L'École Primaire comme je voulais la raconter
Pilotis, manuel de l'élève (édition 2019)
Quelques réflexions faites au fil des pages du feuilletage de cette méthode. Pour ceux qui n’auraient pas le temps de lire tout cela, sachez que c’est une méthode que je ne conseillerai pas malgré quelques points positifs qu’il convient de noter tout de même :
→ utilisation des gestes Borel Maisonny pour aider les enfants à percevoir les sons et en mémoriser les graphies
→ ordre des graphies cohérent
→ mots-repères simples, facilement mémorisables
→ la lecture de mots, de phrases et de textes apparaît rapidement, elle occupe plus de place que la lecture de syllabes
On saura le pourquoi de cette réticence quand j’aurai ajouté que sur les 550 grammes environ que pèse le manuel, ou sur les 135 pages d’apprentissage du code, les deux tiers sont consacrés à l’étude audio-orale de la langue française et qu’il reste donc seulement un tiers du total réellement dédié à l’encodage et au décodage de cette langue à l’aide des lettres.
On ne peut pas consulter en ligne le cahier d’exercices mais j’ai bien peur qu’il soit lui aussi plus souvent préoccupé d’entraîner les élèves à s’écouter parler plutôt qu’à apprendre à écrire et à lire.
a) Je l’aurais plutôt placée en fin d’ouvrage qu’au début, comme sommaire. Ici, elle apparaît aux familles comme la première chose à savoir alors que c’est juste une aide ponctuelle, pour se remémorer une relation graphie-phonie qu’on aurait oublié.
b) Les gestes sont les mêmes que ceux choisis par Mme Borel Maisonny, ils sont clairs, pas d’objection.
a) Les graphèmes : liste cohérente, la graphie « ou » gagnerait à être vue plus tôt pour habituer les élèves les plus routiniers à appréhender trois signes en même temps, mais la graphie « ch » peut jouer le même rôle.
b) La liste des « mots-outils » est importante mais, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que sont comptés comme « mots-outils », réputés être retenus globalement, des mots entièrement décodables à ce stade de l’apprentissage (il y a ; le, la, l’ ; sur ; se ; il va ; par ; ...). Il y en a donc beaucoup moins que ce que pourrait nous faire craindre la liste. Certains pourraient tout de même être évités (il fait, mais, je vais, je fais, peut, voir, ...) en reportant leur lecture et leur début de mémorisation orthographique après la leçon sur la graphie complexe qu’ils nécessitent (ai, eu, oi, ...).
c) Les mots repères sont simples, ils seront mémorisés facilement par les élèves.
d) On note une progression grammaticale à peu près cohérente, à quelques détails près (l’alphabet et l’ordre alphabétique en début d’année quand toutes les lettres n’ont pas encore été vues ; l’étude du verbe et des pronoms qui arrive très tard).
e) L’idée d’un lexique thématique en fin de période, s’il s’appuie sur les mots étudiés au cours de cette période, est intéressante.
a) Grande avancée par rapport à l'ancienne version, les auteurs ont réalisé qu’il était stupide d’écrire des mots en majuscules bâtons en début de CP pour, bien entendu, ne plus utiliser cette police de caractères ensuite ; les mots sont désormais écrits en cursive ce qui est bien plus « productif » quant à la suite de l’apprentissage.
b) La part réservée à la phonologie pure (ou étude audio-orale du système phonétique) est beaucoup plus importante que la part réservée à l’acquisition de la relation graphie-phonie ; bien sûr, on peut considérer que le travail à proposer sur le tableau est de repérer la place de la graphie a dans le mot écrit en cursive mais on peut aussi supposer que, dans certaines familles, l’enfant, seul, « lise » par exemple (page 8) : « cheval... guêpes... orange... allumettes... nounours... chocolat... dauphin... chat... etc. ».
c) La progression dans la perception du son est logique (1e : début de mot ; 2e : fin de mot ; 3e : cœur de mot), mais ce n’est pas de la lecture, c’est du repérage auditif.
d) La page de révision arrive beaucoup trop tard, lorsque les élèves les plus fragiles ont déjà oublié ce qu’ils ont lu les premiers jours ; elle est encore une fois très déséquilibrée entre « acquisition d’une relation graphie-phonie » et « perception auditive d’un son dans un mot ».
Conclusion
Ces pages sont un encouragement à stagner dans deux compétences qui n’apprennent pas à lire :
- repérer auditivement un son et sa place dans l’émission orale d’un mot
- s’appuyer sur une illustration pour tenter de lire un mot
a) L’équilibre entre « acquisition des relations graphie-phonie » et « perception auditive d’un son dans un mot » est meilleur mais la seconde compétence est encore beaucoup trop prégnante, d’autant qu’elle précède l’acquisition de la graphie puis est à nouveau présentée comme nécessaire après l’exercice portant sur la lecture de syllabes par décodage.
b) L’apprentissage de la lecture de syllabes est « brutal », le sens gauche-droite de la lecture semble considéré comme acquis par l’auteur qui n’hésite pas, dès la première leçon à présenter les syllabes C-V mais aussi V-C.
c) La partie « Je lis des mots » est bien présentée et suffisamment fournie pour que les automatismes s’installent.
d) La partie « Je lis une phrase » semble liée à la partie « Mots-outils à apprendre par cœur », on ne sait pas dans quel sens se font les acquisitions ; dans la première leçon (lettre L) on remarquera que :
- 6 mots-outils sur 7 (il – y – a – le – la – l’) sont déchiffrables à ce stade de l’apprentissage, les placer dans une liste à apprendre par cœur leur fait perdre ce statut, ce qui retarde et dévie l’apprentissage de la lecture de sa progression graphémique
- le seul mot-outil réellement indéchiffrable (en raison de la graphie « an » correspondant au phonème [ã]) est lu une seule fois ce qui ne garantit en aucun cas sa mémorisation ; la place prise par la partie audio-orale de la leçon vole celle qui devrait être consacrée à l’apprentissage réel des relations graphie-phonie, ce qui est très dommage[1].
e) cependant, au cours des pages, on s’aperçoit que cette partie « Je lis des phrases » évolue, que, de plus en plus, on s’oriente vers de petits textes, ce qui va permettre de travailler la cohérence textuelle, les inférences, l’implicite.
Conclusions
La place prise par l’étude audio-orale de la langue rend impossible une étude plus visuelle de la construction de la syllabe et du mot.
Mme Borel-Maisonny a inspiré l’auteur dans son repérage auditif d’un son et pour installer et conforter le rôle de la lecture (échanger des renseignements grâce à l’écriture et à la lecture de phrases successives formant un texte ). Il est dommage qu’elle ne l’ait pas inspirée dans sa progression visant à :
- installer et conforter le sens gauche-droite de la lecture
- installer et conforter la mémorisation des « mots-outils » (ou plutôt mots-sons dans le cas de BM)
a) On ne comprend pas bien ce que viennent faire ces leçons à ce moment-là ; les enfants manipulent des déterminants et des noms depuis la première leçon sur la fusion consonne-voyelle (la, le, l’allée), les articles indéfinis un et une ont été rajoutés à la leçon suivante, puis leurs pluriels, les et des, trois leçons plus tard ; peut-être est-ce une récapitulation de ce qui a été noté, à l’oral, pendant la période ?
b) On comprend d’autant moins que l’auteur semble considérer que la lecture (et l’écriture) n’ont rien à voir dans cette affaire puisque les mots, que les élèves pourraient lire (sirène – livre – navire – île – âne – ville) sont dessinés et que les noms choisis ne sont pas déchiffrables alors que, dans les pages précédentes, il y a un vaste choix de noms que les élèves savent réellement lire.
c) Même reproche pour l’ordre alphabétique ; il était facile de choisir des mots déchiffrables au moins pour les lettres déjà étudiées
d) Le choix de placer à ce moment de l’apprentissage du nom des lettres peut avoir un intérêt puisque les élèves ont désormais compris la fusion consonne-voyelle (et voyelle-consonne) et qu’ils commencent à connaître quelques mots contenant une graphie composée de plusieurs lettres (les, des, dans, est, es, un, pour, ...) ; certains vont pouvoir aller plus loin dans leur construction du « savoir lire » et déduire de ces apprentissages de nouvelles relations graphie-phonie qu’ils pourront expliquer
e) Pour l’ordre alphabétique, c’est moins compréhensible car ils sont encore très loin de pouvoir consulter un dictionnaire
Conclusion
Ces pages semblent avoir été placées là par hasard. Elles n’utilisent pas les compétences de lecteur déjà acquises par les élèves. Les notions qu’elles proposent sont toutefois importantes, elles auraient pu être travaillées quotidiennement sur les doubles pages consacrées aux graphies si la place de l’image n’avait pas été aussi importante.
a) Les thèmes sont bien choisis, la méthode d’acquisition (une image foisonnante à commenter) aussi.
b) Il est amusant de voir que les deux pages de lexique qui font suite à l’apprentissage grammatical de la notion de déterminant et de nom débouchent sur l’étude de verbes d’action ; on aurait très bien pu imaginer, à condition d’arriver à considérer globalement l’étude de la langue que cette leçon, comme les précédentes, soient des leçons de français qui, à partir du commentaire oral d’une scène sur un thème donné, installe à la fois du vocabulaire, de la grammaire, de la conjugaison et de l’orthographe.
c) Il aurait alors fallu choisir des verbes déchiffrables, conjugués aux trois personnes du singulier pour éviter les graphies « on » et « ez » qui n’ont pas encore été étudiées ; cela n’est pas le cas.
Conclusion
Ces deux pages partent d’un bon sentiment (travailler le vocabulaire oral) ; ont-elles leur place telles quelles dans un manuel consacré à l’apprentissage du code ?
a) Dans cette leçon de révision, on constate d'emblée que l’auteur fait encore une confiance très limitée à l’activité de combinatoire : la première activité consiste à faire lire isolément toutes les graphies étudiées (on ne sait pas comment sont lues les consonnes : leur nom ? le son suivi de la lettre e (le, me, re...) ? le son émis sur la durée comme chez Borel-Maisonny ?) et la seconde à se remémorer (par cœur) les « mots-outils » qu’ils soient déjà déchiffrables ou encore acquis globalement pour le moment.
b) Les activités suivantes sont de l’ordre grammatical avec, toutefois, une première activité de décodage.
c) Il n’y a que sur la page de gauche que, avec le soutien du dessin qui précède l’activité de lecture, avec tous les risques que cela comporte (hasard ? devinette partielle après avoir lu la première lettre uniquement) qu’elle semble se souvenir qu’elle s’est employée à leur apprendre à entrer dans la lecture par le graphème.
d) Cette prévalence du dessin persiste, à un moindre degré, puisque cette fois il cohabite simplement avec la lecture de phrases ; le risque de devinette persiste puisque les quatre illustrations, très différentes les unes des autres, permettent de se passer du déchiffrage après la lecture réelle des premiers mots.
Conclusion
Ces deux pages de révision n’ont que très peu d’intérêt. On les remplacera avantageusement par deux pages sur lesquelles les enfants liront : des syllabes, des mots, des phrases isolées et un texte utilisant les graphies connues et les mots-outils appris.
a) Même structure que précédemment, la liste de mots dessinés n’a toujours pas disparu alors qu’elle devient franchement inutile en lecture ; l’exercice de phono non plus (on en est à la rime à la leçon sur la lettre p... pourquoi ? mystère...).
b) La lecture de syllabes n’empiète pas sur la place laissée à la lecture d’éléments signifiants (mots, phrases, texte).
c) Le nombre de mots proposés au déchiffrage est convenable ; les textes passent d’une vingtaine à une trentaine de mots au cours de la période, ce qui est tout à fait réaliste quant aux capacités de progrès des élèves de CP.
Conclusion
Toujours trop de place occupée par l’étude audio-orale de la langue. Cette place serait mieux occupée si elle présentait de manière plus visuelle la « fabrique de syllabes ».
a) À nouveau deux leçons de grammaire de type « magistral » où les élèves apprennent ce qu’ils savent déjà puisqu’ils lisent des phrases depuis maintenant plus de 3 mois ; les exercices sont toutefois bien choisis et peuvent mener à une conversation intéressante s’ils sont menés sous forme de débat.
b) L’auteur sait désormais que les élèves ont appris à lire, c’est sur du matériel déchiffrable que les enfants travaillent dans ces deux pages de grammaire.
c) La leçon de lexique serait plus à sa place dans un manuel Questionner le Monde mais pourquoi pas ?... les enfants apprendront ainsi à lire des textes informatifs.
d) Grosse rechute hélas pour les deux pages de révision ! Pour l’auteur, on ne peut lire qu'après avoir prouvé qu'on peut désigner une graphie par un bruit de bouche ou qu’on reconnaît un mot dont on a appris la silhouette par cœur... la lecture vient ensuite.
e) Les exercices de lecture, à visée grammaticale tout d’abord, puis pour comprendre ce qu’on lit ensuite sont suffisants ; il est dommage que le deuxième soit prétexte à chronométrage plutôt qu’à vérification de la compréhension.
Conclusion
L’auteur est plus à l’aise car les élèves sont meilleurs lecteurs désormais. Les pages de lexique deviennent intéressantes car elles permettent une « lecture vraie » de type « lecture documentaire ». Hélas, les pages de révisions partent toujours de l’élément abstrait pour n’accéder à son utilisation concrète qu’à la fin. Dommage.
a) Rien ne change... les textes et les mots ne peuvent s’étoffer du fait de la prééminence de l’oral et de l’image qui persiste alors qu’elle n’est plus du tout justifiée.
b) Les leçons de grammaire sont plus actives que précédemment et l’intuition de la langue est mieux prise en compte ; les enfants agissent pour apprendre, ils débattent pour conclure et les acquis qu’on propose à leur sagacité leur rendront service.
c) Même remarque pour le lexique que lors des périodes précédentes ; les enfants sachant désormais bien déchiffrer, ces deux pages constituent des sas de « lecture vraie » bien intéressantes dans une méthode qui ne privilégie pas ce type de lectures.
d) Les révisions gardent aussi cette prééminence de la lettre considérée comme un élément abstrait qui a une vie en dehors du mot et du texte, tout de suite suivie de la reconnaissance globale.
Conclusion
Se reporter aux conclusions précédentes. La disparition des exercices de reconnaissance audio-orale de la langue permettrait de doubler le temps de lecture des enfants, garantissant une bien meilleure mémorisation des relations graphie-phonie.
a) Cette partie, située en fin d’ouvrage, est très intéressante car elle permettra à l’enseignant de faire travailler à part les enfants qui ont tendance à confondre des sons ou des graphies.
b) Cela permettra peut-être qu’ils échappent à l’étiquette de dyslexie qu’on leur colle parfois avant même de leur avoir permis d’affiner leurs facultés sensorielles (discrimination auditive, discrimination visuelle).
c) Je rajouterais sans hésiter l’écriture cursive de ces graphies que les élèves confondent parfois par manque d’attention visuelle (b/p ; b/d ; m/n) mais qui, associées à la graphie cursive, sont mieux mémorisées et donc moins souvent confondues.
Conclusion
Cette partie est très intéressante. Elle gagnerait à utiliser aussi l’écriture cursive pour aider les élèves en difficulté à repérer plus facilement les graphies en miroir.
[1] On pourra trouver ci-dessous, en Annexe, la même leçon, dans laquelle on privilégierait plutôt l’écriture-lecture que l’écoute attentive.
CP : Que penser de À moi de lire ? ; CP : Que penser de Calimots ? ;