État des lieux :
Nous voici arrivés au milieu du premier trimestre. Pour les enfants de 6 à 7 ans, c'est une étape importante, celle où, tout à coup, ils se rendent compte qu'ils commencent à maîtriser un nouveau super-pouvoir !
Alors, pour célébrer cette découverte, les voilà qui en usent et en abusent. Partout. Que ce soit le matin au petit déjeuner devant le pot de confiture ou le paquet de céréales ou dans la rue, devant les enseignes et les panneaux indicateurs, que ce soit sur les couvertures de magazine, les notices de médicaments, les catalogues de jouets de Noël qui commencent à arriver dans les boîtes aux lettres, ils dé...chif...frent... !
Sans doute péniblement, avec encore beaucoup d'approximations, mais ils déchiffrent et leur yeux s'illuminent quand ils arrivent à saisir une bribe de compréhension après leurs essais : « Il y a écrit É-co-le Jac-ques Pré-veu-re ! Mais ça se lit École Jacques Prévert ! C'est mon école. Tu as vu ? Je sais lire ! Je sais lire ! »
Enfin, ça, c'est dans l'idéal... Hélas, souvent, à ce que je vois ici ou là, ce n'est pas comme ça que cela se passe en bien des endroits. Et cela inquiète certaines familles. On va même jusqu'à agiter, déjà, le spectre de la dyslexie... Ou d'autres troubles, comportementaux, neurologiques ou cognitifs, qui empêcheraient l'enfant, la chair de sa chair, d'apprendre à lire « comme tout le monde ».
Avant de s'affoler et d'aller consulter, peut-être serait-il profitable de jeter un œil sur la méthode employée dans la classe de son enfant.
Si l'on constate :
- qu'au fil des pages, il en y a plus qui sont lues par l'adulte (enseignant ou parent) que par l'enfant ;
- que les phrases données à lire à l'enfant comportent chaque fois bien plus de mots inconnus que de mots connus ;
- que les mots lus dans les phrases précédentes ne sont pas réemployés ensuite ;
- que les pages travaillant la relation entre une lettre et un son ne reviennent qu'au rythme d'une par semaine ;
- que les découvertes faites au cours de ces pages « lettre et son » ne sont toujours pas utilisées pour lire de plus en plus de mots entiers (moins il y a de lettres apprises et moins c'est facile) ;
- qu'on demande très souvent à l'enfant d'apprendre à écrire « par cœur » des mots qui n'ont pas encore été déchiffrés lettre à lettre...
... on peut d'ores et déjà remballer, au moins provisoirement, son soupçon de trouble de l'apprentissage !
Il n'a rien, cet enfant, si ce n'est que, pour le moment, personne n'a encore envisagé qu'il est capable de beaucoup, beaucoup plus et qu'à âge égal, dans d'autres écoles, les enfants commencent à pouvoir se servir de la lecture en autonomie, sans un adulte derrière pour leur dire ce qu'ils doivent lire ... ou plutôt réciter, parfois les yeux fermés... On ne sait pas bien.
Le secret de ces classes, situées parfois dans des quartiers très défavorisés, avec un public dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est nécessairement son propre recours, tant son environnement social et familial est loin du monde de la lecture, c'est l'emploi d'une méthode de lecture à dominante alphabétique, souvent qualifiée, à tort, de « méthode syllabique ».
Il y en a de deux sortes :
- La méthode synthétique, c'est celle qui met l'enfant en présence d'une lettre, puis une autre, puis une autre, sans aucun habillage autour. Au bout de quelques jours, ces lettres sont associées entre elles, en syllabes, puis en mots.
Au bout de quelques semaines, on associe suffisamment de lettres entre elles pour que l'enfant déchiffre une courte phrase, puis deux, puis quelques-unes.
Aux alentours des vacances de printemps, parfois un peu avant, les enfants sont autonomes et peuvent alors lire des textes bien plus longs, en comprenant ce qu'ils lisent.
- La méthode analytico-synthétique, c'est celle qui part d'une phrase composée de mots courts et très utilisés que les enfants apprennent à reconnaître un à un jusqu'à les analyser en syllabes puis en lettres qui serviront immédiatement à reconstruire de nouveaux mots et de nouvelles phrases.
Au bout de quelques semaines, l'enfant déchiffre des phrases formant déjà des textes de plusieurs lignes, dont le sens est au cœur de son projet de lecteur.
Aux alentours du mois de janvier ou février, l'enfant est assez à l'aise dans la lecture pour que le processus s'inverse et que ce soit le texte qui serve de terrain d'exploration pour découvrir de nouvelles associations de lettres permettant de coder et décoder de nouveaux « sons ».
En fin d'année, il lit, couramment ou presque, des textes déjà longs. Ses capacités de décodage lui permettent de déchiffrer des mots dont il ne connaît pas encore le sens. Et comme il a toujours lu pour comprendre, il sait le déduire du contexte (il comprend l'implicite, comme dit son enseignante) et enrichit son lexique en apprenant à l'utiliser.
C'est de cette deuxième méthode dont je veux vous parler. Vous en avez un exemple ici. Elle est d'un usage simple et tout parent peut l'utiliser à la maison, à condition d'y consacrer chaque jour entre 15 et 30 minutes[1].
Si l'abondance relative de mots forcément indéchiffrables vous affole, je vous encourage à utiliser d'abord le petit livret que mon amie Sophie Borgnet a illustré et que vous trouverez sur ce blog dans l'article « Cinq ans et demi, c'est le bon âge ».
Pour ceux qui pensent que leur enfant est capable de mémoriser 7 assemblages de lettres différents et de les associer, provisoirement, à 7 mots français très courants, voici une méthode simplifiée que vous pourrez utiliser sans difficulté chez vous.
Recette :
Règle d'or : Une page par jour, pas plus ... mais aussi pas moins !
Premier jour, la page 2 :
Observation de l'image (5 minutes):
Dialoguer avec l'enfant de manière à lui faire raconter l'image.
La phrase (5 minutes) :
- S'il ne sait pas du tout déchiffrer, lui lire la phrase, mot à mot, en pointant chaque mot (ou signe) du doigt, à plusieurs reprises. Dire « point d'interrogation » et « point » en montrant le signe au cours de la lecture.
Recommencer avec la phrase en cursive (lettres attachées, écriture du cahier).
S'il sait déjà un petit peu déchiffrer, demandez-lui de vous aider dès le départ.
- Demander à l'enfant de vous aider au bout de deux ou trois lectures : « Lisons ensemble », « Lisons un mot chacun »...
- Finir en demandant à l'enfant de montrer tel mot, puis tel autre, puis encore tel autre, dans le désordre. L'aider s'il se trompe en lui montrant comment faire : « Regarde, le, c'est le quatrième mot : Tu... 1... as... 2... vu... 3... le... 4. Il commence par une grande barre, la lettre L qui fait « llll », et une petite boucle, la lettre E. qui fait « eeee». »
Faire montrer « le chat » et « il chasse » en dernier car ils seront réutilisés dans la partie ci-dessous.
Analyser des mots (5 minutes) :
- Montrer les mots « le chat » et « il chasse » écrits sous la phrase. Montrer qu'ils contiennent une partie commune : C.H.A et qu'on entend « chhhhhhaaaaa » (prolonger bien chacun des deux sons). Faire lire l'enfant en lui demandant d'insister sur « chhhhaaaa » de cette manière : « le... chhhhhaaaat... il.... chhhhaaaaa...sse ».
- Faire observer les syllabes écrites de 2 couleurs en interrompant de manière insensible le son entre chhhh et aaaaa. Les faire lire à plusieurs reprises.
- Montrer alors les lettres séparées par la flèche et scinder franchement la prononciation des deux sons : « chhhhh....... aaaaaaaa »
Faire répéter plusieurs fois à l'enfant.
- Finir en lui demandant de montrer, dans le désordre « cha », « ch », « a »... à plusieurs reprises.
Un super-pouvoir (2 minutes) :
Montrer alors à l'enfant qu'il sait lire tout seul en pointant une à une les lettres et suites de lettres proposées en bas de page. Ne pas souffler mais montrer les lignes lues précédemment pour qu'il se souvienne.
Petit conseil en plus :
Ne pas s'affoler si l'enfant semble avoir oublié certaines choses, ça va venir. La lettre A produisant le son « A » et la suite de lettres CH produisant le son « chhhh » font toutes deux partie du groupe des lettres les plus présentes dans l'écriture de la langue française[2], votre enfant les reverra un nombre de fois incalculable dans les mois à venir.
Deuxième jour, la page 3 :
Un autre super pouvoir (5 minutes) :
- Après avoir demandé à l'enfant de relire la phrase sous le dessin, dans les deux écritures, lui faire lire les deux premières ligne en haut de la page. Recommencer l'exercice de la veille : « Montre-moi le... montre-moi chasse... montre-moi le point... montre-moi tu... etc. »
- Présenter alors la ligne suivante sans la lire soi-même : « Nouveau super-pouvoir : tu sais reconnaître les mots de la phrase un par un ! »
- La première ligne est simple puisque les mots sont dans l'ordre.
- La deuxième ligne est plus difficile car l'enfant ne peut plus se servir uniquement de sa mémoire auditive pour réussir. Il doit y associer la mémoire visuelle.
Si l'enfant hésite, lui montrer comment retrouver les mots dans la phrase en s'aidant de leurs lettres : « Regarde, ce mot commence par un T, c'est un peu difficile parce qu'il est en minuscule. Après, il y a la lettre U, comme ici (montrer Tu) et ici (montrer vu). Lequel de ces deux mots commence par T ?... Oui, c'est le premier. Tu te souviens de quel mot il s'agit ?... Très bien ! »
Troisième super-pouvoir (10 minutes)
- Montrer les phrases numérotées à l'enfant en lui disant : « Regarde. Ce sont des phrases que tu sais lire tout seul. Chacune est comme une petite histoire qui raconte quelque chose qui se passe ou qui s'est passé ou même quelque chose d'inventé. Tu vas me les lire l'une après l'autre et nous allons essayer de comprendre l'histoire que l'auteur a voulu nous raconter. »
Remarque : dans ces phrases, il y a le mot a. Rassurer l'enfant hésitant : la lettre a constitue le mot a. C'est tout bête mais ça déroute les enfants, surtout quand, à l'école, on lit de manière totalement séparée des pages de textes et des pages de code.
- Faire lire la première phrase. Demander si c'est vrai, si l'enfant a bien vu le chat. Faire décrire ce chat rapidement en cachant l'image.
- Faire lire la deuxième phrase. Demander si c'est vrai, si le chat de l'histoire chasse. Faire rappeler ce qu'il chasse. Demander si, dans la réalité, les chats chassent aussi. Faire citer quelques animaux que les chats chassent.
- Continuer avec les phrases suivantes en posant les questions de compréhension ci-dessous :
- Phrase 3 : « Qui peut bien être ce « il » qui a vu le chat ?... » Faire trouver plusieurs solutions ( l'oiseau, le papa de la fillette, son frère, un ami, un chien, ... )
- Phrase 4 : « Où le chat peut-il avoir vu un autre chat ?... » Faire trouver plusieurs solutions : dans le jardin, sur le mur, dans la rue, dans un miroir, sur un livre...
- Phrase 5 : « Qui est ce tu qui chasse ? » ; « Les enfants peuvent-ils chasser ? » ; « Que pourrions-nous chasser ? » ... Faire trouver plusieurs solutions dont certaines amusantes : la mouche sur la tartine de Nutella, le chat qui boit le lait dans le bol du petit déjeuner, la guêpe qui tourne autour de la table, la sorcière d'Halloween qui vient frapper à la porte et qui nous fait peur, ...
- Phrase 6 : « Qui peut être ce tu ? » ; « Pourquoi pouvons-nous avoir envie de chasser le chat ? »
Petits conseils en plus :
- Ne pas s'affoler. Tout vient à point à qui sait attendre.
- Ne pas surinvestir le par cœur, surtout pour les mots que l'enfant ne sait pour le moment pas déchiffrer.
Il s'agit juste d'apprendre à l'œil à analyser ce qu'il voit de plus en plus finement ; c'est pourquoi j'ai choisi de présenter tu/vu, il/le, chat/chasse qui nécessitent qu'on y jette plus qu'un simple coup d'œil.
- Ne pas hésiter à revenir en arrière aussi souvent que nécessaire. C'est en assurant ces bases qu'on aide l'enfant à acquérir des réflexes qui lui serviront toute sa vie de lecteur : toujours s'assurer de déchiffrer très exactement, toujours chercher à comprendre ce que raconte ce qu'on est en train de lire.
Troisième jour :
Un choix s'offre à chaque utilisateur :
- On peut s'octroyer une pause et réutiliser les lettres, la syllabe et les mots dans un autre contexte :
- Oralement, chercher des mots qui commencent par le son « A », le son « chhh », la syllabe « cha».
- Écrire en copiant les lettres apprises ; les écrire sous la dictée dès qu'on sait les écrire sans modèle.
- Écrire en copiant uniquement les mots que l'on connaît. Les copier un à un pour écrire une phrase. Ne jamais les faire écrire de mémoire tant qu'ils ne sont pas totalement déchiffrables et donc ne jamais les donner à apprendre par cœur (pour les courageux, voir : Écrire et Lire au CP : apprendre l'orthographe).
- Lire d'autres phrases composées de ces mots et des mots que l'enfant connaît (son prénom, les noms par lesquels il nomme ses parents : papa, maman, prénom, etc.).
- Passer à la page 4. Comme elle est construite exactement sur le même schéma que la page 2, se reporter ci-dessus pour mener l'apprentissage. Deux petites différences néanmoins :
- Les mots le et chat sont réutilisés[3]. Les faire reconnaître à l'enfant avant de lui lire la phrase. À partir de maintenant et jusqu'à la page 16, toujours procéder ainsi.
- Désormais l'enfant connaît deux voyelles et deux « sons-consonnes », ils vont pouvoir commencer à déchiffrer des mots pour les comprendre : rat, rit, riz, Riri, rira, chat, chichi. C'est souvent par l'écriture que l'enfant prend conscience de ce quatrième super-pouvoir en le faisant écrire sur l'ardoise : « Tu sais écrire la syllabe ri alors tu peux écrire le mot riz, il a une lettre muette mais je te montrerai le modèle. Tu peux aussi écrire Marie rit si tu copies Marie dans le livre et que je te montre le modèle de la lettre muette. »
Les jours suivants :
Continuer sur la lancée.
- Pour certains enfants, on peut accélérer jusqu'à une double page par jour. Si le quart d'heure n'est pas fini, je conseille de lire d'autres choses mais de ne jamais dépasser ce rythme d'une double page sauf lors des Intermèdes de lecture courante.
- Pour d'autres, il convient au contraire de multiplier les pauses, en passant ainsi trois jours sur la double page. Certains peuvent avoir besoin de l'aide des Alphas, ces petits personnage sympathiques qu'on trouve facilement à télécharger sur internet. Il y a une police Alpha à enregistrer gratuitement. On peut fabriquer des pense-bêtes qu'on réactualise régulièrement en supprimant les lettres connues et en rajoutant les nouvelles dont la mémorisation est encore fragile.
Ici, vous trouverez un pense-bête pour aider votre enfant à distinguer les lettres b et d qu'ils confondent souvent jusqu'à la fin du CP, sans que ce soit pourtant un signe avant-coureur de dyslexie : Marque-page "d ou b ?"
Petits conseils en plus :
- Rester toujours positif et bienveillant. Ces moments doivent être des moments de calme et de partage pas de crises de larmes et d'angoisse.
- Rester régulier. Ne jamais interrompre l'apprentissage plus de deux jours de suite dans les trois à quatre premières semaines.
Quand vous sentirez que l'enfant est lancé (il lit les étiquettes, les panneaux dans la rue, etc.), vous pourrez sans crainte laisser le livret de côté de temps en temps.
- Rester humble, il y en a pour un bon trimestre avant que l'enfant ânonne moins. Les lectures s'étofferont peu à peu ; pour le moment, c'est très peu exaltant pour l'adulte et pour les enfants habitués à ce qu'on leur lise des livres longs et compliqués (il faudra sans doute rassurer et beaucoup encourager).
- Quand l'enfant ne se souvient plus d'un mot vu dans les phrases de départ sous l'illustration, le faire observer attentivement et revenir à la phrase où il est apparu pour la première fois et la faire relire mot à mot jusqu'à ce que le mot soit retrouvé.
Par expérience, les enfants confondent souvent : chat/chasse ; arrive/crie ; il/le. Ils ont souvent de la peine à retenir le mot préfère. Ne me demandez pas pourquoi mais c'est courant.
Ces mots n'étant pas destinés à être retenus bien longtemps, ne pas hésiter à carrément les donner à l'enfant : « Celui-ci, c'est préfère, tu sais, tu l'oublies souvent. Bientôt, tu connaîtras toutes les lettres et tu ne pourras plus te tromper : ce sera bien plus facile. »
- Dès qu'un mot devient déchiffrable en entier, ne plus le faire retrouver en relisant les phrases de base mais en déchiffrant les lettres.
À partir de la page 16, tous les mots de la phrase de base sont déchiffrables sauf ceux qui apportent le nouveau son.
Il en sera de même jusqu'à la fin de la méthode (sauf, dans le premier livret, les mots surlignés en jaune - un peu vert, hélas, je suis désolée - et, dans le deuxième livret, les mots ou segments de mots écrits en rouge).
Comment se procurer la méthode ?
On peut la commander sur le site de l'éditeur. Chaque livret coûte 6,50 €. Les frais de port s'élèvent à 8,14 €.
On peut aussi me contacter directement à doublecasquette@gmail.com. Je la commande en grande quantité pour réduire l'effet des frais de port
Cela me permet de vous demander uniquement le prix auquel j'ai payé les livres et ce que la Poste me facture (5,28 € en lettre verte), en France Métropolitaine[4], les livres que j'ai écrits (celui-ci et Pour une Maternelle du XXIe Siècle).
Dès que j'ai reçu la somme, j'envoie la commande à l'adresse qu'on m'indique dans les plus brefs délais.
C'est bientôt Noël, un pré-cadeau joignant l'utile à l'agréable, ça peut être une bonne idée !
Notes :
[1] On peut très bien ne faire que 15 minutes les jours de classe et deux fois 15 minutes pendant les vacances et les week-ends.
[2] Le son « a » est au 1er rang de fréquence et le son « ch » au 7e.
[3] Les mots tu, as, vu, il et chasse réapparaîtront dès la page 5.
[4] Pour les envois par avion, le plus simple est de me contacter.