquiètent du peu de motivation que pourraient ressentir des adultes devant un écrit d'une telle pauvreté. Pour des personnes habituées à lire autre chose que des textos ou des tweets, cela se comprend.
On peut aussi comprendre que cela inquiète les très nombreux enseignants de CP habitués à d'autres méthodes de lecture, celles qui furent un temps qualifiées d'idéovisuelles, puis devinrent intégratives, pour se retrouver actuellement dans la catégorie des méthodes mixtes.
En effet, ces méthodes, à l'origine, partaient du principe qu'en considérant dès le début de l'année l'enfant comme un lecteur expert confronté à un écrit résistant, il saurait, en une à deux années scolaires[1], se débrouiller pour décrypter chaque Pierre de Rosette rencontrée sur son chemin. Leurs auteurs partaient donc souvent du principe que toute l'imprégnation à la langue écrite se faisait pendant les séances de lecture inscrites à l'emploi du temps.
Et leurs manuels de lecture proposaient dès le début de longs textes dont chacun tirait la quantité de substantifique moelle qui lui était accessible, quantité censée augmenter au cours de l'année grâce à des exercices collectifs, de petits groupes ou individuels.
Petit à petit, devant la difficulté de la chose et les récriminations d'un public de géniteurs d'apprenants peu disposés à voir leur progéniture échouer, ces textes ont raccourci et l'enseignant joue désormais plus souvent le rôle de lecteur devant ces pavés inaccessibles aux petits qui débarquent de l'école maternelle.
Il n'en reste que l'habitude est restée de présenter souvent plusieurs phrases dès le début de l'année même si, le plus souvent, la quantité de lecture qu'ils proposent est désormais comparable à celle de l'écrit présenté ci-dessus[2]. Et ces phrases sont toujours là en témoins de l'exploitation (orale, heureusement) d'un conte lu au préalable.
D'où le leitmotiv : « Lire une ou deux phrases, en début de CP, sans conte lu en amont, ce n'est pas motivant ». C'est un principe que je respecte et qui peut, sous certaines conditions, mener à l'écriture et à la lecture courante tout aussi bien qu'un autre.
Mais il en existe d'autres, tout aussi efficaces et menant les enfants à la lecture (courante) d'écrits dont on ne pourra mettre en doute l'ambition culturelle, rapidement et tout aussi bien.
Ces méthodes sont souvent des méthodes « graphémiques », sans être pour cela non plus des méthodes qu'on qualifie aujourd'hui de « syllabiques ».
L'élément déclencheur de la séance n'est donc ni la lecture d'un conte, ni la présentation d'un ou plusieurs graphèmes (lettre ou groupe de lettres) dont on apprendrait tout d'abord la prononciation orale, à l'aide ou non d'une comptine.
Le premier élément que l'enseignant présente aux élèves, c'est une illustration précise (dont il a personnellement une idée précise d'exploitation) dont il leur propose de parler tous ensemble, en respectant certaines règles :
Cette illustration permet aux élèves d'utiliser des fonctions cognitives qu'il possède déjà :
- mémoire sémantique
- mémoire épisodique (hélas !... mes collègues de CP comprendront cette interjection)
- expression
- réception
- autodiscipline
- raisonnement
- créativité
Pour le descriptif d'une telle séance, vous pouvez me demander le Livre du Maître d'Écrire et Lire au CP, sa version pdf est gratuite et je vous l'enverrai bien volontiers.
Une fois cette image décryptée convenablement, l'enseignant demande alors aux élèves ce qu'ils pourraient en dire, en quelques mots. Les élèves s'expriment, l'enseignant les aiguillant discrètement vers les phrases qu'il veut leur voir prononcer in fine[3].
Cette phrase est alors écrite lentement au tableau par l'enseignant qui « sur-articule » en même temps les graphèmes qu'il transcrit et s'arrête après chaque mot... Il peut aussi s'accompagner des gestes Borel Maisonny pour ajouter l'identification par le geste à celles utilisant la vue et l'ouïe. Pendant cette phase d'écriture, les élèves sont clairement sollicités pour suivre le travail pas à pas, et intervenir le cas échéant s'ils reconnaissent quelque chose.
En reprenant ainsi une activité courante en école maternelle, il s'appuie à nouveau sur des fonctions cognitives déjà présentes :
- mémoire sémantique
- enrichissement de la mémoire épisodique
- expression
- réception
- auditive
- visuelle
- (tactile)
- organiser
- planifier
- être flexible
- contrôle inhibiteur
- auto-discipline
- raisonner
- créer
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Les élèves sont désormais devant une phrase qu'ils savent raconter mais en aucun cas déchiffrer, comme dans toute méthode dite globale ou mixte.
Cette phrase a néanmoins été composée avec soin de manière à ce que cette appréhension globale de suites de caractères alphabétiques se transforme, le plus rapidement possible, en une reconnaissance par décodage graphémique et une capacité à réutiliser ces graphèmes pour composer soi-même d'autres mots.
C'est en cela que je n'ai pas hésité, malgré ce très court départ global à distinguer ce type de méthode de celles qui, tout en se qualifiant de mixtes, restent beaucoup plus longtemps au stade de reconnaissance idéovisuelle des mots ou groupes de mots.
Les enfants vont donc, tout de suite, exercer leurs :
- visuelles
- auditives
- tactiles
pour voir, entendre, «signer » à l'aide des gestes Borel Maisonny et, en utilisant au besoin des étiquettes, écrire un ou deux graphèmes.
S'il y en a deux, ils commenceront aussi à apprendre à les fusionner pour écrire – en premier, toujours en premier, l'écriture, demander à Mme Montessori et M. Freinet pourquoi – et lire une ou deux syllabes.
Pour le descriptif d'une telle séance, vous pouvez me demander le Livre du Maître d'Écrire et Lire au CP, sa version pdf est gratuite et je vous l'enverrai bien volontiers.
Plus tard dans la journée de classe, les enfants répéteront la phrase mot à mot en pointant chacun d'eux du doigt, la recomposeront en rangeant des étiquettes dans l'ordre proposé juste au-dessus, comme ils le faisaient en maternelle.
Mais parce qu'ils sont plus grands, que leurs capacités de reconnaissance et d'identification visuelles sont capables d'activités plus fines et que leur mémoire implicite ne demande qu'à se développer, ils apprendront à observer les lettres pour les reconnaître sans avoir de modèle sous les yeux.
Ils affineront leur mémoire auditive en pratiquant des exercices bien connus de toutes les méthodes de lecture (quotidiennes pour celles que l'on dit syllabiques, épisodiques pour les autres). S'ils ont la chance d'avoir appris les gestes d'écriture en GS, cette mémoire auditive s'enrichira de l'appui de leur mémoire tactile en écrivant eux-mêmes les lettres sous les dessins.
La boucle sera bouclé, ils seront partis du signifié (le mot oral qu'ils comprennent) au signifiant (la lettre ou le groupe de lettres qui permet d'en écrire chaque phonème) pour revenir au signifié (d'autres mots qu'ils comprennent et dont ils savent déjà transcrire[6] un semblant,de signifiant, très modeste, je le reconnais).
Comprendre un texte demande des connaissances et savoir-faire nombreux et divers relatifs à l’identification des mots, mais également à la compréhension langagière et à l’interprétation.
Pour faire progresser les élèves vers une lecture autonome de textes, les activités d’apprentissage du code et les premiers repérages du fonctionnement de la langue, l’entraînement à une lecture de texte, doivent forcément être accompagnés d’un temps de classe consacré à la compréhension.
Pendant toute la première partie de l'année, cet entraînement à la compréhension se fera à partir de textes lus quotidiennement à haute voix par le professeur.
Cependant, pour que l'habitude de décoder dans le but de comprendre soit immédiatement prise, dès la première leçon, les enfants sont amenés à décoder et interpréter de petits textes à leur portée.
En plus des textes présents dans la méthodes, lus collectivement par les élèves sont travaillés, le temps de compréhension est occupé par des textes lus à haute voix par l'enseignant.
Au cours de ces deux types d'activités, ils entraîneront leurs capacités à :
Cette méthode, issue de la Méthode Française, décrite par Mme Kergomard, à une époque où les enfants sortaient de maternelle, à sept ans[7], en sachant lire et écrire, paraît en effet très modeste au départ.
Pas de longs textes lus par l'enseignant, pas de débats d'EMC échevelés sur un thème de société décrit par l'album de littérature jeunesse pris comme prétexte, pas même de comptines, car elles ne privilégient que la reconnaissance et l'identification auditives, perturbant ainsi tous les petits visuels ou tactiles.
Elle paraît aussi très globalisante avec sa kyrielle de mots à identifier sans en maîtriser d'abord les correspondances graphémiques. Seuls les puristes s'y tromperont ; les autres, suivant ainsi les travaux de recherche sur la lecture et les neurones, comprendront que ces mots-syllabes sont juste un prétexte (temporaire qui plus est) pour soutenir et entraîner les capacités des enfants à :
- organisation
- abstraction
- flexibilité
- raisonnement
Quand on saura que bien avant la fin d'année, la petite phrase toute bête se sera transformée en un long texte, riche en références littéraires, que chaque élève de la classe saura déchiffrer et comprendre, je crois que j'aurai tout dit.
Il me suffira de vous encourager à ne pas écouter les sirènes qui, de toutes parts, reprochent aux vraies méthodes analytico-synthétiques d'être soit trop syllabiques, soit trop globales, à les essayer une fois, en vrai, dans votre classe[8].
[1] Mme Charmeux, une des fondatrices de cette pédagogie de l’écrit, pense toujours qu’un enfant ne peut pas (et même ne doit pas) savoir lire à la fin du CP :
https://www.charmeux.fr/blog/index.php?2018/04/25/339-savoir-lire-a-la-fin-du-cp-impossible-et-dangereux
[2] La différence tient plutôt dans le contenu : plus de mots contenant des graphèmes complexes et beaucoup moins de réutilisation de ces mots dans les écrits suivants.
[3] Ici : Tu as vu le chat ? Il chasse.
[4] Le sens
[5] Le son
[6] Vous vous souvenez : « En premier, toujours en premier, l’écriture ! Demandez pourquoi à Mme Montessori et M. Freinet. »
[7] Eh oui, il fut un temps où le CP était rattaché à l’école maternelle (ou à la classe enfantine en rural).
[8] Croyez bien que suis désolée de ne pas avoir fait le choix de l’édition gratuite en ligne pour Écrire et Lire au CP. À l'époque, je pensais que ce serait mieux car cela permettrait une diffusion plus large du principe qu'il défend. Maintenant qu’il est édité, je suis bien obligée d’en réclamer le prix qu’il me coûte lorsque je l’achète à l’éditeur. Par ailleurs, je ne veux pas défavoriser les illustrateurs qui touchent des droits d’auteur. J’essaie néanmoins d’ajouter du matériel gratuit à l’achat de manière à le rendre moins onéreux pour les personnes intéressées.