L'École Primaire comme je voulais la raconter
Extrait de Écrire et Lire au CP, livret 2, page 2
Régulièrement, des questions reviennent sur la vitesse de lecture au CP.
Faire progresser les élèves de manière naturelle sans risque de stress dû au chronométrage et aux conditions d'examen, c'est extrêmement simple. Cela commence le premier jour de l'année scolaire, cela continue jour après jour, pour tous les élèves, chacun à son niveau, le meilleur possible en fonction de ses capacités actuelles.
La lecture de plus en plus fluide naît d'un savant mélange d'attention visuelle, de connaissance « parfaite » des graphies étudiées en classe, de compréhension du lexique employé et de la familiarité avec le thème général qui se dégage du texte lu.
On la travaille depuis le début d'année. Elle a souvent été déjà travaillée en amont, pendant les 3 années de Maternelle.
Si, à la rentrée, elle est encore déficiente, on peut la favoriser par :
→ des jeux de Kim
→ des jeux où les enfants doivent réagir à des signaux visuels : chef d'orchestre, Jacques a dit modifié (on remplace les ordres oraux par des ordres dessinés sur des panneaux, de 2 couleurs),
→ des exercices quotidiens de lecture sur étiquettes : l'enseignant a écrit les mots ou les syllabes sur des étiquettes qu'il présente quelques secondes, les élèves doivent réagir à ces étiquettes (répondre en chœur ou lever une illustration du mot lu une fois l'étiquette cachée, réécrire la syllabe à l'aide de lettres mobiles ou d'Alphas)
Elle naît de leur utilisation fréquente en lecture et en écriture, d'où l'importance d'accueillir des enfants qui savent déjà écrire en cursive en entrant au CP.
Si cela n'a pas été fait en GS, il va falloir y consacrer les 3 à 7 premières semaines de l'année, selon le degré de dextérité qu'a exercé la scolarité maternelle.
Cela permettra de provoquer la mémorisation des graphies abordées par tous les canaux : la vue, l'ouïe et le toucher, toujours associés par 2.
On peut y rajouter l'émotionnel en invitant les personnages des Alphas dans sa classe.
Tous les jours, pendant au moins un quart d'heure en début d'année, puis progressivement une demi-heure, pour chaque association, on fera :
→ pour l'association « vue et ouïe » : lire à haute voix les élèves
→ pour l'association « vue et toucher » : écrire les élèves (lignes d'écriture)
→ pour l'association « ouïe et toucher » : écrire les élèves sous la dictée
Pour les enfants les plus lents à mémoriser, on pourra ajouter :
→ pour l'association « ouïe et vue » : reconnaître dans une liste (étiquettes étalées sur la table par exemple) des syllabes et des mots qu'on énoncera à voix haute
→ pour l'association « toucher, vue et ouïe » : travailler avec des lettres rugueuses Montessori (faire suivre le tracer de la lettre avec l'index ou un stylet en énonçant le son qu'elle produit)
Il faut obligatoirement que la méthode de lecture employée réutilise très fréquemment les graphies déjà étudiées. Si toutes le font dans un premier temps, parce que ce sont les graphies les plus fréquentes qu'on étudie en premier, nombreuses sont celles qui n'y pensent pas dès lors qu'on aborde des graphies plus rares. C'est ainsi que les élèves ayant peu de mémoire ne reconnaissent plus certaines lettres pourtant étudiées pendant deux ou trois jours d'affilée.
Si la méthode ne le fait pas, il faut la complémenter grâce à :
→ des lectures supplémentaires,
→ des dictées fréquentes de mots écrits par encodage et non apprentissage par cœur,
→ des jeux de lecture : mots à reconnaître, phrases à illustrer, mots à compléter (par exemple par ou / on : un ch..., un p...t, un l...p, c'est trop l...g, etc.)
qui reprendront ces lettres ou combinaisons de lettres souvent seules ou en association.
On apprend bien plus facilement à lire lorsqu'on comprend ce qu'on lit. C'est ce qu'a remarqué Jean-Baptiste de La Salle, un « chercheur en sciences cognitives » du 17e siècle. Il en a déduit qu'il valait mieux apprendre à lire aux enfants d'abord en français avant d'aborder la lecture du latin.
[Accessoirement, il a aussi découvert qu'il était plus efficace de travailler en groupe classe qu'en individuel. Mais ça, c'est une autre histoire. Quoi que...]
Le latin d'aujourd'hui, c'est cela :
Emprunté à L'école de Crevette, mais il y en a tant d'autres !
Et voici ce que Jean-Baptiste de la Salle aurait proposé à la place :
Et c'est là qu'entre en jeu la compréhension ! Celle qui fait qu'en janvier ou février du CP, après 4 à 5 mois de classe, tous les enfants sont capables de lire cela ensemble – d'où la pertinence de la deuxième découverte de Jean-Baptiste de La Salle, au 17e siècle – en une vingtaine de minutes, explications comprises !
Au début septembre, ce que lisaient et expliquaient ces mêmes enfants dans le même temps, c'était ceci :
au début octobre, en 20 à 25 minutes, cela :
au novembre, en 25 minutes à peu près, cela :
Cette augmentation de la quantité de mots déchiffrés naît de l'habitude de chercher à comprendre ce qu'on lit.
on a pris le temps de faire expliquer aux élèves l'illustration, de la faire commenter en insistant sur les mots chat et chasse, de manière à être sûr que chaque enfant sait ce qu'ils signifient.
Lorsqu'il a fallu parler un peu « latin », on l'a toujours raccroché à ce qui était connu de tous, la langue française : « chhh... comme ? chat... d'accord... mais aussi chhheval, chhhaussure... chhh... comme ? chhhocolat, chhhheminée... aaa, comme ?... aaavion, aaabeille...chhhaaaa... comme ? chasse mais aussi ?... chhhhaaamois, chhhapeau , chhâtaigne... »
De manière à obtenir que
On en arrive à :
Abel : des... ca... nards... des canards. Les canards, ça des plumes et un bec. Et ça nage.
Bélisaire : des chats... on connaît. Mimi, c'est le chat de Marie. Là, c'est (sic) des chats, ils sont plusieurs. Mimi et ses copains chats.
Cannelle : des amis... on connaît. Marie, Malo, Lila et Lucas, c'est (sic) des amis.
Daoud : des vélos... on connaît. Malo a un vélo, Lucas aussi. Ils ont des vélos. On met un s à la fin de vélos.
Effira : des... ma... nè... des manèges ! À la fête, il y a des manèges. Des fois, on gagne le pompon et le monsieur, il nous donne un ticket pour faire un autre tour. Une fois, eh ben, ma maman, eh ben, elle a dit non paske après ça fait pleurer mon petit frère et puis...
Enseignant : Et puis, stop ! La suite à la récréation pour ceux que ça passionne ! À toi, Fatoumata !
... »
La quantité a un peu augmenté, les enfants brassent chaque jour les 18 graphies déjà connues et peuvent en ajouter une 19e qui les amène à lire et expliquer 13 expressions nouvelles après une seule ligne de 6 mots en « latin ».
Pour fluidifier encore un peu plus la lecture, de temps en temps, on a ajouté un mot outil monosyllabique de préférence, très fréquent, que les enfants vont aussi fixer par la compréhension grâce à quelques phrases dans lesquelles son emploi éclaire intuitivement sa signification :
Jérémy est l'ami de Malo et Lucas. Jérémy est dans la cour, comme Malo.
Je joue à la corde. Je joue dans l'école.
Il y a un loup dans la cour de l'école ! Lucas est le loup, il court dans la cour.
Le loup vit dans la forêt. Il chasse.
Ce qui nous amène à la dernière composante :
Je vous encourage à voir en feuilletant les extraits ci-dessous comment on passe de l'univers restreint d'une petit fille, de son chat, de ses trois amis les plus proches et de leurs activités de loisirs favorites :
Écrire et Lire au CP, 1er Livret, 1re Partie
pour s'ouvrir peu à peu sur le monde de l'école,
Écrire et Lire au CP, 1er Livret, 2e Partie
puis celui du patrimoine littéraire archi connu,
pour enfin en arriver à butiner ici et là dans le monde des livres
découvrant à la fois un vocabulaire plus riche et des façons plus évoluées de s'exprimer par écrit, histoire de se familiariser avec des thèmes plus éloignés de ses préoccupations primaires de petit enfant de 6 à 7 ans.
Je suis prête à vous garantir que chacun de vos élèves ira jusqu'à sa limite supérieure de fluidité de lecture en travaillant ainsi, sans oublier l'écriture, fort peu présente dans cet exposé alors qu'elle est partout présente, à tout moment, pour solliciter et renforcer :
→ l'attention visuelle
→ la connaissance des graphies connues
→ enrichir et fixer le lexique
→ stimuler et renforcer l'envie de se familiariser avec des thèmes variés
comme on le voit dans ces exercices à recopier sur un cahier :
Mais cela restera sa limite, parfois très haute (enfant qui lit comme vous et moi, sans à-coups ni hésitation), le plus souvent encore très décevante pour un adepte de la mitraillette à syllabes (Son... nom... est... Ru-sé-Re-nard... Son nom... est... Rusé... Renard.... Rusé-Renard. Son nom est Rusé-Renard !), parfois encore plus décevante (T...out... Tout... l..e..le... m...on... mon...d..e... mon... de... monde s...é... s'é...c...a...ca...r...s'éca..r.. t...e... s'é...car...te... s'écarte... qu...an... quand... i...l... il... pa... sse...).
Parce que c'est comme ça et que, quoi que nous ayons pu faire dans notre vie, nous ne sommes ni Einstein, ni Rafael Nadal, ni Stanislas Dehaene mais nous, avec nos forces et nos faiblesses (mettez Einstein sur un court de tennis ou Stanislas Dehaene dans une vraie classe avec de vrais élèves, qu'on rigole).
Et que nos élèves sont pareils, les uns rapides comme l'éclair un ballon au pied, mais plus lents devant une page de lettres associées en mots qui forment des phrases qui ont un sens et qui, prises les unes après les autres, racontent une histoire alors que les autres excellent un crayon à la main, que ce soit pour dessiner ou pour écrire des histoires alors que, dans la cour, une raquette à la main, ils loupent constamment la balle qu'ils sont censés pouvoir rattraper !
Le but à obtenir n'est pas un débit de mitraillette que ce soit sur ma, nu, po, li, ra, ti, fa, clou ni sur
Marie est la camarade de Nicolas. Elle habite dans une petite maison, à côté de l’école. Domino, son chat, est tout gris.
mais que, quelle que soit la vitesse à laquelle l'enfant a lu ce texte, il soit capable de dire que c'est « l'histoire » d'une petite fille qui s'appelle Marie, dont le copain s'appelle Nicolas, qu'elle a une maison pas très grande à côté de l'école et que son chat est gris et qu'il s'appelle Domino, même si c'est après de nombreuses sollicitations : « Alors ? De qui ça parle ? Et qui est-ce ?... Tu peux relire, si tu veux... Elle est toute seule, cette petite fille ?... Regarde un peu ici, là, où je te montre... Elle est avec qui ?... Tu peux me le lire ?... Etc. »